Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.303/2005 /col
Arrêt du 9 juin 2005
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Reeb et Fonjallaz.
Greffier: M. Zimmermann.
Parties
A.________,
recourant, représenté par Me Dominique Morard, avocat,
contre
Juge de la détention du canton de Fribourg,
place Notre-Dame 4, case postale 156, 1702 Fribourg,
Juge d'instruction du canton de Fribourg,
place Notre-Dame 4, case postale 156, 1702 Fribourg,
Ministère public du canton de Fribourg,
rue de Zaehringen 1, 1700 Fribourg,
Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg,
Chambre pénale, case postale 56, 1702 Fribourg.
Objet
demande de mise en liberté provisoire,
recours de droit public contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg du 10 mai 2005.
Faits:
A.
Le 23 janvier 2002, le Juge d'instruction du canton de Fribourg a ouvert une procédure pénale à l'encontre de A.________, ressortissant français domicilié à Bulle, soupçonné d'avoir commis, entre 1992 ou 1993 et 1999 ou 2000, des actes d'ordre sexuel sur ses nièces X.________ et Y.________, nées le 22 novembre 1987 et le 10 octobre 1988.
Dans le cadre de l'enquête, C.________, médecin psychiatre, a, le 22 avril 2002, établi un rapport d'expertise. Il a notamment conclu à ce que le risque de récidive était faible.
L'essentiel des accusations portées contre le prévenu ont reposé sur les déclarations de X.________. Sa soeur Y.________ n'a pu évoquer sa situation personnelle. Elle s'est référée à ce qu'avait dit sa soeur. A.________ a admis partiellement les faits reprochés.
Le Tribunal pénal de l'arrondissement de la Gruyère a tenu son audience le 23 septembre 2003. Il a entendu comme témoin B.________, enseignante, à laquelle Y.________ s'était confiée récemment. Se fondant sur des notes manuscrites qu'elle avait prises, B.________ a relaté des faits en partie nouveaux, que Y.________ a confirmés. Au terme de l'audience, le Tribunal pénal a reconnu A.________ coupable d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de tentative d'actes d'ordre sexuel avec des enfants, de contrainte sexuelle, de viol, d'actes d'ordre sexuel sur une personne incapable de discernement ou de résistance, et pornographie. Il l'a condamné à la peine de sept ans et demi de réclusion. Le Président du Tribunal a ordonné l'incarcération immédiate du condamné.
Le 9 septembre 2004, le Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a admis le recours formé par A.________ contre ce jugement et renvoyé la cause au Juge d'instruction pour complément d'enquête. Il a considéré que le Tribunal pénal ne pouvait statuer sans faire instruire préalablement les révélations faites par B.________ à l'audience de jugement.
Le 7 octobre 2004, le Juge d'instruction a ordonné que A.________ soit placé en détention préventive.
Le 27 octobre 2004, le Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a admis partiellement le recours formé contre cette décision. Il a rejeté, en l'état, la demande de mise en liberté, et invité le Juge d'instruction à fixer sans délai les conditions auxquelles la liberté provisoire serait subordonnée.
Le 15 novembre 2004, le Juge d'instruction a ordonné la libération provisoire de A.________, qu'il a soumise à trois conditions: la remise d'une caution d'un montant de 15'000 fr.; l'interdiction de s'approcher ou de prendre contact avec X.________ et Y.________, ainsi que leurs parents; l'obligation de continuer le traitement psychothérapeutique suivi.
Le 4 février 2005, à la demande du Juge d'instruction, l'expert C.________ a établi un rapport complétant celui du 22 avril 2002. Eu égard à l'évolution des faits et notamment du comportement de A.________ depuis le début de l'enquête, il a considéré que le risque de récidive était très élevé.
Invité à se déterminer à ce sujet, A.________ a contesté les conclusions de l'expert et requis une contre-expertise, ce qui lui a été accordé.
Le 18 avril 2005, le docteur D.________, médecin psychiatre qui suivait A.________ depuis novembre 2004, a indiqué que son patient était peu motivé par le traitement; faute de collaboration, il était impossible de poursuivre la thérapie.
Le 20 avril 2005, le Juge d'instruction a ordonné l'arrestation de A.________. Il a requis le Juge de la détention du canton de Fribourg de ratifier sa décision.
Le 21 avril 2005, le Juge de la détention a ordonné la libération provisoire de A.________, au motif que le risque de réitération n'était pas établi. Il lui a imparti un délai de dix jours pour communiquer au Juge d'instruction le nom du nouveau thérapeute qu'il aura choisi.
Le 10 mai 2005, le Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg a admis le recours formé par le Ministère public contre cette décision, qu'il a annulée (ch. I du dispositif). Il a renvoyé la cause au Juge d'instruction afin qu'il fasse placer A.________ en détention préventive et lui restitue la caution de 15'000 fr. (ch. II).
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 10 mai 2005 et d'ordonner sa libération immédiate. Il invoque les art. 10 al. 2, 31 et 36 Cst. , ainsi que l'art. 5 CEDH. Il requiert l'effet suspensif et l'assistance judiciaire.
Le Tribunal cantonal et le Juge d'instruction ont renoncé à se déterminer. Le Juge de la détention se réfère à sa décision du 21 avril 2005. Le Ministère public propose le rejet du recours et de la demande d'effet suspensif.
Invité à répliquer, le recourant a maintenu ses conclusions.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours de droit public n'a qu'un effet cassatoire (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132, 173 consid. 1.5 p. 176, et les arrêts cités). Il est fait exception à ce principe lorsque l'admission du recours ne suffit pas à rétablir une situation conforme à la Constitution et qu'une mesure positive est nécessaire (ATF 129 I 129 consid. 1.2.1 p. 131/132). Tel est le cas notamment lorsque la détention préventive n'est pas - ou n'est plus - justifiée (ATF 115 Ia 293 consid. 1a p. 297; 107 Ia 256 consid. 1 p. 257; 105 Ia 26 consid. 1 p. 29). La conclusion tendant à la libération immédiate du recourant est ainsi recevable.
2.
Aux termes de l'art. 110 al. 1 CPP/FR, la détention préventive peut être ordonnée lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'un crime ou d'un délit et que, compte tenu des circonstances, il est sérieusement à craindre qu'il ne se dérobe à la procédure ou à la sanction attendue en prenant la fuite (let. a), qu'il ne compromette la procédure en influençant des personnes, en brouillant des pistes ou en perturbant des preuves (let. b) ou qu'il ne commette de nouvelles infractions graves (let. c). A teneur de l'al. 2 de cette disposition, la détention préventive ne doit pas être ordonnée si le but recherché peut être atteint par une mesure moins sévère, notamment par la confiscation provisoire de documents, l'obligation de se présenter périodiquement à une autorité ou la prestation de sûretés. Le recourant ne prétend pas que ces règles lui offrent une protection plus étendue que celle de l'art. 10 al. 2 Cst. garantissant la liberté personnelle, dont nul ne peut être privé si ce n'est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu'elle prescrit (art. 31 al. 1 Cst.). Le Tribunal fédéral examine à la lumière de la garantie de la liberté personnelle si le maintien en détention d'un prévenu se justifie pour des raisons objectives. Les principes que la Convention européenne des droits de l'homme consacre, essentiellement à son art. 5, sont pris en considération pour l'interprétation et l'application de cette garantie en tant qu'ils la concrétisent (ATF 115 Ia 293 consid. 3 p. 299; 108 Ia 64 consid. 2c p. 66/67; 105 Ia 26 consid. 2b p. 29).
La garantie de la liberté personnelle n'empêche pas l'autorité publique de procéder à l'incarcération d'un individu ou de le maintenir en détention, aux conditions toutefois que cette mesure particulièrement grave repose sur une base légale, qu'elle soit ordonnée dans l'intérêt public et qu'elle respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270; 114 Ia 281 consid. 3 p. 283; 107 Ia 148 consid. 2 p. 149; 106 Ia 277 consid. 3a p. 281, et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral examine avec une cognition pleine l'application du droit cantonal; en revanche, il ne revoit les constatations de fait que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 123 I 31 consid. 3a p. 35; 115 Ia 293 consid. 1b p. 297).
3.
Le Tribunal cantonal a retenu l'existence d'un risque de réitération, sur le vu des nouvelles accusations portées par les victimes, du rapport d'expertise complémentaire du 4 février 2005, et de la mauvaise volonté du recourant à se soumettre au traitement thérapeutique auquel était subordonnée sa libération provisoire. Le recourant conteste cette appréciation.
3.1 Le risque de récidive doit être concret (ATF 125 I 361 consid. 4c p. 365/366). Il faut pour cela que le pronostic à faire soit très défavorable et graves les délits redoutés. Le caractère purement hypothétique ou bénin d'une telle éventualité ne suffit pas pour maintenir la détention préventive (ATF 124 I 208 consid. 5 p. 213/214; 123 I 268 consid. 2c p. 270/271). Le principe de la proportionnalité impose que des mesures moins incisives que la détention (comme par exemple un traitement médical) soient ordonnées, lorsqu'elles peuvent l'être (ATF 123 I 268 consid. 2c p. 271). Un risque de récidive peut être admis notamment lorsque l'expertise psychiatrique a révélé les tendances paranoïdes de celui qui avait tenté un homicide et confirmé le danger que l'auteur tente à nouveau de passer à l'acte (ATF 124 I 208 consid. 5 p. 213/214).
3.2 Si l'expert C.________ a changé son appréciation du risque de récidive, qualifié de faible dans son rapport du 22 avril 2002 et de très élevé dans celui du 4 février 2005, c'est à cause des nouvelles accusations portées contre le recourant par Y.________, relativement à des viols, des fellations et de l'exposition à la pornographie qu'elle aurait subi. Se fondant ainsi sur la prémisse que le recourant lui aurait menti lors de la première expertise, l'expert C.________ en a déduit que le recourant présenterait les traits d'une personnalité pédophile et dyssociale, avec un risque de récidive très élevé. Cette appréciation relève toutefois de l'hypothèse, comme l'expert C.________ le souligne lui-même: si les nouvelles accusations portées par Y.________ étaient fausses, il n'aurait rien à modifier à ses conclusions initiales. On ne saurait dès lors retenir l'existence d'un risque concret de récidive sur la base de considérations dont l'auteur lui-même relève le caractère théorique. A cela s'ajoute que les autorités cantonales ne font état d'aucun élément permettant de supposer que le recourant aurait commis, depuis 2000, une quelconque infraction à caractère sexuel. Enfin, la référence au rapport complémentaire du 4 février 2005 pour justifier l'incarcération immédiate du recourant est d'autant moins convaincante que le Juge d'instruction a ordonné une nouvelle expertise.
3.3 Le risque de réitération a été admis en relation avec l'échec, par la faute du recourant, du traitement psychiatrique suivi. Entendu le 20 avril 2005 par le Juge d'instruction, le recourant a fait des déclarations confirmant l'avis émis le 18 avril précédent par le docteur D.________, selon lequel le patient ne prenait le traitement guère au sérieux. On peut se demander si cet élément ne constituait pas à lui seul un motif suffisant pour révoquer la décision du 15 novembre 2004, soumettant la libération provisoire notamment à cette condition. Il convient toutefois de tenir compte du fait que le recourant a lui-même proposé de changer de thérapeute, avec lequel il entretiendrait de meilleures relations qu'avec le docteur D.________, ce à quoi le Juge d'instruction a acquiescé.
3.4 En conclusion, l'appréciation du Tribunal cantonal, admettant l'existence d'un risque de réitération, repose sur une approche hypothétique du cas du recourant, mais non sur des indices suffisamment concrets au sens de la jurisprudence qui vient d'être rappelée. Le grief tiré de l'art. 110 CPP/FR, mis en relation avec l'art. 10 al. 2 Cst., est ainsi bien fondé.
3.5 Cela n'entraîne pas toutefois la libération du recourant. Il appartient en effet au Juge d'instruction de décider si la mise en liberté provisoire doit intervenir inconditionnellement ou si elle doit être subordonnée au versement d'une caution, à l'instar de ce qui avait été décidé le 15 novembre 2004. En outre, le Juge d'instruction doit veiller à ce que le traitement psychothérapeutique du recourant soit repris.
4.
Le recours doit ainsi être admis partiellement et la décision attaquée annulée. La demande de libération provisoire est rejetée. Il est statué sans frais (art. 156 OJ). L'Etat de Fribourg versera au recourant une indemnité à titre de dépens (art. 159 OJ). Les requêtes d'effet suspensif et d'assistance judiciaire ont perdu leur objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis partiellement. La décision attaquée est annulée. La demande de libération provisoire est rejetée.
2.
Il est statué sans frais.
3.
L'Etat de Fribourg versera au recourant une indemnité de 2000 fr. à titre de dépens.
4.
Les demandes d'effet suspensif et d'assistance judiciaire ont perdu leur objet.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, ainsi qu'au Juge de la détention, au Juge d'instruction, au Ministère public et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.
Lausanne, le 9 juin 2005
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: