Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6P.145/2006
6S.323/2006 /rod
Arrêt du 4 avril 2007
Cour de cassation pénale
Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Ferrari et Killias, Juge suppléant.
Greffière: Mme Paquier-Boinay.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Philippe Reymond, avocat,
contre
A.________,
intimée, représentée par Me Lorraine Ruf, avocate,
Ministère public du canton de Vaud, case postale, 1014 Lausanne,
Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale, rte du Signal 8, 1014 Lausanne.
Objet
6P.145/2006
Arbitraire, droit d'être entendu, égalité des armes dans l'appréciation des preuves, présomption d'innocence
6S.323/2006
Escroquerie et escroquerie par métier,
recours de droit public (6P.145/2006) et pourvoi en nullité (6S.323/2006) contre l'arrêt de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois du 20 février 2006.
Faits :
A.
X.________ a obtenu son diplôme fédéral de médecine en 1984, son doctorat en 1992 et, en 1994, le titre de spécialiste FMH en oto-rhino-laryngologie spécialisé en allergologie et immunologie clinique. Le 1er juillet 1992, il a commencé de donner des consultations au Centre médical D.________. Depuis le 1er janvier 1994, il a été médecin responsable du Centre D.________ avec son fondateur, B.________. Du 1er août 1994 au 31 août 1997, il a été directeur médical du Centre D.________.
Le 26 mars 1997, B.________ a vendu le capital-actions du Centre D.________ à une société anonyme dont l'unique actionnaire était C.________. Au cours de l'été 1997, celui-ci a lu des articles de presse faisant état de pratiques douteuses du Centre D.________. Le 26 août 1997, il a prié X.________ de réduire son taux d'activité au Centre D.________ et l'a démis de ses fonctions au 31 août 1997. X.________ a résilié le contrat le liant au Centre D.________ pour le 31 décembre 1997.
L'activité des médecins du Centre D.________, en particulier de X.________, a fait l'objet de nombreuses plaintes pour polypragmasie émanant de médecins de la région, de patients et d'assureurs. Il était reproché à X.________ d'une part de multiplier les actes médicaux inutiles, tels que des consultations trop fréquentes, des examens de laboratoire non pertinents, des radiographies trop nombreuses, et d'autre part de surfacturer ses prestations, notamment par l'emploi systématique de vacations et de suppléments ORL.
Une expertise a été mise en oeuvre pour déterminer si et dans quelle mesure X.________ avait pratiqué la surfacturation et multiplié certains examens médicaux qui n'étaient pas indispensables à ses patients. Elle a été exécutée par deux médecins de la polyclinique médicale universitaire, qui ont examiné 53 dossiers de patients identifiés, une dizaine de dossiers de patients anonymisés et diverses plaintes de patients, de médecins traitants et de médecins-conseils d'assurances. D'une manière générale, les experts sont parvenus à la conclusion qu'il y avait effectivement eu surfacturation et multiplication d'examens médicaux qui n'étaient pas indispensables aux patients.
B.
Par jugement du 16 septembre 2005, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de la Côte a notamment condamné X.________ pour escroquerie, escroquerie par métier et gestion déloyale à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis pendant 5 ans.
C.
Statuant le 20 février 2006, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis partiellement le recours formé par X.________ contre ce jugement, qu'elle a réformé en ce sens qu'elle a libéré le condamné de l'accusation de gestion déloyale et a réduit la peine à 14 mois d'emprisonnement avec sursis pendant 5 ans. Pour le surplus, elle a confirmé le jugement de première instance.
S'agissant de la qualification d'escroquerie des actes imputés à X.________, la cour cantonale a considéré que ça n'est pas à la suite d'erreurs d'appréciation ni par excès de prudence, par mégarde ou méconnaissance que celui-ci a procédé à des consultations excessives et ordonné des examens excessifs et abusifs. Elle en a conclu qu'il avait ainsi trompé tant ses patients que les compagnies d'assurance. Elle a en outre admis que cette tromperie doit être qualifiée d'astucieuse en ce qui concerne les patients, ceux-ci n'étant pas en mesure de se rendre compte de la facturation de prestations inutiles et se trouvant par ailleurs liés à leur médecin par un rapport de confiance. S'agissant des caisses-maladie, la cour a noté qu'elles ne disposent concrètement que d'une capacité de contrôle limitée, situation que X.________, en sa qualité de médecin, ne pouvait ignorer et a même exploitée.
Les juges cantonaux ont par ailleurs estimé qu'en raison des agissements de X.________ les victimes avaient accompli des actes préjudiciables à leurs intérêts pécuniaires. Ainsi, le Centre D.________ a dû verser 500'000 fr. à l'ensemble des caisses concernées en remboursement des sommes versées indûment et les patients ont également été touchés dans tous les cas où ils étaient sous le régime du tiers garant et où l'assurance a refusé de prendre en charge la totalité du traitement. Enfin, ils ont considéré que X.________ avait agi dans un dessein d'enrichissement illégitime puisque les premiers juges avaient admis qu'il avait été mû par l'appât du gain.
Enfin, l'arrêt attaqué admet que X.________ a agi par métier car il a procédé régulièrement de la même façon, érigeant sa pratique en système et augmentant ainsi largement ses revenus.
D.
X.________ forme un recours de droit public contre cet arrêt. Invoquant une violation dans le cadre de l'appréciation des preuves des principes de l'interdiction de l'arbitraire, de la présomption d'innocence, du droit d'être entendu ainsi que de l'égalité des armes, il conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué.
E.
X.________ se pourvoit également en nullité contre cet arrêt. Il soutient que c'est à tort qu'il a été reconnu coupable d'escroquerie et d'escroquerie par métier au motif que les éléments constitutifs tant objectifs que subjectifs de ces infractions ne sont pas réalisés. Partant, il conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué.
F.
Le recourant a sollicité l'effet suspensif pour ses deux recours, ce qui lui a été accordé par ordonnance du 5 décembre 2006.
G.
L'autorité cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt et n'a pas formulé d'observations.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
1.1 L'arrêt attaqué a été rendu avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110). Or, conformément à l'art. 132 al. 1 LTF, cette loi ne s'applique aux procédures de recours que si l'acte attaqué a été rendu après son entrée en vigueur. C'est donc sur la base de l'ancien droit de procédure, en l'espèce les art. 268 ss PPF concernant le pourvoi en nullité et 84 ss OJ pour le recours de droit public, que doit être tranchée la présente cause.
En outre, le 1er janvier 2007 sont également entrées en vigueur les nouvelles dispositions de la partie générale du code pénal. Toutefois, celles-ci ne sont pas non plus applicables puisque le Tribunal fédéral saisi d'un pourvoi en nullité examine uniquement la question de savoir si l'autorité cantonale a correctement appliqué le droit fédéral (art. 269 al. 1 PPF), savoir celui qui était en vigueur au moment où elle a statué (ATF 129 IV 49 consid. 5.3 p. 51 s. et les arrêts cités).
1.2 Conformément à l'art. 275 al. 5 PPF, il est en règle générale sursis à l'arrêt sur le pourvoi en nullité jusqu'à droit connu sur un recours de droit public formé parallèlement. Il se justifie en l'espèce de déroger à cette règle générale et de traiter d'abord le pourvoi en nullité.
I. Pourvoi en nullité
2.
Le pourvoi en nullité à la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral, qui revêt un caractère purement cassatoire (art. 277ter al. 1 PPF), ne peut être formé que pour violation du droit fédéral, à l'exception de la violation directe d'un droit de rang constitutionnel (art. 269 PPF). La Cour de cassation n'est pas liée par les motifs invoqués, mais elle ne peut aller au-delà des conclusions du recourant (art. 277bis PPF). Elle est en revanche liée par les constatations de fait de l'autorité cantonale, sous réserve de la rectification d'une inadvertance manifeste (art. 277bis al. 1 PPF).
Saisi d'un pourvoi en nullité, le Tribunal fédéral contrôle l'application du droit fédéral (art. 269 PPF) sur la base d'un état de fait définitivement arrêté par l'autorité cantonale (cf. art. 273 al. 1 let. b et 277bis al. 1 PPF). Le raisonnement juridique doit donc être mené sur la base des faits retenus dans la décision attaquée, dont le recourant ne peut s'écarter sous peine d'irrecevabilité (ATF 126 IV 65 consid. 1 p. 66 s.).
3.
Le recourant conteste sa condamnation pour escroquerie et escroquerie par métier. Il soutient qu'aucun des éléments constitutifs objectifs et subjectifs de ces infractions ne sont réalisés en l'espèce.
L'escroquerie suppose, sur le plan objectif, que l'auteur ait usé de tromperie, que celle-ci ait été astucieuse, que l'auteur ait ainsi induit la victime en erreur ou l'ait confortée dans une erreur préexistante, que cette erreur ait déterminé la personne trompée à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers et que la victime ait subi un préjudice patrimonial (voir ATF 119 IV 210 consid. 3; 118 IV 35 consid. 2).
La tromperie que suppose l'escroquerie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur (cf. art. 146 al. 1 CP), respectivement à exploiter cette erreur s'agissant de faits antérieurs au 1er janvier 1995 (art. 148 al. 1 aCP). Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté. L'affirmation peut résulter de n'importe quel acte concluant et il n'est donc pas nécessaire que l'auteur ait fait une déclaration. Il suffit qu'il ait adopté un comportement dont on déduit qu'il affirme un fait. La tromperie par dissimulation de faits vrais est réalisée lorsque l'auteur s'emploie, par ses propos ou par ses actes, à cacher la réalité. S'il se borne à se taire, à ne pas révéler un fait, une tromperie ne peut lui être reprochée que s'il se trouvait dans une position de garant, à savoir s'il avait, en vertu de la loi, d'un contrat ou d'un rapport de confiance spécial, une obligation de parler. Quant au troisième comportement prévu par la loi, il se distingue des deux précédents en ce sens que l'erreur est préexistante (cf. Corboz, Les principales infractions, vol. I, Berne 1997, p. 140 ss, no 1 ss et les références citées).
Il y a astuce, au sens de la jurisprudence, lorsque l'auteur recourt à des manoeuvres frauduleuses, à une mise en scène comportant des documents ou des actes ou à un échafaudage de mensonges qui se recoupent de façon si raffinée que même une victime critique se laisserait tromper (ATF 122 IV 197 consid. 3d p. 205). Il y a ainsi manoeuvre frauduleuse, par exemple, si l'auteur emploie un document faux ou fait intervenir, à l'appui de sa tromperie, un tiers participant ou manipulé (Corboz, Les infractions en droit suisse, vol. I, Berne 2002, n. 18 ad art. 146 CP). L'astuce sera également retenue si, en fonction des circonstances, une vérification ne pouvait pas être exigée de la dupe (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171). Cette hypothèse vise en particulier les opérations courantes, de faible valeur, pour lesquelles une vérification entraînerait des frais ou une perte de temps disproportionnée ou ne peut être exigée pour des raisons commerciales (Corboz, op. cit., n. 20 ad art. 146 CP). L'astuce sera également admise lorsque l'auteur exploite un rapport de confiance préexistant propre à dissuader la dupe d'effectuer certaines vérifications (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171; 125 IV 124 consid. 3a p. 127 s. et les arrêts cités). L'astuce ne sera toutefois pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d'attention ou éviter l'erreur avec le minimum de prudence que l'on pouvait attendre d'elle (ATF 126 IV 165 consid. 2a p. 171; 122 IV 246 consid. 3a et les arrêts cités). Il n'est pas nécessaire qu'elle fasse preuve de la plus grande diligence et qu'elle recoure à toutes les mesures de prudence possibles (arrêt 6S.740/1997 du 18 février 1998, reproduit in SJ 1998 p. 457, consid. 2; ATF 122 IV 246 consid. 3a p. 248). L'astuce ne sera exclue que si la dupe est coresponsable du dommage parce qu'elle n'a pas observé les mesures de prudence élémentaires qui s'imposaient (ATF 128 IV 18 consid. 3a p. 20; 126 IV 165 consid. 2a p. 171; 119 IV 28 consid. 3f p. 38).
En l'espèce, l'escroquerie peut être envisagée sous deux angles. Si l'on considère que ce sont les patients qui ont été trompés, il faut examiner, pour chacun des cas, de quelle manière la personne qui a consulté le recourant a été amenée à subir des examens superflus. Il y a ainsi lieu de se demander si le recourant a dépeint au patient une situation plus grave que celle qui ressort du dossier médical, cas auquel une tromperie pourrait être retenue, ou si c'est au contraire le malade qui a insisté pour obtenir certaines investigations complémentaires ou encore si celles-ci ont été convenues entre le praticien et le patient pour exclure tout risque. Dans ces deux dernières hypothèses, on aurait probablement affaire à une violation du principe du caractère économique des prestations, consacré par l'art. 56 de la loi fédérale sur l'assurance-maladie (LAMal; RS 832.10), sans toutefois qu'il y ait une tromperie constitutive d'une escroquerie. Or, l'arrêt attaqué ne contient pas les éléments de fait qui permettraient de contrôler dans chacun des cas les circonstances dans lesquelles les examens litigieux ont été ordonnés et de déterminer comment le recourant a usé de tromperie astucieuse pour amener son patient à se soumettre à des investigations superflues.
Si l'on considère que ce sont les caisses-maladie qui ont été dupées, une tromperie astucieuse constitutive d'escroquerie ne saurait en revanche être envisagée car on ne se trouve pas en présence d'un rapport de confiance comparable à celui qui lie le patient et son médecin. Par ailleurs, la LAMal instaure un système de contrôle qui permet aux caisses-maladie de procéder à diverses vérifications et leur confère le droit et même le devoir d'examiner les notes qui leur sont soumises.
Dès lors, force est de constater que l'arrêt attaqué ne contient pas les constatations de fait nécessaires pour permettre au Tribunal fédéral de contrôler si le droit fédéral a été correctement appliqué. Il y a donc lieu de renvoyer la cause à l'autorité cantonale en application de l'art. 277 PPF afin qu'elle détermine dans chaque cas retenu à la charge du recourant quelle tromperie astucieuse a été mise en oeuvre. L'autorité cantonale devra par ailleurs établir, dans chacun des cas, qu'un dommage a découlé directement (voir ATF 126 IV 113 consid. 3a) de l'acte accompli sous l'effet de l'erreur, étant rappelé que les prestations facturées, pour superflues qu'elles aient pu être, ont néanmoins été fournies. La seule mention du fait que le Centre D.________ s'est engagé, par transaction, à verser un montant de 500'000 fr. à l'ensemble des caisses en remboursement de sommes versées indûment ne suffit pas.
4.
Vu le sort du pourvoi, il ne sera pas perçu de frais (art. 278 al. 2 PPF) et une indemnité sera allouée au recourant à titre de dépens (art. 278 al. 3 PPF). Par ailleurs, il n'y a pas lieu d'allouer d'indemnité à l'intimée, qui n'a été amenée à se déterminer que sur l'effet suspensif, point sur lequel elle a succombé.
II. Recours de droit public
5.
L'arrêt attaqué étant annulé, le recours de droit public est sans objet.
Conformément à la pratique, il n'est ni prélevé de frais ni alloué d'indemnité, puisqu'en introduisant deux recours parallèles le recourant a accepté le risque que l'admission de l'un rende l'autre sans objet.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le pourvoi en nullité est admis en application de l'art. 277 PPF.
2.
L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
3.
Le recours de droit public est sans objet.
4.
Il n'est pas perçu de frais.
5.
La caisse du Tribunal fédéral versera au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour le pourvoi en nullité.
6.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, à la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal et au Ministère public du canton de Vaud.
Lausanne, le 4 avril 2007
Au nom de la Cour de cassation pénale
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: