BGer 1P.36/2006 |
BGer 1P.36/2006 vom 13.06.2006 |
Tribunale federale
|
{T 0/2}
|
1P.36/2006 /col
|
Arrêt du 13 juin 2006
|
Ire Cour de droit public
|
Composition
|
MM. les Juges Féraud, Président,
|
Nay et Fonjallaz.
|
Greffière: Mme Angéloz.
|
Parties
|
A.________,
|
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat,
|
contre
|
B.________,
|
intimée, représentée par Me Lorella Bertani, avocate,
|
Procureur général du canton de Genève,
|
case postale 3565, 1211 Genève 3,
|
Cour de cassation du canton de Genève,
|
case postale 3108, 1211 Genève 3.
|
Objet
|
procédure pénale,
|
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 30 novembre 2005.
|
Faits:
|
A.
|
Statuant le 15 octobre 2004 sur recours du Procureur général et de la partie civile, B.________, la Cour de cassation du canton de Genève a annulé un arrêt de la Cour d'assises du 30 avril 2004, qui condamnait A.________, pour actes d'ordre sexuel avec une enfant et abus de détresse, à 3 ans d'emprisonnement, l'acquittant des chefs d'accusation de viols et de contraintes sexuelles.
|
Par arrêt du 15 juin 2005, la Cour d'assises, dans une nouvelle composition, a condamné A.________, pour actes d'ordre sexuel avec une enfant, contraintes sexuelles et viols, à 5 ans de réclusion. Saisie d'un pourvoi de l'accusé, la Cour de cassation genevoise l'a écarté par arrêt du 30 novembre 2005.
|
B.
|
Ce dernier arrêt retient, en résumé, ce qui suit.
|
B.a Aînée de quatre enfants d'une famille pauvre d'un village agricole du Portugal, B.________, alors âgée de 15 ans, a été recrutée, avec l'accord de ses parents qui avaient de la peine à nourrir la famille, par A.________ et son épouse. C'est ainsi qu'elle est arrivée en 1998 à Genève, où étaient installés les époux A.________, pour s'occuper de leur fils de 2 ans et comme "bonne à tout faire", après avoir occupé, dès l'âge de 13 ans, un même emploi à Zurich. Vivant avec la famille A.________, issue d'un milieu similaire au sien, dans la précarité et la promiscuité, elle travaillait toute la journée, fréquemment le soir et parfois le dimanche, son salaire mensuel de 600 fr. étant envoyé au Portugal. C'est dans ce contexte que, dès le deuxième jour de son arrivée, elle a été pénétrée vaginalement et sans préliminaires par l'accusé. Dès lors et pendant quelque trois ans, l'accusé, de 40 ans son aîné, a commis à de multiples reprises - au moins une à deux fois par semaine - des abus sexuels sur la jeune fille, en général durant la pause de midi alors que son épouse était absente, lui infligeant, sans ménagement, des viols, des sodomisations et des fellations.
|
B.b L'accusé n'a pas contesté les actes sexuels comme tels, mais a nié les avoir imposés par la contrainte, soutenant que la victime était non seulement consentante, mais l'exclusive demanderesse de ces actes, qui la contentaient. Il en voulait notamment pour preuve qu'elle lui aurait écrit des messages d'amour et des poèmes, une trentaine en deux mois, qu'elle lui lisait. Selon lui, la victime l'attendait, lors de la pause de midi, nue sur le lit du logement. Celle-ci lui aurait même confié avoir eu le projet de prendre la place de l'épouse dans le couple et avoir, à cette fin, pris l'initiative de sodomisations et fellations que dame A.________ ne pratiquait pas. Quant au témoin, qui, en l'absence de l'épouse, avait entendu pleurer et gémir la victime dans le logement pendant que l'accusé riait, il avait menti.
|
B.c De son côté, la victime a soutenu s'être opposée, verbalement et physiquement, aux agissements de l'accusé, auxquels elle n'avait jamais consenti. L'accusé passait outre à ses refus et usait de sa force physique. Il menaçait de la renvoyer au Portugal si elle parlait, ce qui était pour elle inenvisageable au vu du contexte familial (sa famille était pauvre, sa mère gravement malade et son père, très sévère avec sa progéniture et porté sur l'alcool, n'avait pas de travail fixe) et social (une femme de son village avait été rejetée par tous, après avoir été abusée sexuellement).
|
B.d Il a été constaté que la victime, d'un caractère timide, craintif et effacé, présentait un quotient intellectuel très bas et un léger retard mental. N'ayant été scolarisée que durant 4 ans au total, elle était illettrée, même si elle parvenait à écrire quelques mots en portugais. En Suisse, elle s'était retrouvée, très jeune, dans une situation de dépaysement et d'isolement. La perspective d'un renvoi au Portugal l'avait effrayée, voire terrorisée.
|
Il a également été relevé que la victime avait été soumise à une expertise de crédibilité, effectuée par le Dr Will, médecin-psychiatre, qui avait notamment conclu que les déclarations de l'expertisée selon lesquelles elle n'était pas consentante étaient fortement crédibles et que celles qu'elle avait faites à certains moments en sens contraire étaient peu crédibles. Les résultats de cette expertise étaient confortés par l'avis médical du Dr Subilia, chef de clinique aux Hopitaux universitaires de Genève, spécialisé dans la prise en charge des victimes d'actes de violence. Ce médecin avait en outre, le jour de la découverte des faits et lors de consultations ultérieures, constaté chez la victime des symptômes typiques des personnes victimes d'abus sexuels. Ce même médecin, se fondant sur sa grande expérience en la matière, avait par ailleurs déclaré être certain de ne pas avoir été manipulé par la victime et que cette dernière lui avait dit la vérité.
|
Il a encore été observé que deux témoignages recueillis venaient étayer les dires de la victime. L'un donnait une description de la personnalité de celle-ci contredisant manifestement celle d'une personne avide de sexe telle que présentée par l'accusé. L'autre faisait état de pleurs et de gémissements de la victime, en provenance du logement de l'accusé, et simultanément de rires de ce dernier, lorsque dame A.________ était absente.
|
B.e Après exposé et discussion des thèses contradictoires des parties, la Cour d'assises, sur la base des éléments qui lui étaient soumis, notamment des avis médicaux, s'est dite convaincue de la crédibilité des dires de la victime et de la culpabilité de l'accusé.
|
La cour de cassation cantonale a estimé que, sur les points contestés devant elle, le grief de défaut de motivation était infondé. Non sans en relever le caractère appellatoire, elle a écarté les griefs d'arbitraire et de violation de la présomption d'innocence. Elle a au surplus rejeté un grief pris de la violation de la loi pénale.
|
C.
|
A.________ forme un recours de droit public au Tribunal fédéral. Se plaignant d'une violation de son droit d'être entendu, d'arbitraire et d'une violation de la présomption d'innocence, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué.
|
L'intimée conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable, en sollicitant l'assistance judiciaire. Le Procureur général conclut à la confirmation de l'arrêt attaqué. L'autorité cantonale se réfère à son arrêt.
|
Le Tribunal fédéral considère en droit:
|
1.
|
Saisi d'un recours d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral ne peut examiner que les griefs d'ordre constitutionnel invoqués et suffisamment motivés dans l'acte de recours (cf. art. 90 al. 1 let. b OJ; ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120, 185 consid. 1.6 p. 189). Sous peine d'irrecevabilité, le recourant doit donc non seulement indiquer quels droits constitutionnels auraient, selon lui, été violés, mais démontrer, pour chacun d'eux, en quoi consiste cette violation.
|
2.
|
Le recourant indique vouloir se plaindre d'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., dans l'appréciation des preuves, respectivement dans l'établissement des faits, d'une violation de la présomption d'innocence, garantie par les art. 6 ch. 2 CEDH et 32 al. 1 Cst., et d'une violation de son droit à une décision motivée découlant du droit d'être entendu, consacré par l'art. 29 al. 2 Cst.
|
A cette fin, il rappelle préalablement la notion d'arbitraire, le contenu du principe "in dubio pro reo" découlant de la présomption d'innocence en tant que règle de l'appréciation des preuves, le pouvoir d'examen du juge quant à l'appréciation d'une expertise ainsi que la jurisprudence relative à l'obligation du juge de motiver ses décisions. Sous l'intitulé "le cas d'espèce" et sur une dizaine de pages environ, il se lance ensuite dans une critique destinée à étayer ses griefs, sans opérer de distinction claire entre ceux-ci, laissant au Tribunal fédéral le soin de les trier et de discerner lui-même de quoi il entend au juste se plaindre sur les points qu'il remet en cause. A cet égard, l'intimée relève, non sans raison, dans sa réponse au recours, sa difficulté à distinguer à quels griefs se réfèrent les arguments de son adverse partie, donc en définitive, à répondre à ceux-ci.
|
Au vu d'une telle motivation, présentée dans un mémoire rédigé avec l'assistance d'un avocat, et de la jurisprudence, bien établie, relative aux exigences minimales de motivation découlant de l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. supra, consid. 1), il s'impose manifestement de rappeler ici qu'il n'incombe pas au Tribunal fédéral, saisi d'un recours de droit public, de rechercher lui-même dans un mémoire quels griefs entend soulever le recourant sur les différents points qu'il critique et en quoi l'autorité cantonale aurait violé les droits de rang constitutionnel qu'il cite globalement en préambule.
|
3.
|
Le recourant, autant que sa motivation permette de le discerner, entend se plaindre sur deux points d'un défaut de motivation de l'arrêt attaqué. D'une part, l'autorité cantonale n'aurait pas pris position sur des critiques qu'il aurait formulées quant à un passage de l'arrêt de la Cour d'assises qu'il cite aux pages 6 in fine et 7 in limine de son recours, relatif à une conversation téléphonique du 6 septembre 2001 entre lui et l'intimée. D'autre part, l'autorité cantonale serait restée muette sur le véritable fondement de l'expertise.
|
Ainsi formulés, ces griefs reviennent plutôt à se plaindre d'un déni de justice, au motif que l'autorité cantonale ne se serait aucunement prononcée sur les questions litigieuses. Le recourant ne le démontre toutefois nullement. Plus est, s'agissant du premier grief, après avoir affirmé que la cour de cassation cantonale ne se serait pas prononcée sur ses critiques relatives au passage qu'il cite, le recourant lui reproche d'avoir suivi le raisonnement de la Cour d'assises sur ce point, par quoi il admet lui-même qu'elle a pris position sur la question litigieuse, sans, pour le surplus, exposer, conformément aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, en quoi elle l'aurait fait de manière insuffisante. En réalité, le recourant s'en prend à la manière dont les juges cantonaux ont apprécié le contenu de la conversation téléphonique du 6 septembre 2001. Il n'en va pas différemment du second grief du recourant, relatif au "véritable fondement de l'expertise"; de fait, c'est l'appréciation de ce moyen de preuve qui est critiquée par le recourant. En définitive, les deux griefs se confondent donc avec celui d'appréciation arbitraire des preuves, respectivement de violation du principe "in dubio pro reo", également soulevés en rapport avec les deux points contestés et qui seront examinés ci-après (cf. infra, consid. 4).
|
Au reste, que, sur des questions précises, qui lui auraient été soumises, l'autorité cantonale ne se serait pas prononcée ou, du moins, pas de manière suffisante pour que le recourant puisse comprendre la décision attaquée sur ces points et la critiquer utilement dans un recours (cf. ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 97 consid. 2b p. 102) n'apparaît pas allégué et n'est en tout cas pas démontré conformément aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 2 let. b OJ. Il s'ensuit l'irrecevabilité du grief de violation du droit à une motivation suffisante découlant du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.
|
4.
|
Le recourant se plaint d'arbitraire dans l'appréciation des preuves, respectivement dans l'établissement des faits, ainsi que d'une violation du principe "in dubio pro reo" découlant de la présomption d'innocence en tant que règle de l'appréciation des preuves. Ces griefs portent sur les mêmes points que ceux examinés au considérant précédent, soit la conversation téléphonique du 6 septembre 2001 et l'expertise de crédibilité; c'est du moins ce que l'on en est réduit à déduire de la motivation présentée.
|
4.1 La notion d'arbitraire a été rappelée dans divers arrêts récents, auxquels on peut donc se référer. En bref, il ne suffit pas, pour qu'il y ait arbitraire, que la décision attaquée apparaisse discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais dans son résultat (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9, 173 consid. 3.1 p. 178; 128 I 177 consid. 2.1 p. 182, 273 consid. 2.1 p. 275 et les arrêts cités).
|
Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe "in dubio reo" implique que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41). Le Tribunal fédéral, dont la cognition quant aux faits et à l'appréciation des preuves est limitée à l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41), examine librement si, au vu du résultat d'une appréciation non arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé, avec une certaine retenue toutefois, le juge du fait, en vertu du principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf. arrêt non publié 1P.454/2005 consid. 2.1 et les arrêts cités).
|
4.2 Les griefs du recourant visent en définitive à faire admettre que c'est en violation des droits de rang constitutionnel ici invoqués que les juges cantonaux auraient accordé foi aux déclarations de la victime, plutôt qu'aux siennes, quant au consentement de celle-ci aux actes sexuels reprochés.
|
Pour juger de la crédibilité des dires de la victime, les juges cantonaux se sont notamment fondés sur l'expertise de crédibilité établie par le Dr Will, mais aussi sur l'avis médical du Dr Subilia et les constats qu'il a été amené à effectuer lors de plusieurs consultations, sur des témoignages ainsi que sur la vraisemblance des versions et explications fournies par chacune des parties. En pareil cas, c'est-à-dire lorsque l'autorité cantonale forge sa conviction sur la base d'un ensemble d'indices ou éléments de preuves, c'est leur appréciation globale qui prévaut et la question est de savoir si cette appréciation globale et le résultat auquel elle a conduit doivent être qualifiés d'arbitraires, c'est-à-dire considérés non seulement comme critiquables ou discutables mais comme manifestement insoutenables. A cet égard, il ne suffit pas que le recourant se livre à une rediscussion de chaque élément ou argument ou de l'un ou l'autre de ceux-ci, en prétendant que, sauf arbitraire, il ne pouvait être apprécié ou interprété autrement que dans le sens favorable à sa thèse. Un tel procédé se réduit à une critique appellatoire, dont la jurisprudence a constamment souligné qu'elle n'est pas à même de faire admettre l'arbitraire de la décision attaquée.
|
En l'espèce, l'argumentation du recourant se réduit à une pure critique appellatoire. S'agissant de la conversation téléphonique du 6 septembre 2001, il se borne à proposer, sur la base de quelques phrases extraites de leur contexte, sa propre appréciation d'une déclaration de la victime, sans aucunement établir en quoi il était manifestement insoutenable de la comprendre et de l'interpréter comme l'ont fait les juges cantonaux. Il ne procède pas différemment en ce qui concerne l'appréciation de l'expertise, qu'il entreprend de rediscuter en substituant sa propre analyse à celle de l'expert, dans ce qui se résume en définitive à une plaidoirie écrite adressée à une juridiction d'appel. Que, sur la base de l'ensemble des éléments de preuve soumis aux juges cantonaux, il était manifestement insoutenable ou, autrement dit, absolument inadmissible, d'accorder crédit à la version de la victime, n'est en aucune manière démontré conformément aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ. La critique du recourant se limite d'ailleurs largement, si ce n'est exclusivement, à l'expertise, qui, bien qu'essentielle, n'est pas le seul élément de preuve sur lequel se sont basés les juges cantonaux, qui se sont aussi fondés sur les autres éléments susmentionnés, venant confirmer l'expertise.
|
Au reste, que, sur le vu du résultat de l'appréciation des preuves, dont l'arbitraire n'a pas été démontré, les juges cantonaux auraient dû éprouver un doute sérieux et insurmontable quant à la culpabilité du recourant n'est pas établi ni même réellement allégué par ce dernier.
|
5.
|
L'ensemble des griefs soulevés, donc le recours de droit public, est ainsi irrecevable.
|
Le recourant, qui succombe, supportera les frais (art. 156 al. 1 OJ) et une indemnité de dépens sera allouée à l'intimée, à la charge du recourant (art. 159 OJ). La requête d'assistance judiciaire de l'intimée devient dès lors sans objet.
|
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
|
1.
|
Le recours est déclaré irrecevable.
|
2.
|
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du recourant.
|
3.
|
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée à l'intimée, à la charge du recourant.
|
4.
|
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties ainsi qu'au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.
|
Lausanne, le 13 juin 2006
|
Au nom de la Ire Cour de droit public
|
du Tribunal fédéral suisse
|
Le président: La greffière:
|