Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4C.8/2007/ech
4P.10/2007
Arrêt du 28 mars 2007
Ire Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les juges Corboz, président, Klett et Kolly.
Greffier: M. Thélin.
Parties
X.________ SA,
défenderesse et recourante,
contre
Y.________,
demandeur et intimé, représenté par Me Karim Khoury,
Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève, case postale 3688, 1211 Genève 3.
Objet
contrat de travail; responsabilité du travailleur
recours de droit public et recours en réforme contre l'arrêt rendu le 20 novembre 2006 par la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Faits :
A.
X.________ SA est une société anonyme ayant pour but le « développement sur des matériaux composites en dentisterie et autres applications dans d'autres industries » et elle est inscrite au registre du commerce de Genève depuis février 2002. Sans activité dans les années 2003 et 2004, elle a engagé Y.________ en qualité de directeur général dès le 1er février 2005. Le directeur était le seul travailleur employé par la société; il devait percevoir un salaire de 12'000 fr. par mois, montant net, pour un engagement à temps plein, et ce salaire lui fut effectivement versé jusqu'au mois de mai 2005.
Par un accord séparé, les parties convinrent que le directeur mettrait au point la fabrication d'une machine à préparer les surfaces métalliques pour des prothèses dentaires et qu'il accomplirait toutes les démarches administratives et financières nécessaires à cette fin. Le directeur apporterait 225'000 fr. à la société et il recevrait, en contrepartie, des actions correspondant à 40% du capital social. En février 2005, avant la conclusion de cet accord, il avait déjà versé 75'000 euros.
Le 23 août 2005, en raison de « divergences sur la marche de la société », les parties conclurent un accord qui avait pour objet de mettre fin à l'activité du directeur. Les rapports de travail expireraient à fin septembre. La société promettait de verser, au 31 août, 48'000 fr. à titre de salaire pour les mois de juin à septembre et 75'000 euros pour remboursement du « prêt » qu'elle avait reçu.
B.
Le 12 septembre 2005, Y.________ a ouvert action contre X.________ SA devant la juridiction des prud'hommes du canton de Genève. Sa demande tendait au paiement des sommes précitées de 48'000 fr. et 75'000 euros, avec intérêts au taux de 5% par an dès le dépôt de cette même demande.
La défenderesse a contesté qu'un accord fût venu à chef, entre les parties, le 23 août; elle soutenait que le demandeur avait été licencié avec effet immédiat, pour de justes motifs, le 19 de ce mois. Elle a élevé des prétentions reconventionnelles portant sur le remboursement du loyer d'un appartement, par 5'400 fr., sur le remboursement de l'impôt à la source qu'elle n'avait pas retenu sur le salaire versé, par 20'938 fr., et, enfin, sur « un montant au moins équivalent à la prétention [du demandeur] » à titre de dommages-intérêts.
Après avoir interrogé divers témoins, le Tribunal de prud'hommes s'est prononcé le 15 juin 2006. Il a donné entièrement gain de cause au demandeur. Faute de conclusions chiffrées, la demande reconventionnelle était jugée irrecevable en tant qu'elle portait sur des dommages-intérêts; pour le surplus, cette demande était rejetée.
La défenderesse ayant déféré la cause à la Cour d'appel, celle-ci a statué le 20 novembre 2006. L'accord du 23 août 2005 n'était plus contesté et l'appel portait seulement sur les prétentions reconventionnelles; les conclusions étaient alors chiffrées à 92'720 fr.90 en tout, avec intérêts au taux de 5% par an dès le 31 octobre 2005. Sur le loyer de 5'400 fr., la Cour a confirmé le jugement. Sur l'impôt à la source de 20'938 fr., la Cour a admis l'action reconventionnelle et elle a autorisé la défenderesse à imputer ce montant sur ce qu'elle devait au demandeur. Sur les dommages-intérêts, la Cour a confirmé l'irrecevabilité de l'action en raison de l'absence de conclusions chiffrées en première instance; selon une motivation additionnelle de son prononcé, elle a jugé que les faits à la base de cette action n'étaient pas prouvés et que celle-ci devait donc être rejetée.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public et du recours en réforme, les deux recours étant présentés dans un mémoire unique, la défenderesse requiert le Tribunal fédéral, à titre principal, d'annuler l'arrêt de la Cour d'appel et de lui renvoyer la cause pour complément d'instruction et nouveau prononcé; à titre subsidiaire, elle requiert la condamnation du demandeur à lui payer 66'500 fr., avec intérêts à 5% par an dès le 31 octobre 2005, par imputation sur sa propre créance.
Le demandeur conclut au rejet de chacun des recours, dans la mesure où ils sont recevables; la Cour d'appel n'a pas présenté d'observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt dont est recours a été rendu avant l'entrée en vigueur, au 1er janvier 2007, de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RO 2006 p. 1242). En vertu de l'art. 132 al. 1 de cette loi, la cause demeure soumise à la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ).
Il n'est pas nécessaire d'examiner en détail la recevabilité de chacun des recours car ils sont de toute manière voués à l'échec. Il suffit de constater que le mémoire adressé au Tribunal fédéral est signé d'un administrateur de la défenderesse jouissant du droit de signature individuelle, que les griefs de chaque recours - violation des art. 9 et 29 al. 1 et 2 Cst. pour le recours de droit public; violation des art. 8 CC et 321e CO pour le recours en réforme - sont clairement distingués (cf. ATF 115 II 396 consid. 2a p. 397) et que les motivations alternatives de l'arrêt attaqué sont toutes deux contestées (cf. ATF 132 III 555 consid. 3.2 p. 560).
Les recours portent sur le rejet de l'action reconventionnelle en dom mages-intérêts, à l'exclusion de tout autre objet.
2.
Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail et que le demandeur a éventuellement engagé sa responsabilité selon l'art. 321e al. 1 CO. Aux termes de cette disposition, le travailleur répond du dommage qu'il cause à l'employeur intentionnellement ou par négligence.
Selon la thèse de la défenderesse, le demandeur « ne disposait en rien des compétences nécessaires pour l'accomplissement du travail qui allait lui être confié »; il aurait dû « avertir son employeur qu'il était incapable d'effectuer les tâches [...] attendues de lui » et il n'a pas donné cet avertissement; il n'a « rien fait (ou presque) de ce qui était attendu de lui, ni quoi que ce soit d'autre »; il travaillait « de manière peu professionnelle et s'est ainsi fait voler son [ordinateur] portable et les données contenues, sans avoir effectué de sauvegarde au préalable »; il faisait « montre d'insubordination en refusant de suivre des instructions pourtant simples » et, après la résiliation du contrat, il a « emporté divers documents, ce qui a gêné l'accomplissement par son employeur pour l'exécution de diverses tâches ». Tout cela a « eu pour effet de mener des investisseurs à renoncer à placer leur argent dans la société, ce qu'ils étaient pourtant sur le point de faire ». La défenderesse admet que le dommage correspondant est « tout simplement impossible à qualifier ou à chiffrer ». Elle se borne donc à réclamer « les honoraires du tiers engagé pour faire le travail non accompli par [le demandeur] », soit 16'500 fr., à quoi elle ajoute 50'000 fr. « correspondant à un retour sur investissement modeste de 2,5% sur un investissement de départ minimum de deux millions ».
Ainsi, en substance, la défenderesse se dit profondément déçue des prestations du demandeur et elle lui réclame surtout, au titre de la réparation d'un dommage, les rentrées d'argent hypothétiques qu'elle aurait réalisées si les prestations s'étaient trouvées à la hauteur de ses attentes. Or, cette approche purement subjective semble inapte à fonder une action en dommages-intérêts sur la base de l'art. 321e CO. L'employeur qui veut obtenir un dédommagement doit prouver des actes ou des omissions du travailleur qui soient contraires aux obligations contractuelles de cette partie et qui lui soient imputables à faute; il doit aussi établir l'existence d'un lien de causalité entre eux et une altération spécifique de son propre patrimoine (Ullin Streiff et Adrian von Kaenel, Arbeitsvertrag, 6e éd., 2006, p. 174 ch. 4). Certes, le dommage peut consister dans une perte de gain (Franz Werro, Commentaire romand, ch. 13 ad art. 41 CO) et l'ampleur de cette perte doit, au besoin, être appréciée par le juge sur la base des faits établis par le lésé (Werro, op. cit., ch. 24 à 29 ad art. 42 CO). En l'occurrence, la défenderesse critique foncièrement et globalement l'activité du demandeur, et elle lui impute, à titre de dommage, le développement insatisfaisant de ses affaires. Cela n'a guère de rapport avec la responsabilité du travailleur consacrée par l'art. 321e CO.
De toute manière, les dommages-intérêts ne peuvent plus être réclamés lorsque, en raison de l'attitude adoptée par l'employeur à la fin de la relation contractuelle, le travailleur a pu admettre de bonne foi que l'autre partie ne revendiquerait aucun dédommagement; le travailleur est alors autorisé à se prévaloir d'une remise conventionnelle de dette (ATF 110 II 344 consid. 2b p. 345; voir aussi ATF 112 II 500 consid. 3a p. 501). Le 23 août 2005, les parties ont conclu un accord écrit relatif à l'expiration du contrat de travail et à ses suites pécuniaires. Cet accord est transcrit de façon détaillée dans le jugement de première instance et la défenderesse n'a fait aucune réserve concernant d'éventuels dommages-intérêts. A supposer qu'elle eût effectivement droit à une réparation de ce genre par suite de faits qui lui étaient alors connus, tels que, en particulier, l'activité prétendument déficiente du demandeur, elle y a implicitement renoncé en souscrivant l'accord. La Cour d'appel aurait pu rejeter l'action en raison de cette circonstance également. Le Tribunal fédéral, qui n'est lié ni par l'argumentation juridique des parties ni par les attendus de la juridiction cantonale ( art. 63 al. 1 et 3 OJ ; ATF 130 III 136 consid. 1.4 in fine), est également habilité à le faire.
Dans ces conditions, l'appréciation des preuves par la Cour d'appel, que la défenderesse critique sur la base de l'art. 9 Cst., ne saurait être arbitraire dans son résultat (cf. ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17) puisque le rejet de l'action se révèle de toute façon conforme à l'art. 321e CO. Les preuves que la défenderesse a offertes et qui n'ont été administrées ni en première instance ni en appel pouvaient être tenues pour dépourvues de pertinence au regard de cette dernière disposition, de sorte que l'arrêt attaqué ne contrevient pas non plus aux art. 29 al. 2 Cst. (ATF 131 I 153 consid. 3 p. 157) ou 8 CC (ATF 126 III 315 consid. 4a p. 317) en tant que ces dispositions-ci permettent d'exiger des mesures probatoires. Enfin, le grief tiré du droit à un procès équitable, garanti par l'art. 29 al. 1 Cst., ne vise que la déclaration d'irrecevabilité des conclusions non chiffrées; en raison de la motivation subsidiaire retenue par la Cour d'appel, il n'est pas nécessaire de lui consacrer de plus amples développements.
3.
Les recours se révèlent mal fondés, dans la mesure où ils sont recevables, ce qui conduit à leur rejet. Leur auteur doit acquitter les émoluments judiciaires et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Les recours sont rejetés, dans la mesure où ils sont recevables.
2.
La défenderesse acquittera des émoluments judiciaires de 2'000 fr. pour le recours de droit public et de 2'000 fr. pour le recours en réforme.
3.
La défenderesse versera au demandeur, à titre de dépens, des indemnités de 3'000 fr. pour le recours de droit public et de 3'000 fr. pour le recours en réforme.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie à la défenderesse, au mandataire du demandeur et à la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Lausanne, le 28 mars 2007
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: