BGer 1S.33/2005
 
BGer 1S.33/2005 vom 05.12.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
1S.33/2005/svc
Arrêt du 5 décembre 2005
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Nay et Fonjallaz.
Greffier: M. Parmelin.
Parties
X.________,
recourante, représentée par Me Olivier Péclard, avocat,
contre
Ministère public de la Confédération,
Antenne Lausanne, avenue des Bergières 42,
case postale 334, 1000 Lausanne 22,
Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes,
via dei Gaggini 3, case postale 2720, 6501 Bellinzone.
Objet
refus de levée de séquestre,
recours contre l'arrêt de la Cour des plaintes du
Tribunal pénal fédéral du 12 août 2005.
Faits:
A.
Le 23 septembre 2003, le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent de l'Office fédéral de la police a transmis au Ministère public de la Confédération une communication au sens de l'art. 9 de la loi sur le blanchiment d'argent (LBA; RS 955.0) selon laquelle la société X.________, a reçu le 7 août 2003 une somme de 23 millions de dollars américains en provenance du compte détenu par la société Y.________, auprès de la Banque Z.________, sur le compte n° xxx ouvert à cet effet auprès de la Banque A.________. Cette somme constituait le dernier versement d'un prêt de 50 millions de dollars américains convenu le 14 mars 2003 entre les deux sociétés et crédité auparavant sur un compte n° yyy ouvert auprès du même établissement.
Selon la documentation remise par l'Etude d'avocats B.________, l'ayant droit économique de la société Y.________ est C.________, la fille de D.________, lequel fait l'objet d'une procédure pénale en Russie pour appropriation illégitime par escroquerie sur une vaste échelle commise par un groupe organisé. Celui-ci est soupçonné d'avoir détourné des fonds s'élevant à 60 milliards de roubles au préjudice de la société E.________ par le biais de sociétés dans lesquelles il occupait une fonction dirigeante et d'avoir blanchi une partie des sommes détournées en Suisse. Les fonds à l'origine du prêt proviendraient d'un trust constitué à Gibraltar, dont C.________ serait l'une des bénéficiaires. Ce trust aurait été alimenté par la vente des participations détenues par D.________ au sein de la compagnie pétrolière K.________ au Sheikh Sultan M.________.
Le 24 septembre 2003, le Ministère public de la Confédération a ouvert une enquête de police judiciaire contre D.________ pour infractions aux art. 260ter et 305bis CP réprimant la participation à une organisation criminelle et le blanchiment d'argent. Le 25 septembre 2003, il a ouvert une enquête de police judiciaire contre C.________ pour suspicion de blanchiment d'argent. Le 26 septembre 2003, il a ordonné le séquestre des avoirs détenus sur les comptes ouverts auprès de la Banque A.________, par X.________, dont les ayants droit économiques sont O.________ et P.________. Il a confirmé cette mesure à plusieurs reprises en raison des incertitudes qui subsistaient sur l'origine licite des fonds prêtés.
Le 29 mars 2005, le Ministère public de la Confédération a refusé de donner suite à une requête de la société X.________ tendant à la levée du séquestre.
Par arrêt du 19 août 2005, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a rejeté la plainte formée contre cette décision. Elle a estimé que le séquestre reposait sur des indices suffisants de la commission d'une infraction, qu'elle répondait à l'intérêt public et qu'elle était conforme au principe de la proportionnalité.
B.
Agissant par la voie du recours au sens de l'art. 33 al. 3 let. a LTPF, X.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et de prononcer la levée du séquestre des comptes ouverts à son nom auprès de la Banque A.________; elle conclut subsidiairement à ce qu'un délai soit fixé au Ministère public de la Confédération pour motiver le séquestre, sur la base de faits nouveaux et suffisants.
La Cour des plaintes a renoncé à présenter des observations. Le Ministère public de la Confédération conclut au rejet du recours.
La recourante a répliqué.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La voie du recours au Tribunal fédéral est ouverte, selon l'art. 33 al. 3 let. a LTPF, contre les décisions de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral relatives aux mesures de contrainte, parmi lesquelles il faut inclure le séquestre d'avoirs ou d'objets, ordonné dans le cadre de la procédure pénale fédérale (ATF 131 I 52 consid. 1.2.2 p. 54; 130 IV 154). La procédure est réglée par les art. 214 à 216, 218 et 219 PPF, appliqués par analogie (art. 33 al. 3 let. a LTPF). La qualité pour agir est reconnue aux parties, ainsi qu'à toute personne à qui la mesure contestée fait subir un préjudice illégitime (art. 214 al. 2 PPF). La recourante, titulaire des comptes saisis, n'est pas partie à la procédure pénale ouverte en Suisse contre C.________; on doit cependant admettre que le maintien du séquestre, s'il n'était pas justifié, lui causerait un préjudice illégitime, lié à l'impossibilité de disposer librement des fonds provisoirement saisis.
2.
La recourante soutient que le séquestre ne reposerait sur aucun indice suffisant de la commission d'une infraction et serait disproportionné. Elle invoque au surplus sa bonne foi.
2.1 La saisie provisoire de valeurs patrimoniales est une restriction à la propriété qui n'est compatible avec l'art. 26 al. 1 Cst. que si elle repose sur une base légale, est justifiée par un intérêt public suffisant et respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst.; ATF 129 I 337 consid. 4.1 p. 344 et les arrêts cités). La mesure litigieuse repose sur l'art. 65 al. 1 PPF. Cette disposition est respectée lorsque le séquestre porte sur des avoirs dont on peut vraisemblablement admettre qu'ils pourront être confisqués en application du droit pénal fédéral. En début d'enquête, la simple probabilité suffit car, à l'instar de toute mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des prétentions encore incertaines; en outre, le juge doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire, ce qui exclut qu'il résolve des questions juridiques complexes ou qu'il attende d'être renseigné de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 124 IV 313 consid. 4 p. 316; 122 IV 91 consid. 4 p. 96; 116 Ib 96 consid. 3a p. 99; 103 Ia 8 consid. III/1c p. 13; arrêt 8G.89/2001 du 5 février 2002 consid. 6b paru aux Archives 73 p. 207). Le séquestre se justifie aussi longtemps que subsiste une probabilité de confiscation (cf. arrêt 1P.405/1993 du 8 novembre 1993 consid. 3 paru à la SJ 1994 p. 102).
2.2 Le séquestre litigieux a été ordonné dans le cadre d'une enquête de police judiciaire ouverte par le Ministère public de la Confédération contre C.________ pour blanchiment d'argent. Celle-ci est l'ayant droit économique de la société Y.________ qui a consenti le prêt versé sur les comptes détenus par la recourante au sein de la Banque A.________. Cette somme était déposée depuis juin 2001 sur un compte ouvert auprès de la Banque Z.________, et provenait d'un trust constitué à Gibraltar, dont C.________ était également l'une des bénéficiaires. Selon les indications fournies par le cabinet d'avocats B.________, les fonds qui alimentaient ce trust seraient issus de la vente des participations de D.________ dans la compagnie pétrolière K.________ au Sheikh Sultan M.________. Le Ministère public de la Confédération soupçonne qu'ils proviendraient du détournement de fonds commis sur une large échelle par D.________ au détriment de la société E.________ et qui lui valent d'être poursuivi pénalement en Russie et en Suisse. Si tel devait être le cas, leur versement sous la forme d'un prêt à une société off shore pourrait constituer un acte de blanchiment (cf. ATF 119 IV 59 consid. 2 p. 61).
C.________, qui est à la fois la bénéficiaire du trust et l'ayant droit économique de la société prêteuse, est la fille de D.________, lequel fait l'objet de poursuites pénales en Russie et en Suisse. Selon l'arrêt attaqué, non contesté sur ce point, l'avocat S.________ auquel P.________ s'est adressé pour obtenir le prêt litigieux et qui a procédé aux vérifications de "due diligence" destinées à s'assurer de la provenance licite de l'argent, est également le conseil du Sheik Sultan M.________, qui a acquis les actions détenues par D.________ auprès de la compagnie pétrolière K.________, et du trust sur lequel le produit de la vente a été placé et dont sont issus les fonds prêtés à la recourante. Quant à l'avocat qui aurait représenté les intérêts de la société X.________ dans la négociation du prêt, il a nié avoir participé aux discussions relatives à la conclusion du contrat et s'être rendu à Londres à cet effet, comme le prétend P.________. Ce dernier aurait par ailleurs menti en déclarant ne jamais avoir entretenu de relations d'affaires ou contractuelles avec D.________, alors que des éléments recueillis en exécution d'une requête d'entraide judiciaire décernée le 9 juillet 2004 auprès du Tribunal de Grande Instance de Marseille tendrait à démontrer qu'il serait le trésorier de D.________. La Cour des plaintes pouvait voir dans ces circonstances prises dans leur ensemble des éléments propres à susciter un doute fondé sur l'origine licite des fonds prêtés à la recourante et à justifier un séquestre provisoire (cf. ATF 129 II 97 consid. 3.3 p. 100), sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les éléments nouveaux dont le Ministère public de la Confédération fait état dans ses déterminations.
2.3 La recourante conteste en vain la proportionnalité du séquestre litigieux. Comme le relève la Cour des plaintes, les autorités judiciaires ne sont pas restées inactives. La police judiciaire fédérale a procédé à plusieurs mesures d'instruction mentionnées dans l'arrêt attaqué. Le Ministère public de la Confédération a entendu les ayant droit économiques de la société X.________ et a échangé de nombreux courriers avec la Banque A.________ et les conseils de la recourante. Le 24 septembre 2004, il a adressé une requête d'entraide judiciaire aux autorités britanniques tendant à l'audition de C.________ et des collaborateurs de l'Etude d'avocats B.________, en charge de la négociation du prêt litigieux. Il entendait également obtenir des informations et des documents de la Banque Z.________, au sujet du travail de "due diligence" effectué par ce même cabinet d'avocats en relation avec le contexte de la vente des actions de la société K.________, dont le produit aurait servi à alimenter le trust constitué à Gibraltar en faveur notamment de C.________. Ces mesures d'instruction sont de nature à apporter des éléments utiles aux fins de déterminer l'origine exacte des fonds ayant alimenté ce trust et leur lien éventuel avec le détournement de fonds que D.________ aurait commis au détriment de la société E.________. Le 10 septembre 2004, le Ministère public de la Confédération a décerné aux autorités judiciaires françaises une requête d'entraide judiciaire complémentaire à celle du 9 juillet 2004 visant à procéder à l'audition de la personne qui mettait en cause P.________ en tant que trésorier de D.________ et de toute autre personne qui aurait eu des contacts personnels ou professionnels réguliers avec les actionnaires de la société X.________; le 24 septembre 2004, il a adressé une demande d'entraide judiciaire au Parquet général de la Fédération de Russie visant à obtenir des informations sur les liens et les relations d'affaires existant entre C.________, D.________, P.________ et O.________. Ces mesures d'instruction sont de nature à déterminer l'étendue exacte des relations personnelles et professionnelles entre P.________ et D.________ et la fille de celui-ci. S'il devait s'avérer que P.________ est effectivement le trésorier de D.________, cela permettrait d'appréhender le prêt consenti à la recourante de manière différente.
2.4 Cela étant, aussi longtemps que le résultat des mesures précitées n'est pas connu, le séquestre opéré sur les comptes de la recourante auprès de la Banque A.________ est en principe justifié. Face à l'intérêt public à établir toute la vérité sur une infraction que l'on peut qualifier objectivement de grave, la recourante ne fait pas valoir un intérêt privé qui l'emporterait sur ce dernier. Elle ne démontre en particulier pas que le séquestre litigieux l'empêcherait de mener à bien ses activités commerciales ou la menacerait dans son existence même. Elle n'indique pas d'autre mesure qui permettrait de se substituer au séquestre ou d'en limiter l'étendue. Le Ministère public de la Confédération est à chaque fois entré en matière sur les demandes de levée partielle du séquestre que la recourante lui a soumises et qu'il estimait justifiées. Dans ces conditions, le séquestre respecte encore le principe de la proportionnalité. Toutefois, compte tenu du temps écoulé depuis le dépôt des requêtes d'entraide, il conviendra que le Ministère public de la Confédération prenne toutes les dispositions qui sont en son pouvoir pour que les mesures d'instruction ordonnées puissent se concrétiser rapidement, puis réexamine l'opportunité de maintenir le séquestre, compte tenu de leur résultat.
2.5 La recourante se prévaut en vain de sa bonne foi pour s'opposer au séquestre. Il ressort en effet des documents saisis en exécution de la requête d'entraide judiciaire décernée le 9 juillet 2004 aux autorités judiciaires françaises que P.________ aurait minimisé l'étendue des relations qu'il entretenait avec D.________; il aurait en outre donné des indications contestées et qui doivent être vérifiées sur les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les négociations du prêt consenti à la recourante par la société Y.________.
3.
Le recours doit par conséquent être rejeté, aux frais de la recourante qui succombe (art. 156 al. 1 OJ par renvoi de l'art. 245 PPF; cf. ATF 130 I 234 consid. 5 p. 240; 130 II 306 consid. 4 p. 313).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, au Ministère public de la Confédération et à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral.
Lausanne, le 5 décembre 2005
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: