BGer 4C.18/2005 |
BGer 4C.18/2005 vom 30.05.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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4C.18/2005 /ech
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Arrêt du 30 mai 2005
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Ire Cour civile
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Composition
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MM. et Mmes les Juges Corboz, président,
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Klett, Rottenberg Liatowitsch, Favre et Kiss.
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Greffière: Mme Cornaz.
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Parties
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X.________,
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défendeur et recourant, représenté par Me Alexandre Zen-Ruffinen,
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contre
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Ville Y.________,
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demanderesse et intimée.
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Objet
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contrat d'architecte global,
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recours en réforme contre le jugement de la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois du 18 novembre 2004.
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Faits:
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A.
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Le 21 mars 1996, le Conseil général de la Ville Y.________ a voté un crédit de l'ordre de 5'000'000 fr. pour la rénovation complète d'un collège. Les travaux d'architecture, ainsi que la direction des travaux, ont été confiés à la Société A.________ SA (ci-après: A.________), dont X.________, architecte, était l'administrateur et le salarié. Ce dernier s'est occupé personnellement de ce contrat. Les honoraires globaux prévus s'élevaient à 385'000 fr., aux termes d'un contrat oral non contesté. La première partie des travaux s'est déroulée sans problème. La seconde, beaucoup plus importante, a débuté en 1997 et, dès la rentrée scolaire 1998, la Commission de construction, présidée par l'architecte communal, a pris conscience d'un problème financier. A cet égard, le dernier décompte établi par X.________, au nom de A.________, date du 12 août 1998 et la dernière séance de la Commission de construction à laquelle il a participé du 1er septembre 1998.
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A.________ a été dissoute, puis radiée du registre du commerce le 15 janvier 1999, avant l'inscription d'une nouvelle raison sociale, B.________ SA (ci-après: B.________). Le but social de A.________ incluait l'accomplissement de mandats d'architecture et d'urbanisme, alors que celui de B.________ ne comportait que la gestion et l'administration d'immeubles. D'après la Ville Y.________ - et la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois - X.________ a assuré la Commune qu'il assumerait la fin des travaux à titre personnel. En mars 1999, il a procédé, avec le concours de l'architecte communal, à une analyse de la situation financière, qui s'est révélée déficitaire, ce qui a nécessité des crédits supplémentaires pour achever l'ouvrage. Le 25 juin 1999, l'architecte communal a réclamé à X.________ l'établissement immédiat de certains décomptes, déjà exigés lors d'une rencontre du 4 juin 1999. Après une nouvelle réclamation du 17 septembre 1999 et une mise en demeure du 28 janvier 2000, le Conseil communal a résilié le mandat de X.________ le 25 février 2000. La Commune avait alors payé à titre d'honoraires à A.________ la somme de 351'450 fr.
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Le 9 avril 2001, la Ville Y.________ a fait notifier à X.________ un commandement de payer la somme de 200'000 fr. au titre des dommages-intérêts pour inexécution d'un contrat d'architecte, qui a été frappé d'opposition.
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B.
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Le 15 août 2001, la Ville Y.________ a introduit auprès du Tribunal cantonal neuchâtelois une action visant à la réduction des honoraires de X.________ au montant de 351'450 fr. déjà payé, à la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 100'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 25 février 2000 à titre de dommages-intérêts et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition faite au commandement de payer à due concurrence.
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Par jugement du 18 novembre 2004, la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a condamné X.________ à payer à la Ville Y.________ la somme de 68'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 25 février 2000 et a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition faite au commandement de payer susmentionné à concurrence de ce montant.
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En substance, la cour cantonale a retenu que X.________ avait repris à titre personnel le mandat confié à l'époque à A.________. En novembre 1999, il s'était engagé à effectuer diverses prestations (établissement des bons de paiement, avis aux entreprises, constitution d'un dossier de sinistre, devis pour l'achèvement des travaux du sous-sol), qu'il n'avait pas accomplies. Le 28 janvier 2000, il avait été mis en demeure de le faire, sous menace d'exécution par substitution, à ses frais. Devant la carence de X.________, la Commune avait résilié le contrat le 25 février 2000 et avait chargé deux fonctionnaires de son service d'architecture d'examiner la situation financière et d'élaborer un décompte final intermédiaire, moyennant quatre cent nonante-cinq heures de travail pour lesquelles la Ville Y.________ réclamait le montant de 70'850 fr. En droit, les juges cantonaux ont admis la légitimation passive de X.________. Le travail non exécuté, représentant quatre cent nonante-cinq heures, constituait un élément du dommage subi par la Commune, qui devait en être indemnisée. En revanche, un décompte final au sens strict du terme ne pouvant être établi qu'après la fin des travaux, il convenait de procéder à un abattement de 4 %, en application des normes SIA. Dès lors, l'architecte était condamné à payer à sa mandante la somme de 68'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 25 février 2000, date de la révocation du mandat.
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C.
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Parallèlement à un recours de droit public qui a été rejeté dans la mesure où il était recevable par arrêt séparé de ce jour, X.________ (le défendeur) interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut principalement au rejet de la demande, subsidiairement au renvoi de la procédure au Tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants, avec suite de frais et dépens.
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La Ville Y.________ (la demanderesse) conclut au rejet du recours, avec suite de frais.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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1.1 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). En revanche, il ne permet pas de se plaindre de la violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1, 2e phrase OJ), ni de la violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252).
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Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4; 127 III 248 consid. 2c p. 252).
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Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c p. 252). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277).
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1.2 Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par celles-ci (art. 63 al. 1 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique suivie par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4; 128 III 22 consid. 2e/cc p. 29).
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1.3 Le recours est en conséquence irrecevable dans la mesure où le défendeur revient sur la constatation du dommage et de son ampleur, équivalant à quatre cent nonante-cinq heures de travail, fixées souverainement par la cour cantonale, d'une manière qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (art. 63 al. 2 OJ; ATF 129 III 135 consid. 4.2.1 p. 153; 127 III 73 consid. 3c, 543 consid. 2b), aux termes d'une appréciation des preuves dont la Cour de céans a relevé le caractère non arbitraire, par arrêt séparé de ce jour.
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2.
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Dans la partie recevable de son recours en réforme, le défendeur reproche au Tribunal cantonal d'avoir ignoré la notion juridique du dommage en le condamnant à payer une indemnité fondée sur l'application des tarifs SIA, alors que seul le coût des frais effectifs encourus par la Commune entrait en ligne de compte.
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2.1 A juste titre, la cour cantonale a relevé que les parties avaient conclu un contrat d'architecte global portant sur l'élaborations des plans et la direction des travaux, qui constitue un contrat mixte formé d'éléments du mandat et du contrat d'entreprise et soumis aux règles du mandat pour ce qui est de sa résiliation (cf. ATF 127 III 543 consid. 2a p. 545 et les arrêts cités).
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Selon l'art. 404 CO, le mandat peut être révoqué en tout temps, mais on admet que cette faculté n'exclut pas l'application de l'art. 107 CO en cas de demeure (cf. Tercier, Les contrats spéciaux, 3e éd., Zurich 2003, n. 4819 p. 694), qui permet notamment au créancier de renoncer à demander l'exécution et de réclamer des dommages-intérêts pour cause d'inexécution (art. 107 al. 2 2e hypothèse CO).
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C'est précisément ce que la demanderesse a fait en l'espèce, puisqu'elle a accepté et payé le travail déjà exécuté et résilié le contrat ex nunc (cf. Fellmann, Commentaire bernois, n. 29 ad art. 404 CO). Grâce à la résiliation, la Commune n'a pas eu à rémunérer le solde du travail au défendeur, architecte professionnel, et elle a fini le travail d'architecte en faisant intervenir ses propres services. Il s'ensuit que le dommage correspond à la différence entre ce que cela a coûté à la Commune - notamment parce que le travail était mal fait - et ce que cela aurait coûté si le contrat avait été mené à terme. Il s'agit de dommages-intérêts positifs correspondant à l'intérêt qu'avait la Commune à l'exécution complète du mandat.
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2.2 Le défendeur reproche à la cour cantonale d'avoir appliqué aux quatre cent nonante-cinq heures de travail les tarifs SIA, plus onéreux que les frais effectifs exposés par la Commune pour exécuter les tâches nécessaires à l'achèvement de l'ouvrage.
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Cette opinion est pertinente. A l'origine, la créancière avait envisagé de procéder à une exécution par substitution, aux frais du débiteur. Dans ce cas, la Commune aurait été en droit d'exiger du défendeur le paiement des frais d'intervention du nouvel architecte mandaté, selon les principes contenus dans les normes SIA, si le nouveau contrat, comme celui dont l'exécution imparfaite et incomplète fait l'objet de la présente procédure, était régi par ces dernières.
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Toutefois, comme la demanderesse a confié à son propre service d'architecture les tâches de contrôle et de paiement des factures finales des entrepreneurs, tâches incombant normalement aux architectes mandatés, elle ne peut utiliser le tarif des professions libérales concernées, impliquant des critères étrangers à la situation d'un maître de l'ouvrage, mais doit se limiter à demander le remboursement du coût de ces quatre cent nonante-cinq heures, pour respecter le principe indemnitaire (cf. arrêt 4P.7/1998 du 17 juillet 1998, consid. 3c/aa; cf. également Guhl/Koller/Schnyder/Druey, Das schweizerische Obligationenrecht, 9e éd., Zurich 2000, n. 14 p. 66). Celui-là n'équivaut pas au seul traitement - ou salaire - des deux fonctionnaires affectés à ce travail, et comprend l'équivalent horaire de toutes les prestations que la Commune, en sa qualité d'employeur, fournit à ses fonctionnaires ou employés publics, par exemple, la part patronale de la prévoyance professionnelle, dans le système des retraites. Peuvent être également pris en considération d'autres frais qui seraient spécifiquement consentis pour le traitement administratif et comptable de l'achèvement du dossier litigieux, respectivement de l'ouvrage.
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Cette considération est d'autant plus fondée que, depuis 1996, les valeurs indiquées par la Commission des tarifs SIA ne sont plus prises comme un tarif, mais comme des bases de négociations pour les honoraires. Ces valeurs n'ont plus aucun caractère obligatoire et ne servent qu'à guider les parties dans les négociations relatives aux prix (cf. Tercier, A propos des tarifs SIA, Baurecht/Droit de la construction 4/96, p. 126 s., spéc. p. 126). Le Tribunal cantonal ne pouvait donc conférer à ce tarif SIA une valeur contraignante et l'utiliser de manière mécanique sans autre considération juridique, notamment l'interdiction de l'enrichissement du lésé, contraire au principe indemnitaire. Sur ce point, la cour cantonale a méconnu un aspect juridique de l'évaluation de la quotité du dommage, question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir en instance de réforme (ATF 129 III 135 consid. 4.2.1 p. 153), ce qui commande l'admission partielle du recours sur ce point, dans la mesure où il est recevable.
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De plus, le règlement SIA 102 prévoit que "les suites juridiques d'une fin anticipée du contrat se fonde sur les dispositions du Code suisse des obligations", c'est-à-dire un simple renvoi au droit commun (cf. Pichonnaz, Les règlements SIA 102/103/108, 112 et leurs nouveautés, Journées suisses du droit de la construction, Fribourg 2003, p. 51 ss, spéc. n. 2.2 p. 71).
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2.3 Si le principe de la dette du défendeur à l'égard de la demanderesse est définitivement acquis, il convient toutefois de renvoyer la procédure à la cour cantonale, pour que cette dernière procède à la détermination du coût horaire total des prestations exécutées par le service d'architecture de la Commune qui, multiplié par quatre cent nonante-cinq, donnera le montant de l'indemnisation due à cette dernière.
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Le présent renvoi est ordonné en vertu de l'art. 64 OJ, qui s'applique toutes les fois qu'il est nécessaire de compléter, et non seulement de rectifier, les constatations de fait pour pouvoir statuer sur un recours en réforme, c'est-à-dire pour trancher les questions de droit posées par celui-ci et par les moyens libératoires de l'intimé (Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943, vol. II, n. 1.3 ad art. 64 OJ, p. 575). La mise en oeuvre de l'art. 64 al. 1 OJ suppose tout d'abord qu'en raison des lacunes des constatations de fait, la cause ne soit pas en état d'être jugée par le Tribunal fédéral (Poudret, op. cit., n. 2.1 ad art. 64 OJ; Guldener, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd., Zürich 1979, n. 3 p. 552). Tel est le cas en l'espèce, en ce qui concerne le montant de la créance de la demanderesse.
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3.
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Il résulte des considérants qui précèdent que le recours doit être partiellement admis dans la mesure où il est recevable.
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4.
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La demanderesse obtient satisfaction sur le principe de son indemnisation, dont la quotité doit toutefois être reconsidérée dans une mesure qu'il appartiendra à la cour cantonale de décider, mais qui sera très vraisemblablement inférieure à l'application du tarif SIA, qu'elle avait retenu. Dans ces conditions, il se justifie de répartir l'émolument judiciaire à raison de trois quarts à la charge du défendeur et d'un quart à la charge de la demanderesse (art. 156 al. 3 OJ).
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Il ne sera pas alloué de dépens à la demanderesse, qui n'en a à juste titre pas requis, puisqu'elle plaide en personne (art. 159 al. 2 OJ; cf. ATF 129 II 353 consid. 7.2 non publié; Poudret, op. cit. vol. V, n. 3 ad art. 159 OJ, p. 161 s.). Celle-ci devra en revanche verser au défendeur des dépens réduits (art. 159 al. 3 OJ).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est partiellement admis dans la mesure où il est recevable.
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2.
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La procédure est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
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3.
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Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à raison de 3'000 fr. à la charge du défendeur et de 1'000 fr. à celle de la demanderesse.
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4.
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La demanderesse versera au défendeur une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens réduits.
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5.
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Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois.
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Lausanne, le 30 mai 2005
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Au nom de la Ire Cour civile
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: La greffière:
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