Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.378/2004 /ech
Arrêt du 30 mai 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. les Juges Corboz, Président, Nyffeler et Favre.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.
Parties
X.________ Inc.,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Dominique Lévy,
contre
Banque Y.________ SA, représentée par Me Nicolas Piérard, a
défenderesse et intimée,
A.________,
appelée en cause et intimée, représentée par Me François Canonica.
Objet
clause de banque restante; abus de droit,
recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 3 septembre 2004.
Faits:
A.
B.________ et A.________ ont divorcé à la fin des années 1970. Ils sont restés en bons termes. C.________, D.________ et E.________, les trois enfants mineurs du couple, ont été confiés à leur mère. A.________ a reçu un montant de 600 000 USD à titre de liquidation du régime matrimonial; dans un premier temps, elle a placé cette somme sur son compte auprès de la Banque Z.________ Ltd, à Jersey.
A l'époque, F.________ était sous-directeur ou directeur de la Banque W.________, qui deviendra la Banque Y.________ SA, à Genève (ci-après: Y.________). Il connaissait B.________. En automne 1979, il s'est rendu à Londres pour rencontrer A.________ et lui présenter les documents d'ouverture d'un compte n° 1 au nom de X.________ Inc. (ci-après: X.________). La banque avait reçu en effet le mandat de constituer cette société panaméenne, dotée d'un but social étendu lui permettant d'agir comme «trustee» pour des personnes physiques ou morales et d'être active notamment dans le commerce, la finance, la prise de participations, le domaine maritime. Les documents présentés à A.________ et signés par les administrateurs de X.________ étaient au nombre de quatre: les conditions générales de la banque, les instructions de banque restante, une procuration sur le compte bancaire de la société et les instructions pour ordres téléphoniques.
1) Les conditions générales de Y.________ comprenaient une clause de prorogation de for en faveur des tribunaux genevois et l'application du droit suisse. Elles comportaient en outre les articles suivants:
«10. Les communications de la banque sont réputées faites dès qu'elles ont été envoyées à la dernière adresse indiquée par le client. La date figurant sur le double ou sur la liste d'expédition en possession de la banque est présumée celle de l'expédition. Le courrier retenu en dépôt à la banque est considéré, en cas de doute, comme délivré à la date qu'il porte.
11. Toute réclamation du client relative à l'exécution ou l'inexécution d'un ordre quelconque ou toute contestation d'un extrait de compte ou de dépôt doit être présentée immédiatement après la réception de l'avis correspondant, mais au plus tard dans le délai qui aurait été fixé par la banque. S'il ne reçoit pas d'avis, le client doit présenter sa réclamation dès le moment où il aurait dû normalement recevoir un avis qui lui aurait été envoyé par la poste. Dans tous les cas, faute de contestation de la part du client dans les limites de temps indiquées ci-dessus, les avis ou extraits seront considérés comme approuvés. Le dommage résultant d'une réclamation tardive est à la charge du client.»
2) Les instructions relatives à la garde du courrier à la banque (clause dite de «banque restante») avaient la teneur suivante:
«Instructions to keep correspondence at the bank.
Referring to the accounts and to the business relations we maintain with you, we instruct you hereby to hold at the bank all correspondence concerning us, without exception.
It is understood that we hereby authorize you to consider this correspondence as having been duly delivered to us, and discharge you from all and every responsability in this respect.
Failing instructions on our part, you are entitled to do your best to safeguard our interests, but without obligation or responsability for you (...).»
3) La procuration sur le compte n° 1 de X.________ a été accordée à A.________ et à son ex-époux, avec signature collective à deux.
4) Les instructions en matière d'ordres téléphoniques se présentaient ainsi:
«Referring to the accounts and to the business relations we maintain with you, we request that you accept our instructions by telephone and execute them, even if they are not followed by a written confirmation.
We assume all the risks involved and in particular those due to errors in transmission, to missunderstandings, or even to an error on your part regarding our identity. We discharge you from all responsability therefor.
The present instructions and discharge are also binding for all our attorneys, designated now or to be designated by us in the future. (...)»
Ces instructions, signées par les administrateurs de X.________, ont été révoquées à une date qui est litigieuse; le texte a été biffé et l'annotation «sign. coll. à 2» a été apposée dessous.
Le 27 mai 1981, le compte n° 1 de X.________ auprès de Y.________ a été crédité de 600 000 USD provenant du compte de A.________ auprès de la Banque Z.________ Ltd. A.________ a expliqué qu'elle destinait ce capital à ses enfants, après son décès. Elle admettait toutefois qu'ils puissent en jouir de son vivant, en cas de besoin, mais non pour leur entretien.
Jusqu'en 1995, A.________ ne s'est pas préoccupée de la gestion de son avoir, voué à prospérer. Elle admet n'avoir donné qu'un seul ordre de paiement à Y.________, en 1993, d'un montant de 50 000 USD en faveur de son fils D.________; elle a agi par téléphone et confirmé l'ordre par écrit.
Entre le 3 janvier 1985 et le 5 décembre 1995, le compte n° 1 a été débité à 322 reprises pour un montant total de 1 502 390 fr. au profit des personnes suivantes:
- A.________, à raison de 37 transferts exécutés de 1985 à 1989 pour des montants totaux de 34 400 USD et 25 000 £;
- C.________, à raison de 141 transferts exécutés de 1985 à 1995 pour un montant total de 289 600 USD;
- D.________, à raison de 47 transferts exécutés de 1985 à 1993 pour des montants totaux de 179 737 USD et 21 000 £;
- E.________, à raison de 85 transferts exécutés de 1989 à 1995 pour un montant total de 205 600 USD;
- B.________, à raison de deux transferts exécutés en 1990, pour un montant de 5132 USD;
- le titulaire inconnu du compte n° 2 auprès de Y.________, à raison de quatre transferts exécutés de 1990 à 1991 pour un montant total de 65 000 USD;
- Elliot & Co, à raison d'un transfert exécuté en 1989 pour un montant de 10 000 £;
- trois destinataires inconnus, à raison de trois transferts exécutés de 1988 à 1989 pour un montant total de 125 000 £.
Invoquant le secret bancaire, malgré sa levée par A.________, la banque a refusé de communiquer l'identité des bénéficiaires inconnus.
Y.________ n'a pas retrouvé les ordres de virement permanents qui, selon elle, ont été signés conjointement par les ex-époux A.B.________ et étaient à la base des mensualités versées aux enfants du couple. F.________ a admis par ailleurs avoir exécuté des instructions téléphoniques données conjointement, mais non simultanément, par A.________ et son ex-époux. L'existence de ces ordres téléphoniques a été confirmée par G.________, adjointe de direction à Y.________; celle-ci a déclaré avoir eu affaire à A.________, F.________ étant chargé d'obtenir la confirmation de B.________. Les rapports de conversations téléphoniques, produits pour une partie des virements en cause, se sont révélés lacunaires, en ce sens que l'identité du donneur d'ordre faisait défaut.
A.________ a admis avoir reçu de l'argent entre 1985 et 1995; elle pensait qu'il provenait des comptes de son ex-époux auprès de Y.________. Elle était également persuadée que B.________ versait les pensions des enfants au moyen de ses avoirs personnels. Les relevés bancaires ne mentionnaient pas l'identité du donneur d'ordre.
En 1995, A.________ a pris contact avec Y.________ afin de connaître la situation du compte de X.________. Le 17 novembre 1995, en compagnie de son conseil, elle a été reçue à la banque; les documents et relevés bancaires lui ont été remis dans le courant du mois de novembre 1995.
Les 1er et 5 décembre 1995, Y.________ a exécuté deux ordres de paiement de 1800 USD chacun, en faveur de E.________ et de C.________.
En octobre 1996, le compte présentait un solde créditeur de 338 677 USD; sur ce montant, 328 677 USD ont été restitués à A.________.
B.
Le 10 mars 1997, X.________ a assigné Y.________ en paiement de 1 502 390 fr., représentant le total des montants qu'elle estimait indûment débités de son compte.
Y.________ a conclu au déboutement de X.________ des fins de sa demande et, subsidiairement, à ce que A.________, appelée en cause, soit condamnée à la relever d'une éventuelle condamnation, à concurrence de 107 814 fr.60 correspondant à la contre-valeur des montants qu'elle a perçus.
Par jugement du 10 septembre 2003, le Tribunal de première instance du canton de Genève a débouté X.________ de toutes ses conclusions et constaté l'extinction de l'appel en cause.
Statuant le 3 septembre 2004 sur appel de X.________, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance.
C.
X.________ interjette un recours en réforme. Elle demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt cantonal, puis de condamner Y.________ à lui payer les sommes suivantes:
- 121 385 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1985;
- 106 145 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1986;
- 71 920 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1987;
- 140 815 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1988;
- 334 560 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1989;
- 214 015 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1990;
- 182 875 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1991;
- 112 375 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1992;
- 88 795 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1993;
- 68 440 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1994;
- 61 065 fr. plus intérêts à 5% dès le 31 décembre 1995.
Y.________ a déposé une requête tendant à ce que la demanderesse soit astreinte à déposer des sûretés en garantie des dépens qui pourraient être alloués à la défenderesse. Cette requête a été admise par ordonnance présidentielle du 17 décembre 2004. Les sûretés ont été payées en temps utile.
La défenderesse conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable.
Pour sa part, l'appelée en cause reprend les conclusions du recours en réforme.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en paiement, et dirigé contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8000 fr. (art. 46 OJ), le recours est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
1.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ), ni la violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).
Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2. p. 106, 136 consid. 1.4. p. 140; 127 III 248 consid. 2c).
Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 247 consid. 2c p. 252).
Invoquant l'art. 64 OJ, la demanderesse entend compléter les faits sur quatre points. En ce qui concerne les domiciles respectifs de Barbara et B.________ durant ces quinze dernières années, elle n'explique toutefois pas en quoi ce fait serait pertinent pour la solution du litige. De même, la demanderesse se borne à rapporter le témoignage de G.________, gestionnaire du compte litigieux, à propos de la date à laquelle elle a fait connaissance de A.________, mais n'indique pas pourquoi ce fait serait déterminant en l'espèce. Enfin, elle se réfère à des déclarations de deux collaborateurs de la banque au sujet des règles internes en matière d'instructions téléphoniques. Là encore, la demanderesse ne fournit aucune explication sur la pertinence du contenu de ces témoignages sur l'issue de la querelle. Le grief apparaît par conséquent irrecevable. Au demeurant, la cour cantonale a fondé son raisonnement sur la clause de banque restante qui liait les parties et, selon ses propres termes, s'est dispensée de déterminer la portée des instructions téléphoniques dans le cas présent. En tout état de cause, il ne saurait donc être question de compléter les faits sur ce point avant d'examiner la motivation de l'arrêt attaqué.
1.3 Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par les parties (art. 63 al. 1 OJ; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique suivie par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
2.
La cour cantonale a nié que la demanderesse puisse faire valoir à l'égard de la banque une prétention en dommages-intérêts pour les 322 virements effectués prétendument sans ordre valable de 1985 à 1995. Elle a opposé à la cliente de la défenderesse les conditions générales et la clause de banque restante. Elle a jugé en effet que l'application de la fiction de la notification des envois adressés banque restante ne conduisait pas à un résultat inéquitable en l'espèce. Faute d'avoir réagi en temps utile, la demanderesse est ainsi réputée avoir approuvé les virements litigieux.
Fondée sur ce raisonnement, la Cour de justice n'a pas déterminé si les ordres de virement étaient intervenus valablement. En particulier, elle n'a pas établi si les instructions pour ordres téléphoniques avaient été révoquées à l'ouverture du compte ou seulement en 1993. Elle s'est bornée à relater les témoignages contradictoires de deux employés de la banque à ce sujet (F.________ et H.________). De même, elle s'est contentée de citer la déclaration du témoin H.________ - qu'elle confond avec le témoin Têtu dans la partie en droit (consid. 3) - selon laquelle un compte assujetti à la signature collective à deux ne pouvait pas être géré par des instructions téléphoniques, sans se prononcer sur ce point.
Etant donné la motivation développée dans l'arrêt attaqué, il convient d'examiner en premier lieu le grief tiré de l'abus de droit. En effet, si le raisonnement de la cour cantonale devait être confirmé, il n'y aurait pas lieu de se pencher sur les moyens fondés sur la violation des art. 97, 100 et 101 CO .
2.1 Selon la demanderesse, la cour cantonale ne pouvait pas appliquer en l'espèce la fiction de la réception liée à la clause de banque restante, dès lors que la défenderesse commettait un abus de droit en l'invoquant. La demanderesse en veut pour preuve le fait que la banque a refusé de dévoiler l'identité des destinataires de plusieurs transferts; ces tiers, protégés par la banque, se sont ainsi trouvés enrichis. De plus, l'application de la fiction de la réception a pour conséquence choquante de réduire l'indemnité matrimoniale de A.________ à concurrence des virements opérés pour l'entretien des enfants.
2.2 Les parties étaient liées par une clause dite de banque restante. Selon la jurisprudence, lorsqu'une banque accepte de conserver par devers elle les avis qu'elle adresse à ses clients, ses communications sont opposables à ceux-ci comme s'ils les avaient effectivement reçues (ATF 104 II 190 consid. 2a p. 194/195); de même, on doit admettre que le client qui adopte ce mode de communication est censé avoir pris connaissance immédiatement des avis qui lui sont adressés de cette façon (arrêt 4C.72/1999 du 26 mai 1999, consid. 2b; arrêt 4C.52/1995 du 17 octobre 1995, consid. 3b/aa; arrêt 4C.116/1995 du 9 août 1995, consid. 5b, reproduit in SJ 1996, p. 193; arrêt C.357/1984 du 7 décembre 1984, consid. 2b, reproduit in SJ 1985, p. 246).
En ce qui concerne les suites juridiques d'une absence de réaction, le destinataire du courrier en banque restante est traité de la même manière, dans ses rapports avec son partenaire contractuel, que le client qui a réellement reçu le courrier. Celui qui reçoit - ou est réputé avoir reçu - de son cocontractant l'avis qu'une obligation a été exécutée d'une certaine façon, est soumis à la règle générale découlant de la bonne foi (art. 2 al. 1 CC) et concrétisée à l'art. 6 CO, selon laquelle le silence vaut ratification de l'acte accompli si les circonstances exigent que le cocontractant réagisse en cas de refus ou de désaccord (arrêt du 17 octobre 1995 précité, consid. 3b/aa et 3c; arrêt précité du 7 décembre 1984, consid. 2b et c). Le client qui choisit l'option «banque restante» prend donc un risque, dont il doit supporter les conséquences s'il se réalise (Lombardini, Droit bancaire suisse, n. 74, p. 147; Guggenheim, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 4e éd., p. 126).
Cependant, en raison des conséquences choquantes que pourrait avoir, dans certaines circonstances, l'application stricte de la fiction de la réception du courrier, le juge conserve la faculté d'apprécier le cas en équité. Ainsi, une situation manifestement contraire à l'équité peut être sanctionnée au titre de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC). Tel est le cas lorsque la banque profite de la fiction de la réception du courrier pour agir sciemment au détriment du client (arrêt 4C.81/2002 du 1er juillet 2002, consid. 4.3; arrêt précité du 17 octobre 1995, consid. 3b/aa; arrêt précité du 9 août 1995, consid. 5b; arrêt précité du 7 décembre 1984, consid. 2b) ou lorsqu'après avoir géré un compte pendant plusieurs années conformément aux instructions orales du client, la banque s'en écarte intentionnellement alors que rien ne le laissait prévoir (arrêt précité du 9 août 1995, consid. 5b), ou encore lorsque la banque sait que le client n'approuve pas les actes communiqués en banque restante (arrêt précité du 1er juillet 2002, consid. 4.3; arrêt 4C.278/1996 du 25 février 1998, consid. 3b).
2.3 En l'espèce, il n'est pas contesté que les 322 virements litigieux effectués sur une période de plus de dix ans ont fait l'objet d'avis de débit conservés en banque restante. Conformément à la jurisprudence citée ci-dessus, la demanderesse est réputée avoir pris connaissance de ces documents au fur et à mesure de leur dépôt dans son dossier bancaire. Comme elle ne les a pas contestés en temps utile, elle est censée les avoir ratifiés; en effet, les règles de la bonne foi commandent au titulaire d'un compte de se manifester sans retard si une opération de virement n'est pas conforme à sa volonté. Il est à noter au passage que même les deux derniers virements de décembre 1995, effectués en faveur de E.________ et de C.________, n'ont pas été contestés avant l'ouverture de l'action en mars 1997, alors qu'ils ont été opérés après que A.________, présentée comme l'ayant droit économique de la demanderesse, a eu connaissance des 320 autres virements prétendument non agréés et qu'elle était donc censée s'inquiéter enfin de la gestion du compte.
Cela étant, il reste à déterminer si la cour cantonale a violé le droit fédéral en refusant de considérer comme manifestement inéquitable la situation ainsi créée par l'application stricte de la fiction de la réception des avis de virement. En premier lieu, il convient de relever la très longue durée pendant laquelle la demanderesse n'a pas consulté les communications afférentes à son compte et adressées en banque restante. En effet, pendant près de quinze ans, ni A.________, ayant droit économique de la demanderesse, ni aucun autre représentant de la société ne s'est soucié de la gestion d'un avoir pourtant voué à prospérer. Or, le fait que la demanderesse se soit désintéressée de son compte pendant si longtemps était propre à susciter une situation à risque.
Par ailleurs, aucun élément ne permet de retenir que la banque savait que la demanderesse n'approuvait pas les virements aujourd'hui contestés. A cet égard, il apparaît que la très grande majorité des ordres de paiement, soit 310 sur une période de dix ans, sont intervenus en faveur de A.________ et de ses enfants, ce qui n'était pas de nature à surprendre la défenderesse, qui connaissait la qualité d'ayant droit économique de A.________. Par ailleurs, le seul fait que la défenderesse ait invoqué le secret bancaire pour ne pas divulguer l'identité des destinataires inconnus de trois virements ne suffit pas à établir que la banque savait que la demanderesse n'agréait pas ces paiements. Il n'existe pas non plus d'indice tendant à démontrer que la banque a agi sciemment au détriment de sa cliente. Celle-ci ne le prétend du reste pas, mais soutient que l'argent du compte n° 1 a notamment servi à payer les pensions dues aux enfants A.B.________ par leur père. Ceci demeure toutefois une hypothèse sur le vu des faits établis par la cour cantonale, qui se borne à relater l'opinion de A.________ à ce sujet. En tout état de cause, rien dans la décision entreprise n'autorise à conclure que la banque se serait faite la complice de B.________ pour payer les pensions que celui-ci devait aux enfants au moyen de l'argent de leur mère.
En considération de l'ensemble de ces circonstances, il n'apparaît pas que l'application de la fiction de la réception conduise en l'espèce à une situation gravement contraire à l'équité et que la défenderesse commette un abus de droit en invoquant la clause de banque restante. C'est donc à juste titre que la cour cantonale, à l'instar du juge de première instance, a refusé d'accueillir les prétentions de la demanderesse. Le recours sera ainsi rejeté.
3.
Vu le sort réservé au recours, il y a lieu de mettre les frais judiciaires à la charge de la demanderesse (art. 156 al. 1 OJ). Celle-ci versera en outre à la défenderesse une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ), prélevée sur les sûretés fournies. Il ne se justifie pas d'accorder de dépens à l'appelée en cause, qui appuyait les conclusions du recours.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 14 000 fr. est mis à la charge de la demanderesse.
3.
La demanderesse versera à la défenderesse une indemnité de 16 000 fr. à titre de dépens, qui sera acquittée au moyen des sûretés déposées auprès du Tribunal fédéral.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 30 mai 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière: