Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1P.34/2007 /viz
Arrêt du 11 avril 2007
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président,
Aeschlimann et Fonjallaz.
Greffier: M. Rittener.
Parties
A.________,
recourant, représenté par Me Robert Assaël, avocat,
contre
B.________,
intimée, représentée par Me Vincent Spira, avocat,
Procureur général du canton de Genève,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
Cour de cassation du canton de Genève,
case postale 3108, 1211 Genève 3.
Objet
procédure pénale,
recours de droit public contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 29 novembre 2006.
Faits :
A.
Par arrêt du 13 juin 2006, la Cour d'assises du canton de Genève a condamné A.________ pour viol (art. 190 al. 1 CP), à une peine de dix-huit mois de réclusion, avec sursis pendant cinq ans. Elle a notamment retenu les faits suivants:
Le 27 juillet 2004, A.________ a rencontré B.________ dans un cabaret, où celle-ci travaillait comme "danseuse". Il a regagné son domicile en sa compagnie, dans le but d'entretenir une relation sexuelle rémunérée. Ne parlant pas le français, B.________ aurait compris qu'ils allaient seulement retrouver d'autres personnes pour manger. Arrivé chez lui, A.________ a conduit B.________ dans sa chambre à coucher et a commencé à la caresser et à l'embrasser bien qu'elle ait manifesté son désaccord. A.________ l'a alors attirée de force sur le lit conjugal, l'a battue et lui a serré le cou, l'empêchant ainsi de respirer. Terrorisée par le comportement violent de A.________, qui lui faisait craindre pour sa vie et son intégrité corporelle, B.________ a été forcée à subir l'acte sexuel.
Ces faits correspondent à la version donnée par la victime. Confrontée à une version différente de A.________ - qui soutient qu'il avait été convenu d'emblée d'entretenir une relation sexuelle tarifée avec B.________, ce que celle-ci aurait fait de son plein gré, sans subir ni violences ni menaces - la Cour d'assises l'a écartée. Elle a notamment relevé que les déclarations de la victime étaient constantes - au contraire de celles de A.________ - et que sa version était corroborée par les constations médicales des lésions qu'elle a subies.
B.
A.________ a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation du canton de Genève (ci-après: la Cour de cassation), qui l'a rejeté par arrêt du 29 novembre 2006. La Cour de cassation a déclaré irrecevable le grief de violation du droit d'être entendu, au motif qu'il n'avait pas été soulevé et explicité dans l'écriture de pourvoi. Elle a en outre rejeté les griefs relatifs à l'appréciation des preuves et à la présomption d'innocence, confirmant l'appréciation du jury de la Cour d'assises.
C.
Agissant par la voie du recours de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt. Il invoque les art. 29 Cst. et 6 CEDH pour se plaindre d'une violation de son droit d'être entendu. Il se plaint également d'arbitraire dans l'application du droit cantonal de procédure et dans l'appréciation des preuves (art. 9 Cst.) ainsi que d'une violation de la présomption d'innocence (art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH). Il a en outre requis l'assistance judiciaire. Le Procureur général du canton de Genève a conclu au rejet du recours. La Cour de cassation a renoncé à formuler des observations.
D.
Par ordonnance du 27 février 2007, le Président de la Ire Cour de droit public a accordé l'effet suspensif au recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La décision attaquée ayant été rendue avant le 1er janvier 2007, la loi fédérale d'organisation judiciaire (OJ) demeure applicable à la présente procédure de recours (art. 132 al. 1 LTF).
2.
Le pourvoi en nullité au Tribunal fédéral n'étant pas ouvert pour se plaindre d'une appréciation arbitraire des preuves et des constatations de fait qui en découlent (ATF 124 IV 81 consid. 2a p. 83) ni pour invoquer une violation directe d'un droit constitutionnel ou conventionnel, tel que la maxime "in dubio pro reo" consacrée aux art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH (ATF 121 IV 104 consid. 2b p. 107; 120 Ia 31 consid. 2b p. 35 s.), la voie du recours de droit public est ouverte à cet égard (art. 84 al. 2 OJ). Dans la mesure où l'arrêt attaqué confirme sa condamnation à une peine d'emprisonnement, le recourant a qualité pour contester ce prononcé (art. 88 OJ).
3.
Dans un grief d'ordre formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu.
3.1 Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment le droit pour l'intéressé de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuve pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 129 II 497 consid. 2.2 p. 504 s.; 127 I 54 consid. 2b p. 56; 124 I 48 consid. 3a p. 51 et les arrêts cités). Il confère en outre à toute personne le droit d'exiger, en principe, qu'un jugement ou une décision défavorable à sa cause soit motivé. Cette garantie tend à donner à la personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le contester efficacement, s'il y a lieu, devant une instance supérieure. Elle tend aussi à éviter que l'autorité ne se laisse guider par des considérations subjectives ou dépourvues de pertinence; elle contribue, par là, à prévenir une décision arbitraire. L'objet et la précision des indications à fournir dépendent de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas; néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée (ATF 112 Ia 107 consid. 2b p. 109; voir aussi ATF 130 II 530 consid. 4.3 p. 540; 126 I 97 consid. 2b p. 102; 124 II 146 consid. 2a p. 149). L'autorité n'est pas tenue de discuter de manière détaillée tous les arguments soulevés par les parties; elle n'est pas davantage astreinte à statuer séparément sur chacune des conclusions qui lui sont présentées. Elle peut se limiter à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige; il suffit que le justiciable puisse apprécier correctement la portée de la décision et l'attaquer à bon escient (ATF 129 I 232 consid. 3.2 p. 236; 126 I 15 consid. 2a/aa p. 17; 125 II 369 consid. 2c p. 372; 124 V 180 consid. 1a p. 181 et les références). Le Tribunal fédéral examine librement si les exigences posées par l'art. 29 al. 2 Cst. ont été respectées (ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51, 122 I 153 consid. 3 p. 158 et les arrêts cités).
3.2 En l'espèce, le recourant a eu tout loisir de s'exprimer sur les éléments pertinents et la Cour de cassation a exposé clairement les motifs pour lesquels les déclarations de l'intimée ont été privilégiées. La motivation de l'arrêt attaqué est suffisante au regard des exigences posées par la jurisprudence; le recourant pouvait en effet saisir les motifs qui ont guidé l'autorité et attaquer sa décision à bon escient sur cette base. Il n'appartenait pas à la Cour de cassation cantonale de répondre à chacune des critiques formulées par le recourant dans une écriture prolixe et c'est à bon droit qu'elle s'est limitée à l'examen des questions décisives pour l'issue du litige. Pour les mêmes raisons, l'arrêt de première instance répond lui aussi aux exigences de motivation, si bien qu'il importe peu que l'autorité intimée ait déclaré irrecevable un grief que le recourant prétend avoir présenté valablement à ce sujet. Il n'y a donc pas lieu d'examiner l'application de la procédure cantonale à cet égard, le recourant trouvant dans le présent arrêt les explications demandées quant au respect des exigences susmentionnées.
4.
Le recourant se plaint également d'une violation du principe de la présomption d'innocence et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves et la constatation des faits.
4.1 Selon la jurisprudence, l'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).
L'appréciation des preuves est en particulier arbitraire lorsque le juge de répression n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, s'il a omis, sans raison sérieuse, de tenir compte d'un moyen important propre à modifier la décision attaquée ou encore si, sur la base des éléments recueillis, il a fait des déductions insoutenables (ATF 129 I 8 consid. 2.1 p. 9). Il en va de même lorsqu'il retient unilatéralement certaines preuves ou lorsqu'il rejette des conclusions pour défaut de preuves, alors même que l'existence du fait à prouver résulte des allégations et du comportement des parties (ATF 118 Ia 28 consid. 1b p. 30). Il ne suffit pas qu'une interprétation différente des preuves et des faits qui en découlent paraisse également concevable pour que le Tribunal fédéral substitue sa propre appréciation des preuves à celle effectuée par l'autorité de condamnation, qui dispose en cette matière d'une grande latitude. En serait-il autrement, que le principe de la libre appréciation des preuves par le juge du fond serait violé (ATF 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.).
Lorsque, comme en l'espèce, l'autorité cantonale de recours avait, sur les questions posées dans le recours de droit public, une cognition semblable à celle du Tribunal fédéral, ce dernier porte concrètement son examen sur l'arbitraire du jugement de l'autorité inférieure, à la lumière des griefs soulevés dans l'acte de recours. Cependant, pour se conformer aux exigences de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, le recourant ne peut pas simplement reprendre les critiques qu'il a formulées en instance cantonale devant l'autorité de cassation, mais il doit exposer pourquoi cette dernière aurait refusé à tort de qualifier d'arbitraire l'appréciation des preuves par l'autorité de première instance. Le Tribunal fédéral se prononce librement sur cette question (ATF 125 I 492 consid. 1a/cc et 1b p. 495 et les arrêts cités).
4.2 La présomption d'innocence est garantie par l'art. 6 ch. 2 CEDH et par l'art. 32 al. 1 Cst., qui ont la même portée. Elle a pour corollaire le principe "in dubio pro reo", qui concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves. En tant que règle de l'appréciation des preuves, ce principe, dont la violation n'est invoquée que sous cet angle par le recourant, signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 IV 86 consid. 2a p. 88; 120 Ia 31 consid. 2c p. 37). Le Tribunal fédéral ne revoit les constatations de fait et l'appréciation des preuves que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 41; 124 I 208 consid. 4 p. 211; 120 Ia 31 consid. 2d p. 37 s.). Il examine en revanche librement la question de savoir si, sur la base du résultat d'une appréciation non arbitraire des preuves, le juge aurait dû éprouver un doute sérieux et insurmontable quant à la culpabilité de l'accusé; dans cet examen, il s'impose toutefois une certaine retenue, le juge du fait, en vertu du principe de l'immédiateté, étant mieux à même de résoudre la question (cf. arrêts non publiés 1P.454/2005 du 9 novembre 2005, consid. 2.1; 1P.428/2003 du 8 avril 2004, consid. 4.2 et 1P.587/2003 du 29 janvier 2004, consid. 7.2).
4.3 En l'occurrence, les nombreuses critiques formulées par le recourant visent en définitive à faire admettre que c'est en violation des droits de rang constitutionnel précités que les juges cantonaux auraient accordé foi aux déclarations de la victime, plutôt qu'aux siennes. Son argumentation se réduit toutefois à une pure critique appellatoire. La Cour de cassation a clairement exposé les raisons pour lesquelles il était justifié de privilégier la version de la victime et a rappelé que même si celle-ci avait voulu monnayer ses charmes, elle restait en droit de refuser une relation sexuelle dans des circonstances et à des conditions qu'elle réprouvait. Elle a fondé son appréciation sur l'ensemble du dossier et non seulement sur les éléments focalisant l'attention du recourant. Ce dernier insiste sur certaines variations dans les déclarations de la victime et il se borne à présenter sa propre appréciation des faits, sans démontrer en aucune manière conformément aux exigences de motivation de l'art. 90 al. 1 let. b OJ que, sur la base de l'ensemble des éléments de preuve soumis aux juges cantonaux, il était manifestement insoutenable ou, autrement dit, absolument inadmissible, d'accorder crédit à la version de la victime. On ne peut d'ailleurs que constater avec l'autorité intimée que la Cour d'assises n'a pas usé de son large pouvoir d'appréciation des preuves de manière arbitraire. Dès lors qu'au terme de cette appréciation des preuves exempte d'arbitraire il ne subsiste pas de doute sérieux et irréductible quant à la culpabilité du recourant, le grief tiré de la violation de la présomption d'innocence doit être rejeté.
5.
Manifestement mal fondé, le recours doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable. Dès lors que les conclusions du recourant paraissaient d'emblée vouées à l'échec, l'assistance judiciaire ne lui est pas accordée (art. 152 al. 1 OJ). Le recourant, qui succombe, doit supporter un émolument judiciaire (art. 156 al. 1 OJ). L'intimée, qui s'est déterminée, a droit à des dépens (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté, dans la mesure où il est recevable.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Un émolument judiciaire de 2000 fr. est mis à la charge du recourant.
4.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 1500 fr. à titre de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties, au Procureur général et à la Cour de cassation du canton de Genève.
Lausanne, le 11 avril 2007
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: