BGer 1P.560/2005 |
BGer 1P.560/2005 vom 12.10.2005 |
Tribunale federale
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{T 0/2}
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1P.560/2005 /col
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Arrêt du 12 octobre 2005
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Ire Cour de droit public
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Composition
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MM. les Juges Féraud, Président,
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Aeschlimann et Reeb.
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Greffier: M. Kurz.
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Parties
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A.________,
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recourante, représentée par Me Jämes Dällenbach, avocat,
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contre
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Ministère public du canton de Neuchâtel,
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rue du Pommier 3, case postale 2672, 2001 Neuchâtel 1,
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Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
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du canton de Neuchâtel, case postale 3174,
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2001 Neuchâtel 1.
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Objet
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Procédure pénale, recevabilité du pourvoi cantonal en cassation,
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recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du 11 juillet 2005.
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Faits:
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A.
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Par jugement du 21 avril 2005, le Tribunal de police du district de Neuchâtel a libéré A.________ des fins de la poursuite pénale intentée contre elle, pour diffamation, par son frère B.________. Il lui était reproché d'avoir déclaré que son frère l'avait violée alors qu'elle avait sept ou huit ans. Le tribunal a considéré que la preuve de la vérité, offerte par l'accusée, ne pouvait être rapportée par un jugement pénal puisque les faits étaient prescrits; par ailleurs, les divers témoignages en faveur de la crédibilité de ses affirmations n'avaient pas valeur d'expertise. La preuve de la vérité ou de la bonne foi n'était donc pas apportée. Toutefois, le tribunal a retenu l'erreur de droit car les déclarations avaient pour cadre une prise en charge par le Service d'aide des victimes d'abus sexuel, et la prévenue pouvait de bonne foi se croire autorisée à parler librement. Les frais ont été mis à la charge de l'Etat, et le plaignant n'a pas obtenu de dépens.
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B.
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Par acte du 17 mai 2005, A.________ a saisi la Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel d'un pourvoi. Bien qu'exemptée de toute peine, elle estimait avoir été arbitrairement déclarée coupable, alors que la véracité de ses propos était suffisamment vraisemblable.
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Par arrêt du 11 juillet 2005, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi irrecevable: l'art. 243 du code de procédure pénale neuchâtelois (CPP/NE) n'ouvrait la voie de la cassation qu'au condamné. La recourante, exemptée de toute peine, n'avait pas d'intérêt juridique à recourir.
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C.
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A.________ forme un recours de droit public contre ce dernier arrêt, dont elle demande l'annulation. Elle requiert l'assistance judiciaire.
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La Cour de cassation se réfère à son arrêt. Le Ministère public a renoncé à se déterminer.
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Le Tribunal fédéral considère en droit:
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1.
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Le recours est formé en temps utile contre un arrêt final rendu en dernière instance cantonale. Indépendamment de l'intérêt juridique que peut avoir la recourante sur le fond, la qualité pour agir doit lui être reconnue (art. 88 OJ) dans la mesure où elle conteste l'irrecevabilité de son recours cantonal.
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2.
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La recourante se plaint d'arbitraire. Selon l'art. 243 CPP/NE, le pourvoi est ouvert au Ministère public et au condamné. Il en irait de même du prévenu déclaré coupable mais exempté de toute peine. Par ailleurs, l'art. 6 par. 2 CEDH interdirait, dans un jugement libératoire, de laisser subsister le soupçon que l'intéressé serait néanmoins coupable. En l'occurrence, le jugement de première instance ne serait pas un jugement d'acquittement, puisqu'il retient que la recourante a porté atteinte à l'honneur de son frère. Cette déclaration de culpabilité ouvrirait la voie de la cassation.
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2.1 Il y a arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., lorsque la décision attaquée viole gravement une règle ou un principe juridique clair et indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle est insoutenable ou en contradiction évidente avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. Par ailleurs, il ne suffit pas que les motifs de la décision attaquée soient insoutenables, encore faut-il que celle-ci soit arbitraire dans son résultat (ATF 131 I 57 consid. 2 p. 61 et la jurisprudence citée), ce qu'il appartient au recourant de démontrer en vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (ATF 131 I 217 consid. 2.1 p. 219 et la jurisprudence citée).
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2.2 Selon l'art. 243 al. 1 CPP/NE, peuvent se pourvoir en cassation le Ministère public et le condamné. Cette disposition diffère, notamment, de l'art. 270 let. a PPF, qui ouvre le pourvoi en nullité à l'accusé, indépendamment de toute condamnation (ATF 120 IV 313 consid. 1 p. 315 et la jurisprudence citée; Bauer/Cornu, Code de procédure pénale neuchâtelois annoté, Neuchâtel 2003 p. 511).
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En l'espèce, le Tribunal de police a effectivement considéré que la recourante avait commis l'infraction qui lui était reprochée. Cela ne fait pas pour autant du jugement de première instance un jugement de condamnation. Au contraire, la recourante a été, selon le dispositif de ce jugement, libérée des fins de la poursuite pénale, sans frais ni dépens à sa charge.
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2.3 La jurisprudence évoquée par la recourante (ATF 120 IV 313 consid. 2 p. 315) considère que lorsque l'auteur d'une infraction est mis au bénéfice de l'erreur de droit (art. 20 CP), et exempté de toute peine, il ne peut pas être reconnu coupable mais doit être libéré purement et simplement des fins de la poursuite. C'est précisément ce qu'a fait le Tribunal de police. La jurisprudence précitée n'empêche pas, en revanche, de constater que l'accusé a bien commis l'infraction qui lui est reprochée. Cette constatation est en effet la prémisse nécessaire à l'application de l'art. 20 CP, qui prévoit l'atténuation - ou l'exemption - de la peine à l'égard de "celui qui a commis un crime ou un délit". Pour le surplus, il ressort clairement du jugement qu'en raison de l'erreur de droit jugée excusable, la recourante n'a pas commis de faute.
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2.4 Le jugement de première instance n'emporte par conséquent ni condamnation, ni reconnaissance de culpabilité, de sorte que la Cour de cassation pouvait, sans aucun arbitraire, considérer que la voie du pourvoi n'était pas ouverte.
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3.
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Pour la recourante, le Tribunal de police aurait violé l'art. 6 par. 2 CEDH en tenant la recourante pour coupable au motif qu'elle n'a pas apporté la preuve de la vérité; il y aurait un renversement inadmissible du fardeau de la preuve. Le grief est toutefois dirigé directement contre le jugement de première instance, contrairement à ce qu'exige l'art. 86 al. 1 OJ. L'argument est sans rapport avec l'objet de l'arrêt attaqué, limité à l'existence d'une voie de recours cantonale. Par conséquent, il est irrecevable. Il serait au demeurant mal fondé car, comme cela est relevé ci-dessus, le jugement de première instance ne contient aucune déclaration de culpabilité.
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4.
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Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit public doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. La recourante a demandé l'assistance judiciaire et les conditions en sont réunies. Son avocat est désigné comme défenseur d'office, rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
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Par ces motifs, vu l'art. 36a OJ, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2.
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La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Jämes Dällenbach est désigné comme avocat d'office de la recourante, et une indemnité de 1500 fr. lui est allouée à titre d'honoraires.
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3.
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Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au Ministère public et à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
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Lausanne, le 12 octobre 2005
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Au nom de la Ire Cour de droit public
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du Tribunal fédéral suisse
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Le président: Le greffier:
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