Tribunale federale
Tribunal federal
2A.7/2007/ROC/elo
{T 0/2}
Arrêt du 19 mars 2007
IIe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler et Yersin.
Greffière: Mme Rochat.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Jean-Marie Crettaz, avocat,
contre
Département fédéral de justice et police, Service de recours, p.a. Tribunal administratif fédéral, case postale, 3000 Berne 14.
Objet
Art. 55 al. 3 PA: restitution de l'effet suspensif (interdiction d'entrée en Suisse),
recours de droit administratif contre la décision du Département fédéral de justice et police du 22 décembre 2006.
1.
Le 26 janvier 2006, X.________, ressortissant français né en 1969, a été condamné par la Cour correctionnelle sans jury du canton de Genève à la peine de deux ans d'emprisonnement et à sept ans d'expulsion du territoire suisse, pour vols en bande et par métier, violations de domicile, utilisation frauduleuse d'un ordinateur, dommages à la propriété, conduite d'un véhicule en étant pris de boisson, violations graves de la circulation et opposition aux actes de l'autorité. La Cour correctionnelle a également révoqué le sursis accordé par le Parquet de Genève le 1er octobre 2001 pour la peine d'un mois d'emprisonnement pour abus de cartes de crédit et déclaré qu'il sera sursis à l'exécution de la peine d'expulsion pendant un délai de cinq ans.
Le 31 mars 2006, l'Office fédéral des migrations (ODM) a prononcé une interdiction d'entrée en Suisse à l'encontre de X.________, valable jusqu'au 30 mars 2011. Cette décision n'a toutefois été notifiée que le 7 décembre 2006 à l'intéressé.
Le 15 décembre 2006, X.________ a recouru contre ce prononcé auprès du Département fédéral de justice et police qui, par décision du 22 décembre 2006, a refusé la demande de restitution de l'effet suspensif contenue dans le recours. Il a également informé le recourant que, sur le fond, son recours sera traité par le Tribunal administratif fédéral qui entrera en fonction le 1er janvier 2007 (art. 53 al. 2 de la loi sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF; RS 173.32).
2.
Agissant par la voie du recours de droit administratif, X.________ conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision du 15 décembre 2006 et demande au Tribunal fédéral de restituer l'effet suspensif à son recours du 15 décembre 2006 contre la décision d'interdiction d'entrée prise par l'ODM.
Le Département fédéral de justice et police a renoncé à se déterminer dans le délai au 16 février 2007 qui lui avait été imparti. De son côté, le Tribunal administratif fédéral a informé le Tribunal fédéral, le 5 février 2007, qu'il renonçait à se prononcer sur le recours (sic!) formé contre la décision du Département fédéral de justice et police du 22 décembre 2006.
3.
La décision attaquée a été rendue le 22 décembre 2006, soit avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la nouvelle loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Le présent recours doit dès lors être examiné au regard des dispositions de la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ; art. 132 al. 1 LTF).
4. Selon l'art. 100 al. 1 lettre b ch. 1 OJ, le recours de droit administratif n'est pas recevable en matière d'interdiction d'entrée en Suisse. Cette voie de droit est néanmoins ouverte aux ressortissants communautaires qui peuvent se prévaloir directement de l'art. 11 al. 3 de l'Accord du 1er juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0142.112.681), disposition qui prévoit une double instance de recours, dont au moins la seconde doit être une autorité judiciaire (ATF 131 II 353 consid. 1.4 p. 356). Tel est le cas du recourant qui est français d'origine.
La décision attaquée - qui refuse de restituer l'effet suspensif au recours contre la décision d'interdiction d'entrée en Suisse de l'ODM - est une décision incidente qui cause au recourant un dommage irréparable au sens de l'art. 45 al. 1 PA, dans la mesure où elle permet son renvoi immédiat dans son pays d'origine.
Déposé en temps utile, le présent recours est donc recevable en vertu des art. 97ss OJ, en particulier au regard de l'art. 101 lettre a OJ.
5.
5.1 D'après l'art. 55 al. 1 PA, le recours a effet suspensif. Sauf si elle porte sur une prestation pécuniaire, la décision de l'autorité inférieure peut prévoir qu'un recours éventuel n'aura pas d'effet suspensif; l'autorité de recours, ou son président s'il s'agit d'un collège, a le même droit après le dépôt du recours. L'autorité de recours ou son président peut restituer l'effet suspensif à un recours auquel l'autorité inférieure l'avait retiré; la demande de restitution de l'effet suspensif est traitée sans délai ( art. 55 al. 2 et 3 PA en sa teneur antérieure au 1er janvier 2007).
5.2 Selon la jurisprudence, le retrait de l'effet suspensif doit reposer sur des motifs clairs et convaincants. Disposant d'une certaine liberté d'appréciation, l'autorité se fonde en général sur les documents qui sont dans le dossier et qu'elle examine "prima facie", sans ordonner de compléments de preuves (ATF 117 V 185 consid. 2b p. 191; 110 V 40 consid. 5b p. 45; 106 Ib 115 consid. 2a p. 116). En cas de recours contre une décision refusant la restitution de l'effet suspensif, le Tribunal fédéral contrôle seulement si l'autorité intimée a commis un excès ou un abus de son pouvoir d'appréciation. Il n'annule sa décision que si elle a négligé des intérêts essentiels ou fait une appréciation manifestement fausse et que sa décision apparaît ainsi arbitraire dans son résultat (ATF 129 II 286 consid. 3 p. 289; arrêt 2A.156/1998 du 29 mai 1998, consid. 2a, non publié et les arrêts cités).
5.3 En l'espèce, il y a lieu cependant de tenir compte de l'art. 5 al. 1 annexe I ALCP, selon lequel les droits octroyés par les dispositions de l'Accord ne peuvent être limités que par des mesures justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique (sur la notion d'ordre public, voir ATF 129 II 215 consid. 6.2 p. 220/221 et les références; arrêt de la CJCE du 27 octobre 1977, Bouchereau, C-30/77, Rec. 1977, p. 1999, pts 33-35). On entend par "mesure", au sens de l'art. 5 al. 1 annexe I ALCP et de la directive 64/221/CEE, tout acte affectant le droit à l'entrée et au séjour (ATF 130 II 176 consid. 3.1 p. 180 et les références). Les limitations au principe de la liberté de circulation des personnes doivent cependant s'interpréter de manière restrictive. Ainsi, le recours par une autorité nationale à la notion de l'ordre public pour restreindre cette liberté suppose l'existence d'une menace réelle et d'une certaine gravité affectant un intérêt fondamental de la société (ATF 130 II 176 consid. 3.4.1 p. 182 et les références). Une condamnation pénale antérieure ne sera donc prise en considération que si les circonstances de fait à la base de cette condamnation démontrent que le comportement personnel de l'intéressé constitue une menace actuelle pour l'ordre public (ATF 130 II 176 consid. 3.4.1 p. 183/184 et les références citées). Cela revient en fait à apprécier le risque de récidive qui, compte tenu de la portée que revêt le principe de la libre circulation des personnes, ne doit pas être admis trop facilement. Il faut en en effet prendre en considération l'ensemble des circonstances du cas, en particulier, la nature et l'importance du bien juridique menacé, ainsi que de la gravité de l'atteinte potentielle qui pourrait y être portée. L'évaluation du risque de récidive sera d'autant plus rigoureuse que le bien juridique menacé est important (ATF 130 II 493 consid. 3.3 p. 499/500 et les références citées). En outre, comme lorsqu'il s'agit d'examiner la conformité d'une mesure d'éloignement prise à l'encontre de n'importe quel autre étranger, cette appréciation se fera dans le cadre des garanties découlant de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi qu'en tenant compte du principe de la proportionnalité (ATF 131 II 353 consid. 3.3 p. 358 et les arrêts cités).
Dans le cas particulier, le Département s'est fondé sur la gravité des infractions commises par le recourant sur une période de deux ans, ce qui, selon lui, était révélateur d'une volonté délictueuse et constituait une menace réelle et actuelle pour l'ordre public. Il n'a toutefois pas tenu compte du fait que le recourant avait bénéficié, devant la Cour correctionnelle, de la circonstance atténuante du repentir sincère, en raison de sa collaboration à l'instruction, ainsi que des excuses et regrets qu'il avait exprimés. L'autorité intimée n'a pas davantage pris en considération l'attestation établie le 14 décembre 2006 par le directeur de l'établissement pénitentiaire où le recourant avait exécuté sa peine, qui le décrit comme un homme travailleur, "en marche, décidé à abandonner les errements de sa vie antérieure et à assumer ses responsabilités de père de famille"; il ajoute que l'intéressé "a une conscience nette de son passé et une vision claire de ce qu'il veut faire de son avenir". Enfin, le Département n'a pas non plus mentionné le contrat de travail produit, selon lequel le recourant a été engagé pour une durée indéterminée par l'entreprise The Phone House SA, à partir du 1er décembre 2006.
Tous les renseignements obtenus sur le recourant depuis sa condamnation pénale sont donc favorables et ne laissent pas apparaître un risque actuel de récidive. Au contraire, il semble que l'intéressé a pris conscience de la gravité des infractions qu'il avait commises et qu'il met tout en oeuvre pour ne pas retomber dans la délinquance.
5.4 Il s'ensuit que la décision attaquée viole l'art. 5 al. 1 annexe I ALCP en tant qu'elle refuse la restitution de l'effet suspensif.
6.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et la décision attaquée annulée, l'effet suspensif étant restitué au recours formé le 15 décembre 2006 par X.________ contre la décision d'interdiction d'entrée en Suisse prise par l'ODM.
Le présent arrêt est rendu sans frais (art. 156 al. 2 OJ). Il y a lieu d'allouer au recourant une indemnité à titre de dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et la décision attaquée est annulée, en ce sens que l'effet suspensif est restitué au recours formé le 15 décembre 2006 contre la décision de l'Office fédéral des migrations du 31 mars 2006, interdisant au recourant l'entrée en Suisse jusqu'au 30 mars 2011.
2.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.
3.
Le Département fédéral de justice et police versera au recourant une indemnité de 1'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire, du recourant et au Département fédéral de justice et police, ainsi qu'au Tribunal administratif fédéral pour information.
Lausanne, le 19 mars 2007
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La greffière: