BGer 4C.118/2005
 
BGer 4C.118/2005 vom 08.08.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
4C.118/2005 /ech
Arrêt du 8 août 2005
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Nyffeler, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Aubry Girardin.
Parties
A.X.________ et B.X.________,
demandeurs et recourants, représentés par Me Jean-Cédric Michel,
contre
W.________,
défenderesse et intimée, représentée par Me Philipp Ganzoni.
Objet
société anonyme; responsabilité de l'organe de contrôle; causalité
(recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile
de la Cour de justice genevoise du 18 février 2005).
Faits:
A.
A.a Inscrite au registre du commerce depuis février 1985, la société genevoise B.________ avait pour but social le commerce de titres, la gérance de fortune et les services en relation avec des placements et des investissements. Son animateur principal et président du conseil d'administration était Y.________.
En 1987, la banque C.________ (ci-après: C.________) a pris une participation de 15 % dans le capital de B.________. Le directeur général de C.________, Z.________, est devenu administrateur de B.________ avec signature collective à deux dès le 17 novembre 1989. C.________ a accordé diverses facilités de crédit à B.________, qui étaient garanties par des actes de nantissement portant sur les avoirs des clients de B.________.
A.X.________, dont la fortune provenait pour l'essentiel de la vente de l'hôtel quatre étoiles qu'il avait dirigé pendant 16 ans avec l'aide de son épouse, B.X.________, était l'un des principaux clients de B.________. Du 18 août 1986 au 14 février 1992, A.X.________ a également été administrateur de B.________ et disposait, à partir du 17 novembre 1987, de la signature collective à deux. La société lui versait un montant de 5'000 fr. par mois, sans véritable contre-prestation et les transactions faites pour le compte de A.X.________ n'étaient pas grevées de commissions. Celui-ci a prétendu avoir fait totalement confiance à Y.________ et à Z.________ pour toutes les décisions importantes de la société. Il a admis avoir signé plusieurs documents sans poser de questions et sans comprendre de quoi il s'agissait. A partir de 1987, il a en particulier signé des actes par lesquels il a mis en gage et cédé ses avoirs sur les comptes de B.________, pour garantir les créances de C.________ vis-à-vis de lui-même et de B.________.
A.b W.________ a été l'organe de révision de B.________ du 13 octobre 1989 au 3 mars 1992. Les comptes 1988 n'ont fait l'objet d'aucune révision, l'organe de contrôle de l'époque se contentant d'entériner les comptes présentés par B.________.
Le 3 août 1990 s'est tenue l'assemblée générale ordinaire de B.________ au cours de laquelle W.________ a déposé son premier rapport concernant l'exercice 1989. Les comptes ont été approuvés et le mandat de W.________ renouvelé. Le même jour, lors d'une séance du conseil d'administration de B.________, l'organe de révision a attiré l'attention de la société sur le laxisme qui avait régné dans la tenue des comptes et sur le fait qu'elle avait dû réorganiser la comptabilité.
Dans son rapport sur l'exercice 1990, W.________ a relevé que la comptabilité était tenue avec exactitude. Elle a proposé d'approuver les comptes pour l'année 1990, qui présentaient une perte reportée de 220'852 fr., émettant toutefois une réserve dans la mesure où le bilan de B.________ au 31 décembre 1990 comportait des créances en blanc pour 8'559'000 fr. et des cautions en blanc pour 996'000 fr. Elle a également relevé ne pas avoir reçu les informations suffisantes pour apprécier la solvabilité de certains débiteurs pour un montant de 4'370'000 fr. et le risque lié aux cautions en blanc; enfin, elle a fait remarquer que la société disposait seulement d'une provision de 305'000 fr. pour couvrir les risques de perte sur débiteurs et d'une provision de 100'000 fr. pour faire face à des risques généraux.
Il s'est avéré que le bilan de B.________, sur la base duquel le rapport sur l'exercice 1990 avait été établi, avait été manipulé pour cacher d'importantes pertes latentes sur titres. Ainsi, le 12 août 1991, la société D.________ avait acheté, avec effet rétroactif au 31 décembre 1990, plusieurs positions de titres sur lesquelles B.________ enregistrait des pertes pour un montant total de 7'700'000 fr. Quelques jours plus tard, l'opération avait été annulée et le montant débité des comptes de B.________, sans écritures correspondantes dans la comptabilité. Lors d'un contrôle surprise en septembre 1991, W.________ s'est aperçue de cette opération, alors que son rapport concernant les comptes de l'année 1990 avait déjà été approuvé.
Lors de l'assemblée générale ordinaire du 3 septembre 1991, Y.________ a relevé que l'année 1990 avait été difficile et qu'une restructuration de B.________ avait été nécessaire. L'organe de contrôle a exprimé son désir de résilier son mandat, mais y a finalement renoncé.
Le 23 septembre 1991, W.________ a décidé de renouveler son mandat d'organe de contrôle à la condition que B.________ prenne une série de mesures concernant la gestion de la société.
Le 28 novembre 1991, une réunion du conseil d'administration de B.________ s'est tenue, en présence de Y.________, Z.________, A.X.________ et d'un représentant de W.________. A cette occasion, il a été exposé que la situation financière de la société était très grave, que la dette était d'environ 20 millions de francs, dont 11 millions n'étaient pas couverts. Les administrateurs ont proposé d'apporter chacun des nouveaux capitaux pour faire face aux engagements de B.________.
Le 19 décembre 1991, W.________ a informé l'assemblée générale extraordinaire de B.________ qu'elle avait découvert que la totalité des titres déposés par B.________ auprès de C.________, y compris les titres appartenant aux clients, étaient engagés en faveur de cette dernière. W.________ a indiqué que des mesures pour libérer les dépôts des clients qui n'auraient pas autorisé la société à mettre leurs titres en gage devaient être prises de toute urgence. Elle a également réclamé les procès-verbaux des dernières séances du conseil d'administration et a relevé une augmentation des charges lui semblant inquiétante. La perte au 13 décembre 1991 s'élevait à 1'160'000 fr. Elle a encore souligné que la situation s'était détériorée concernant les créances envers les débiteurs en blanc de B.________, dont 8'000'000 fr. concernaient des débiteurs douteux. W.________ invitait donc B.________ à prendre rapidement des mesures d'assainissement, à défaut de quoi, il faudrait déposer le bilan. Relevant divers autres dysfonctionnements, l'organe de contrôle menaçait à nouveau de donner sa démission si B.________ ne donnait pas suite à ses recommandations.
Par convention du 22 décembre 1991, les administrateurs se sont engagés à verser 14'300'000 fr. au total, correspondant au montant jugé nécessaire pour assainir la société. Ce plan d'assainissement a été approuvé au cours de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de B.________ qui s'est tenue entre le 16 et le 22 décembre 1991.
Lors de l'assemblée générale du 16 janvier 1992, l'organe de contrôle a fait état des différentes étapes du mécanisme d'assainissement et a souligné la nécessité d'établir un rapport de révision spécial en vue de la réduction du capital, aux fins de supprimer le solde déficitaire au bilan après assainissement. Z.________ et A.X.________ ont donné leur démission; Y.________ est resté l'administrateur unique de B.________.
Le 17 février 1992, W.________ a été informée par les époux X.________ du fait que, par erreur, un montant avait été débité d'un de leurs comptes auprès de B.________ en octobre 1991, mais qu'ils ne pouvaient le récupérer, bien que Y.________ en ait donné l'ordre à la banque le 18 décembre 1991, car B.________ n'avait pas les liquidités nécessaires. L'organe de contrôle a conseillé à B.________ de provisionner ce poste à hauteur de 225'000 fr. Une garantie de paiement a été émise le 27 février 1992 par C.________, qui s'engageait irrévocablement et à première requête à verser 250'000 fr. aux époux X.________ si ceux-ci obtenaient un jugement en leur faveur à l'encontre de B.________.
Le 2 mars 1992, W.________ a délivré un rapport à B.________ permettant une réduction du capital social, suivie de sa reconstitution immédiate, avec la possibilité de renoncer à l'avis aux créanciers. Cette opération a été constatée par acte notarié le 2 mars 1992. Le 5 avril 1993, A.X.________ a obtenu en justice l'annulation de la décision de l'assemblée générale de B.________ du 2 mars 1992 par laquelle le capital de la société avait été réduit à zéro.
A.c Le 18 septembre 1992, A.X.________ a déposé une plainte pénale pour escroquerie à l'encontre de divers organes de C.________. Cette dernière a, par la suite, également déposé plainte pénale à l'encontre des organes de B.________. La plainte pénale de A.X.________ a été classée, alors que Y.________ a été reconnu coupable d'escroquerie, de faux dans les titres et d'obtention frauduleuse d'une constatation fausse. Il a été condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et à la confiscation d'une somme de 200'000 fr. Dans le cadre de cette procédure pénale, une expertise a été ordonnée. Il ressort en particulier du rapport du 9 mai 1994, complété le 19 septembre 1994, que, dès 1989, B.________ était insolvable. Ses bilans pour les exercices 1985 à 1991 mentionnaient des postes débiteurs comprenant régulièrement des positions en blanc qui concernaient, pour la plupart, des sociétés écrans dépourvues de substance et contrôlées par Y.________. Lors de la clôture des comptes 1990 réalisée en juin 1991, W.________ s'est aperçue de nombreuses irrégularités dans la tenue de la comptabilité de B.________, qui avaient cours depuis plusieurs années déjà, et a demandé des éclaircissements à Y.________. Devant l'inertie des organes de B.________, elle a établi clairement la nécessité d'un assainissement lors d'une assemblée générale extraordinaire du 19 décembre 1991. Le principal responsable de l'insolvabilité de B.________ est Y.________, qui, de 1987 à 1991, s'est emparé de fonds appartenant à B.________ ou les a prélevés sur des crédits obtenus grâce à des garanties de B.________, pour un montant total oscillant entre 15 et 16 millions de francs. Selon l'expert, l'assainissement de la société a été mené dans un climat de conflits et de flou, qui devait conduire l'organe de contrôle à une vigilance accrue dans ses vérifications, alors que de graves omissions pouvaient être reprochées à W.________.
A.d Le 12 octobre 1992, les époux X.________ ont déposé en justice une demande en paiement portant sur 450'000 fr. avec intérêt à 10 % dès le 18 octobre 1991 à l'encontre de la société E.________S.A. (ci-après: E.________; la nouvelle raison sociale de B.________) et Y.________. Un accord est intervenu entre les parties et, le 21 avril 1993, le Tribunal a donné acte que E.________ reconnaissait devoir aux époux X.________ la somme qu'ils réclamaient.
A.e La faillite de E.________ a été prononcée au printemps 1994. Les époux X.________ ont produit des créances pour un montant total de 3'957'000 fr. dont 567'000 fr. ont été admis en 5ème classe.
Le 28 avril 2000, les époux X.________ ont obtenu la cession des droits de la masse et ont été autorisés à poursuivre la réalisation de la créance de 14'300'000 fr. correspondant au découvert prévisible.
B.
Par demande déposée le 9 novembre 2001 devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, les époux X.________ ont conclu à ce que W.________ soit condamnée à leur verser 567'000 fr. sous réserve d'amplification. Ce montant correspondait à la somme de 450'000 fr. plus les intérêts que E.________ avait reconnu leur devoir selon la décision du 21 avril 1993. Les époux X.________ se sont fondés principalement sur les manquements de l'organe de contrôle mis en évidence dans les rapports d'expertise déposés dans le cadre de la procédure pénale.
Par jugement du 22 avril 2004, les époux X.________ ont été déboutés de toutes leurs conclusions. Admettant la réalisation des conditions de la responsabilité de W.________, le Tribunal a estimé en substance qu'en raison de la grave faute concomitante de A.X.________, les demandeurs ne pouvaient prétendre à aucune indemnisation.
Par arrêt du 18 février 2005, la Cour de justice a rejeté l'appel formé par les époux X.________ contre ce jugement, ainsi que l'appel incident déposé par W.________, qui se limitait aux dépens. Après avoir rejeté l'exception de prescription formée par l'organe de contrôle, les juges, tout en retenant que W.________ avait violé les devoirs que lui imposait sa charge, ont considéré que l'action était infondée au motif que les manquements de l'organe de révision ne se trouvaient pas dans un rapport de causalité adéquate avec le dommage.
C.
Contre l'arrêt du 18 février 2005, les époux X.________ (les demandeurs) interjettent un recours en réforme au Tribunal fédéral. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt entrepris et à la condamnation de W.________ à leur verser la somme de 567'000 fr.
W.________ (la défenderesse) propose que les époux X.________ soient déboutés de toutes leurs conclusions.
Par décision du 1er juin 2005, le Tribunal fédéral a admis la requête d'assistance judiciaire formée par les époux X.________ et a désigné Me Jean-Cédric Michel comme avocat d'office.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Interjeté par les demandeurs, qui ont entièrement succombé dans leurs conclusions en paiement, et dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ), le recours porte sur une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Il a en outre été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), de sorte qu'il est en principe recevable.
2.
Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale, parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2; 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Hormis ces exceptions que le recourant doit invoquer expressément, il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ).
Il ne sera donc pas tenu compte des éléments de fait invoqués par les demandeurs, en particulier des constatations de l'expertise menée dans le cadre de la procédure pénale à l'encontre du président du conseil d'administration de la société faillie qui ne figurent pas dans l'arrêt entrepris. S'agissant de cette expertise, il convient d'ajouter que les critiques formulées par la défenderesse à propos de la prise en compte de ce document par la cour cantonale ne peuvent davantage être revues en instance de réforme, car elles relèvent de l'appréciation des preuves et du droit d'être entendu (cf. ATF 130 III 145 consid. 3.2 p. 160).
3.
A titre principal, les demandeurs reprochent à la cour cantonale d'avoir violé le droit fédéral en niant l'existence d'un lien de causalité adéquate entre le dommage subi par la société et les manquements de l'organe de contrôle.
3.1 A juste titre, la cour cantonale a examiné la question d'une éventuelle responsabilité de la défenderesse sous l'angle de l'ancien droit de la société anonyme, dès lors que celle-ci a fonctionné en tant qu'organe de révision du 13 octobre 1989 au 3 mars 1992, soit avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions régissant la société anonyme (cf. ATF 128 III 180 consid. 2b).
3.2 Les demandeurs n'ont eux-mêmes été lésés que de manière indirecte par les manquements de l'organe de révision, car leur préjudice résulte du fait qu'ils n'ont pu récupérer le montant de leurs créances à l'encontre de la société dans le cadre de sa faillite. En tant que cessionnaires des droits de la masse, ils peuvent toutefois prétendre, sur la base de ce mandat procédural, à la réparation du dommage subi directement par la société (cf. arrêt du Tribunal fédéral 4C.111/2004 du 9 novembre 2004, destiné à la publication, consid. 3.1.1), attendu que le produit éventuel de leur action servira d'abord à couvrir leurs propres créances (cf. art. 757 al. 2 CO). Il faut donc uniquement s'interroger sur l'éventuelle responsabilité de la défenderesse à l'égard de la société faillie.
4.
Il ressort de l'art. 754 al. 1 aCO (comme du reste de l'art. 755 CO dans sa version actuelle), que la responsabilité de l'organe de révision est subordonnée à la réunion des quatre conditions générales suivantes, à savoir un dommage, un manquement par l'organe à ses devoirs, une faute (intentionnelle ou par négligence) et un lien de causalité adéquate entre le manquement et le dommage (ATF 127 III 453 consid. 5a).
4.1 En l'occurrence, le dommage subi par la société et retenu dans l'arrêt attaqué correspond au découvert prévisible lors de la faillite, qui s'élève à 14,3 millions de francs.
4.2 La cour cantonale a également admis que la défenderesse avait violé les devoirs que lui imposait sa charge d'organe de révision, mais sans indiquer précisément quels manquements étaient retenus. Il ressort toutefois des extraits de l'expertise établie dans le cadre de la procédure pénale et reproduits dans l'arrêt attaqué que la société B.________ était insolvable depuis 1989. Dès sa première révision des comptes en 1989, la défenderesse avait dû faire face à d'importantes difficultés et avait dû complètement réorganiser la comptabilité. Bien qu'elle ait été entravée lors de l'accomplissement de sa mission par des manipulations tendant à masquer la véritable situation de la société, elle s'était aperçue, lors de la clôture des comptes 1990 réalisée en juin 1991, de nombreuses irrégularités dans la tenue de la comptabilité de la société. Dans son rapport du 19 août 1991, elle n'avait émis que de simples réserves, alors qu'elle n'avait pas reçu d'informations suffisantes pour apprécier la solvabilité de certains débiteurs importants ou le risque lié aux cautions en blanc.
Ces circonstances font ainsi apparaître que la défenderesse n'a pas agi avec toute la diligence requise lors du contrôle de la comptabilité, en particulier en ne vérifiant pas que les actifs du bilan existaient réellement (cf. ATF 116 II 533 consid. 5b p. 541 s.) et en ne signalant pas clairement et immédiatement les irrégularités constatées, notamment s'agissant de la manipulation du bilan 1990 liée à l'achat fictif des titres par la société D.________ (art. 729 al. 3 aCO; arrêt du Tribunal fédéral 4C.506/1996 du 3 mars 1998, in SJ 1999 I p. 228, consid. 6a). Force est donc de constater que la défenderesse a manqué fautivement aux devoirs de sa charge.
4.3 Il reste à examiner si, en niant l'existence d'un lien de causalité adéquate entre le découvert de la société lors de sa faillite et les manquements commis par la défenderesse, la cour cantonale a violé le droit fédéral.
Pour qu'il y ait causalité adéquate, il faut que le fait générateur de la responsabilité soit propre, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 129 II 312 consid. 3.3 et les arrêts cités). Dire s'il y a causalité adéquate est une question de droit (cf. ATF 123 III 110 consid. 2; 116 II 519 consid. 4a p. 524). Pour que la causalité adéquate puisse être admise, il faut au préalable qu'un lien de causalité naturelle soit établi. Tel est le cas lorsque le fait générateur de responsabilité est une condition sine qua non du résultat (ATF 128 III 174 consid. 2b p. 177, 180 consid. 2d p. 184). Lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, de juger de l'existence d'un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s'interroger sur le cours hypothétique des événements (ATF 129 III 129 consid. 8). Dans ce cas, le Tribunal fédéral, saisi d'un recours en réforme, est lié par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle (arrêt 4C.111/204 précité, destiné à la publication, consid. 3.2.2; ATF 128 III 180 consid. 2d p. 184), dès lors qu'elles ne reposent pas exclusivement sur l'expérience de la vie, mais sur des faits établis par l'appréciation des preuves (ATF 127 III 453 consid. 5d p. 456; 115 II 440 consid. 5b p. 448 s.). Il y a en revanche violation du droit fédéral si le juge a ignoré l'exigence de la causalité naturelle ou a méconnu cette notion juridique (arrêt du Tribunal fédéral 4C.281/2004 du 9 novembre 2004, SJ 2005 I p. 221, consid. 2.3; ATF 125 IV 195 consid. 2b; 123 III 110 consid. 2).
Dans un arrêt récent, la Cour de céans a précisé, à propos de l'exigence du lien de causalité adéquate, que l'organe de révision a une position atypique dans la société anonyme, car d'une part il s'agit d'un organe secondaire, qui intervient de manière sporadique et généralement après coup, et, d'autre part, il n'est en principe pas l'auteur unique du préjudice, qui découle avant tout du comportement des organes exécutifs. Cette situation particulière peut avoir pour résultat de décharger l'organe de révision de toute responsabilité, lorsqu'il s'avère que, même si celui-ci avait agi conformément à ses devoirs et à temps, le dommage se serait tout de même produit (cf. ATF 129 III 129 consid. 8 et les références citées).
4.4 Après avoir correctement rappelé ces principes, la cour cantonale a estimé qu'il n'était pas établi que les manquements de la défenderesse auraient causé un dommage à la société, puisque le montant des malversations du président du conseil d'administration, qui ont porté sur 15 à 16 millions de francs, était supérieur au découvert prévisible de 14,3 millions résultant de la faillite. Il n'était pas non plus établi que, si l'organe de contrôle avait détecté l'ensemble des irrégularités de la comptabilité de la société faillie, le président du conseil d'administration, qui possédait tous les pouvoirs, ou les autres administrateurs, qui lui faisaient une entière confiance, auraient réagi. Enfin, comme le montant jugé nécessaire pour assainir la société le 22 décembre 1991 était identique à celui du découvert résultant de la faillite, la procédure d'assainissement menée par la défenderesse n'avait pas contribué à augmenter les pertes de la société.
Un tel raisonnement ne permet pas de vérifier que la cour cantonale a correctement appliqué la notion de causalité hypothétique. Tout d'abord, on ne comprend pas pour quelle raison le fait que les malversations commises par le président du conseil d'administration de 1987 à 1991 aient porté sur un montant supérieur au découvert de la société lors de sa faillite permettrait d'en déduire que le cours hypothétique des événements n'aurait pas été différent si la défenderesse avait agi conformément à ses devoirs. En outre, la seule affirmation selon laquelle il n'est pas établi que les malversations auraient cessé ou que les autres administrateurs auraient réagi si l'organe de contrôle avait agi conformément à ses devoirs n'est pas suffisante. Comme la cour n'indique pas quelles mesures la défenderesse aurait dû prendre si elle avait agi avec toute la diligence requise, il n'est pas davantage possible de saisir pourquoi celles-ci n'auraient eu aucun effet. La déduction figurant dans l'arrêt attaqué est d'autant plus surprenante que l'expérience de la vie tendrait plutôt à admettre qu'un créancier et administrateur qui, comme le demandeur, a confié toute sa fortune à une société, ne va pas rester passif s'il apprend que l'un des organes commet des malversations et détourne les fonds de la société. Enfin, les mesures d'assainissement tendent, par définition, à améliorer la situation financière d'une société. Ce n'est donc pas parce que la procédure menée en décembre 1991 au cours de laquelle les administrateurs se sont engagés à verser 14,3 millions de francs n'a pas contribué à augmenter les pertes de la société, que l'on peut en déduire que les manquements de l'organe de contrôle n'ont pas causé un dommage, notamment sous la forme d'une non-diminution du passif de la société.
La cour cantonale a ainsi nié la causalité hypothétique sur la base d'un raisonnement qui n'est pas propre à établir ou à réfuter l'existence d'un tel lien et qui, par conséquent, ne permet pas à la Cour de céans de vérifier si la notion même de causalité a été correctement appliquée.
4.5 Lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la responsabilité d'un organe envers la société, pour le dommage subi par celle-ci et correspondant à son découvert dans la faillite, l'examen du lien de causalité hypothétique suppose de s'interroger sur la conséquence des manquements de l'organe sur ce découvert. La cour cantonale aurait donc dû se demander en premier lieu si la faillite de la société, qui était insolvable depuis 1989, aurait pu être prononcée plus tôt, dans l'hypothèse où l'organe de révision aurait respecté les devoirs de sa charge. Le cas échéant, elle aurait dû examiner si le découvert aurait été moins important si la faillite était intervenue avant le printemps 1994. A cet égard, il n'est pas inutile de rappeler que l'on admet que tout retard dans le dépôt du bilan est en règle générale préjudiciable à la société (Widmer-Banz, Commentaire bâlois, art. 755 CO N 9 et 20; arrêts du Tribunal fédéral non publiés 4P.305/2001 du 18 mars 2002 consid. 2d et 4C.117/1999 du 16 novembre 1999, consid. 3b/bb). Ce principe se vérifie tout particulièrement lorsque la société est, comme en l'espèce, victime de malversations répétées, dès lors que la faillite coupe court à tout nouveau prélèvement indu.
L'établissement de la causalité naturelle relevant des faits, il convient donc de renvoyer la cause à l'autorité cantonale en application de l'art. 64 al. 1 OJ, afin qu'elle examine, de manière précise, la réalisation de cette condition, compte tenu des considérations qui précèdent.
Si elle parvient à la conclusion que la responsabilité de la défenderesse peut être engagée, il lui appartiendra alors de déterminer l'étendue de l'obligation de réparer de la défenderesse en application du nouveau droit sur la solidarité différenciée, soit de l'art. 759 CO (cf. ATF 127 III 453 consid. 2b p. 455).
Il n'y a au surplus pas lieu de se prononcer sur l'argumentation subsidiaire des demandeurs concernant l'inopposabilité des exceptions, dès lors que l'arrêt attaqué ne contient aucun développement à ce sujet.
Le recours doit par conséquent être admis et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
5.
Comme l'instance de réforme aboutit à un arrêt de renvoi à la juridiction cantonale et que, par conséquent, l'issue de la cause reste incertaine, les frais seront répartis par moitié entre chacune des parties (art. 156 al. 1 et 3 OJ), les demandeurs en répondant solidairement (art. 156 al. 7 OJ). Comme ces derniers ont obtenu le bénéfice de l'assistance judiciaire, la part des frais à leur charge sera supportée par la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 1 OJ), sous réserve de remboursement ultérieur (art. 152 al. 3 OJ).
Chaque partie supportera ses propres dépens (art. 159 al. 1 et 3 OJ), attendu que les dépens des demandeurs seront pris en charge par la Caisse du Tribunal fédéral (art. 152 al. 2 OJ), également sous la réserve de l'art. 152 al. 3 OJ.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis.
2.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
3.
Un émolument judiciaire total de 8'000 fr. est mis à raison de 4'000 fr. à la charge de la défenderesse et à raison de 4'000 fr. à la charge des demandeurs, solidairement entre eux; la part de ces derniers sera supportée par la Caisse du Tribunal fédéral.
4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Jean-Cédric Michel une indemnité de 9'000 fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice genevoise.
Lausanne, le 8 août 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: