BGer 6S.321/2005
 
BGer 6S.321/2005 vom 16.12.2005
Tribunale federale
{T 0/2}
6S.321/2005 /fzc
Arrêt du 16 décembre 2005
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffière: Mme Kistler.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Pierre de Preux, avocat,
contre
Y.________,
intimé, représenté avec élection de domicile par
Me Matteo Inaudi, avocat,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3.
Objet
Abus de confiance (art. 138 CP),
pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève, du 27 juillet 2005.
Faits:
A.
Par arrêt du 17 décembre 2004, la Cour correctionnelle sans jury du canton de Genève a notamment condamné X.________, pour abus de confiance (art. 138 ch. 1 al. 1 CP), à une peine de vingt mois d'emprisonnement, sous déduction de la détention préventive, peine complémentaire à celle de cinq mois et dix-neuf jours d'emprisonnement prononcée avec sursis par le Tribunal de police de Genève le 27 avril 1998. En outre, elle a réservé les droits civils des parties civiles et condamné X.________ et son coaccusé, A.________, à leur verser une indemnité de procédure.
Par arrêt du 27 juillet 2005, la Cour de cassation genevoise a rejeté le pourvoi en cassation formé par le condamné et confirmé le jugement de première instance. Elle a en outre condamné X.________ à verser un émolument et à payer à la partie civile, Y.________, une indemnité à titre de dépens.
B.
En résumé, la condamnation de X.________ repose sur les faits suivants:
B.a Agent d'affaire établi à Strasbourg (France), B.________ était chargé de faire fructifier un capital de USD 9 millions que lui avait remis, à titre fiduciaire, un riche citoyen allemand nommé Y.________. Il a procédé à une première opération de placement qui s'est soldée par une perte importante. Après avoir récupéré les avoirs en dollars, il les a convertis en francs suisses; la banque Z.________ a tiré sur elle-même un chèque de CHF 9'268'538 à l'ordre de la société International C.________ Limited (Dublin) (ci-après: C.________), dont B.________ était l'ayant droit.
Pour permettre à B.________ de reconstituer le capital originairement confié, X.________ l'a persuadé de procéder à un nouvel investissement, via la banque D.________, à Genève. Le 11 avril 1995, il l'a accompagné à un premier rendez-vous, où il l'a introduit auprès de E.________ et de A.________, qui se sont faussement présentés comme directeur et sous-directeur de la banque. Ces derniers ont proposé à B.________ d'entrer dans un programme d'investissement à haut rendement (4 % par semaine, pendant un an au minimum), pour un montant de USD 10 millions au minimum. Ils ont remis à B.________ la documentation de la banque portant leurs noms et ont illustré l'opération au point d'emporter sa confiance. Pour permettre l'entrée dans le programme d'investissement et rassurer B.________, X.________ a complété la contre-valeur du chèque par un investissement de sa propre société F.________, en tirant immédiatement un chèque sur sa société pour la différence entre CHF 9'268'538 et USD 10 millions.
Pour des raisons fiscales, E.________ et A.________ ont proposé à B.________ de traiter l'opération par l'intermédiaire de la banque G.________, à Andorre. En présence de X.________, A.________ a indiqué à B.________ qu'il devait se rendre à la banque G.________ le lendemain avec E.________. Il a dès lors proposé, avec son comparse, de faire ouvrir pour la société C.________ un compte auprès de la dite banque G.________. Ils ont appelé la banque pour réserver un numéro de compte et ont fait signer à B.________ une fausse carte de signature de la banque, de sorte qu'ils puissent déposer à la banque G.________ sur le compte de C.________ le chèque que ce dernier avait endossé en blanc à mi-avril 1995, à l'occasion du voyage qu'ils devaient effectuer.
En réalité, E.________ et A.________ ont encaissé ce chèque le 18 avril 1995 auprès de la banque H.________, à Lugano, sur un compte n° xxx qui portait le nom de I.________, dont le titulaire était J.________ et dont B.________ avait été indiqué comme ayant droit économique. Aucune opération d'investissement n'a été réalisée, le compte étant débité en peu de temps notamment par deux retraits en liquide de chacun deux millions de francs et un virement de 3,85 millions de francs en faveur du compte de la société K.________ Limited, appartenant à X.________.
B.b La Cour de cassation genevoise a répondu par la négative aux questions de l'escroquerie par métier et de l'escroquerie. En effet, selon elle, s'il y avait eu tromperie, celle-ci ne saurait être qualifiée d'astucieuse, vu le caractère très peu crédible du rendement promis et l'absence de toute vérification par la dupe, notamment quant à l'existence de la banque G.________ et à l'ouverture d'un compte en sa faveur ou en faveur de la société C.________ auprès de ladite banque. En revanche, la cour cantonale a considéré que les conditions de l'abus de confiance étaient réalisées, puisque que les fonds n'avaient pas été déposés sur un compte au nom de la société C.________ ou de B.________ auprès de la banque G.________ comme convenu, mais versés sur un compte bancaire à Lugano et dilapidés au bénéfice de E.________, A.________ et X.________.
C.
Contre l'arrêt cantonal, X.________ dépose un pourvoi en nullité au Tribunal fédéral. Dénonçant une violation de l'art. 138 CP, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué. En outre, il sollicite l'assistance judiciaire.
Le Ministère public genevois conclut au rejet du pourvoi.
L'intimé, Y.________, habilité à se déterminer dès lors qu'il s'est vu attribuer une indemnité à titre de dépens, conclut à l'irrecevabilité du pourvoi, pour défaut d'épuisement des voies de recours cantonales.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 138 CP. Selon lui, le chèque ne lui a pas été confié, mais a été remis à ces deux comparses; il serait dès lors un extraneus et ne pourrait être condamné comme coauteur d'un abus de confiance.
1.1 Le pourvoi en nullité au Tribunal fédéral revêt un caractère subsidiaire par rapport aux voies de recours de droit cantonal (art. 268 PPF). Il suppose donc l'épuisement préalable des instances et voies de droit cantonales permettant de faire réexaminer librement l'application du droit fédéral.
Il en découle que, si l'autorité cantonale ne peut pas examiner un moyen de droit pour des motifs de procédure cantonale et qu'elle n'entre pas en matière sur le problème de fond, il n'y a pas d'épuisement des instances cantonales sur ce point. Autrement dit, les moyens que l'autorité cantonale a déclarés irrecevables ne peuvent pas être soumis au Tribunal fédéral dans un pourvoi en nullité faute d'épuisement des instances cantonales (ATF 123 IV 42 consid. 2a p. 44 s.).
1.2 En l'espèce, la cour cantonale a certes relevé que le grief du recourant tiré de la violation de l'art. 138 CP était irrecevable. Mais, malgré cela, elle s'est prononcée sur la question et a conclu que l'autorité de première instance n'avait pas violé la loi. De plus, dans le dispositif, elle a reçu le pourvoi cantonal sans réserve. Partant, il faut en déduire que la cour cantonale est finalement entrée en matière sur le grief de violation de l'art. 138 CP, de sorte que les voies de recours cantonales sont épuisées et que le grief soulevé est recevable.
2.
2.1 Le code pénal distingue deux formes d'abus de confiance: celui qui porte sur une chose mobilière (art. 138 ch. 1 al. 1 CP) et celui qui porte sur une valeur patrimoniale (art. 138 ch. 1 al. 2 CP). En l'occurrence, c'est la première forme d'abus de confiance qui entre en considération, puisque B.________ a remis à E.________ et A.________ un chèque bancaire endossé en blanc, soit une chose mobilière, à charge pour ceux-ci d'en verser le montant sur un compte dont il était le titulaire.
L'abus de confiance suppose qu'une chose mobilière appartenant à autrui a été confiée à l'auteur. Il doit exister un rapport avec autrui (rapport de confiance) qui permet à l'auteur d'entrer en possession de la chose, mais qui détermine l'usage qu'il doit en faire. L'auteur, qui a reçu la chose pour en faire un certain usage dans l'intérêt d'autrui, s'approprie cependant cette chose, en violation de ce rapport de confiance, c'est-à-dire dispose de la chose comme si elle lui appartenait.
2.2 Selon la jurisprudence, le rapport de confiance est une circonstance personnelle spéciale au sens de l'art. 26 CP, de sorte que seul celui auquel la chose ou la valeur patrimoniale a été confiée peut être auteur ou coauteur d'un abus de confiance (ATF 98 IV 147 consid. 4 p. 150).
La doctrine dominante a précisé que, si l'abus de confiance porte sur une chose mobilière, les participants auxquels la chose n'a pas été confiée (extraneus) devront être condamnés pour appropriation illégitime. En effet, l'art. 138 ch. 1 al. 1 CP définit un délit propre mixte (unechtes Sonderdelikt), le rapport de confiance étant une circonstance personnelle aggravante par rapport à l'incrimination de base figurant à l'art. 137 CP (appropriation illégitime). Comme, selon l'art. 26 CP, les circonstances personnelles aggravantes n'ont d'effet qu'à l'égard du participant qu'elles concernent, l'extraneus ne répondra que de l'infraction de base (Niggli/Riedo, Strafgesetzbuch II, Basler Kommentar, 2003, art. 138, n. 8, 127 ss; Stratenwerth/Jenny, Schweizerisches Strafrecht, Besonderer Teil I: Straftaten gegen Individualinteressen, 6e éd., Berne 2003, § 13, n. 62; Rehberg/Schmid/Donatsch, Strafrecht III, Delikte gegen den Einzelnen, 8e éd., Berne 2003, p. 104; Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kurzkommentar, 2e éd., Zurich 1997, art. 138, n. 18; contra: Graven, L'infraction pénale punissable, Berne 1995, p. 318 ss, n. 246).
Il en va différemment, selon la doctrine dominante, de l'art. 138 ch. 1 al. 2 CP (abus de confiance portant sur des valeurs patrimoniales), qui définit un délit propre pur (echtes Sonderdelikt). Dans ce cas, l'art. 26 CP ne sera pas applicable, car le rapport de confiance est une circonstance constitutive. L'extraneus serait alors puni pour complicité ou instigation à l'abus de confiance, mais, afin d'éviter des inégalités, sa peine devrait être atténuée (Rehberg/Schmid/Donatsch, op. cit., p. 119; Stratenwerth, op. cit., § 13, n. 62). Niggli et Riedo considèrent pour leur part que l'extraneus devrait rester impuni (Niggli/Riedo, op. cit., art. 138, n. 130 et 133).
La nouvelle partie générale du code pénal résout la question, en prévoyant, à l'art. 26, que si la punissabilité est fondée ou aggravée en raison d'un devoir particulier de l'auteur, la peine est atténuée à l'égard du participant qui n'était pas tenu à ce devoir (FF 2002, p. 7665; message du 21 septembre 1998, ch. 212.63, FF 1999, p. 1818).
2.3 Comme le relève à juste titre le Ministère public genevois et comme cela ressort des faits constatés, le recourant a joué un rôle essentiel dans la mise en scène destinée à tromper B.________. Selon l'arrêt attaqué, B.________ a toutefois remis le chèque de CHF 9'268'538 endossé en blanc à A.________ et à E.________, de sorte que le rapport de confiance s'est noué entre B.________ et les deux représentants de la banque. Dans la mesure où le Ministère public genevois prétend que B.________ a confié le chèque, de manière conjointe, aux trois comparses, il s'écarte de l'état de fait cantonal. Le chèque ne lui ayant pas été remis, le recourant ne pouvait donc être puni comme coauteur d'abus de confiance.
3.
En définitive, le pourvoi doit être admis, l'arrêt attaqué doit être annulé et la cause doit être renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
Comme le recourant obtient gain de cause, il ne sera pas perçu de frais et la caisse du Tribunal fédéral lui versera une indemnité à titre de dépens (art. 278 al. 3 PPF).
L'intimé qui succombe sera condamné à une partie des frais (art. 278 al. 1 PPF). Conformément à l'art. 278 al. 2 PPF, il n'est pas réclamé de frais au Ministère public genevois.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
2.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 2'000 francs à titre de dépens.
3.
Un émolument judiciaire de 1'000 francs est mis à la charge de l'intimé Y.________.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général genevois et à la Cour de cassation du canton de Genève.
Lausanne, le 16 décembre 2005
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: