Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.237/2005 /svc
Arrêt du 27 octobre 2005
Ire Cour civile
Composition
Mme et MM. les juges Klett, juge présidant,
Favre et Chaix, juge suppléant.
Greffier: M. Thélin.
Parties
X.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Jean-Claude Mathey, avocat,
contre
Y.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Michel Bise, avocat.
Objet
contrat de travail; indemnité due au travailleur
recours en réforme contre l'arrêt rendu le 27 mai 2005 par la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Faits:
A.
Par contrat du 8 septembre 1998, X.________ SA a engagé Y.________ en qualité de mécanicien-monteur pour un salaire mensuel de 4'300 fr. Des primes au total de 200 fr. s'ajoutaient à ce salaire de base.
A la fin de l'année 2003, l'employeuse a adressé à Y.________ une lettre établissant le bilan de l'année 2003, fixant les objectifs pour l'année 2004 et attribuant au travailleur une augmentation de 400 fr. "sous forme d'un salaire en fonction de la réorganisation du montage". Par courrier du 12 février 2004, Y.________ s'est déclaré surpris de constater, dans son décompte pour le mois de janvier, un montant de 400 fr. qui n'était pas inclus dans son salaire mensuel mais devait s'y ajouter à titre de prime. Il sollicitait un salaire mensuel de 5'500 fr. et déclarait renoncer, en contrepartie, à toutes les primes.
Par lettre du vendredi 20 février 2004, l'employeuse a fait part de divers reproches à son collaborateur. Elle se plaignait notamment des demandes d'augmentation de salaire qu'il élevait constamment, en la menaçant de résilier le contrat. Elle envisageait de résilier elle-même au cas où les parties ne parviendraient pas à un accord satisfaisant pour chacun. Ce même jour, Y.________ eut un entretien avec le directeur et le responsable des achats de la société. A l'issue de cette discussion, l'employeuse a résilié le contrat en tenant compte des délais légaux. Selon la lettre de licenciement, cette mesure était motivée par le fait que Y.________ avait annoncé sa volonté de ne plus partir sur les chantiers et de ne pas venir travailler le lundi suivant.
Y.________ a fait opposition au licenciement. A son avis, celui-ci intervenait parce qu'il avait émis des revendications justifiées concernant son salaire.
B.
Le 5 juillet 2004, Y.________ a ouvert action contre l'employeuse devant le Tribunal des prud'hommes du district du Val-de-Travers. Sa demande tendait au paiement de 21'812 fr. à titre d'indemnité pour congé abusif, correspondant à quatre salaires mensuels y compris les primes, de 1'063 fr.50 à titre de treizième salaire calculé sur les primes obtenues, et de 2'500 fr. pour rétribution d'heures supplémentaires.
La défenderesse s'est opposée à la demande.
Statuant par un jugement du 7 décembre 2004, le tribunal l'a condamnée à payer 2'500 fr. à titre de salaire brut pour des heures de travail supplémentaires, avec intérêts au taux de 5% par an dès l'introduction de la demande; celle-ci était rejetée pour le surplus.
Le demandeur ayant recouru au Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, la Cour de cassation civile de ce tribunal s'est prononcée le 27 mai 2005. Elle a jugé que le congé était abusif et que le demandeur était donc fondé à réclamer une indemnité nette de 10'000 fr. Elle lui a alloué ce montant en sus de ce qu'il avait déjà obtenu devant les premiers juges.
C.
Agissant par la voie du recours en réforme, la défenderesse requiert le Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt de la Cour de cassation civile et de confirmer le jugement de première instance.
Le demandeur conclut au rejet du recours, dans la mesure où celui-ci est recevable.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recours est formé par une partie qui a succombé dans ses conclusions. Il est dirigé contre un jugement final rendu en dernière instance cantonale par un tribunal suprême (art. 48 al. 1 OJ), dans une contestation civile dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 8'000 fr. (art. 46 OJ). Déposé en temps utile (art. 54 al. 1 OJ) et dans les formes requises (art. 55 OJ), il est en principe recevable.
Le recours en réforme peut être exercé pour violation du droit fédéral, à l'exclusion des droits constitutionnels et du droit cantonal (art. 43 al. 1 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il y ait lieu de rectifier des constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art. 63 al. 2 OJ) ou qu'il faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents, régulièrement allégués et clairement établis (art. 64 OJ; ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4). Dans la mesure où la partie recourante présente un état de fait qui s'écarte de celui contenu dans la décision attaquée, sans se prévaloir avec précision de l'une des exceptions qui viennent d'être rappelées, il n'est pas possible d'en tenir compte (ATF 130 III 102 consid. 2.2, 136 consid. 1.4).
2.
2.1 Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail, de durée indéterminée, et que celui-ci pouvait être résilié conformément à l'art. 335 al. 1 CO. La résiliation est cependant abusive lorsqu'elle intervient dans l'une des situations énumérées à l'art. 336 al. 1 CO, situations qui se rapportent aux motifs de la partie qui résilie. Cette disposition restreint, pour chaque cocontractant, le droit fondamental de mettre unilatéralement fin au contrat (cf. Frank Vischer, Der Arbeitsvertrag, in Schweizerisches Privatrecht, vol. VII/4, 3e éd., p. 236/237). En particulier, l'art. 336 al. 1 let. d CO vise le cas où l'une des parties résilie parce que l'autre élève de bonne foi des prétentions résultant du contrat de travail. Selon l' art. 336a al. 1 et 2 CO , la partie qui a résilié abusivement doit à l'autre une indemnité à fixer par le juge et correspondant à six mois de salaire au plus.
La Cour de cassation civile a jugé que la résiliation intervenue le 20 février 2004 était abusive. Sur la base d'une appréciation globale de la situation, elle a retenu que la cause véritable du licenciement ne consistait pas dans la menace d'un abandon de son poste par le demandeur mais dans le désaccord des parties au sujet de son salaire. Cette menace n'était, en réalité, qu'une réplique du demandeur dans une discussion où le ton était monté. Le système adopté par la défenderesse, consistant à verser plus de 10% du salaire sous forme de primes, soit 600 fr. pour un salaire de base de 4'833 fr., était défavorable au demandeur en raison du caractère aléatoire de ces primes. La revendication de ce travailleur était légitime, compte tenu que le contrat prévoyait pour celui-ci un régime plus favorable que celui du code des obligations. Dans ces conditions, le licenciement succédant au refus de convertir les primes en salaire était abusif selon l'art. 336 al. 1 let. d CO. La Cour a fixé l'indemnité équitable à 10'000 fr., soit environ deux mois de salaire, y compris les primes. Elle a pris en considération que le demandeur, âgé de soixante-et-un ans, était occupé dans l'entreprise depuis plus de cinq ans et qu'il y donnait entière satisfaction. Elle a aussi pris en considération une faute concomitante du demandeur en tant que celui-ci aurait dû faire preuve de plus de modération lors de la discussion avec le directeur et le responsable des achats.
La défenderesse critique cette application de l'art. 336 al. 1 lit. d CO, qu'elle tient pour incorrecte; par ce biais, elle conteste aussi, partiellement, les faits retenus par les précédents juges. Il s'impose donc de distinguer, dans le contexte d'un congé censément abusif, ce qui relève du fait et ce qui relève du droit.
2.2 L'art. 336 al. 1 let. d CO vise le congé de représailles ou congé-vengeance (Christiane Brunner et al., Commentaire du contrat de travail, 3e éd., ch. 7 ad art. 336 CO; Adrian Staehlin et Frank Vischer, Commentaire zurichois, ch. 24 ad art. 336 CO; Vischer, Arbeitsvertrag, p. 242; Rémy Wyler, Droit du travail, Berne 2002, p. 405; Marie-Gisèle Zoss, La résiliation abusive du contrat de travail [...], thèse, Lausanne 1997, p. 200). Il tend en particulier à empêcher que le licenciement soit utilisé pour punir le travailleur d'avoir fait valoir des prétentions auprès de son employeur en supposant de bonne foi que les droits dont il soutenait être le titulaire lui étaient acquis (arrêts 4C.171/1993 du 13 octobre 1993 in SJ 1995 p. 797, consid. 2; 4C.262/2003 du 4 novembre 2003, consid. 3.1). En principe, la bonne foi du travailleur est présumée (art. 3 al. 1 CC; arrêt 4C.336/1990 du 4 mars 1991, consid. 1c, in JAR 1992 p. 357; Staehlin/Vischer, op. cit., ch. 24 ad art. 336 CO; Zoss, op. cit., p. 214) et il importe peu que les prétentions invoquées de bonne foi soient réellement fondées (arrêt 4C.10/2002 du 9 juillet 2002, consid. 3.2, in Pra 2003 n. 52 p. 260). La réclamation ne doit cependant être ni chicanière ni téméraire car elle empêcherait une résiliation en elle-même admissible (arrêt 4C.239/2000 du 19 janvier 2001, consid. 2.1.3; Vischer, Arbeitsvertrag, p. 242; Wyler, op. cit., p. 404; Zoss, op. cit., p. 212).
Les motifs de la résiliation relèvent du fait et, partant, lient le Tribunal fédéral saisi d'un recours en réforme (art. 63 al. 2 OJ). De même, l'incidence respective de plusieurs motifs de résiliation, s'ils se trouvent en concours, est une question qui relève de la causalité naturelle et donc du fait; par conséquent, elle ne peut pas non plus être discutée dans le cadre d'un recours en réforme (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 702/703).
Selon l'argumentation de la défenderesse, le motif réel du congé se trouvait dans le refus du demandeur de travailler; la discussion sur le salaire n'avait qu'un caractère secondaire et ne constituait donc pas le motif principal de la résiliation. Cette critique, en tant qu'elle s'en prend aux faits souverainement constatés par la Cour de cassation civile, est irrecevable en instance de réforme. Il en est de même des allégations selon lesquelles, contrairement aux constatations cantonales, le ton ne serait pas monté entre les parties lors de la réunion du 20 février 2004.
La défenderesse fait également grief aux juges cantonaux d'avoir retenu que l'octroi de primes présentait un caractère aléatoire pour le demandeur. Elle affirme que les primes de ses employés ont toujours été régulièrement augmentées et payées sans restriction aucune. Par là, elle entreprend de compléter l'état de faits établi par la juridiction cantonale, cependant sans se référer à l'une des exceptions prévues à l' art. 63 al. 2 ou 64 OJ ; par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut pas non plus entrer en matière.
Enfin, dans la mesure où elle soutient que le demandeur aurait fait pression sur son employeur en refusant de se rendre sur les chantiers, la défenderesse s'écarte à nouveau des faits constatés par la Cour de cassation civile. Son argumentation est là encore irrecevable.
2.3 Le Tribunal fédéral doit examiner si le demandeur, en réclamant que ses primes soient converties en salaire, exerçait une prétention aux termes de l'art. 336 al. 1 lit. d CO. A suivre la défenderesse, le travailleur n'avait aucun "droit existant" d'exiger cette conversion, ce qui rendrait cette disposition inapplicable.
La notion de prétention, selon l'art. 336 al. 1 lit. d CO, implique que la partie qui reçoit le congé a eu la volonté d'exercer un droit (Zoss, op. cit., p. 202). Contrairement au cas prévu à la lettre c de la même disposition, il doit s'agir de prétentions existantes et non de prétentions futures, que le congé aurait justement pour but d'empêcher de naître.
La réclamation du travailleur qui cherche à obtenir une augmentation de salaire reçue de manière systématique les années précédentes entre dans la catégorie des prétentions existantes (arrêt 4C.171/1993 du 13 octobre 1993 in SJ 1995 p. 797, consid. 2). Il en est de même de l'exercice du droit aux vacances (Wyler, op. cit., p. 405; Zoss, op. cit., p. 204) ou de la réclamation tendant à ce que le salaire soit adapté conformément aux promesses orales que l'employeur a faites (arrêt de la Cour suprême du canton de Bâle-Campagne du 9 mars 1994 in JAR 1995 p. 160; Zoss, op. cit., p. 203).
En l'espèce, la défenderesse a promis au demandeur, à la fin de l'année 2003, une augmentation de 400 fr. par mois sous forme de salaire. Dans les faits, cette augmentation a été versée à titre de prime dès le mois de janvier 2004. Le demandeur a immédiatement fait part de sa surprise et sollicité que cette prime soit convertie en salaire, conformément aux promesses antérieures de son employeur. Une telle demande constitue une prétention découlant des rapports de travail.
Il n'est pas nécessaire de déterminer si la conversion en salaire de toutes les primes touchées jusqu'alors (600 fr.) était exigible ou si ce droit était uniquement limité à l'augmentation de salaire de 400 fr. promise l'année précédente. On peut en effet retenir, avec la Cour de cassation civile, que le demandeur pouvait de bonne foi élever ses prétentions, ou en tout cas une partie de celles-ci, et qu'un congé succédant au refus de l'employeur d'accorder la conversion sollicitée constituait un congé de représailles. Enfin, compte tenu que le mode de paiement par le biais de primes présentait un caractère aléatoire pour le demandeur, celui-ci n'agissait pas par pure chicane en demandant la modification de ce mode de rémunération.
L'octroi d'une indemnité pour congé abusif, dont le montant n'est pas contesté par la défenderesse, se révèle donc conforme au droit fédéral. Il en résulte que le recours en réforme doit être rejeté, dans la mesure où les griefs présentés sont recevables.
3.
Le Tribunal fédéral ne perçoit pas d'émolument judiciaire car le montant de la demande, qui détermine la valeur litigieuse selon l'art. 343 al. 2 CO, était inférieur au plafond de 30'000 fr. prévu par cette disposition (ATF 122 III 495 consid. 4; 115 II 30 consid. 5b p. 41). A titre de partie qui succombe, la défenderesse doit néanmoins acquitter les dépens à allouer au demandeur qui obtient gain de cause (art. 159 al. 2 OJ).
Le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3.
La défenderesse acquittera une indemnité de 2'000 fr. à verser au demandeur à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 27 octobre 2005
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
La juge présidant: Le greffier: