Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6S.203/2005 /rod
Arrêt du 6 septembre 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Karlen.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
E.________,
recourant, représenté par Me Hubert Theurillat, avocat,
contre
Procureur général du canton du Jura,
Le Château, case postale 196, 2900 Porrentruy 2.
Objet
Brigandage qualifié (art. 140 ch. 4 CP), coactivité et mesure de la peine (art. 63 CP),
pourvoi en nullité contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton du Jura, Cour criminelle, du 17 mars 2005.
Faits:
A.
Par arrêt du 17 mars 2005, la Cour criminelle du Tribunal cantonal jurassien a notamment condamné E.________, né en 1973, originaire de Bosnie Herzégovine, pour brigandage qualifié au sens de l'art. 140 ch. 4 CP, à une peine de deux ans et demi de réclusion, sous déduction de 116 jours de détention préventive.
En bref, l'arrêt cantonal repose sur les faits suivants:
Dans la nuit du 27 au 28 novembre 2002, D.________, F.________, G.________ et B.________ se sont rendus à Courrendlin au Casino du Jura, où ils ont agressé le croupier qui sortait du casino, afin de le forcer à leur ouvrir la porte principale du casino, au moyen des clés qu'il détenait. Les quatre comparses ont tabassé le croupier, le frappant violemment avant et après l'avoir menotté, et lui ont tiré une balle dans la jambe. Une fois dans l'établissement, ils ont conduit le croupier jusqu'au boîtier principal du système d'alarme, qu'il a dû neutraliser. Les malfaiteurs ont ensuite traîné leur victime dans le bureau où ils lui ont donné l'ordre d'ouvrir le coffre-fort. Après s'être emparés d'une somme d'environ 170'000 francs, ils ont abandonné la victime, gravement blessée, menottée, allongée sur le dos, à même le sol du bureau.
E.________ a participé aux séances de préparation du brigandage, s'associant pleinement au plan d'exécution mis sur pied d'un commun accord par tous les protagonistes. Le jour du brigandage, il a apporté un pistolet yougoslave, qu'il n'a finalement pas pris avec lui pour se rendre à Bassecourt, où il devait lancer une pierre dans une vitrine pour faire diversion. Arrivé à Bassecourt, il a renoncé à sa mission et n'a ensuite pas rejoint les autres protagonistes, à Malleray, pour participer au partage du butin. Deux jours après, un comparse lui a apporté sa part.
B.
Contre cet arrêt cantonal, E.________ dépose un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Faisant valoir une violation des art. 25, 140 ch. 4 et 63 CP , il conclut à l'annulation de la décision attaquée.
La Cour criminelle du Tribunal cantonal jurassien conclut au rejet du pourvoi.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Selon la procédure pénale jurassienne, l'arrêt attaqué ne peut donner lieu à aucun recours de droit cantonal pour violation du droit fédéral (art. 323 CPP/JU a contrario et 347 CPP/JU). Il s'agit donc d'un jugement au sens de l'art. 268 ch. 1 PPF, qui peut faire l'objet d'un pourvoi.
1.2 Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base exclusive de l'état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 277bis et 273 al. 1 let. b PPF ). Le raisonnement juridique doit se fonder sur les faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter.
Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Celles-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de leur motivation, circonscrivent les points litigieux (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66).
2.
Le recourant conteste avoir agi en qualité de coauteur. Selon lui, son activité ne peut être qualifiée que de complicité.
2.1 Selon la jurisprudence, le coauteur collabore, de manière déterminante, avec d'autres personnes, à la décision de commettre une infraction, à son organisation ou à son exécution, au point d'apparaître comme l'un des participants principaux (ATF 125 IV 134 consid. 3a p. 136; 120 IV 136 consid. 2b p. 141; 265 consid. 2c/aa p. 271 s.). Le coauteur doit s'associer à la décision dont est issu le délit (mais sans accomplir nécessairement des actes d'exécution) ou à la réalisation de ce dernier. La seule volonté ne suffit cependant pas pour admettre la coactivité, il faut que le coauteur participe effectivement à la prise de la décision, à l'organisation ou à la réalisation de l'infraction; se référant à la doctrine, la jurisprudence exige même que le coauteur ait une certaine maîtrise des opérations et que son rôle soit plus ou moins indispensable (ATF 120 IV 17 consid. 2d p. 23; 136 consid. 2b p. 141; 265 consid. 2c/aa p. 271 s.; 118 IV 397 consid. 2b p. 399).
Le complice est en revanche un participant secondaire qui "prête assistance pour commettre un crime ou un délit" (art. 25 CP). La contribution du complice est subordonnée: il facilite et encourage l'infraction ou son auteur par une contribution sans laquelle les événements auraient pris une tournure différente; son assistance ne constitue toutefois pas nécessairement une condition sine qua non à la réalisation de l'infraction (ATF 119 IV 289 consid. 2c p. 292). Contrairement au coauteur, le complice ne veut pas l'infraction pour sienne et n'est pas prêt à en assumer la responsabilité.
2.2 En l'occurrence, le recourant a participé à tous les préparatifs du brigandage, en s'associant à la décision criminelle sans aucune réserve, avant même de connaître le rôle qu'il serait appelé à jouer. Ce n'est qu'incidemment, lors de la dernière séance, qui a précédé l'exécution du brigandage, qu'il a accepté le rôle de faire diversion. En outre, le recourant a tiré un profit personnel du brigandage (cf. ATF 76 IV 102 consid. 1a p. 106; 109 IV 161 consid. 4c p. 165; Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkommentar, 2e éd., Zurich 1997, n. 14, rem. préliminaire art. 24, p. 92). Il ne s'est pas contenté - comme un complice - d'une rémunération fixe pour ses services, mais a reçu un pourcentage du butin total. L'activité déployée par le recourant depuis le départ jusqu'à l'exécution du forfait, notamment jusqu'à la réception de sa part du butin, démontre ainsi que son rôle n'était pas secondaire, de sorte que la cour cantonale a retenu à juste titre la coactivité.
Les arguments du recourant pour contester son rôle de coauteur ne sont pas pertinents. Le recourant ne peut arguer qu'il n'a pas fait partie du quatuor qui a agressé le croupier, mais qu'il s'est vu attribuer la mission de faire diversion, dès lors qu'il était mû par la volonté d'agir comme auteur principal. Il est en effet parfaitement concevable qu'un coauteur recule devant l'accomplissement d'un acte, que ce soit dans l'espoir d'échapper à la justice ou pour ne pas se salir les mains, mais qu'il assume néanmoins l'infraction comme sienne. En outre, il importe peu que le recourant n'ait finalement pas pris le couteau qu'il avait apporté avec lui et qu'il ait renoncé à faire diversion, du moment que ces actes faisaient partie du plan initial. Ce changement d'attitude ne change rien quant à sa volonté de s'associer au brigandage. La cour cantonale a retenu pour ce motif l'art. 21 al. 2 CP. On peut toutefois se demander si les conditions du désistement sont réalisées, dès lors que le recourant n'a pas renoncé à sa part du butin; cette question peut cependant rester indécise vu l'interdiction de la reformatio in pejus.
3.
La cour cantonale a retenu à l'encontre des autres coaccusés le brigandage qualifié selon l'art. 140 ch. 4 CP, estimant que ceux-ci avaient mis le croupier en danger de mort, lui avaient fait subir des lésions corporelles graves et l'avaient traité avec cruauté. Le recourant conteste que les circonstances de la cruauté et de la mise en danger de mort puissent aussi lui être imputées, dès lors qu'il ignorait que ses quatre comparses allaient agir de manière cruelle à l'égard du croupier et mettre sa vie en danger.
3.1 L'art. 140 CP institue une gradation dans la gravité du brigandage. Le premier niveau est atteint lorsque l'auteur s'est muni d'une arme à feu ou d'une autre arme dangereuse (art. 140 ch. 2 CP). Le brigandage est plus sévèrement réprimé si la façon d'agir de l'auteur dénote qu'il est particulièrement dangereux ou si son auteur a agi en qualité d'affilié à une bande formée pour commettre des brigandages ou des vols (art. 140 ch. 3 CP). Parmi les circonstances qui peuvent dénoter que l'auteur est particulièrement dangereux, la jurisprudence cite une exécution froide, une préparation professionnelle et la brutalité dans l'action (ATF 116 IV 312 consid. 2e p. 317) ou encore le fait de menacer la victime avec une arme (ATF 120 IV 113 consid. 1c p. 117). Enfin, le dernier stade d'aggravation est réalisé si l'auteur a mis la victime en danger de mort, lui a fait subir une lésion corporelle grave, ou l'a traitée avec cruauté (art. 140 ch. 4 CP).
La circonstance aggravante prévue au chiffre 4 de l'art. 140 CP doit être interprétée restrictivement en raison de l'importance de la peine, qui est la réclusion pour cinq ans au moins et qui correspond ainsi à la peine du meurtre. Selon la jurisprudence, la mise en danger de mort de la victime suppose un danger concret, imminent et très élevé que la mort puisse survenir facilement (ATF 121 IV 67 consid. 2b p. 72). Il y aura notamment un danger de mort imminent si l'auteur menace la victime avec une arme à feu chargée et désassurée, dirigée contre elle à courte distance, de sorte qu'un coup peut partir, à chaque instant, même involontairement, et atteindre un organe vital (ATF 117 IV 419 p. 425 et 427) ou si le délinquant, ayant empoigné sa victime, maintient une lame à courte distance de la gorge de celle-ci, d'une manière telle qu'une réaction réflexe de la victime suffirait facilement à provoquer une lésion mortelle (ATF 117 IV 427 consid. 3b p. 428). En ce qui concerne la cruauté, la jurisprudence exige que l'auteur inflige des lésions, des souffrances ou des humiliations inutiles, y prenant même un certain plaisir ou à tout le moins faisant preuve d'une absence particulière de scrupules.
3.2 Les circonstances aggravantes définies aux chiffres 2 à 4 de l'art. 140 CP constituent des circonstances dites réelles qui confèrent à l'acte une gravité objective plus grande et qui influent en conséquence sur le sort de tous les participants, à condition qu'ils les connaissent (par opposition aux circonstances personnelles de l'art. 26 CP; Trechsel, op. cit., , n. 21, art. 140, p. 517). Ainsi, le coauteur et le complice d'un brigandage sont passibles de la même sanction que les auteurs, même si un seul de ceux-ci réalise une des circonstances aggravantes, lorsque ce comportement relève de la décision dont l'infraction est le fruit.
3.3 En l'espèce, l'arrêt attaqué constate que tous les prévenus savaient que l'on utiliserait des armes, de surcroît chargées, dans l'intention de menacer le croupier pour lui faire peur, pour obtenir la neutralisation du système d'alarme et l'ouverture du coffre. Le recourant a vu que D.________ et F.________ chargeaient leurs armes, scotchaient les chargeurs du pistolet mitrailleur et essuyaient les balles en portant des gants (arrêt p. 53). D.________ lui a même dit que si l'employé coopérait, il ne risquait rien, mais que s'il résistait il le truciderait (arrêt p. 13).
Selon les constatations cantonales, le recourant savait donc que ses comparses seraient armés et qu'ils étaient prêts à utiliser la violence pour maîtriser le croupier, voire à lui tirer dessus. Chacun sait que l'on ne peut exclure, dans le cadre d'une agression avec des armes à feu chargées et prêtes à tirer, qu'un coup de feu atteigne mortellement la victime. En l'occurrence, un coup de feu est parti; il a atteint la jambe de la victime, mais il aurait pu aussi toucher un organe vital. Le recourant connaissait ce risque et s'en est accommodé. Ainsi, la circonstance aggravante de la mise en danger de mort est réalisée, pour le moins sous la forme du dol éventuel, ce qui est suffisant (voir ATF 117 IV 427 consid. 3b/aa p. 428), de sorte que la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en retenant l'application du chiffre 4 de l'art. 140 CP.
Il n'y a pas lieu d'examiner pour le surplus si le recourant savait que ses comparses allaient agir de manière aussi brutale qu'ils l'ont fait et l'acceptait, puisqu'il suffit pour retenir le chiffre 4 de l'art. 140 CP qu'une des circonstances soient réalisées. Mal fondé, le grief tiré d'une violation de cette disposition doit donc être rejeté.
4.
Enfin, le recourant critique la peine qui lui a été infligée. Il soutient que sa peine devrait être atténuée de manière beaucoup plus importante vu son désistement et sa collaboration avec les autorités.
La cour cantonale a mentionné ces deux circonstances atténuantes (arrêt p. 65) et a prononcé une peine nettement inférieure à celle des autres participants. Elle n'était nullement tenue d'exprimer en chiffres ou en pourcentages l'importance qu'elle accordait à chacun des éléments cités. Mal fondés, les griefs du recourant doivent donc être rejetés.
5.
Au vu de ce qui précède, le pourvoi doit être rejeté.
Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais (art. 278 al. 1 PPF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 francs est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, au Procureur général du canton du Jura et au Tribunal cantonal jurassien, Cour criminelle.
Lausanne, le 6 septembre 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: