Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4P.37/2006 /ech
Arrêt du 9 mai 2006
Ire Cour civile
Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président, Favre et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.
Parties
A.________,
Assurance B.________,
recourants, tous deux représentés par Me Philippe Zoelly,
contre
C.________,
D.________ GmbH,
E.________,
intimés, tous trois représentés par Me Karin Etter,
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
art. 9 Cst. (procédure civile),
recours de droit public contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du
16 décembre 2005.
Faits:
A.
E.________ est gérant et propriétaire de la société D.________ GmbH (ci-après: D.________), dont le siège est en Allemagne et qui est active dans le domaine de la sonorisation. Il dirige l'entreprise, qui emploie six collaborateurs et qui fait en outre appel à des auxiliaires temporaires. C.________ est une assurance sociale allemande qui couvre E.________ pour le risque accident. A.________ est le chauffeur d'un camion immatriculé en Italie, véhicule qui est assuré en responsabilité civile auprès de l'Assurance B.________ (ci-après: B.________).
En marge du Salon de l'automobile, D.________ a été chargée d'organiser la partie technique d'une soirée qui s'est tenue dans les locaux du Musée international de l'automobile le 3 mars 1997. Lors de sa préparation, E.________ a plusieurs fois emprunté une rampe d'accès située à l'intérieur du musée, destinée aux véhicules. Lors de l'un de ses passages, il a fait une chute après avoir glissé sur de l'huile qui s'était échappée du camion conduit par A.________, qui avait précédemment circulé sur la rampe en question. Il s'est blessé au bras et a été transféré en ambulance à l'hôpital, où il a subi un examen radiologique et s'est fait plâtrer le bras. Il est resté à Genève jusqu'à complète exécution de la mission confiée à D.________. Il est brièvement revenu sur place pour donner à ses collaborateurs les instructions nécessaires pour terminer le travail, nonobstant ses douleurs et le fait qu'il devait porter son bras en écharpe. Il n'a de ce fait pas pu être pleinement disponible.
E.________ allègue ensuite avoir été en incapacité de travail jusqu'au 11 juin 1997. Durant cette période, D.________ lui a payé son salaire intégral pendant un délai d'attente de six semaines, soit 37'500 DM, et du 14 avril au 9 juin 1997, C.________ lui a versé des indemnités pour perte de gain totalisant 13'440 DM.
Le 23 février 1998, D.________ et E.________ ont réclamé à B.________ le remboursement du dommage consécutif à l'accident du 3 mars 1997. Les négociations avec B.________ n'ont pas abouti et le 24 février 1999, celle-ci a déclaré renoncer à la prescription jusqu'au 31 décembre 2000.
B.
Le 10 août 2000, D.________ et E.________ ont assigné B.________ devant le Tribunal de première instance du canton de Genève en paiement de 837 fr. 05 (frais exposés à l'hôpital), 1'269,15 DM (frais médicaux exposés en Allemagne et billet d'avion pour le retour), 37'500 DM (salaire versé par D.________ pendant six semaines, non remboursé par l'assurance sociale) et 5'000 DM (réparation pour tort moral), ces sommes portant intérêt à 5 % l'an dès le 3, respectivement le 24 mars 1997.
Le 17 août 2000, C.________, agissant par subrogation de son assuré E.________, a assigné A.________ et B.________ devant la même autorité en paiement de la somme de 13'525,02 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 13 février 1998 (85,02 DM pour des médicaments et 13'440 DM d'indemnités pour perte de gain) et de 130 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 26 août 1997 (frais d'ambulance).
Par jugement du 16 juin 2005, le Tribunal de première instance, qui avait ordonné la jonction des deux procédures, a condamné A.________ et B.________, conjointement et solidairement, à verser à E.________ 1'269,15 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 23 février 1998 (ch. 1), condamné ceux-là à verser à C.________ 85,02 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 23 février 1998 (ch. 2) ainsi que 130 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le 27 juillet 1998 (ch. 3), condamné C.________ et E.________ aux dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).
Il a notamment écarté les prétentions de D.________ et C.________ en remboursement du salaire, respectivement des indemnités pour perte de gain, versés à E.________, retenant en substance que l'incapacité de travail alléguée n'était pas établie et que E.________, même s'il ne pouvait se servir de son bras, était à même de continuer à diriger sa société en déléguant au besoin certaines de ses tâches à ses collaborateurs.
Saisie par C.________, D.________ ainsi que E.________ et statuant par arrêt du 16 décembre 2005, la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé les ch. 1 à 3 du dispositif du jugement du 16 juin 2005, annulé les ch. 4 et 5 et, statuant à nouveau, condamné A.________ et B.________, conjointement et solidairement, à verser à D.________ 30'000 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 24 mars 1997 (ch. 4), à C.________ 10'752 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 13 février 1998 (ch. 5) et les trois quarts des dépens de première instance et d'appel (ch. 6), enfin débouté les parties de toutes autres conclusions.
Elle a en particulier considéré que E.________ avait échoué à prouver avoir été totalement incapable de travailler pendant la période litigieuse. Une capacité de travail totale ne pouvait toutefois être retenue. ll était en effet conforme à l'expérience générale de la vie et au cours ordinaire des choses qu'une lésion importante du bras droit, consistant in casu en la distorsion de l'épaule et du coude et la lésion du nerf médian et nécessitant le port d'un plâtre et d'une écharpe, avait pour conséquence l'impossibilité de se servir du bras droit et donc d'effectuer la majeure partie des tâches usuelles dans le cadre d'une activité professionnelle, celle-ci fût-elle limitée à du travail de bureau.
Pour apprécier le taux d'incapacité de travail présenté par E.________, il fallait tenir compte de l'activité professionnelle déployée par celui-ci, soit celle d'un dirigeant d'une petite entreprise familiale active dans un secteur technique et employant peu de collaborateurs. Par ailleurs, à teneur des témoignages recueillis, E.________ ne se contentait pas de donner des instructions et/ou d'effectuer du travail de bureau, mais participait également au montage, ce qui incluait des déplacements et le transport d'objets lourds.
En définitive, la cour cantonale a retenu qu'en raison des lésions subies à son bras droit, la capacité de travail de E.________ avait été très fortement réduite, sans être totale, ce qui conduisait à admettre un taux d'incapacité de 80 % jusqu'au 11 juin 1997. Il s'ensuivait que les conclusions de D.________ en remboursement du salaire versé pendant six semaines à E.________ étaient fondées à hauteur de 30'000 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 24 mars 1997, alors que celles de C.________ l'étaient à concurrence de 10'752 DM avec intérêt à 5 % l'an dès le 13 février 1998, étant précisé que ni la quotité du salaire ou des indemnités versées, ni les dates de départ des intérêts moratoires ne faisaient l'objet de contestations.
C.
Parallèlement à un recours en réforme, A.________ et B.________ (les recourants) interjettent un recours de droit public au Tribunal fédéral. Invoquant l'art. 9 Cst., ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué, avec suite de frais et dépens. Ils présentent en outre une demande d'effet suspensif.
C.________, D.________ et E.________ (les intimés) proposent le rejet du recours, avec suite de dépens. La cour cantonale, quant à elle, se réfère aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Conformément à la règle de l'art. 57 al. 5 OJ, il convient en l'espèce de traiter le recours de droit public avant le recours en réforme.
2.
A titre préalable, il y a lieu de souligner que la demande d'effet suspensif présentée par les recourants est sans objet, en application de l'art. 54 al. 2 OJ.
3.
3.1 Exercé en temps utile compte tenu des féries (art. 34 al. 1 let. c et 89 al. 1 OJ), dans la forme prévue par la loi (art. 90 al. 1 OJ), pour violation des droits constitutionnels des citoyens (art. 84 al. 1 let. a OJ), contre une décision finale prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), par les recourants qui sont personnellement touchés par la décision attaquée (art. 88 OJ), le recours soumis à l'examen du Tribunal fédéral est en principe recevable.
3.2 Saisi d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 26 consid. 2.1 p. 31, 258 consid. 1.3 p. 262). Il n'entre pas en matière sur les griefs insuffisamment motivés ou sur les critiques purement appellatoires. La partie recourante ne peut se contenter de critiquer la décision attaquée comme elle le ferait dans une procédure d'appel où l'autorité de recours peut revoir librement l'application du droit (ATF 128 I 295 consid. 7a). L'art. 90 al. 1 let. b OJ n'autorise pas l'auteur d'un recours de droit public à présenter sa propre version des événements (ATF 129 III 727 consid. 5.2.2). Par ailleurs, le Tribunal fédéral se fonde sur l'état de fait tel qu'il a été retenu dans l'arrêt attaqué, à moins que la partie recourante n'établisse que l'autorité cantonale a constaté les faits de manière inexacte ou incomplète en violation de la Constitution fédérale (ATF 118 Ia 20 consid. 5a).
4.
Invoquant l'art. 9 Cst., les recourants reprochent à la cour cantonale d'avoir commis arbitraire dans l'appréciation des preuves en retenant qu'en raison des lésions subies à son bras droit, la capacité de travail de E.________ avait été fortement réduite, ce qui l'a conduite à admettre un taux d'incapacité de 80 % jusqu'au 11 juin 1997.
4.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral n'annulera la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu'elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu'elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité (ATF 131 I 57 consid. 2; 129 I 8 consid. 2.1). Pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 131 I 217 consid. 2.1; 129 I 8 consid. 2.1). Il appartient à la partie recourante de démontrer, par une argumentation précise, en quoi la décision incriminée est arbitraire (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 262).
En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur le sens et la portée d'un tel élément, ou encore lorsqu'elle tire des constatations insoutenables des éléments recueillis (ATF 129 I 8 consid. 2.1; 127 I 38 consid. 2a p. 41).
4.2 Les recourants exposent premièrement que les pièces et témoignages ne permettraient pas d'établir le taux d'incapacité de travail de E.________.
Il est exact que le taux précis de 80 % ne découle pas directement de tel ou tel élément du dossier, soit en particulier des certificats médicaux dont la cour cantonale, qui en avait de toute façon nié la force probante, a expressément relevé qu'ils ne permettaient pas de déterminer clairement le taux d'incapacité de travail de E.________ pendant la période litigieuse. Dans ces circonstances, c'est à juste titre que les précédents juges ont fixé le taux en question en procédant à une appréciation des éléments en présence. C'est ainsi qu'ils ont d'une part tenu compte du fait que E.________ oeuvrait en qualité de dirigeant d'une petite entreprise familiale active dans un domaine technique et employant peu de collaborateurs, d'autre part considéré qu'à teneur des témoignages, celui-ci ne se contentait pas de donner des instructions et/ou d'effectuer du travail de bureau, mais participait également au montage, ce qui incluait des déplacements et le transport d'objets lourds. Au vu de ces éléments, ils ont retenu une capacité de travail très fortement réduite sans être totale et admis un taux d'incapacité de 80 %.
L'on ne voit pas en quoi l'appréciation de la situation ainsi faite par les juges cantonaux serait arbitraire. Les recourants ne reviennent par sur le fait que la société de E.________ est une petite structure occupant peu de personnel. Par ailleurs, sous réserve du point faisant l'objet du consid. 4.4 ci-dessous, ils n'entreprennent pas de démontrer en quoi les déclarations des témoins sur lesquelles la cour cantonale s'est fondée seraient insoutenables. Dans cette mesure, leur argumentation, qui revêt un caractère appellatoire, est impropre à démontrer l'arbitraire.
4.3 Deuxièmement, les recourants soutiennent que les témoignages et pièces ne permettaient pas de quantifier les activités que E.________ aurait été incapable de faire. En d'autres termes, aucun élément du dossier ne donnerait d'indication sur la répartition habituelle entre le travail de bureau et les activités manutentionnaires.
A cet égard, la cour cantonale a retenu qu'il était conforme à l'expérience générale de la vie et au cours ordinaire des choses qu'une lésion importante du bras droit, imposant que celui-ci soit plâtré et porté en écharpe, avait pour conséquence l'impossibilité de se servir de ce membre et donc d'effectuer la majeure partie des tâches usuelles dans le cadre d'une activité professionnelle, même limitée à du travail de bureau.
Il importait ainsi peu de savoir dans quelle proportion E.________ se consacrait à des tâches de bureau et de manutention, puisque l'état de son bras l'empêchait d'en effectuer la majorité de l'un et l'autre type. Dans ces circonstances, la critique des recourants ne saurait être accueillie.
4.4 Les recourants plaident enfin que les témoins sur les déclarations desquels la cour cantonale s'est fondée pour retenir que E.________ participait également au montage - ce qui impliquait des déplacements et le transport d'objets lourds - n'auraient été employés par celui-ci qu'avant ou après la période d'incapacité de travail alléguée et ne pouvaient par conséquent pas témoigner de la situation concrète entre le 3 mars et le 11 juin 1997.
Force est de constater que, comme il l'a admis lui-même, le témoin F.________ n'était plus très au clair sur les dates au moment de son audition. Il a en effet commencé par déclarer "je crois que j'y ai été employé de juillet 1997 à octobre 1998. Il est possible que j'ai quitté l'entreprise un peu plus tard". Il a ensuite indiqué que "si l'on m'affirme que l'accident a dû avoir lieu à Genève en mars 1997, cela me décontenance maintenant complètement. En effet, lorsque la société (...) - qui était l'entreprise où je travaillais avant - a fait faillite, j'ai changé pour aller chez Monsieur E.________. Cette société a fait faillite avant juillet 1997 et elle nous a alors licencié. Si l'accident a eu lieu en mars 1997, cela signifie que Monsieur E.________ a fait appel à nous, c'est-à-dire à l'entreprise qui a fait faillite". Le témoin F.________ a encore déclaré "Je crois en effet qu'il a eu l'accident lorsque j'étais employé fixe chez lui (réd.: E.________)". Il a enfin ajouté "je peux en tout cas vous dire que pendant la période durant laquelle j'a travaillé pour Monsieur E.________, celui-ci ne pouvait faire face à certains travaux. Il a souvent répété que je devais effectuer les montages vu qu'il n'était plus en mesure de le faire en raison de son bras blessé". En définitive, il ressort des déclarations du témoin F.________ qu'au moment de l'accident et durant la période litigieuse, celui-ci était employé de la société de E.________ ou à tout le moins en contact avec celle-ci, de sorte qu'il était en mesure de témoigner utilement sur les faits de la cause.
Quant au témoin G.________, elle a effectivement affirmé avoir été employée chez D.________ de 1990 à 1996. Il apparaît toutefois qu'après avoir passé ces quelques années au sein de cette société, elle était à l'évidence bien au courant de son fonctionnement, dont aucun élément du dossier ne porte à croire qu'elle ait changé en 1997. Les déclarations du témoin G.________ étaient donc bien de nature a établir que E.________ participait également au montage.
La cour cantonale pouvait donc sans arbitraire considérer les témoignages concernés comme pertinents et la critique des recourants tombe à faux.
4.5 Il résulte des développements qui précèdent que l'arrêt entrepris résiste au grief d'arbitraire. Le recours ne peut donc qu'être rejeté.
5.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens seront mis à la charge des recourants, solidairement entre eux (art. 156 al. 1 et 7 ainsi que 159 al. 1 et 5 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge des recourants, solidairement entre eux.
3.
Les recourants, débiteurs solidaires, verseront aux intimés, créanciers solidaires, une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 9 mai 2006
Au nom de la Ire Cour civile
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: