Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5P.12/2007 /frs
Arrêt du 4 mai 2007
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges Raselli, Président, Meyer et Hohl.
Greffière: Mme Borgeat.
Parties
A.________, recourant, représenté par Me Simone Walder-de Montmollin, avocate,
contre
B.________,
C.________,
D.________,
toutes les trois représentées par Me Christophe Auteri, avocat,
E.________, représenté par Me Patrick Frunz, avocat,
intimés,
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel, IIe Cour civile, case postale 3174, 2001 Neuchâtel 1.
Objet
art. 9 Cst. (rapport successoral; indemnité équitable selon l'art. 334 CC),
recours de droit public [OJ] contre le jugement de la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel du 23 novembre 2006.
Faits :
A.
X.________, né le 3 août 1916, et son épouse, dame X.________, née le 21 octobre 1919, ont exploité une entreprise familiale qui regroupait diverses activités: un domaine agricole, du débardage de bois, des travaux agricoles pour des tiers (bottelage de foin etc.), l'exploitation d'un téléski ainsi que le transport d'élèves de la région. Leurs deux fils, A.________, né en 1942, et E.________, né en 1946, ainsi que leurs trois filles ont travaillé à des degrés divers dans l'entreprise familiale.
Le 18 février 1982, X.________ a vendu à son fils E.________ la maison que celui-ci occupait avec sa propre famille depuis octobre 1977, ainsi qu'un terrain avoisinant, pour le prix de 150'000 fr.
X.________ est décédé le 22 avril 1988. Selon un pacte successoral conclu entre celui-ci et son épouse le 5 juin 1987, les cinq enfants étaient réduits à leur réserve légale et le conjoint survivant recevait la quotité disponible ainsi que l'usufruit de toute la part dévolue aux enfants (cf. art. 473 CC); divers actes d'attribution étaient en outre prévus en faveur des deux fils.
Par jugement du 9 juin 1993, le Tribunal civil du district du Val-de-Ruz a attribué le domaine agricole à sa valeur de rendement à E.________; ce jugement a été confirmé par arrêt de la Cour de cassation civile du Tribunal cantonal le 31 mars 1994.
L'épouse dame X.________ est décédée en cours de procédure, le 11 juillet 2003.
B.
Les membres de la communauté héréditaire ne parvenant pas à s'entendre sur le partage de la succession de feu X.________, A.________ a ouvert action en partage devant le Président du Tribunal civil du district du Val-de-Ruz le 20 juin 1996, proposant un projet de partage à ses cohéritiers; E.________ a proposé un autre projet.
Cette procédure ayant échoué, A.________ a ouvert action en partage devant la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel le 30 septembre 1998, concluant notamment à ce que E.________ soit condamné à rapporter à la communauté héréditaire un montant de 398'750 fr. avec intérêts (montant ramené en cours de procédure à 260'750 fr.) et à ce que ses cohéritiers soient solidairement condamnés à lui verser la somme de 334'653 fr. 50 avec intérêts, montant composé de 220'502 fr. 50 de salaire convenu avec son père pour le travail au téléski et le transport d'élèves, de 1963 à 1984, et de 114'151 fr. (net) à titre d'indemnité équitable selon l'art. 334 CC, pour le travail accompli durant la même période dans l'entreprise familiale; le montant de l'indemnité a été ramené, en cours de procédure, à 297'049 fr.
Parallèlement, le 29 septembre 1998, E.________ a lui aussi ouvert action contre ses cohéritiers devant la Cour civile du Tribunal cantonal, demandant leur condamnation solidaire à lui payer 61'397 fr. avec intérêts, à titre d'indemnité équitable au sens de l'art. 334 CC.
C.
Statuant sur les deux actions le 23 novembre 2006, la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel a rejeté la demande de E.________ fondée sur l'art. 334 CC, admis partiellement celle de A.________ fondée sur l'art. 334 CC, à hauteur de 75'000 fr. avec intérêts, donné acte aux parties qu'elles ont transigé sur une valeur de 7'500 fr. pour le matériel agricole repris par E.________ et rejeté la demande de rapport formée par A.________ à l'encontre de son frère.
D.
Contre ce jugement, A.________ et E.________ ont interjeté chacun, par mémoires séparés, un recours en réforme et un recours de droit public au Tribunal fédéral.
Dans son recours de droit public, A.________ conclut à l'annulation du jugement rendu le 23 novembre 2006 par la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel; il requiert en outre l'octroi de l'effet suspensif. Il se plaint d'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves (art. 9 Cst.).
Des observations n'ont pas été requises.
La demande d'effet suspensif présentée par le recourant a été considérée comme dépourvue d'objet, vu le dépôt parallèle d'un recours en réforme (5C.17/2007) suspendant de plein droit l'exécution du jugement attaqué (art. 54 al. 2 OJ).
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le jugement attaqué ayant été rendu avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242), de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), l'ancienne loi d'organisation judiciaire (OJ) est applicable à la présente cause (art. 132 al. 1 LTF).
2.
Conformément au principe posé par l'art. 57 al. 5 OJ, auquel il n'y a pas lieu de déroger en l'espèce, il convient d'examiner les recours de droit public en premier (ATF 122 I 81 consid. 1 p. 82/83).
3.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 132 III 747 consid. 4 p. 748).
3.1 Déposé en temps utile - compte tenu de la suspension des délais prévue par l'art. 34 al. 1 let. c OJ - contre une décision finale prise en dernière instance cantonale, pour violation de l'art. 9 Cst., le présent recours de droit public est recevable du chef des art. 84 al. 1 let. a, 84 al. 2, 86 al. 1, 87 (a contrario) et 89 al. 1 OJ.
3.2 En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir, sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558), un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Dans le cadre d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs expressément soulevés, et présentés de façon claire et détaillée, le principe iura novit curia étant inapplicable (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120 et les arrêts cités). Le justiciable qui se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) ne peut dès lors se contenter de critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où la juridiction supérieure jouit d'une libre cognition; en particulier, il ne saurait se limiter à opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer par une argumentation précise que cette décision se fonde sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 129 I 113 consid. 2.1 p. 120; 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 125 I 492 consid. 1b p. 495).
4.
En relation avec l'indemnité équitable de l'art. 334 CC qu'il réclamait et qui lui a été allouée à hauteur de 75'000 fr. seulement, A.________ (ci-après: le recourant) se plaint d'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves (art. 9 Cst.).
4.1 Il reproche à la cour cantonale d'avoir retenu qu'aucun des frères n'a reçu de salaire pour l'activité déployée dans le domaine familial (jugement attaqué, p. 13, ch. 3.a in initio) alors que, plus loin, elle a admis que E.________ (ci-après: l'intimé) a touché un salaire durant la saison d'hiver pour son travail au téléski et pour le transport d'élèves (jugement attaqué, p. 15, ch. 4 in initio); le recourant chiffre les salaires que son frère aurait reçus à environ 110'262 fr.; il relève également que celui-ci a obtenu le domaine agricole à sa valeur de rendement (150'000 fr. au lieu de 312'000 fr.) ainsi que de nombreux autres avantages. Il se plaint de ce que l'autorité cantonale n'a pas relevé le fait qu'il est le seul à n'avoir pas touché effectivement de salaire de la part de ses parents, ce qui l'a amenée à ne lui octroyer que 75'000 fr. d'indemnité équitable. La cour cantonale serait ainsi tombée dans l'arbitraire et aurait grossièrement bafoué le principe d'équité qui doit prévaloir dans la fixation de l'indemnité de l'art. 334 CC; selon le recourant, le résultat est également arbitraire.
4.2 Il paraît certes contradictoire d'affirmer d'une part qu'aucun des frères n'a reçu de salaire et, ensuite, de retenir que l'intimé a reconnu avoir touché un salaire. Cette erreur de plume est toutefois demeurée sans incidence. La cour cantonale a en effet procédé à une appréciation globale de l'activité des deux frères durant toute la période pendant laquelle ils ont travaillé sur le domaine. Elle a tenu compte des avantages qu'ils ont reçus, y compris le logement dont chacun a pu bénéficier. Elle a alloué 75'000 fr. au recourant à titre d'indemnité équitable et a considéré implicitement que l'intimé avait reçu un montant au moins aussi important, sans ignorer qu'il avait bénéficié de "salaires" et qu'il avait obtenu le domaine à la valeur de rendement, non compté un pâturage. Le grief du recourant s'avère donc infondé.
5.
Le recourant se plaint également d'arbitraire dans la constatation des faits et l'appréciation des preuves (art. 9 Cst.) en relation avec la demande de rapport qu'il a formée à l'encontre de son frère et qui a été écartée par la cour cantonale; son grief concerne plus particulièrement la maison que son père a vendue à l'intimé en 1982 et que celui-ci occupait déjà avec sa famille depuis octobre 1977; le recourant voit dans la vente de cette maison une libéralité rapportable, compte tenu de la disproportion entre le prix payé et la valeur effective de l'immeuble.
5.1 La cour cantonale a retenu que le père défunt a vendu l'immeuble à l'intimé en 1982 pour le prix de 150'000 fr. Elle a considéré - se référant aux dires de l'expert - que l'immeuble valait 178'000 fr. en 1977, époque à laquelle l'intimé a pris possession des lieux, et 208'000 fr. en 1982, lors de la vente. Elle a constaté que cette augmentation de valeur résultait, outre de l'éventuelle plus-value liée au seul écoulement du temps, des améliorations apportées au bâtiment dans l'intervalle, sans qu'il soit possible de fixer la valeur réelle des travaux effectués, ni de préciser qui avait payé les fournitures. L'autorité cantonale a relevé que l'intimé a invoqué avoir "retapé" la maison et que l'expert a évalué les travaux effectués par celui-ci à 30'000 fr., sans compter les fournitures. Dans ces conditions, la cour cantonale a estimé qu'il n'était pas possible d'affirmer qu'il y aurait eu une véritable disproportion entre le prix payé par l'intimé en 1982 et la valeur effective de la maison. En effet, si le père a pris en considération la valeur de la maison en 1977, soit 178'000 fr. - vu les travaux de 30'000 fr. accomplis par l'intimé depuis -, pour fixer le prix de vente à 150'000 fr., la différence, de l'ordre de 15%, ne saurait être qualifiée de véritable disproportion, mais entre dans le cadre du prix avantageux que des parties unies par des liens privilégiés peuvent convenir. Au demeurant, la valeur d'expertise de la maison, que ce soit pour 1977 ou 1982, demeure théorique et ne suffit pas à démontrer que les parties avaient conscience que le prix de 150'000 fr. ne correspondait pas à la valeur effective de la maison et donc que le père avait ou aurait dû avoir conscience de faire pour partie une donation à son fils. La cour cantonale en a conclu que les conditions pour le rapport d'une partie de la valeur de la maison n'étaient pas données en l'espèce.
5.2 Le recourant soutient que les juges cantonaux ont arbitrairement ignoré les preuves administrées, à savoir les déclarations de leur mère. Dans la mesure où les déclarations dont le recourant se prévaut concernent les réparations de la maison effectuées "avant que E.________ ne l'occupe" et "les factures relatives à ces travaux" (recours, p. 6, ch. 2, 3ème et 4ème par.), elles se réfèrent à la période antérieure à "1977, époque à laquelle E.________ a pris possession des lieux" (jugement attaqué, p. 17 in initio), et ne sont donc pas pertinentes pour l'appréciation des faits entre 1977 et 1982. Le grief est donc infondé.
5.3 Lorsqu'il soutient que les juges cantonaux ont retenu les déclarations de l'intimé relatives aux travaux qu'il a effectués sur la maison alors que celles-ci n'ont jamais été prouvées, le recourant méconnaît que la cour cantonale a retenu que "l'expert a évalué les travaux que E.________ a exécutés à 30'000 fr.". Dès lors qu'il ne s'en prend pas à cette appréciation de l'autorité cantonale qui reprend la constatation de l'expert, son grief, qui ne répond pas aux exigences de motivation posées par l'art. 90 al. 1 let. b OJ (cf. supra, consid. 3.2), est irrecevable.
6.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de son auteur (art. 156 al. 1 OJ). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens aux intimés, qui n'ont pas été invités à répondre.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Un émolument judiciaire de 6'000 fr. est mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la IIe Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
Lausanne, le 4 mai 2007
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: