BGer 4C.39/2005 |
BGer 4C.39/2005 vom 08.06.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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4C.39/2005 /ech
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Arrêt du 8 juin 2005
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Ire Cour civile
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Composition
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Mme et MM. les Juges Klett, juge présidant,
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Nyffeler et Favre.
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Greffière: Mme Cornaz.
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Parties
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A.________, demandeur et recourant,
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contre
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X.________ SA,
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défenderesse et intimée, représentée par
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Me Gaëtan Coutaz.
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Objet
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contrat de travail,
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recours en réforme contre le jugement de la Cour
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civile II du Tribunal cantonal valaisan du 20 décembre 2004.
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Faits:
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A.
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A ses débuts, le conseil d'administration de X.________ SA, société inscrite au registre du commerce le 10 juin 1999, se composait d'une présidente avec signature individuelle, d'un tiers et de A.________, ressortissant français. Ces derniers, administrateurs sans droit de signature, se sont vu accorder le droit de signature collective à deux dès le 12 avril 2000. L'inscription de la présidente au registre du commerce a été radiée le 14 mai 2001 et celle du tiers le 6 juin 2001. Ces radiations ont été suivies, le même jour, de l'inscription d'un administrateur unique, A.________ devenant fondé de procuration.
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Depuis le 1er janvier 2000, X.________ SA est liée à Y.________ AG par un contrat d'agence qui porte sur la conclusion de contrats de services sur le marché des télécommunications, le démarchage de nouveaux clients ainsi que le renforcement et l'élargissement des relations commerciales avec les clients existants. Selon les termes de ce contrat, Y.________ AG verse à X.________ SA une rémunération fixe sur toute une catégorie de contrats, ainsi qu'une commission sur le chiffre d'affaires sur toutes les transactions conclues par elle, selon un tarif arrêté dans un document intitulé "Annexe 1" faisant partie intégrante de leur accord. Conclu le 14 août 2000, ce contrat d'agence a remplacé un précédent contrat signé par les parties le 12 juin 1999.
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Le 1er avril 2000, X.________ SA a conclu un contrat intitulé "Contrat de travail à durée indéterminée" avec A.________. Celui-ci a été engagé en qualité de directeur commercial de la société, avec effet rétroactif au 1er juin 1999. Le salaire convenu comprenait un montant mensuel brut fixe de 8'000 fr., auquel s'ajoutaient des commissions, calculées en fonction du nombre de clients amenés à Y.________ AG (commission fixe de 5 fr., passée à 4 fr. dès le 1er janvier 2003, pour chaque nouveau client) et du chiffre d'affaires brut réalisé par Y.________ AG sur la base des clients fournis par X.________ SA (50 % de la commission versée par Y.________ AG à X.________ SA en application du barème prévu à l'Annexe 1 du contrat d'agence conclu le 14 août 2000). Au-delà de la période d'essai de trois mois, les parties étaient autorisées à rompre le contrat de travail à tout moment, avec un préavis de six mois à compter de la date de la rupture. En pareille hypothèse, A.________ avait droit au versement d'une indemnité compensatrice équivalente aux salaires versés pendant les douze derniers mois, plus un mois par année de travail, et les congés payés afférents. Il était, de plus, prévu que A.________ continuerait à percevoir le 50 % de la commission sur le chiffre d'affaires versé par Y.________ AG à X.________ SA.
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Le 17 novembre 2003, X.________ SA a notifié à A.________ une lettre de résiliation du contrat de travail avec effet immédiat pour juste motif. Divers reproches y étaient énumérés, tels que manque de résultat, agissements irresponsables, comportement à l'égard de la société, qui, compte tenu du rang de l'intéressé dans l'entreprise, rendaient impossible la continuation des rapports de travail. Par lettres des 19 et 25 novembre 2003, A.________ a notamment contesté la validité de son congé et formulé diverses prétentions.
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B.
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Le 12 janvier 2004, A.________ a assigné X.________ SA devant le Tribunal cantonal valaisan en paiement de la somme de 690'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an à compter de cette date, correspondant à une indemnité pour licenciement abusif, aux salaires dus en respect du délai de congé, aux salaires impayés pour les mois de juin à novembre 2003, à une indemnité de licenciement (art. 9 du contrat de travail) et au 1,5 % du chiffre d'affaires de Y.________ AG.
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Par jugement contumacial du 20 décembre 2004, la Cour civile II du Tribunal cantonal valaisan a rejeté la demande.
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C.
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A.________ (le demandeur) interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation du jugement du 20 décembre 2004 et à la condamnation de X.________ SA à lui payer la somme de 690'000 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 12 janvier 2004, sous suite de frais et dépens.
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X.________ SA (la défenderesse) n'a pas déposé de réponse.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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1.1 Interjeté par le demandeur, qui a été débouté de ses conclusions condamnatoires, et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ, 29 al. 1 a contrario de la loi cantonale valaisanne sur le travail, du 16 novembre 1966, et 23 al. 1 let. b du Code de procédure civile valaisan, du 24 mars 1998, en relation avec l'art. 46 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le présent recours en réforme est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. c et 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
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1.2 Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ). Dans la mesure où une partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être évoquées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2 p. 106, 136 consid. 1.4). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4; 129 III 618 consid. 3). Il sied en effet de rappeler que le recours en réforme au Tribunal fédéral est destiné à assurer l'application uniforme du droit fédéral en Suisse (cf. ATF 127 III 383 consid. 1a), mais pas à refaire le procès dans son ensemble en discutant de manière appellatoire les faits ressortant de la décision attaquée.
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2.
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Invoquant les art. 8 CC et 319 ss CO, le demandeur reproche à la cour cantonale d'avoir nié au contrat du 1er avril 2000 la qualification de contrat de travail. Les juges cantonaux auraient violé l'art. 8 CC en exigeant des allégués et preuves supplémentaires à celles déjà produites, en particulier dans une procédure contumaciale, pour prouver un fait non contesté.
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2.1 Le fardeau de l'allégation objectif est le pendant du fardeau de la preuve, dont il ne saurait être dissocié. En effet, lorsque le droit cantonal de procédure règle le fardeau de l'allégation, celui-ci ne peut en vertu du droit fédéral incomber qu'à la partie qui supporte le fardeau de la preuve, car lorsqu'à défaut d'allégations suffisantes, un état de fait déterminé ne peut pas être pris en considération ou demeure incertain, le juge doit trancher en défaveur de la partie qui supporte le fardeau de la preuve (ATF 97 II 339 consid. 1b p. 343; arrêt 5P.322/1996 du 12 décembre 1996, publié in SJ 1997 p. 240, consid. 2b p. 240 s.; plus récemment arrêt 4P.263/2003 du 1er avril 2004, consid. 3.2.1 et la référence citée). Par conséquent, la question de savoir si les faits allégués par une partie conformément au droit de procédure permettent de statuer sur sa prétention juridique fondée sur le droit civil fédéral relève non du droit cantonal, mais du droit fédéral (ATF 112 II 172 consid. I/2c p. 181; 109 II 231 consid. 3c/bb p. 234; arrêt 5P.322/1996 du 12 décembre 1996, publié in SJ 1997 p. 240, consid. 2b p. 241; plus récemment arrêt 4P.263/2003 du 1er avril 2004, consid. 3.2.1 et les références citées).
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Le droit fédéral est ainsi violé lorsqu'une autorité cantonale rejette une action à tort parce que celle-ci n'aurait pas été suffisamment motivée en fait (ATF 105 II 143 consid. 6a/aa p. 144 s.; 98 II 113 consid. 4a p. 116 s.; arrêt 5P.322/1996 du 12 décembre 1996, publié in SJ 1997 p. 240, consid. 2b p. 241). Il est aussi violé lorsqu'une autorité cantonale admet à tort une demande dont la motivation en fait est insuffisante au regard de la norme de droit matériel fédéral invoquée (ATF 26 II 287 consid. 4 p. 291 s.; arrêt 5P.322/1996 du 12 décembre 1996, publié in SJ 1997 p. 240, consid. 2b p. 241; plus récemment arrêt 4P.263/2003 du 1er avril 2004, consid. 3.2.1).
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2.2 La question qu'il y a lieu d'examiner en l'espèce est celle des rapports juridiques entre la personne morale et ses organes, en particulier les membres du conseil d'administration, qui se pose de manière similaire pour les directeurs ou les sous-directeurs (ATF 128 III 129 consid. 1a/aa p. 132), soit celle de savoir si un organe dirigeant d'une société anonyme peut être lié à celle-ci par un contrat de travail.
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Le droit suisse du travail ne fait pas de distinction entre les différentes catégories de travailleurs (ATF 130 III 213 consid. 2.1 p. 216 et la référence citée). Les dispositions sur le contrat de travail s'appliquent en principe de la même manière à tous les échelons de la hiérarchie d'une entreprise. La seule question décisive est de savoir si quelqu'un est un employé, ou si son lien contractuel peut être qualifié d'une autre manière (ATF 130 III 213 consid. 2.1 p. 216). Pour être correcte, la qualification du rapport juridique doit être faite sur la base des circonstances concrètes du cas (ATF 130 III 213 consid. 2.1 p. 216; 128 III 129 consid. 1a/aa p. 132). Le critère décisif est de savoir si la personne concernée se trouvait dans une relation de subordination, dans ce sens qu'elle recevait des instructions (ATF 130 III 213 consid. 2.1 p. 216). Le rapport de subordination nécessaire peut faire défaut, même si les parties considèrent avoir conclu un contrat de travail (ATF 128 III 129 consid. 1a/aa p. 132; 118 III 46 consid. 2 et 3).
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S'il n'est pas possible de conclure à l'existence d'un contrat de travail sur la base des faits constatés de manière complète par l'autorité cantonale, la partie qui entendait déduire des droits d'un tel contrat devra supporter l'échec de la preuve sur ce point; ce sera le cas de celle qui élevait des prétentions de salaire en alléguant avoir été liée à l'autre partie par un contrat de travail (ATF 125 III 78 consid. 3b p. 80 et les références citées; plus récemment arrêt 4C.135/2000 du 1er septembre 2000, consid. 3a).
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2.3 Dans la présente cause, la cour cantonale a constaté que le demandeur déduisait ses prétentions d'un rapport de travail, en invoquant le contrat intitulé "contrat de travail à durée indéterminée" conclu entre les parties le 1er avril 2000. Elle a considéré que cette seule dénomination ne liait pas le tribunal appelé à qualifier les relations juridiques qui s'étaient nouées entre le demandeur et la défenderesse. En l'occurrence, l'indice que constituait l'intitulé du contrat en faveur de l'existence de rapports de travail devait être examiné à la lumière des autres éléments ressortant des pièces du dossier. A cet égard, et bien que le demandeur n'eût pas jugé utile d'en faire état, la position occupée par celui-ci au sein de la société n'était pas sans importance. Membre fondateur de la défenderesse aux côtés de tiers, il avait occupé la fonction d'administrateur, d'abord sans droit de signature puis avec signature collective à deux, avant de devenir fondé de procuration, son statut d'étranger ne l'autorisant pas à siéger dans un conseil d'administration composé de deux seules personnes. Plus particulièrement, lorsque le "contrat de travail" avait été conclu avec la défenderesse, le demandeur était administrateur et, par conséquent, actionnaire de la société. Se posait donc bel et bien la question de la qualification du rapport juridique qui s'était noué entre la société défenderesse et celui qui assumait, à l'époque des faits, la fonction d'organe dirigeant de celle-ci, malgré la dénomination choisie par les parties pour qualifier leur contrat.
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Eu égard à la fonction dirigeante occupée par le demandeur au sein de la défenderesse et à la problématique doctrinale et jurisprudentielle découlant de ce statut particulier, l'intéressé ne pouvait se contenter d'invoquer le contrat conclu le 1er avril 2000 comme fondement de ses prétentions. Il se devait, au contraire, d'alléguer les éléments de fait nécessaires à faire admettre que, bien qu'administrateur de la défenderesse, il était lié à celle-ci par un contrat de travail. Au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral, il lui appartenait donc d'apporter les éléments permettant de retenir que la fonction de directeur commercial qu'il assumait dans la société, en sus de sa position d'administrateur, l'était à titre professionnel, qu'il y consacrait tout son temps, et qu'il était resté dans un rapport de subordination manifeste à l'égard du conseil d'administration. Si l'on pouvait, à la limite, admettre que les deux premières conditions ressortaient du contrat invoqué par le demandeur - le salaire prévu correspondant bien à celui d'un emploi du type de celui mentionné, occupé à plein temps -, le rapport de subordination nécessaire à l'admission d'un contrat de travail ne transparaissait nullement. Au contraire, le contrat conclu entre les parties contenait des clauses à ce point insolites dans un contrat de travail (participation à hauteur de la moitié du montant versé à la défenderesse sur le chiffre d'affaires réalisé par Y.________ AG avec les clients démarchés par la société; versement de cette participation au-delà de la fin des relations contractuelles, indépendamment des motifs de rupture), que l'on était en droit de se demander si pareil contrat aurait été conclu avec un cadre, même dirigeant, s'il n'était pas, en plus, l'un des propriétaires économiques de la société. La question n'avait toutefois pas à être résolue. En l'état, en effet, il suffisait de constater que le demandeur avait omis d'alléguer les faits nécessaires pour fonder son droit aux prétentions déduites d'un contrat de travail. Pareille omission était sanctionnée par un rejet de l'action, même lorsque la partie défenderesse était, comme en l'espèce, défaillante. La présomption découlant de l'art. 102 al. 1 CPC ne dispensait en effet pas la partie non défaillante de se conformer au devoir général de tout plaideur d'alléguer les faits sur lesquels il fonde sa prétention.
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2.4 Dans la mesure où l'état de fait souverain ne fait pas apparaître d'éléments permettant d'établir l'existence d'un rapport de subordination, l'on ne voit pas que la cour cantonale ait violé le droit fédéral - soit l'art. 8 CC -, en faisant supporter au demandeur, qui fondait ses prétentions sur le contrat de travail, l'échec de la preuve de l'existence d'un tel contrat.
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Pour les mêmes motifs, les premiers juges pouvaient retenir que l'absence des allégations nécessaires pour qualifier les relations juridiques qui s'étaient nouées entre les parties empêchait la cour, qui applique le droit d'office, d'examiner si les prétentions du demandeur pourraient être allouées sur la base d'un autre contrat que celui invoqué.
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2.5 Pour autant qu'ils ne reposent pas sur des faits étrangers aux constatations de la décision entreprise, voire ne consistent pas en une discussion purement appellatoire des faits ressortant de celle-ci, et ne soient par conséquent pas irrecevables de ce chef (cf. consid. 1.2), les arguments du demandeur ne résistent pas à l'examen. En particulier, comme précédemment exposé, le fait que les parties aient décidé de conclure un contrat de travail, selon leur propre dénomination, ne permet pas de retenir l'existence d'un tel contrat s'il s'avère que le rapport de subordination fait défaut (cf. consid. 2.2). Pour les mêmes raisons, le fait que les relations entre le demandeur et la défenderesse aient cessé à la suite d'une "lettre de résiliation du contrat de travail pour justes motifs" et que celle-ci se soit considérée "obligée d'invoquer de justes motifs de licenciement immédiat" n'est pas déterminant.
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Pour le surplus, la motivation subsidiaire du demandeur, qui soutient que, dans l'hypothèse où la qualification de contrat de travail ne devait pas être retenue, la cour cantonale devait toutefois juger ses conclusions sur la base du contrat du 1er avril 2000, quelle que soit la qualification de celui-ci, n'est pas non plus pertinente, faute d'allégations suffisantes (cf. consid. 2.4).
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2.6 Compte tenu de ce qui précède, le recours ne peut qu'être rejeté.
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3.
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Les frais seront mis à la charge du demandeur, qui succombe (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à la défenderesse, qui n'a pas déposé de réponse (art. 159 al. 1 et 2 OJ).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté.
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2.
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Un émolument judiciaire de 9'000 fr. est mis à la charge du demandeur.
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3.
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Il n'est pas alloué de dépens.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et à la Cour civile II du Tribunal cantonal valaisan.
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Lausanne, le 8 juin 2005
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Au nom de la Ire Cour civile
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du Tribunal fédéral suisse
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La juge présidant: La greffière:
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