Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.39/2005 /ech
Arrêt du 17 juin 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.
Parties
X.________ SA,
recourante, représentée par Me Benoît Sansonnens,
contre
A.________,
intimée, représentée par Me Christoph Maillard,
Tribunal cantonal de l'État de Fribourg, IIe Cour d'appel, case postale 56, 1702 Fribourg.
Objet
appréciation arbitraire des preuves en procédure civile
(recours de droit public contre l'arrêt de la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg
du 13 décembre 2004).
Faits:
A.
Le 26 mars 2002, X.________ SA a engagé A.________ comme employée de commerce dès le 1er mai 2002 pour un salaire annuel de 60'500 fr. Conclu pour une durée indéterminée, le contrat pouvait être résilié trois mois à l'avance pour la fin d'un mois.
Le 26 novembre 2002, A.________ a dénoncé le contrat pour le 28 février 2003, avant d'annuler cette résiliation le 27 décembre 2002.
Par lettres des 31 janvier et 19 mars 2003, X.________ SA a résilié le contrat de travail à l'échéance du 30 juin 2003.
Selon certificat médical du 21 mars 2003, le médecin de A.________ a attesté une grossesse de sept semaines, dont le terme était prévu le 9 novembre 2003 ou, pour un autre médecin, le 17 novembre 2003. L'enfant est né le 22 novembre 2003.
Le 27 juin 2003, A.________ a signé un document confirmant qu'elle quittait la société "pour solde de tout compte et en harmonie avec son employeur", qu'elle n'avait jamais engagé celui-ci envers des tiers, qu'elle n'avait jamais photocopié ni emporté des pièces propres à la société et qu'elle avait renseigné son employeur sur tous les événements normaux et anormaux survenus dans l'entreprise.
B.
Par demande déposée le 12 décembre 2003 devant la Chambre des prud'hommes de la Gruyère, A.________ a assigné X.________ SA en paiement de 25'205 fr. à titre de salaire pour les mois de juillet à novembre 2003, conclusions modifiées en cours d'instance dans la mesure où elle demandait le versement d'un montant de 29'999 fr. 90 pour les salaires de juillet à décembre 2003, sous déduction de la somme de 18'928 fr. 30 versée par la Caisse de chômage Z.________, intervenante.
Par jugement du 22 avril 2003 (recte: 2004), la Chambre des prud'hommes a rejeté l'action de A.________. Statuant sur appel de celle-ci par arrêt du 13 décembre 2004, la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg a réformé le jugement du 22 avril 2004 en condamnant X.________ SA à payer à A.________ le montant brut de 11'071 fr. 60, ainsi que les dépens. En substance, la cour cantonale a retenu que, vu la grossesse de l'employée, le délai de congé était prolongé au 31 décembre 2003. Par ailleurs, l'acte du 27 juin 2003 ne pouvait être considéré comme une résiliation conventionnelle des rapports de travail, notamment faute de concessions réciproques, surtout de la part de l'employeur. Il appartenait enfin à la Caisse de chômage, titulaire de la créance de 18'928 fr. 30, d'agir elle-même en recouvrement.
C.
Parallèlement à un recours en réforme, X.________ SA (la recourante) interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant l'art. 9 Cst., elle conclut à l'annulation de l'arrêt entrepris, avec suite de frais et dépens.
A.________ (l'intimée) conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité, avec suite de frais et dépens. Pour sa part, la cour cantonale n'a pas d'observations à formuler au sujet de celui-ci.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Conformément à la règle de l'art. 57 al. 5 OJ, il convient en l'espèce de traiter le recours de droit public avant le recours en réforme.
2.
2.1 Exercé en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. c et 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), pour violation de droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), contre une décision finale prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), par la recourante qui est personnellement touchée par la décision attaquée - qui la déboute de ses conclusions libératoires -, de sorte que la qualité pour recourir doit lui être reconnue (art. 88 OJ), le recours de droit public est en principe recevable.
2.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 262; 129 I 113 consid. 2.1).
3.
Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante reproche à la cour cantonale une appréciation arbitraire des preuves et des constatations de fait. En substance, elle considère que celle-ci a ignoré arbitrairement que son employée voulait cesser de travailler au 30 juin 2003. De plus, sachant que l'entreprise disposait d'une assurance maternité, l'intimée avait renoncé en connaissance de cause à ces prestations, en acceptant la résiliation conventionnelle du contrat de travail.
3.1 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire même préférable (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 128 I 273 consid. 2.1).
En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p. 41).
3.2 Concernant l'intention de quitter l'entreprise le 30 juin 2003, la recourante se fonde sur des déclarations de l'intimée, qu'elle décrit elle-même comme contradictoires, lorsque l'ancienne employée affirme qu'elle ne voulait pas travailler pour la recourante après le 27 juin 2003 en raison "de la personnalité" d'un organe de l'employeur, ou de la localisation géographique de la place de travail, mais qu'elle accueillait favorablement la possibilité de travailler à domicile. L'intimée avait ajouté que, pour elle, le contrat de travail était résilié au 30 juin 2003 suite au congé donné par l'employeur. La recourante a aussi estimé que l'intimée aurait commencé de prétendre qu'elle ne voulait pas cesser de travailler le 30 juin 2003, à cause de l'incidence de cette situation sur les prestations d'assurance chômage. De plus, un des employés de l'entreprise avait déposé que son employeur l'avait engagé pour remplacer l'intimée dès le début juillet 2003, ces informations remontant à décembre 2002, début ou mi-janvier 2003. Enfin, une collègue de l'intimée a relaté que cette dernière n'avait jamais indiqué vouloir continuer de travailler après juin 2003.
Or, à cet égard, la cour cantonale a retenu que la travailleuse avait offert ses services à son ancien employeur le 15 juillet 2003 déjà, ce qui démontre que l'employée n'avait pas l'intention de cesser son activité au 30 juin 2003. A ce sujet, l'absence de confidence à sa collègue sur cette question ne permet pas d'infirmer cette volonté. De même, les précédents juges n'ont pas versé dans l'arbitraire en n'accordant pas d'importance à la déposition d'un autre employé de la recourante, qui aurait été engagé en décembre 2002 pour remplacer l'intimée dès le début juillet 2003. Cette déclaration n'apparaît pas décisive au regard de la résiliation du contrat de travail par l'intimée le 26 novembre 2002, annulée le 27 décembre 2002, sans réaction de la part de l'employeur jusqu'au 31 janvier 2003. Dans ces conditions, la déposition de cet employé pouvait davantage indiquer que l'employeur envisageait la résiliation du contrat de travail, plutôt que l'employée, qui avait offert ses services le 15 juillet 2003.
3.3 Se fondant sur une pièce, la cour cantonale a retenu que l'employée n'avait pas été informée de ses droits de femme enceinte. Cette constatation de fait est parfaitement soutenable, dans la mesure où l'intimée n'avait appris que les employées de la recourante bénéficiaient d'une assurance maternité qu'au moment où une collègue, elle-même enceinte, lui en avait fait part incidemment à l'occasion de sa propre grossesse (ce qui n'était pas de nature à la renseigner sur la portée exacte de ses droits).
3.4 La cour cantonale a ainsi établi sans arbitraire que l'intimée n'avait pas eu l'intention délibérée de cesser son activité professionnelle au 30 juin 2003, qu'elle a offert à son employeur d'effectuer ses prestations dès le 15 juillet 2003, et qu'elle n'avait pas été informée de ses droits de femme enceinte par l'employeur. Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
4.
Comme la valeur litigieuse, établie selon les prétentions à l'ouverture de l'action (ATF 115 II 30 consid. 5b p. 41), ne dépasse pas 30'000 fr., la procédure est gratuite ( art. 343 al. 2 et 3 CO ). Cela ne dispense toutefois pas d'allouer des dépens (ATF 115 II 30 consid. 5c p. 42). Ceux-ci seront mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la IIe Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg.
Lausanne, le 17 juin 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: