Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6A.32/2006 /rod
Arrêt du 28 mai 2006
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Kolly.
Greffier: M. Oulevey.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Patrick Stoudmann, avocat,
contre
Commission de libération du canton de Vaud,
p.a. Service pénitentiaire, rue Cité-Devant 14,
1014 Lausanne,
Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud, rte du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
Refus de différer l'expulsion à titre d'essai,
recours de droit administratif contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 12 avril 2006.
Faits:
A.
X.________, né au Kosovo en 1963, est arrivé en Suisse en 1987 en qualité de travailleur saisonnier. Le 15 octobre 1990, le Tribunal d'instruction pénale du Valais central l'a condamné pour infraction à la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers et violation des règles de la circulation à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et à trois ans d'expulsion ferme. Le 13 janvier 1992, le Tribunal correctionnel du district d'Aigle l'a condamné pour vol en bande et par métier, rupture de ban et faux dans les certificats, à quinze mois d'emprisonnement sous déduction de deux cent septante-deux jours de détention préventive et l'a expulsé du territoire suisse pour sept ans.
En 1994, X.________ s'est vu signifier une décision d'interdiction de séjour pour une durée indéterminée. L'année suivante, il a déposé une demande d'asile, qui a été rejetée, puis il a continué de demeurer illégalement en Suisse. Il a ensuite séjourné en Allemagne, où le Tribunal d'Augsbourg l'a condamné le 5 septembre 1998 à six mois d'emprisonnement avec sursis pendant trois ans. Il est revenu en Suisse en 1999.
Il a été arrêté en Italie le 5 mars 2005 et extradé vers la Suisse.
B.
Par jugement du 15 août 2005, confirmé par la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois le 20 septembre 2005, X.________ a été condamné pour vol en bande et par métier à deux ans d'emprisonnement, sous déduction de soixante-trois jours de détention préventive, et à dix ans d'expulsion du territoire suisse.
Le 6 mars 2006, constatant qu'il aurait purgé les deux tiers de sa peine le 27 mars 2006, la Commission de libération du canton de Vaud lui a accordé la libération conditionnelle, mais elle a refusé de différer son expulsion à titre d'essai (art. 55 al. 2 CP) et dit que la libération n'interviendrait qu'au moment où l'expulsion pourrait être exécutée.
Par arrêt du 12 avril 2006, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a, sur recours de l'intéressé, confirmé le refus de différer l'expulsion à titre d'essai. Elle a considéré que, faisant l'objet d'une expulsion pénale ferme, X.________ ne pourrait obtenir une autorisation d'établissement au titre de l'art. 7 al. 1 LSEE. Elle a aussi retenu que l'employeur de X.________, qui avait écrit sur un certificat de travail intermédiaire du 27 janvier 2006 que celui-ci avait quitté l'entreprise au début de l'année 2005 "pour prendre une année sabbatique", n'était visiblement pas au courant de l'activité délictuelle de l'intéressé et qu'il n'était dès lors pas certain qu'il voudrait continuer à l'employer une fois qu'il connaîtrait la vérité. Enfin, la cour cantonale a estimé que, si X.________ n'avait pas de projet au Kosovo, c'est parce qu'il s'était volontairement abstenu d'en faire, lors même qu'il avait dans cette province, grâce à sa formation de mécanicien, un éventail de possibilités au moins comparable au poste de nettoyeur qu'il convoite en Suisse. Il s'ensuivait que X.________ ne pourrait pas vivre légalement en Suisse, ni s'y procurer légalement un revenu et que le risque de récidive y était dès lors important. De l'avis de la cour cantonale, la commission de libération n'avait dès lors pas abusé de son pouvoir d'appréciation en refusant de différer l'expulsion à titre d'essai (arrêt attaqué, consid. 3b p. 8 ss).
C.
X.________ interjette un recours de droit administratif contre cet arrêt, dont il demande, principalement, la réforme en ce sens que son expulsion soit différée à titre d'essai et, subsidiairement, l'annulation avec renvoi de la cause à l'autorité cantonale. Il invoque une violation de l'art. 55 al. 2 CP.
Il requiert en outre d'être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire.
Par ordonnance du 4 mai 2006, le président de la cour de céans a attribué l'effet suspensif au recours.
Invitée à se déterminer, la cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Le refus de différer l'expulsion à titre d'essai lors de l'octroi de la libération conditionnelle constitue une décision d'application des peines et mesures que le code pénal ne réserve pas au juge. Prononcé ou confirmé en dernière instance cantonale, il peut dès lors être attaqué par la voie du recours de droit administratif (cf. ATF 124 I 231 consid. 1 a/aa p. 233; 122 IV 8 consid. 1a et les arrêts cités, 114 IV 95 ss; Bernard Corboz, Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation du Tribunal fédéral, SJ 1991 p. 57 ss, 62).
1.2 Le recours de droit administratif peut être formé pour violation du droit fédéral, y compris l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 104 let. a OJ). Le Tribunal fédéral n'est pas lié par les motifs invoqués, mais il ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 114 al. 1 OJ). En revanche, lorsque, comme en l'espèce, le recours est dirigé contre la décision d'une autorité judiciaire, il est lié par les faits constatés dans la décision attaquée, sauf s'ils sont manifestement inexacts ou incomplets ou s'ils ont été établis au mépris de règles essentielles de la procédure ( art. 104 let. b et 105 al. 2 OJ ). Ainsi, le Tribunal fédéral dispose en quelque sorte, sur les questions de fait, d'un pouvoir d'examen limité à l'arbitraire (cf. Peter Karlen, Verwaltungsgerichtsbeschwerde, in: Prozessieren vor Bundesgericht, Thomas Geiser/Peter Münch [éditeurs], 2ème éd., n. 3.61, p. 110 s.; cf. aussi ATF 126 II 522 consid. 3b/bb p. 535; 125 II 217 consid. 3a p. 221). La prise en compte d'un fait nouveau est en principe exclue (ATF 125 II 217 consid. 3a p. 221).
2.
Le recourant se plaint que la cour cantonale ait omis de constater qu'il s'est marié avec une Suissesse le 27 janvier 2006, alors que ce fait est établi par les pièces versées au dossier. Il fait valoir que ses liens familiaux sont dès lors plus étroits en Suisse, avec son épouse, qu'au Kosovo. Par ailleurs, il allègue que son employeur sait qu'il purge actuellement une peine d'emprisonnement et que c'est en toute connaissance de cause qu'il s'est dit prêt à continuer de l'employer. Il invoque diverses pièces du dossier pour établir ce fait. Dans ces conditions, le recourant soutient que ses chances d'obtenir une autorisation de séjour au titre de l'art. 7 al. 1 LSEE ne sont pas nulles si son expulsion est différée à titre d'essai. Ses perspectives de réinsertion seraient dès lors bien meilleures en Suisse qu'au Kosovo, où l'on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir, d'ici, trouvé un emploi. Les autorités cantonales auraient dès lors abusé de leur pouvoir d'appréciation en refusant de différer son expulsion à titre d'essai.
2.1 Il est exact que la cour cantonale n'a pas expressément indiqué si le recourant est, ou non, marié à une Suissesse. Elle a seulement rapporté que l'intéressé avait allégué avoir épousé une ressortissante suisse le 27 janvier 2006 (arrêt attaqué, consid. 3 p. 7) puis, sans dire si elle admettait ou non l'existence de ce mariage, elle a rejeté les conséquences que le recourant voulait en déduire au motif que son raisonnement n'était de toute façon pas fondé en droit (arrêt attaqué, consid. 3b p. 9). Dans ces conditions, le Tribunal fédéral peut se référer aux pièces du dossier et statuer lui-même sur ce point de fait, conformément à l'art. 105 al. 2 OJ.
Or, il ressort d'une attestation du 15 mars 2006 versée au dossier (pièce 8 du bordereau du 21 mars 2006) que le recourant a bien épousé une Suissesse le 27 janvier 2006.
2.2 La cour cantonale a considéré que l'employeur du recourant n'était pas au courant de l'activité délictuelle de celui-ci et qu'il n'était dès lors pas certain qu'il soit disposé à le garder à son service une fois qu'il connaîtra la vérité. Elle a aussi constaté que le contrat de travail signé par le recourant et son employeur, daté du 12 septembre 2005, prévoyait un début d'activité fixé d'abord au mois de novembre 2005, reporté ensuite au 25 mars 2006. Comme aucune de ces dates n'avait pu être respectée, la cour cantonale a jugé qu'il y avait tout lieu de douter, pour cette raison également, que l'employeur accepte toujours de prendre le recourant à son service lorsque celui-ci sortirait de prison (arrêt attaqué, consid. 3b p. 9).
Cependant, comme le fait valoir à bon droit le recourant, les pièces versées au dossier de la cour cantonale (pièce 4, p. 6 et pièce 5 du bordereau du 21 mars 2006) établissent que l'employeur a témoigné à l'audience de jugement du 15 août 2005. L'employeur était donc manifestement informé de la situation quand il a signé le contrat de travail du 12 septembre 2005 et il semble qu'il soit désireux d'aider le recourant dans ses démêlés avec la justice pénale. Les doutes émis par la cour cantonale sur la réalité de l'emploi du recourant reposent dès lors sur des constatations de fait manifestement inexactes et ne lient dès lors pas le Tribunal fédéral (art. 105 al. 2 OJ).
3.
3.1
Selon l'art. 55 al. 2 CP, l'autorité compétente décidera si, et à quelles conditions, l'expulsion du condamné libéré conditionnellement doit être différée à titre d'essai.
D'après la jurisprudence, il est déterminant, pour décider si l'expulsion doit ou non être différée, de savoir si les chances de resocialisation du délinquant sont plus grandes en Suisse ou à l'étranger (ATF 122 IV 56 consid. 3a p. 59, 116 IV 283 consid. 2a p. 285 et les arrêts cités). Les chances de réinsertion sociale doivent être appréciées en fonction de la situation personnelle du libéré, de ses relations avec la Suisse et avec l'étranger, de sa situation de famille et de ses possibilités de travail. Il faut se fonder sur ses conditions de vie futures, telles qu'elles apparaissent vraisemblables (ATF 116 IV 283 consid. 2a p. 285, 104 Ib 152 consid. 2a p. 154 s., 330 consid. 2 p. 331 s.). Dans l'appréciation des perspectives de resocialisation, il faut également prendre en considération l'accès aux soins médicaux (RJJ 2000 p. 303). A ce stade, la protection de la sécurité publique ne joue plus de rôle (ATF 116 IV 283 consid. 2e p. 287).
Pour prendre sa décision, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation. Le Tribunal fédéral ne peut annuler la décision attaquée, en considérant le droit fédéral comme violé, que si l'autorité cantonale ne s'est pas fondée sur les critères juridiques pertinents, si elle a excédé son pouvoir d'appréciation ou si elle en a abusé (ATF 116 IV 283 consid. 2a p. 285).
3.2 D'après la jurisprudence, les considérations relevant des autorités suisses de police des étrangers ne doivent jouer aucun rôle pour déterminer s'il y a lieu de différer l'expulsion à titre d'essai (ATF 103 Ib 23 consid. 2 p. 26; 104 Ib 152 consid. 3 p. 156; Béatrice Keller, Commentaire bâlois, n. 44 ad art. 55 CP; Günter Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil II, § 6 n. 47; Stefan Trechsel, Kurzkommentar, n. 8 ad art. 55 CP). Pour décider si l'expulsion doit ou non être différée, il importe uniquement de savoir si les chances de resocialisation du détenu sont plus grandes dans l'hypothèse où il resterait en Suisse que dans celle où il repartirait pour l'étranger. Les considérations de police des étrangers qui pourraient faire obstacle à une prolongation du séjour de l'intéressé en Suisse sont réservées (ATF 122 IV 56 consid. 3a p. 59; 116 IV 283 consid. 2a p. 285). Dans ces conditions, l'autorité de libération conditionnelle n'a pas à anticiper la décision de la police des étrangers, laquelle n'est aucunement liée par la décision de différer l'expulsion à titre d'essai (Andreas Zünd, Der Dualismus von strafrechtlicher Landesverweisung und fremdpolizeilichen Massnahmen, RJB 1993 p. 73 ss).
En l'espèce, la commission de libération a refusé de différer l'expulsion à titre d'essai principalement au motif que le recourant ne pourrait pas, en raison de l'interdiction d'entrée en Suisse qui lui a été signifiée pour une durée indéterminée, vivre et travailler légalement en Suisse (arrêt attaqué, consid. 3b p. 8). Quant à la cour cantonale, elle a jugé infondés en droit les arguments que le recourant a développés pour accréditer la thèse qu'il pourrait néanmoins obtenir une autorisation de séjour (arrêt attaqué, consid. 3b p. 9). Pour cette raison notamment, elle a considéré que l'autorité de première instance n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation (arrêt attaqué, consid. 3b p. 10). Elle a ainsi considéré, elle aussi, que l'expulsion ne pouvait être différée à titre d'essai parce qu'une resocialisation en Suisse était exclue faute, pour le recourant, de pouvoir obtenir une autorisation de séjour. Les autorités cantonales ont donc fondé leurs décisions sur un élément sans pertinence pour l'application de l'art. 55 al. 2 CP.
3.3 Pour le surplus, la cour cantonale a confirmé le refus de différer l'expulsion à titre d'essai en raison, d'une part, des doutes qu'elle éprouvait sur les perspectives de travail du recourant à sa sortie de prison et au motif, d'autre part, que le recourant aurait au Kosovo, grâce à sa formation de mécanicien, un éventail de possibilités d'emploi au moins comparable au poste de nettoyeur qu'il convoite en Suisse (arrêt attaqué, consid. 3b p. 9).
Le premier de ces motifs repose sur des constatations de fait inexactes (cf. supra consid. 2.2). Quant au second, il ne permet pas à lui seul de prévoir que le recourant pourra se réintégrer aussi bien au Kosovo, ou dans un Etat tiers, qu'en Suisse.
Il convient dès lors d'admettre le recours, d'annuler l'arrêt entrepris et de renvoyer la cause à la cour cantonale. Celle-ci recherchera notamment si le recourant a de la famille et la possibilité de gagner sa vie au Kosovo ou dans un Etat tiers. Elle recherchera également si le recourant et son épouse ont déjà vécu ensemble - ce qui ne semble pas ressortir de l'attestation versée au dossier -, s'ils ont accepté, au moment de se marier, la possibilité de se créer éventuellement un domicile conjugal à l'étranger ou si l'on peut, pour toute autre raison, exiger de l'épouse qu'elle suive son mari à l'étranger. Elle pourra encore prendre toutes autres mesures d'instruction qu'elle jugera utiles, puis statuera à nouveau.
4.
Lorsque, comme en l'espèce, il admet un recours dirigé contre une décision de la Confédération, d'un canton ou d'une commune dont les intérêts pécuniaires ne sont pas en jeu, le Tribunal fédéral doit rendre son arrêt sans frais (art. 156 al. 2 OJ). Le canton de Vaud, qui succombe, versera au recourant une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 2 OJ). Dès lors, la requête d'assistance judiciaire n'a plus d'objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis, l'arrêt entrepris annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour complément d'instruction et nouveau jugement.
2.
Il n'est pas prélevé d'émolument judiciaire.
3.
Le canton de Vaud versera au recourant une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
4.
La requête d'assistance judiciaire du recourant n'a plus d'objet.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire du recourant, à la Commission de libération du canton de Vaud, à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud et au Département fédéral de justice et police.
Lausanne, le 28 mai 2006
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: