Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
2P.120/2006 /svc
Arrêt du 15 décembre 2006
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Betschart, Wurzburger, Müller et Yersin.
Greffier: M. Dubey.
Parties
A.________ SA,
recourante, représentée par Me Christoph Leuch, avocat,
contre
Service des contributions du canton de Neuchâtel, case postale 69, 2301 La Chaux-de-Fonds,
Intendance des impôts du canton de Berne, Münstergasse 3, 3011 Berne.
Objet
domicile fiscal, perte de répartition, art. 127 al. 3 Cst.
recours de droit public contre la décision du 3 avril 2006.
Faits :
A.
A.________ SA, dont le siège statutaire est passé de X.________ (BL) à Y.________ (NE) depuis le 6 novembre 2001, est une société immobilière qui a pour but la planification et la projection d'hôtels et d'entreprises selon des principes écologiques. Ses actifs sont principalement constitués d'immeubles sis à Y.________(NE), à Z.________, à W.________ et à U.________ (BE) ainsi qu'à T.________(SO). Ses revenus proviennent des rendements locatifs de ses immeubles. Son bénéfice net global s'est élevé à 2'157 fr. 55 pour 2002 et à 2'989 fr. pour 2003.
B.
L'Intendance des impôts du canton de Berne a taxé A.________ SA pour les périodes fiscales 2002 et 2003 en considérant que son domicile fiscal principal se situait dans le canton de Neuchâtel. Il semble qu'elle ait procédé à la répartition des intérêts passifs en proportion de l'ensemble des actifs localisés, conformément aux répartitions intercantonales proposées par l'intéressée (pour 2002, BE: 47,974%, NE: 47,936% et SO: 4,09%; pour 2003, BE: 46,838%, NE: 49,239% et SO: 3,923%).
C.
Par décisions de taxation notifiées le 22 novembre 2005, le Service cantonal des contributions du canton de Neuchâtel a taxé A.________ SA sur le bénéfice provenant de l'immeuble sis à Y.________. A cet effet, elle a procédé à la répartition des intérêts passifs en proportion des actifs localisés de l'intéressée. A la différence de la répartition effectuée par celle-ci et, semble-t-il, reprise par l'Intendance des impôts du canton de Berne, le Service cantonal des contributions du canton de Neuchâtel a localisé les actifs circulants dans les autres cantons, de sorte que la proportion des actifs localisés sur son territoire déterminante pour la répartition des intérêts passifs s'élevaient à 38,07% pour 2002 et 37,55% pour 2003.
Le 23 décembre 2005, A.________ SA a interjeté une réclamation contre les taxations notifiées le 22 novembre 2005 pour les périodes fiscales 2002 et 2003 par le Service des contributions du canton de Neuchâtel. Elle demandait que Y.________ soit reconnu comme domicile fiscal principal de la société, que "des intérêts de la dette d'un montant de 1'209'751 fr. 51 au total pour 2002 et de 1'118'987 fr. 20 pour 2003 soient déplacés selon la situation des actifs et que des charges d'un montant de 19'300 fr. pour 2002 et de 19'700 fr. pour 2003, directement liées à l'immeuble sis à Y.________, soient prises en compte".
D.
Par décision du 3 avril 2006, le Service des contributions du canton de Neuchâtel a partiellement admis la réclamation s'agissant des charges liées à l'immeuble à Y.________. Il a en revanche considéré comme fictif le siège statutaire de la société à Y.________. L'immeuble à Y.________ étant largement bénéficiaire par rapport aux immeubles des autres cantons (bénéfice imposable dans le canton de Neuchâtel en 2002 après admission partielle de la réclamation: 146'000 fr et en 2003: 203'500 fr.), le siège de la société avait été déplacé à Y.________, afin de pouvoir compenser les bénéfices réalisés à cet endroit avec les pertes des immeubles situés dans les autres cantons.
E.
Agissant en langue allemande par la voie du recours de droit public pour violation de l'art. 127 al. 3 Cst., A.________ SA demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler la décision sur réclamation rendue le 3 avril 2006 par le Service des contributions du canton de Neuchâtel, de dire que son domicile fiscal principal pour les années 2002 et 2003 se trouve à Y.________ et d'enjoindre l'Administration fiscale du canton de Neuchâtel de procéder à de nouvelles taxations en conséquence.
Le Service des contributions du canton de Neuchâtel conclut au rejet du recours sous suite de frais et dépens. L'Intendance des impôts du canton de Berne conclut à l'admission du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 Déposé en temps utile pour violation de l'interdiction de la double imposition intercantonale (art. 127 al. 3 Cst.) contre une décision sur réclamation rendue par le Service des contributions du canton de Neuchâtel, qui peut être attaquée directement auprès du Tribunal fédéral par la voie du recours de droit public, sans qu'il soit nécessaire d'épuiser les instances cantonales de recours (cf. art. 86 al. 2 OJ; cf. également ATF 125 I 54 consid. 1a p. 55 et les arrêts cités), le présent recours est en principe recevable au regard des art. 84 ss OJ.
1.2 Le recours de droit public n'a en principe qu'un caractère cassatoire (cf. ATF 127 II 1 consid. 2c p. 5; 126 II 377 consid. 8b p. 395; 125 II 86 consid. 5a p. 96). Il est toutefois fait exception à cette règle lorsque le recours est fondé sur le principe de l'interdiction de la double imposition intercantonale et qu'il apparaît nécessaire de donner des instructions aux cantons concernés sur les limites de leur compétence fiscale ou pour ordonner le remboursement d'impôts perçus au mépris de l'interdiction constitutionnelle de la double imposition. Les conclusions de la recourante allant au-delà de la simple annulation de l'arrêt attaqué sont donc recevables.
1.3 Saisi d'un recours en matière de double imposition intercantonale, le Tribunal fédéral dispose d'un libre pouvoir d'examen en fait et en droit (Archives 73, 247 consid. 1.3).
2.
2.1 Le principe de l'interdiction de la double imposition (art. 127 al. 3, 1ère phrase Cst.) s'oppose à ce qu'un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu'un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant des règles de conflit jurisprudentielles, prétende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d'un autre canton (double imposition virtuelle). En outre, le Tribunal fédéral a déduit des art. 46 al. 2 aCst. et 127 al. 3, 1ère phrase Cst., le principe selon lequel un canton ne peut pas imposer plus lourdement un contribuable du fait qu'il est assujetti aux impôts dans un autre canton (ATF 130 I 205 consid. 4.1 p. 210 et les références citées).
2.2 En l'espèce, la recourante se plaint d'une double imposition intercantonale, dans la mesure où, considérant que le siège de la société se situait dans le canton de Neuchâtel, le canton de Berne y a localisé les actifs circulants et, partant, a réparti les intérêts passifs sur cette base, alors que le canton de Neuchâtel a refusé de reconnaître Y.________ comme domicile fiscal principal et a revendiqué le droit exclusif d'imposer le rendement de l'immeuble sis à Y.________, sous déduction d'intérêts passifs proportionnels calculés sur la base de l'immeuble neuchâtelois et sans s'inquiéter d'une éventuelle perte de répartition.
3.
3.1 Selon la jurisprudence relative à la double imposition intercantonale, le lieu du siège de la société tel qu'il résulte des statuts et de l'inscription au registre du commerce constitue en principe son domicile fiscal principal. Toutefois, ce lieu ne peut pas être reconnu comme domicile fiscal et ne constitue par conséquent qu'un domicile fictif, lorsque les affaires de la société sont en réalité dirigées d'un endroit situé dans un autre canton. C'est au lieu de l'administration effective que se trouve le domicile fiscal principal, c'est-à-dire à l'endroit où la société a le centre effectif et économique de son existence (ATF 54 I 301 consid. 2 p. 308), à l'endroit où est assurée la gestion qui, normalement, se déploie au siège de la société, où sont accomplis les actes qui, dans leur ensemble, servent à la réalisation du but statutaire (ATF 50 I 100 consid. 2 p. 103). Les motifs qui ont présidé au choix du siège statutaire n'ont pas d'importance à cet égard, peu importe qu'ils soient liés à des considérations d'ordre fiscal ou d'autres considérations (ATF 45 I 204).
Il en va de même pour une société immobilière (Archives 32 p. 174). Une telle société a son domicile fiscal principal au lieu de son siège statutaire tel qu'il ressort de l'inscription au registre du commerce. Ce lieu est toutefois considéré comme siège fictif si les décisions de gestion et d'administration sont prises dans un autre canton. Dans cette hypothèse, le domicile fiscal principal de la société immobilière est là où l'activité dirigeante est mise en oeuvre quand bien même elle ne disposerait en ce lieu d'aucun actif. Tel est en particulier le cas lorsque l'activité dirigeante est exercée dans les locaux de son actionnaire principal (Archives 32 p. 174 consid. 3a p. 175). Le fait qu'elle possède ailleurs des immeubles conduit uniquement à reconnaître un domicile fiscal spécial. Dans ce contexte, il convient de distinguer la simple gérance des immeubles (conciergerie, conclusion des contrats de location, mouvements des locataires, entretien régulier de l'immeuble, chauffage, etc...) de l'activité dirigeante de la société, qui vise notamment les questions d'achats et de ventes d'immeubles, la désignation des gérants d'immeubles et la gestion des bénéfices en provenant (Archives 32 p. 174 consid. 3b p. 175 s.).
3.2 En l'espèce, c'est en vain que, pour établir le lieu de son administration effective, la recourante précise que l'immeuble à Y.________ est de loin le plus important des immeubles dont elle est propriétaire et que son administrateur y effectue un important travail, notamment de surveillance de l'assainissement de l'immeuble, des travaux de peinture, des travaux d'installation du nouveau chauffage à distance, des travaux relatifs au trottoir ainsi que de gestion des questions relatives aux locataires. Comme le lieu de la gérance de l'immeuble ne saurait être confondu avec le lieu de l'administration ordinaire des affaires de la société elle-même pour décider du lieu de la direction effective des affaires d'une société immobilière intercantonale, il importe peu que les décisions liées à l'immeuble soient prises à Y.________. Au demeurant, la recourante ne prétend pas que des décisions du genre de celles qu'elle décrit à propos de l'immeuble à Y.________ mais concernant les immeubles qu'elle possède dans les cantons de Berne et de Soleure auraient aussi été prises à Y.________. Enfin, pour les années en cause, la recourante ne disposait d'aucune adresse postale à Y.________. Il semble en revanche qu'elle disposait bien d'une adresse à Z.________, que sa comptabilité était tenue par la fiduciaire S.________ à R.________ (BE) et que les décisions de planification et de stratégie qui concernaient l'ensemble de la société étaient prises à Z.________ par la société de gérance immobilière Q.________ AG. Il semble également que cette dernière exécutait en ses locaux notamment les travaux de secrétariat, de gestion du personnel, les convocations aux séances ainsi que la surveillance des flux financiers et de la comptabilité des huit immeubles de la recourante. Il semble enfin que les assemblées générales des actionnaires de la recourante se tenaient à Z.________ et que c'est aussi dans ce canton que les membres de son conseil d'administration et l'un de ses actionnaires, P.________, étaient domiciliés, ce dernier étant, apparemment également administrateur de la société de gérance immobilière Q.________ AG.
Dans ces conditions, force est de constater que le domicile fiscal principal de la recourante ne se trouve pas à Y.________ (NE), dès lors qu'elle n'y disposait de rien d'autre que d'un immeuble au même titre qu'elle en détient dans les cantons de Berne et Soleure. A lui seul, cet immeuble ne saurait constituer qu'un domicile fiscal spécial. La question de savoir où se trouve le domicile fiscal principal de la recourante peut rester indécise, puisque celle-ci s'est bornée à conclure à l'annulation de la décision sur réclamation du canton de Neuchâtel, à l'exclusion des décisions de taxation du canton de Berne, et que ce dernier canton n'a pas pris de position motivée sur le lieu de l'administration effective de la recourante.
4.
Les parties ont porté le débat juridique sur la détermination du domicile fiscal principal de la recourante parce qu'elles tiennent implicitement pour applicable la règle selon laquelle le canton de situation d'un immeuble, à qui revient le droit exclusif d'imposer le rendement de cet immeuble, n'a pas à prendre en compte les pertes subies par l'entreprise dans le canton de son siège principal ou dans les autres cantons dans lesquels elle dispose d'un établissement stable ou d'immeuble de placement.
Dans plusieurs arrêts successifs récents, le Tribunal fédéral a toutefois modifié la jurisprudence en la matière.
4.1 Dans l'ATF 131 I 249, il a jugé que le droit d'imposer le gain de plus-value provenant de l'aliénation d'un immeuble d'exploitation appartenait exclusivement au canton de l'établissement stable d'une société anonyme, entreprise générale de construction. Il a toutefois nouvellement contraint ce canton à déduire de ce gain de plus-value l'éventuelle perte commerciale subie par la société dans le canton du siège et dans d'autres cantons dans lesquels elle disposait d'un établissement stable, sans égard au fait que la plus-value soit soumise à l'impôt ordinaire sur le revenu ou à l'impôt sur les gains immobiliers et il a jugé que "cette règle s'applique non seulement au gain provenant de la réalisation d'immeubles d'exploitation appartenant à des commerçants d'immeubles et à des entreprises générales de construction, mais également aux gains provenant de la réalisation d'immeubles d'exploitation de toutes les entreprises intercantonales" (ATF 131 I 249 consid. 6.5 p. 262 s.).
Dans l'ATF 131 I 285, le Tribunal fédéral a adopté une solution analogue s'agissant d'un immeuble privé de placement appartenant à une personne physique, contraignant le canton du domicile fiscal spécial résultant de la détention de cet immeuble à déduire des revenus en provenant l'excédent des frais d'entretien liés à un autre immeuble que celle-ci occupait elle-même dans le canton de son domicile principal et que ses revenus imposables dans ce canton ne permettaient pas de déduire.
Dans l'ATF 132 I 220, le Tribunal fédéral a considéré que le canton de situation d'un immeuble de placement d'une société intercantonale active dans le commerce de textiles (sans établissement stable dans ce canton) devait admettre en déduction des revenus provenant de cet immeuble la perte d'exploitation subie par cette société dans le canton de son siège et dans les cantons dans lesquels elle disposait d'établissements stables.
Dans un arrêt du 3 novembre 2006 (2P.84/2006, destiné à la publication) concernant une personne physique commerçante en immeubles, dont certains immeubles appartenaient à sa fortune privée et d'autres à sa fortune commerciale, le Tribunal fédéral a jugé que l'ensemble des intérêts passifs devaient être déduits proportionnellement à l'ensemble des actifs localisés. Il convenait d'abandonner la répartition objective de ces intérêts consistant à les attribuer au canton de situation de chaque immeuble-marchandise où ils devaient le cas échéant être activés. Il a également jugé que, "dans la mesure où la part déductible des intérêts passifs calculée proportionnellement à l'ensemble des actifs localisés dépasse le revenu réalisé dans le canton de situation de l'immeuble, cette part restante doit être déduite du revenu imposable dans les autres cantons" (consid. 6.3).
La jurisprudence précitée vise à éliminer les pertes de répartition et à assurer au contribuable imposé dans plusieurs cantons qu'il ne sera pas taxé plus lourdement que s'il l'était dans un seul.
4.2 En l'espèce, le canton de Neuchâtel a considéré à juste titre qu'il détenait le droit exclusif d'imposer le rendement immobilier provenant de l'immeuble sis à Y.________. Il a certes déduit les frais d'entretien, les amortissements, les frais généraux et des honoraires d'administration liés directement à l'immeuble ainsi que la part des intérêts passifs calculés proportionnellement aux actifs localisés. En revanche, il n'a pas vérifié, comme cela ressort des feuilles de répartition intercantonale qu'il a établies le 3 avril 2006, si la part des intérêts passifs calculés proportionnellement aux actifs localisés dans les autres cantons de Berne et Soleure avait pu être intégralement déduite des revenus réalisés dans ces cantons ou s'il en subsistait éventuellement un solde qu'il devait, dans un deuxième temps, déduire en sus, comme l'exige la nouvelle jurisprudence en matière de double imposition intercantonale. En s'abstenant de procéder à cette vérification et de déduire un éventuel excédent d'intérêts passifs, le canton de Neuchâtel a violé l'art. 127 al. 3 Cst. Le grief de la recourante doit être admis dans cette mesure.
5.
Au vu des motifs qui précèdent, le recours doit être admis dans le sens des considérants et la décision sur réclamation rendue le 3 avril 2006 par le Service cantonal des contributions du canton de Neuchâtel annulée.
Succombant, le canton de Neuchâtel qui défend un intérêt pécuniaire doit prendre à sa charge les frais judiciaires (art. 156 al. 1 et 156 al. 2 a contrario en relation avec les art. 153 et 153a OJ ) et verser une indemnité de dépens à A.________ SA qui obtient gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 159 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis dans le sens des considérants.
2.
La décision sur réclamation rendue le 3 avril 2006 par le Service cantonal des contributions du canton de Neuchâtel est annulée et la cause lui est renvoyée pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
3.
Un émolument judiciaire de 3'000 fr. est mis à la charge du canton de Neuchâtel.
4.
Une indemnité de dépens de 3'000 fr. à charge du canton de Neuchâtel est allouée à A.________ SA.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire de la recourante, à l'Intendance des impôts du canton de Berne et au Service des contributions du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 15 décembre 2006
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: