BGer 4P.8/2005 |
BGer 4P.8/2005 vom 30.05.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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4P.8/2005/ech
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Arrêt du 30 mai 2005
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Ire Cour civile
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Composition
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MM. et Mme les Juges Corboz, président,
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Rottenberg Liatowitsch et Favre.
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Greffière: Mme Cornaz.
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Parties
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X.________,
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recourant, représenté par Me Alexandre Zen-Ruffinen,
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contre
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Ville Y.________,
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intimée,
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Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois,
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rue du Pommier 1, case postale 1161, 2001 Neuchâtel 1.
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Objet
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droit d'être entendu; motivation; appréciation arbitraire des preuves,
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recours de droit public contre le jugement de la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois du 18 novembre 2004.
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Faits:
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A.
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Le 21 mars 1996, le Conseil général de la Ville Y.________ a voté un crédit de l'ordre de 5'000'000 fr. pour la rénovation complète d'un collège. Les travaux d'architecture, ainsi que la direction des travaux, ont été confiés à la Société A.________ SA (ci-après: A.________), dont X.________, architecte, était l'administrateur et le salarié. Ce dernier s'est occupé personnellement de ce contrat. Les honoraires globaux prévus s'élevaient à 385'000 fr., aux termes d'un contrat oral non contesté. La première partie des travaux s'est déroulée sans problème. La seconde, beaucoup plus importante, a débuté en 1997 et, dès la rentrée scolaire 1998, la Commission de construction, présidée par l'architecte communal, a pris conscience d'un problème financier. A cet égard, le dernier décompte établi par X.________, au nom de A.________, date du 12 août 1998 et la dernière séance de la Commission de construction à laquelle il a participé du 1er septembre 1998.
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A.________ a été dissoute, puis radiée du registre du commerce le 15 janvier 1999, avant l'inscription d'une nouvelle raison sociale, B.________ SA (ci-après: B.________). Le but social de A.________ incluait l'accomplissement de mandats d'architecture et d'urbanisme, alors que celui de B.________ ne comportait que la gestion et l'administration d'immeubles. D'après la Ville Y.________ - et la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois - X.________ a assuré la Commune qu'il assumerait la fin des travaux à titre personnel. En mars 1999, il a procédé, avec le concours de l'architecte communal, à une analyse de la situation financière, qui s'est révélée déficitaire, ce qui a nécessité des crédits supplémentaires pour achever l'ouvrage. Le 25 juin 1999, l'architecte communal a réclamé à X.________ l'établissement immédiat de certains décomptes, déjà exigés lors d'une rencontre du 4 juin 1999. Après une nouvelle réclamation du 17 septembre 1999 et une mise en demeure du 28 janvier 2000, le Conseil communal a résilié le mandat de X.________ le 25 février 2000. La Commune avait alors payé à titre d'honoraires à A.________ la somme de 351'450 fr.
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Le 9 avril 2001, la Ville Y.________ a fait notifier à X.________ un commandement de payer la somme de 200'000 fr. au titre des dommages-intérêts pour inexécution d'un contrat d'architecte, qui a été frappé d'opposition.
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B.
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Le 15 août 2001, la Ville Y.________ a introduit auprès du Tribunal cantonal neuchâtelois une action visant à la réduction des honoraires de X.________ au montant de 351'450 fr. déjà payé, à la condamnation de celui-ci à lui verser la somme de 100'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 25 février 2000 à titre de dommages-intérêts et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition faite au commandement de payer à due concurrence.
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Par jugement du 18 novembre 2004, la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a condamné X.________ à payer à la Ville Y.________ la somme de 68'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 25 février 2000 et a prononcé la mainlevée définitive de l'opposition faite au commandement de payer susmentionné à concurrence de ce montant.
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En substance, la cour cantonale a retenu que X.________ avait repris à titre personnel le mandat confié à l'époque à A.________. En novembre 1999, il s'était engagé à effectuer diverses prestations (établissement des bons de paiement, avis aux entreprises, constitution d'un dossier de sinistre, devis pour l'achèvement des travaux du sous-sol), qu'il n'avait pas accomplies. Le 28 janvier 2000, il avait été mis en demeure de le faire, sous menace d'exécution par substitution, à ses frais. Devant la carence de X.________, la Commune avait résilié le contrat le 25 février 2000 et avait chargé deux fonctionnaires de son service d'architecture d'examiner la situation financière et d'élaborer un décompte final intermédiaire, moyennant quatre cent nonante-cinq heures de travail pour lesquelles la Ville Y.________ réclamait le montant de 70'850 fr. En droit, les juges cantonaux ont admis la légitimation passive de X.________. Le travail non exécuté, représentant quatre cent nonante-cinq heures, constituait un élément du dommage subi par la Commune, qui devait en être indemnisée. En revanche, un décompte final au sens strict du terme ne pouvant être établi qu'après la fin des travaux, il convenait de procéder à un abattement de 4 %, en application des normes SIA. Dès lors, l'architecte était condamné à payer à sa mandante la somme de 68'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 25 février 2000, date de la révocation du mandat.
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C.
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Parallèlement à un recours en réforme, X.________ (le recourant) interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant les art. 29 al. 2 Cst. et 6 CEDH ainsi que 29 al. 2 Cst., il conclut à l'annulation du jugement entrepris et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants, avec suite de frais et dépens. Il se plaint de la violation de son droit d'être entendu en ce que la cour cantonale n'aurait pas respecté les exigences de motivation pour ce qui est des questions du dommage et du rapport de causalité. Il soulève également l'arbitraire dans l'établissement des faits et dans l'appréciation des preuves, le décompte d'heures du service d'architecture ne démontrant, à son avis, pas le dommage allégué; de plus, le montant des honoraires prévus, en 385'000 fr., n'était pas global ou forfaitaire, mais aurait pu donner lieu à une nouvelle évaluation, à la suite d'une analyse en fin de mandat.
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La Ville Y.________ (l'intimée) conclut principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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Selon l'art. 57 al. 5 OJ, lorsque la décision attaquée est en même temps l'objet d'un recours en réforme et d'un recours de droit public, il est sursis en règle générale à l'arrêt sur le premier recours jusqu'à droit connu sur le second. Il peut toutefois être dérogé à ce principe, notamment lorsque le recours en réforme est manifestement irrecevable (Poudret, Commentaire de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943, vol. II, n. 5 ad art. 57 OJ, p. 464).
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1.1 De plus, deux recours déposés simultanément sont irrecevables si les moyens relevant de l'un et de l'autre sont mélangés de manière inextricable, de sorte que les exigences de clarté dans la motivation ne sont remplies ni pour l'un ni pour l'autre (Corboz, Le recours en réforme au Tribunal fédéral, SJ 2000 II p. 1 ss, spéc. p. 4 s.). Un tel procédé est abusif et doit être sanctionné par l'irrecevabilité (ATF 116 II 92 consid. 1). Toutefois, il convient d'examiner si, pour chaque acte de recours, les moyens invoqués sont recevables dans le cadre de cette voie de droit et satisfont aux exigences de motivation qui lui sont propres (ATF 118 IV 293 consid. 2a; 116 II 745 consid. 2b p. 748).
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1.2 Dans le cas présent, sous couvert de défaut de motivation constitutive de violation du droit d'être entendu, le recourant se réfère essentiellement à la notion de dommage juridiquement reconnu et aux principes qu'il estime devoir être retenus pour fixer le dommage éventuellement subi par la Ville Y.________, soit des moyens qu'il a repris et développés dans son recours en réforme. Il s'ensuit que l'essentiel de l'argumentation avancée à l'appui d'une violation de l'art. 29 al. 2 Cst. est irrecevable.
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1.3 Les mêmes considérations s'appliquent au regard du grief d'arbitraire dans l'établissement des faits et dans l'appréciation des preuves, dans la mesure où le recourant invoque à nouveau la notion juridique de dommage.
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1.4 Ainsi, même si les deux recours ne constituent pas "l'enchevêtrement inextricable de critiques de faits et de droit" commandant leur irrecevabilité dans toute leur étendue (cf. arrêt 4P.8/1996 du 21 mai 1996, consid. 2b), le recours de droit public est en grande partie irrecevable, pour les raisons exposées ci-dessus, et le recours en réforme également, pour les motifs qui seront énoncés lors de son examen. Comme il subsiste quelques griefs recevables dans chacun des moyens de droit utilisés, il n'y a pas lieu de s'écarter de l'ordre d'examen des recours, prévu par l'art. 57 al. 5 OJ.
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2.
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2.1 La jurisprudence a notamment déduit du droit d'être entendu, découlant de l'art. 29 al. 2 Cst., l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin que l'intéressé puisse la comprendre, l'attaquer utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il y a cependant violation du droit d'être entendu si l'autorité ne satisfait pas à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (cf. ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102 s.).
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2.2 La cour cantonale s'est conformée aux exigences indiquées ci-dessus.
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Elle s'est appuyée sur les art. 107 et 109 al. 2 CO, relativement au droit de la créancière de demander la réparation du dommage résultant de la caducité du contrat, et a précisé la manière dont elle envisageait l'indemnisation du dommage consistant dans le temps passé à l'examen de la situation financière et à l'élaboration du décompte final, qui, en fait, était un décompte intermédiaire, circonstance qu'elle n'a pas ignorée, prévoyant une diminution de la réparation (abattement de 4 %). En cela, les juges cantonaux ont donné les raisons qui fondaient, pour eux, la responsabilité contractuelle du recourant, de même qu'ils ont calculé le dommage en résultant, sur la base du nombre d'heures retenues, à rémunérer selon le tarif SIA, sous réserve d'un rabais de 4 % motivé par le fait que le décompte n'était pas "final" au sens strict.
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Cette motivation, certes succincte, a été d'autant plus comprise par le recourant qu'il a reproché à la cour cantonale, par deux fois, sa méconnaissance de la notion juridique du dommage, d'une part de manière irrecevable dans la présente procédure et, d'autre part, en suivant la voie idoine du recours en réforme.
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Enfin, le Tribunal cantonal a exposé les motifs pour lesquels il avait considéré que le recourant avait repris à titre personnel le mandat confié à A.________, dont il était administrateur et employé, et il a également expliqué pourquoi il avait aussi estimé que les manquements ou inexécutions contractuels postérieurs à novembre 1999 lui étaient imputables.
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Ces considérations commandent le rejet du grief de violation du droit d'être entendu, sous l'angle de la motivation de la décision entreprise, dans la mesure où il est recevable.
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3.
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Le recourant soutient que la cour cantonale a commis arbitraire dans l'établissement des faits et l'appréciation des preuves, en se fondant sur le décompte de la Commune faisant état de quatre cent nonante-cinq heures de travail, calculées au tarif SIA.
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3.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution apparaît également concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 128 I 273 consid. 1 p. 275).
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En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p. 41).
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3.2 Concernant le nombre d'heures de travail, le recourant se borne à affirmer que le décompte produit par l'intimée "ne permet absolument pas de prouver le nombre d'heures effectuées par le service d'architecture" et que le dommage ainsi allégué est "purement fictif", ce qui est insoutenable.
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S'agissant du décompte de quatre cent nonante-cinq heures de travail, le recourant perd de vue les exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, selon lesquelles l'acte de recours doit, sous peine d'irrecevabilité, contenir un exposé des faits essentiels et un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Le Tribunal fédéral n'a donc pas à vérifier, de lui-même, si la décision attaquée est en tous points conforme au droit et à l'équité; il n'examine les moyens de nature constitutionnelle que s'ils sont suffisamment motivés dans l'acte de recours (cf. ATF 129 III 626 consid. 4 p. 629 et les arrêts cités).
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Tel n'est pas le cas en l'espèce, le recourant se limitant à déclarer que le décompte ne permettait pas de prouver le nombre d'heures effectuées, sans tenter de démontrer en quoi le fait de retenir ce nombre de quatre cent nonante-cinq heures serait arbitraire au sens de la définition susrappelée (consid. 3.1), au regard des opérations nombreuses et importantes énumérées par la cour cantonale dans le jugement entrepris, telles que les établissent les pièces et notamment le témoignage de l'architecte communal, qui a rappelé l'ampleur de cette "tâche fastidieuse". A supposer recevable, le grief d'appréciation arbitraire du nombre d'heures de travail retenu doit être rejeté.
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Quant au reproche d'avoir appliqué à ces quatre cent nonante-cinq heures de travail le tarif SIA, il relève de l'application du droit fédéral, singulièrement de la notion de dommage juridiquement reconnu, de sorte qu'il est irrecevable dans la présente procédure de recours de droit public.
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4.
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En tous points infondé, le recours de droit public doit être rejeté, dans la faible mesure de sa recevabilité.
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5.
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Compte tenu de l'issue du litige, les frais seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ).
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Il ne sera pas alloué de dépens à l'intimée, qui n'en a à juste titre pas requis, puisqu'elle plaide en personne (art. 159 al. 2 OJ; cf. ATF 129 II 353 consid. 7.2 non publié; Poudret, op. cit. vol. V, n. 3 ad art. 159 OJ, p. 161 s.).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2.
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Un émolument judiciaire de 4'000 fr. est mis à la charge du recourant.
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3.
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Il n'est pas alloué de dépens.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois.
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Lausanne, le 30 mai 2005
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Au nom de la Ire Cour civile
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: La greffière:
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