Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6S.417/2005 /viz
Arrêt du 24 mars 2006
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Kolly et Karlen.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.
Parties
X.________, recourant,
représenté par Me Patrick Stoudmann, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud, case postale, 1014 Lausanne.
A.________, intimé,
représenté par Me Luciano Giudici, avocat,
Objet
Escroquerie (art. 146 CP),
pourvoi en nullité contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois du 6 juin 2005.
Faits:
A.
Par jugement du 15 février 2005, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de La Broye et du Nord vaudois a notamment condamné X.________ pour abus de confiance, escroquerie, faux dans les titres et détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice à la peine de 14 mois d'emprisonnement. Il a en outre révoqué les sursis qui avaient été accordés au condamné le 7 novembre 2000 par le Tribunal pénal de la Gruyère ainsi que le 18 juillet 2002 par le Tribunal de police de Genève et ordonné l'exécution des peines de 6 mois et 10 jours d'emprisonnement.
B.
Les faits à l'origine de cette condamnation sont notamment les suivants.
Dans le cadre d'une affaire de commercialisation de plaquettes censées neutraliser les ondes nocives émanant des téléphones portables, X.________ a fait miroiter des gains importants à plusieurs personnes. Il a ainsi notamment obtenu des prêts de 30'000 fr. de la part de B.________, de 20'000 fr. de celle de C.________ et de 8'000 fr. de D.________. Ces sommes n'ont jamais été restituées.
En outre, X.________ s'est fait remettre 50'000 fr. par A.________ à titre de prêt en vue de la commercialisation d'un système de ceinture porte-skis. A.________ devait recouvrer ses fonds 4 jours plus tard et percevoir un bénéfice d'un franc par pièce sur une livraison qui devait porter sur 300'000 pièces. Dans ce cas non plus le remboursement n'a jamais eu lieu.
C.
Par arrêt du 6 juin 2005, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté le recours formé par X.________ contre ce jugement qu'elle a confirmé. Après avoir examiné de quelle manière X.________ était parvenu à obtenir de l'argent de ses victimes, l'autorité cantonale est arrivée à la conclusion qu'il avait agi astucieusement dans chacun des cas.
D.
X.________ se pourvoit en nullité contre cet arrêt. Il reproche à l'autorité cantonale d'avoir fait une interprétation trop large de la notion d'astuce. Selon lui, le fait que les victimes n'aient pas vérifié ses allégations, alors que les affaires proposées étaient de nature à les inciter à la prudence, implique une coresponsabilité de leur part, ce qui exclut l'astuce.
Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau. Il sollicite en outre l'effet suspensif.
E.
Se référant à son arrêt, l'autorité cantonale a déclaré n'avoir pas d'observations à formuler. Invitée à se prononcer également sur la requête d'effet suspensif, cette autorité a, par une ordonnance rendue par son président le 1er novembre 2005, suspendu l'exécution de l'arrêt attaqué jusqu'à ce que le condamné passe sous l'autorité de la juridiction fédérale.
F.
Invité à présenter des observations, le Ministère public a renoncé à se déterminer sur le pourvoi, se référant aux considérants de l'arrêt attaqué.
Pour sa part, A.________ ne s'est pas déterminé dans le délai qui lui a été imparti à cet effet.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Est seule contestée la question de savoir si le recourant a agi astucieusement au sens de l'art. 146 CP.
Il y a astuce, au sens de la jurisprudence, lorsque l'auteur recourt à des manoeuvres frauduleuses, à une mise en scène comportant des documents ou des actes ou à un échafaudage de mensonges qui se recoupent de façon si raffinée que même une victime critique se laisserait tromper (ATF 122 IV 197 consid. 3d p. 205). Il y a ainsi manoeuvre frauduleuse, par exemple, si l'auteur emploie un document faux ou fait intervenir, à l'appui de sa tromperie, un tiers participant ou manipulé (Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, n. 18 ad art. 146 CP). L'astuce sera également retenue si, en fonction des circonstances, une vérification ne pouvait pas être exigée de la dupe (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171). Cette hypothèse vise en particulier les opérations courantes, de faible valeur, pour lesquelles une vérification entraînerait des frais ou une perte de temps disproportionnée ou ne peut être exigée pour des raisons commerciales (Corboz, op. cit., n. 20 ad art. 146 CP). L'astuce sera également admise lorsque l'auteur exploite un rapport de confiance préexistant propre à dissuader la dupe d'effectuer certaines vérifications (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171; 125 IV 124 consid. 3a p. 127 s. et les arrêts cités).
L'astuce ne sera toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171; 122 IV 246 consid. 3a et les arrêts cités). Il n'est pas nécessaire qu'elle fasse preuve de la plus grande diligence et qu'elle recoure à toutes les mesures de prudence possibles (arrêt 6S.740/1997 du 18 février 1998, reproduit in SJ 1998 p. 457, consid. 2; ATF 122 IV 246 consid. 3a p. 248). L'astuce ne sera exclue que si la dupe est coresponsable du dommage parce qu'elle n'a pas observé les mesures de prudence élémentaires qui s'imposaient (ATF 128 IV 18 consid. 3a p. 20; 126 IV 165 consid. 2a p. 171; 119 IV 28 consid. 3f p. 38).
2.
En l'espèce, on ne se trouve pas en présence d'opérations courantes, de faible valeur, contexte dans lequel la jurisprudence considère que les parties en présence doivent pouvoir se faire une confiance réciproque pour ne pas entraver la marche normale des affaires, raison pour laquelle il est admis qu'agit de manière astucieuse celui qui exploite cette confiance, qui doit être protégée.
Dans les quatre cas soumis au contrôle du Tribunal fédéral, les montants remis au recourant allaient de 8'000 fr. à 50'000 fr. et devaient être restitués à très bref délai, puisque la durée du prêt oscillait entre 3 et 20 jours, avec des bénéfices énormes, dépassant dans tous le cas les 50'000 fr. et pouvant même atteindre 300'000 fr. S'agissant par ailleurs de la commercialisation de produits-miracles, dont le fonctionnement devait immanquablement soulever certains doutes, force est d'admettre que les affaires proposées par le recourant à ses victimes n'avaient rien d'usuel, tant de par la nature des produits concernés que eu égard aux montants en jeu et aux bénéfices promis, que l'autorité de première instance a qualifiés de faramineux. Une telle situation devait naturellement amener les partenaires du recourant à faire preuve d'une prudence particulière. Or à la lecture de l'arrêt attaqué il apparaît qu'aucune des dupes n'aurait entrepris la moindre démarche pour vérifier les allégations du recourant. En l'absence de toute vérification dans le contexte d'affaires aussi particulières, on ne saurait considérer que les victimes ont fait preuve de la prudence élémentaire justifiant qu'elles bénéficient de la protection pénale.
Dans l'un des cas, savoir celui où il a obtenu un prêt de A.________ en vue de la commercialisation d'une ceinture porte-skis, le recourant a fait usage d'un document faux. Il s'agit certes là d'une circonstance qui conduit en principe à considérer que l'intéressé a agi astucieusement. Toutefois, la pièce en question, qui consiste en un texte manuscrit, rédigé sur un papier portant le logo d'une grande chaîne de distribution, confirmant un entretien téléphonique et faisant état d'une livraison de 300'000 pièces sans même mentionner le produit concerné, n'était pas propre à lever les doutes d'une personne qui aurait fait preuve de la prudence élémentaire exigée par la jurisprudence.
C'est donc en violation du droit fédéral que l'autorité cantonale a considéré que les éléments constitutifs de l'escroquerie étaient réalisés dans les quatre cas soumis à l'examen du Tribunal fédéral. Le pourvoi doit dès lors être admis.
3.
Vu l'issue de la procédure, il ne sera pas perçu de frais (art. 278 al. 2 PPF) et une indemnité de 2'000 fr. sera versée au recourant.
Il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimé qui n'a pas déposé de mémoire dans la procédure devant le Tribunal fédéral.
Enfin, la cause étant ainsi tranchée, la requête d'effet suspensif est devenue sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi est admis.
2.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
3.
Il n'est pas perçu de frais.
4.
La Caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal et au Ministère public du canton de Vaud.
Lausanne, le 24 mars 2006
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: