BGer 4C.156/2005 |
BGer 4C.156/2005 vom 28.09.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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4C.156/2005 /ech
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Arrêt du 28 septembre 2005
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Ire Cour civile
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Composition
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MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Favre.
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Greffière: Mme Godat Zimmermann.
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Parties
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A.________,
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défendeur et recourant, représenté par Me Pierre Siegrist,
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contre
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Compagnie d'assurances X.________,
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demanderesse et intimée, représentée par Me Michel Bergmann.
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Objet
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responsabilité pour acte illicite; faux certificat médical; prescription; dommage,
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recours en réforme contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 18 mars 2005.
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Faits:
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A.
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A.a Née en 1967, B.________ a travaillé pour Reuters SA de 1988 à 1996. Du 1er décembre 1996 au 31 décembre 1999, elle était employée de bureau à plein temps chez Y.________ SA; son salaire annuel brut s'élevait à 89'570 fr. Par l'intermédiaire de son employeur, elle était assurée auprès de la compagnie d'assurances X.________ (ci-après: X.________) par une police qui prévoyait notamment le versement d'indemnités journalières en cas de maladie; ces indemnités correspondaient au 80% du gain assuré et pouvaient être versées pour une durée maximum de 716 jours, après déduction d'un délai d'attente de 14 jours. L'art. 10 let. f des conditions générales d'assurance applicables à la police précitée avait la teneur suivante:
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«Si l'assuré a également droit à des prestations d'assurances fédérales (...), X.________ complète ces prestations jusqu'à concurrence du montant de l'indemnité journalière assurée de l'assuré (...).»
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Le 11 mai 1999, B.________ a donné naissance à une fille. Elle n'a pas repris le travail à l'issue de son congé maternité. Le Dr C.________, médecin généraliste, a certifié l'incapacité de travail totale de sa patiente du 20 juillet au 20 décembre 1999 pour cause de «fatigue dépressive puerpérale». B.________ a également été soignée par le Dr A.________, psychiatre. Le 24 janvier 2000, ce médecin a établi à l'intention de X.________ un certificat médical attestant de l'incapacité totale de travail de sa patiente pour une durée indéterminée dès le 20 décembre 1999. Le diagnostic était une dépression du post partum avec hyperphagie [boulimie] associée à d'autres perturbations psychologiques. Tous les certificats médicaux suivants adressés par le Dr A.________ à la compagnie d'assurance pendant une année et demie - dont l'un daté du 23 mai 2001 - indiquaient une incapacité de travail totale de B.________. Dans plusieurs de ces documents, le psychiatre a émis un pronostic favorable et souligné une amélioration sur le plan psychique. Dans le certificat médical du 26 juin 2001, il a attesté que sa patiente disposerait d'une capacité de travail de 100% à partir du 19 juillet 2001.
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X.________ a versé à B.________ un montant de 140'563 fr.55 à titre d'indemnités journalières du 3 août 1999 au 18 juillet 2001, soit pendant la durée maximale de 716 jours.
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A.b Par courrier du 6 juillet 2000, l'assureur avait avisé B.________ de son droit aux prestations temporaires de l'assurance-invalidité (AI) à partir du 20 juillet 2000, en raison de la durée et du taux de son incapacité de travail à cette date. Il l'avait invitée à déposer une demande dans ce sens dans les meilleurs délais, ce que l'assurée fit en date du 25 août 2000.
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Le 6 décembre 2000, le Dr A.________ a établi deux rapports médicaux à l'attention de l'AI. Dans le premier document, il indiquait que l'état de santé de B.________ était «stationnaire» et que sa patiente était en incapacité totale de travailler depuis le 20 juillet 1999. Il précisait toutefois que l'interruption de travail n'était pas due exclusivement à des raisons médicales; en effet, «après la convalescence de la césarienne, [la patiente] avait préféré allaiter et éduquer sa fille quitte à remettre en question sa profession». La capacité de travail de B.________ ne pouvait pas être améliorée par des mesures médicales, mais par des mesures professionnelles «dès que possible». Il n'y avait pas de contre-indication à l'exercice de la profession d'employée de bureau. L'état de santé n'influait pas sur la formation professionnelle; l'assurée n'avait pas besoin de moyens auxiliaires et ne devait pas être considérée comme impotente. Le diagnostic posé était le suivant: changement dans les relations familiales pendant l'enfance; surveillance inadéquate de la part des parents; pression parentale inappropriée; troubles hormonaux et obésité. Le Dr A.________ ajoutait: «Après l'accouchement et la convalescence de la césarienne, [B.________] a préféré allaiter son enfant. Puis, elle a encore préféré prolonger son incapacité pour être présente dans l'éducation de son enfant. Elle se réfère souvent à son sens critique, à sa responsabilité de mère, au fait de ne pas vouloir reproduire le schéma éducatif qu'elle a subi durant l'enfance.»
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Le second document était intitulé «rapport médical concernant les capacités professionnelles»; le Dr A.________ y notait que la motivation de B.________ était bonne, que le risque d'absentéisme lié à l'état de santé ou au traitement médical était faible et que la patiente avait un rendement prévisible de 100% pour un emploi à plein temps.
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Le 23 mai 2001, le jour même où il certifiait à X.________ l'incapacité de travail totale de B.________, le Dr A.________ adressait à l'office cantonal de l'AI les lignes suivantes: «(...) j'ai le devoir de vous informer que cette patiente est actuellement enceinte de plus de six mois, mais son état est compatible avec une reprise d'activité professionnelle. Elle s'adressera à l'Assurance-Chômage dès fin juin 2001.»
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B.________ a mis au monde son deuxième enfant le 17 août 2001.
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Par décision du 29 août 2001, l'office cantonal de l'AI a rejeté la demande de prestations de B.________. Il a considéré que la requérante n'était pas invalide au sens de l'art. 4 aLAI puisqu'il n'y avait aucune contre-indication médicale à ce qu'elle exerce sa profession d'employée de bureau à plein temps et qu'elle avait choisi de s'occuper de sa fille pour des raisons de convenance personnelle. B.________ n'a pas recouru contre cette décision, car elle était soulagée de ne pas être considérée comme une invalide, ce qui aurait été pour elle difficile à assumer sur le plan psychologique.
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X.________ a reçu copie de la décision du 29 août 2001. Elle a alors cherché à obtenir des explications de la part du Dr A.________. Grâce à une procuration de l'intéressée, la compagnie d'assurance a pris connaissance du dossier AI de B.________ en date du 20 novembre 2001.
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Par la suite, la compagnie d'assurance a invité B.________ à lui rembourser la somme de 43'973 fr.45 perçue indûment à partir du 6 décembre 2000. Se fondant sur les rapports adressés par le Dr A.________ aux services de l'AI, X.________ considérait en effet que l'assurée avait recouvré sa pleine capacité de travail dès cette date et qu'elle avait choisi alors de ne plus exercer d'activité lucrative par convenance personnelle.
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Le 26 septembre 2002, X.________ a introduit une poursuite contre B.________ pour un montant de 50'000 fr., plus intérêts à 5% dès le 6 décembre 2000. Apparemment, la poursuivie a formé opposition.
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B.
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Par demande du 24 mars 2003, X.________ a assigné B.________ et A.________ en paiement de 42'973 fr.45 (recte: 43'973 fr.45), plus intérêts à 5% dès le 18 juillet 2001.
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L'action introduite contre le médecin était fondée sur la responsabilité pour acte illicite (art. 41 CO). A titre principal, la demanderesse faisait valoir qu'en établissant des faux certificats attestant de l'incapacité de travail totale de B.________, le défendeur l'avait amenée à verser des prestations indues à cette dernière. A titre subsidiaire, au cas où il s'avérerait que B.________ était réellement incapable de travailler, X.________ soutenait qu'en affirmant faussement le contraire à l'office cantonal de l'AI, le Dr A.________ avait convaincu les services de l'assurance sociale de rejeter la demande de rente d'invalidité de sa patiente; en conséquence, l'assureur privé n'avait pu réduire les indemnités journalières à concurrence des montants qui auraient dû être versés à titre de rente AI.
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B.________ et A.________ ont notamment soulevé l'exception de prescription et conclu tous deux au déboutement de X.________ des fins de sa demande.
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Le 2 septembre 2003, X.________ a déposé une plainte pénale contre B.________ et A.________. La plainte a fait l'objet d'un classement en opportunité par le Parquet. Sur recours de X.________, cette décision a été annulée par la Chambre d'accusation le 22 septembre 2004. La procédure pénale a été retournée au Ministère public pour nouvelle détermination, laquelle n'est pas connue à ce jour.
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Par jugement du 30 septembre 2004, le Tribunal de première instance du canton de Genève a débouté la demanderesse de ses conclusions, sans se prononcer sur l'exception de prescription.
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Statuant le 18 mars 2005 sur appel de X.________, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a annulé le jugement de première instance, débouté la demanderesse de ses conclusions prises à l'encontre de B.________ et condamné A.________ à payer à X.________ la somme de 22'811 fr. plus intérêts à 5% dès le 18 juillet 2001.
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C.
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A.________ interjette un recours en réforme au Tribunal fédéral. Il conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au déboutement de X.________ de toutes ses conclusions.
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X.________ propose de rejeter le recours dans la mesure où il est recevable.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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La demanderesse n'a pas recouru en réforme contre l'arrêt cantonal qui rejetait son action en tant qu'elle était dirigée contre B.________. Cette dernière n'est dès lors pas partie à la procédure devant le Tribunal fédéral.
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2.
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2.1 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions libératoires, et dirigé contre une décision finale rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 48 al. 1 OJ) sur une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ), le recours est en principe recevable, puisqu'il a été déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ).
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2.2 Le recours en réforme est ouvert pour violation du droit fédéral (art. 43 al. 1 OJ). Il ne permet en revanche pas d'invoquer la violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 43 al. 1 2e phrase OJ), ni la violation du droit cantonal (ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités).
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Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il faille rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2. p. 106, 136 consid. 1.4. p. 140; 127 III 248 consid. 2c).
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Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 127 III 248 consid. 2c). Il ne peut être présenté de griefs contre les constatations de fait, ni de faits ou de moyens de preuve nouveaux (art. 55 al. 1 let. c OJ). Le recours en réforme n'est donc pas ouvert pour remettre en cause l'appréciation des preuves et les constatations de fait qui en découlent (ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 271 consid. 2b/aa p. 277; 127 III 247 consid. 2c p. 252).
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2.3 Au surplus, la juridiction de réforme ne peut aller au-delà des conclusions des parties; en revanche, elle n'est liée ni par les motifs développés par les parties (art. 63 al. 1 OJ; ATF 128 III 411 consid. 3.2.2 p. 415), ni par l'argumentation juridique suivie par la cour cantonale (art. 63 al. 3 OJ; ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140; 128 III 22 consid. 2e/cc; 127 III 248 consid. 2c; 126 III 59 consid. 2a).
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3.
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3.1 La cour cantonale a admis tout d'abord que l'action fondée sur l'art. 41 CO intentée contre le défendeur n'était pas prescrite en application des art. 60 al. 2 CO et 70 aCP. Elle a jugé que le médecin s'était rendu coupable de l'infraction de «faux certificat médical» en établissant les rapports des 6 décembre 2000 et 23 mai 2001 à l'intention de l'office cantonal de l'AI. En effet, ces documents ne sont pas conformes à la vérité dans la mesure où ils laissent clairement entendre que B.________ était capable de travailler à l'époque, alors que le contraire est établi sur la base de l'aveu du médecin psychiatre, qui justifie les certificats attestant de la capacité de travail de la patiente par la nécessité thérapeutique, ainsi que du témoignage du Dr C.________. De plus, le défendeur s'est adressé à une autorité et a agi intentionnellement, de sorte que les éléments constitutifs de l'art. 318 ch. 1 CP sont réunis.
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3.2 Le défendeur conteste avoir établi des faux certificats médicaux. Il est d'avis que les documents en question n'ont pas un contenu inexact et qu'ils décrivent objectivement un état de santé qui devait amener l'office cantonal de l'AI à ne pas allouer de rente d'invalidité à B.________; il s'agissait en effet d'éviter que la maladie de la patiente, qui se refusait catégoriquement à être reconnue comme invalide, ne devienne chronique. Quant aux deux certificats adressés le 23 mai 2001 à l'office cantonal de l'AI et à la demanderesse, ils ne seraient pas contradictoires dans la mesure où l'un concernerait l'aptitude physique de l'assurée à travailler malgré sa grossesse et l'autre aurait trait à son état pathologique. Le défendeur nie par ailleurs avoir jamais eu l'intention de tromper quiconque, ne poursuivant qu'un but thérapeutique.
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3.3 Selon l'art. 60 al. 1 CO, l'action en dommages-intérêts se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de la personne qui en est l'auteur et, dans tous les cas, par dix ans dès le jour où le fait dommageable s'est produit. Toutefois, si les dommages-intérêts dérivent d'un acte punissable soumis par les lois pénales à une prescription de plus longue durée, cette prescription s'applique à l'action civile (art. 60 al. 2 CO). Cette règle a pour but d'harmoniser la prescription du droit civil avec celle du droit pénal. Il ne serait en effet pas satisfaisant que l'auteur puisse encore être puni alors que le lésé ne serait plus en mesure d'obtenir réparation sur le plan civil (ATF 127 III 538 consid. 4c p. 541; 122 III 225 consid. 5 p. 228 et les références). Pour que l'art. 60 al. 2 CO soit applicable, le comportement à l'origine du dommage doit réaliser les éléments constitutifs objectifs et subjectifs d'un acte punissable selon le droit cantonal ou fédéral (ATF 118 V 193 consid. 4a p. 198 et les arrêts cités; Heinz Rey, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 3e éd., n. 1664, p. 380). Le juge civil appliquera, à titre incident, les règles du droit pénal; il est toutefois lié par une condamnation pénale, par un prononcé libératoire constatant l'absence d'acte punissable ou par une décision de suspension de la procédure pénale assortie des mêmes effets qu'un jugement quant à son caractère définitif (ATF 118 V 195 consid. 4a p. 197/198 et les arrêts cités). L'application de la prescription pénale plus longue suppose également que l'infraction visée soit en relation de causalité naturelle et adéquate avec le préjudice donnant lieu à l'action civile (ATF 122 III 5 consid. 2c p. 8; Rey, op. cit., n. 1667 p. 380 et les références). Il faut de plus que le lésé fasse partie des personnes protégées par la loi pénale (ATF 122 III 5 consid. 2c p. 8; 71 II 147 consid. 7b p. 156). Il s'agit là d'une conséquence de la théorie (objective) de l'illicéité prévalant en droit civil (Kurt Joseph Steiner, Verjährung haftpflichtrechtlicher Ansprüche aus Straftat, thèse St-Gall 1986, p. 54). Pour qu'il y ait «relation d'illicéité», il ne suffit pas en effet que le comportement soit interdit; encore faut-il qu'il le soit dans le but de protéger la personne lésée (Deschenaux/Tercier, La responsabilité civile, 2e éd., p. 72).
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3.4 En l'espèce, comme la cour cantonale l'a admis à juste titre, la demanderesse a eu connaissance du dommage dont elle exige réparation et de son auteur le 20 novembre 2001, soit au moment où elle a reçu le dossier AI de B.________. Comme l'assureur privé a ouvert action contre le défendeur seize mois plus tard sans interrompre le délai de prescription à l'égard du médecin, il convient d'examiner si la prescription pénale de cinq ans (art. 70 CP en vigueur avant le 1er octobre 2002; art. 318 ch. 1 CP) s'applique dans le cas particulier.
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3.5 Aux termes de l'art. 318 ch. 1 CP, les médecins qui auront intentionnellement dressé un certificat contraire à la vérité, alors que ce certificat était destiné à être produit à l'autorité ou à procurer un avantage illicite, ou qu'il était de nature à léser les intérêts légitimes et importants de tierces personnes, seront punis de l'emprisonnement ou de l'amende. La peine sera l'amende si le délinquant a agi par négligence (art. 318 ch. 2 CP).
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3.5.1 En l'espèce, il ne ressort pas des faits de l'arrêt attaqué que la procédure pénale ouverte à l'encontre du défendeur serait close par une décision définitive. Il appartenait dès lors bien au juge civil d'examiner si le comportement reproché au défendeur réalisait les éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'art. 318 CP.
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3.5.2 Avec raison, le défendeur ne conteste pas que les trois documents qu'il a adressés aux services de l'AI constituent des certificats médicaux, soit des constatations écrites relevant de la science concernée et se rapportant à l'état de santé d'une personne (ou d'un animal) (Bernard Corboz, Les infractions en droit suisse, volume II, n. 4, p. 611), singulièrement à sa capacité de travail (Markus Boog, Basler Kommentar, n. 3 et 4 ad art. 318 CP). Le psychiatre nie en revanche que les pièces en cause aient été contraires à la vérité.
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Un certificat médical est contraire à la vérité («unwahr») lorsqu'il dresse un tableau inexact de l'état de santé de la personne (Boog, op. cit., n. 3 ad art. 318 CP; cf. également Peter Dietsche, Das unwahre ärztliche Zeugnis nach Art. 318 StGB, thèse Berne 1981, p. 78 ss).
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La cour cantonale a retenu en fait que lors de l'établissement des certificats des 6 décembre 2000 et 23 mai 2001, B.________ n'était pas capable de travailler. Cette constatation lie la juridiction de réforme.
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Dans le premier certificat litigieux du 6 décembre 2000, le défendeur commence par indiquer que la patiente est en incapacité totale de travailler depuis le 20 juillet 1999, mais par la suite, il insiste sur le fait que B.________, remise de sa césarienne, a préféré allaiter et éduquer sa fille «quitte à remettre en question sa profession»; plus loin, le médecin répète que sa patiente a «préféré allaiter son enfant», puis «prolonger son incapacité pour être présente dans l'éducation de son enfant.» L'utilisation du verbe «préférer» ainsi que des formules «remettre en question sa profession» et «prolonger son incapacité» laissent clairement entendre que la non-reprise du travail après le congé-maternité est lié à un choix de vie, et non à une incapacité médicale de travailler. De plus, dans le rapport sur les capacités professionnelles daté du même jour, le défendeur souligne que B.________ a un rendement prévisible de 100% pour un emploi à plein temps. Dans ces conditions, force est de conclure que les deux certificats en question ne reflètent pas la capacité de travail réelle de l'assurée et qu'ils sont dès lors faux, comme la cour cantonale l'a bien vu.
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Quant à la lettre adressée par le défendeur aux organes de l'AI le 23 mai 2001, elle mentionne certes uniquement l'état de grossesse avancé de la patiente, lequel est «compatible avec une reprise d'activité professionnelle». Mais, émanant d'un psychiatre et faisant suite aux rapports du 6 décembre 2000, ce courrier se comprend surtout comme une confirmation de la capacité de travail totale de B.________, la grossesse survenue depuis lors n'empêchant pas, au surplus, un retour à la vie active. La référence aux démarches que la patiente allait entreprendre sous peu auprès des services de l'assurance-chômage vient appuyer cette interprétation. Il s'ensuit que, là aussi, le certificat médical se révèle faux.
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3.5.3 En attestant de la capacité de travail de sa patiente dans les documents adressés aux organes de l'AI, le défendeur savait qu'il faisait une constatation contraire à la vérité puisque, parallèlement, il certifiait à la demanderesse l'incapacité de travail totale de B.________ et qu'il s'agissait, de son propre aveu, d'aboutir au refus d'une rente AI. Il voulait également que les documents en cause soient destinés à être produits à l'autorité. L'infraction a donc bien été commise intentionnellement (cf. Corboz, op. cit., n. 10, p. 611).
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3.5.4 Par ailleurs, les attestations en cause réalisent en tout cas l'une des conditions alternatives posées à l'art. 318 ch. 1 CP, puisqu'elles étaient destinées à être produites à l'office cantonal de l'AI, qui est une autorité (cf. Boog, op. cit., n. 8 ad art. 318 CP, qui cite les «Sozialbehörde»).
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3.5.5 Il convient de se demander encore si l'assureur privé versant des indemnités journalières entre dans le cercle des personnes protégées par l'art. 318 CP. La réponse est assurément positive, dès lors que, selon le texte même de cette disposition, la réalisation de l'infraction peut notamment résulter du fait que le certificat médical est de nature à léser les intérêts légitimes et importants de tierces personnes; or, la demanderesse dispose manifestement d'un intérêt de la sorte à ne pas verser des indemnités journalières qui ne seraient pas dues selon ses conditions générales.
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3.5.6 Il reste à examiner le rapport de causalité entre l'infraction reprochée au défendeur et le dommage dont la demanderesse réclame réparation.
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Le préjudice en question est un gain manqué, soit la non-diminution d'un poste du passif: comme B.________ s'est vu refuser une rente AI, la demanderesse n'a pas pu réduire d'une somme correspondante le montant des indemnités journalières versées à l'assurée. Il ressort des constatations souveraines de la cour cantonale que la décision de rejet de la demande de prestations AI de B.________ se fonde exclusivement sur les documents établis par le défendeur. Les juges genevois considèrent en outre qu'«il est dans le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie qu'un médecin qui adresse aux autorités AI un certificat mentionnant une pleine capacité de travail de sa patiente, tandis que celle-ci est en réalité en incapacité totale de travail depuis une année, provoque une décision de refus de rente, alors que si l'AI avait connu l'état de santé réel de sa patiente, elle eût alloué une rente à cette dernière». La cour cantonale a ainsi admis que l'infraction commise par le défendeur se trouvait dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec le dommage.
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Le lien de causalité naturelle entre les faux certificats médicaux établis par le défendeur et le refus de la rente AI est une question de fait qui n'a pas à être revue par la juridiction de réforme (ATF 131 III 306 consid. 3.2.2 p. 313; 123 III 110 consid. 2 p. 111 et les arrêts cités). En revanche, savoir s'il existe un lien de causalité adéquate entre deux événements est une question de droit qui peut être examinée par le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (ATF 123 III 110 consid. 3 p. 111 ss).
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En l'occurrence, des certificats attestant de la capacité de travail de l'assurée établis par le médecin traitant de celle-ci étaient certainement, selon le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, propres à entraîner une décision de refus de rente AI. Certes, l'évaluation médicale de la capacité de travail d'un assuré ne lie pas les autorités de l'AI (Thomas Locher, Grundriss des Sozialversicherungsrechts, 3e éd., n. 12, p. 119; Michel Valterio, Droit et pratique de l'assurance-invalidité - Les prestations, p. 221). Néanmoins, on voit difficilement comment une demande de rente AI ne serait pas d'emblée rejetée lorsque le propre médecin de l'assurée atteste de la capacité de travail entière de sa patiente, tout en précisant que l'arrêt de travail de longue durée est lié en fait à des motifs de convenance personnelle. A l'instar des juges cantonaux, la cour de céans admettra un lien de causalité adéquate entre le comportement pénalement répréhensible du défendeur et le refus de rente AI.
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Cela étant, la présente affaire pose la question du comportement de substitution licite («rechtmässiges Alternativverhalten»). Il s'agit là d'une objection par laquelle le défendeur à l'action en responsabilité fait valoir que le dommage serait également survenu s'il avait agi conformément au droit (cf. ATF 122 III 229 consid. 5a/aa p. 232-234; Heinz Rey, op. cit., n. 644, p. 146; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, Schweizerisches Obligationenrecht Allgemeiner Teil, 8e éd., tome II, n. 2760, p. 120/121). S'il appartient au lésé de prouver la relation de causalité naturelle (Franz Werro, Commentaire romand, n. 43 ad art. 41 CO; Gauch/Schluep/Schmid/Rey, op. cit., n. 2762, p. 121), l'objection du comportement de substitution licite doit être soulevée par l'«auteur» du dommage, qui doit démontrer que le préjudice serait survenu même s'il avait agi conformément au droit (cf. ATF 122 III 229 consid. 5a/aa p. 232/233). En l'espèce, il ne ressort pas de l'arrêt attaqué que le défendeur a invoqué pareille objection en instance cantonale, plus précisément qu'il a cherché à établir concrètement qu'une rente AI aurait également été refusée à B.________ s'il avait dressé des certificats médicaux conformes à la vérité. Dans son recours, le défendeur ne le prétend du reste pas; se fondant sur des considérations générales, il se borne à contester le «caractère d'automaticité» que la cour cantonale aurait prêté à l'octroi d'une rente d'invalidité. Dans ces conditions, la cour cantonale n'a pu méconnaître le droit à la preuve et à la contre-preuve déduit de l'art. 8 CC.
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3.5.7 Il résulte de ce qui précède que toutes les conditions pour l'application de la prescription pénale de cinq ans sont réunies en l'espèce. C'est à bon droit que la Cour de justice a jugé que l'action en dommages-intérêts introduite contre le défendeur n'était pas prescrite.
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4.
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La prétention de la demanderesse est fondée sur l'art. 41 CO. Dans le cadre de l'examen de la prescription pénale plus longue, il a déjà été confirmé que les conditions de l'acte illicite, de la faute et de la causalité sont réalisées en l'occurrence. Il reste à se pencher sur la question du dommage.
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4.1 La cour cantonale a constaté tout d'abord que la demanderesse avait été très succincte et approximative dans l'allégation et l'établissement des faits relatifs à la détermination du montant des rentes d'invalidité que B.________ aurait été en droit de percevoir. Sur la base des éléments du dossier, elle a donc calculé le montant minimal que l'assurée aurait reçu des assurances sociales, pour elle-même et sa fille, du 27 juillet 2000 au 18 juillet 2001. Appliquant les dispositions topiques de la LAI, de la LAVS et de la LPP, les juges genevois sont parvenus à la conclusion qu'un montant d'au moins 1'083 fr. par mois aurait été versé à B.________ à titre de rente AI et qu'un montant d'au moins deux fois 433 fr. aurait été payé à titre de rentes d'enfant AI et LPP. L'assurée aurait ainsi perçu en tout cas un montant mensuel de 1'949 fr., soit 22'811 fr. du 27 juillet 2000 au 18 juillet 2001, ce qui correspond au montant du dommage dont la demanderesse peut exiger réparation.
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4.2 Le défendeur se plaint d'une violation de l'art. 8 CC en liaison avec l'art. 126 al. 2 LPC/GE. Il reproche à la cour cantonale d'avoir déterminé d'office le dommage en vertu du principe «jura novit curia», alors que la demanderesse avait été lacunaire dans l'allégation et l'établissement des faits générateurs du droit. Au surplus, il ne critique pas les montants retenus, ni la période jugée déterminante par la cour cantonale.
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4.3 Selon l'art. 42 al. 1 CO, la preuve du dommage incombe au demandeur. Cette disposition reprend le principe consacré à l'art. 8 CC, qui répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l'échec de la preuve (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323; 127 III 519 consid. 2a p. 522; 126 III 189 consid. 2b, 315 consid. 4a). On déduit également de l'art. 8 CC un droit à la preuve et à la contre-preuve (ATF 129 III 18 consid. 2.6 et les arrêts cités). En particulier, le juge enfreint cette disposition s'il tient pour exactes les allégations non prouvées d'une partie, nonobstant leur contestation par la partie adverse, ou s'il refuse toute administration de preuve sur des faits pertinents en droit (ATF 130 III 591 consid. 5.4 p. 601/602 et l'arrêt cité).
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En revanche, l'art. 8 CC ne prescrit pas quelles sont les mesures probatoires qui doivent être ordonnées (ATF 127 III 519 consid. 2a), ni ne dicte au juge comment forger sa conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d p. 25; 127 III 248 consid. 3a, 519 consid. 2a). Il n'exclut ni l'appréciation anticipée des preuves, ni la preuve par indices (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 25; 127 III 520 consid. 2a; 126 III 315 consid. 4a). Au demeurant, lorsque l'appréciation des preuves convainc le juge qu'un fait est établi à satisfaction de droit ou réfuté, la question de la répartition du fardeau de la preuve ne se pose plus et le grief tiré de de la violation de l'art. 8 CC devient sans objet. Il s'agit alors d'une question d'appréciation des preuves, qui ne peut être soumise au Tribunal fédéral que par la voie du recours de droit public pour arbitraire (ATF 127 III 519 consid. 2a; 122 III 219 consid. 3c).
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Au surplus, dire s'il y a eu dommage et quelle en est la quotité est une question de fait qui lie le Tribunal fédéral en instance de réforme (ATF 129 III 135 consid. 4.2.1 p. 153; 127 III 73 consid. 3c p. 75 et les arrêts cités). Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral n'intervient que si l'autorité cantonale a méconnu la notion juridique du dommage ou si elle a violé des principes juridiques relatifs au calcul du préjudice (ATF 127 III 73 consid. 3c p. 75 et les arrêts cités).
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4.4 En l'espèce, la cour cantonale a jugé que les faits allégués et établis - en particulier la durée de cotisation et le revenu réalisé chez Y.________ - lui permettaient de calculer le montant minimal de rentes AI/LPP auquel B.________ aurait pu prétendre. Elle n'a donc pas fondé son calcul du dommage sur des allégations non prouvées de la demanderesse. Aucune violation de l'art. 8 CC ne saurait dès lors être reprochée à la Cour de justice. Quant à savoir si la demanderesse a articulé les faits déterminants avec la précision requise par l'art. 126 LPC/GE, il s'agit manifestement d'une question de droit cantonal soustraite à l'examen de la juridiction de réforme.
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Pour le reste, le défendeur ne prétend nulle part que la cour cantonale aurait méconnu des principes juridiques en fixant à 1'949 fr. par mois le montant minimal que B.________ aurait pu recevoir des assurances sociales. Il ne remet pas non plus en cause la durée de versement des rentes déterminante pour la fixation du dommage subi par la demanderesse.
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Il s'ensuit que le grief tiré de la violation de l'art. 8 CC est mal fondé.
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5.
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En conclusion, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en admettant que la responsabilité délictuelle du défendeur était engagée envers la demanderesse et en condamnant celui-là à verser à celle-ci le montant de 22'811 fr. à titre de dommages-intérêts. Le recours doit être rejeté.
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6.
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Vu le sort réservé au recours, il convient de mettre les frais judiciaires à la charge du défendeur (art. 156 al. 1 OJ). Par ailleurs, celui-ci versera des dépens à la demanderesse (art. 159 al. 1 OJ).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté.
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2.
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Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du défendeur.
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3.
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Le défendeur versera à la demanderesse une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 28 septembre 2005
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Au nom de la Ire Cour civile
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Président: La Greffière:
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