BGer 5P.512/2006
 
BGer 5P.512/2006 vom 24.05.2007
Tribunale federale
{T 0/2}
5P.512/2006 /frs
Arrêt du 24 mai 2007
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Hohl et Marazzi.
Greffière: Mme Borgeat.
Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Christophe Tornare, avocat,
contre
dame X.________,
intimée, représentée par Me Alain Ribordy, avocat,
Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg, case postale 56, 1702 Fribourg.
Objet
art. 5 al. 1 et 9 Cst. (mesures protectrices de l'union conjugale; dépens),
recours de droit public [OJ] contre l'arrêt de la Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg
du 3 novembre 2006.
Faits :
A.
Par jugement du 15 décembre 2005, le Président du Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine, statuant sur la requête de mesures protectrices de l'union conjugale déposée le 19 septembre 2005 par dame X.________ à l'encontre de X.________, a autorisé les époux à vivre séparés pour une durée de deux ans (1); attribué le logement familial à l'épouse (2); confié les deux enfants à leur mère pour leur garde et leur entretien (3); réglé le droit de visite du père (4); astreint celui-ci à contribuer à l'entretien de ses deux enfants par le versement d'une pension mensuelle de 500 fr. pour chacun d'eux, allocations familiales et communales en sus, à partir du 1er mars 2005, sous déduction des montants déjà versés (5 et 7); fixé la contribution du mari à l'entretien de son épouse à 1'000 fr. par mois dès le 1er mars 2005, sous déduction des montants déjà versés (6 et 7); rejeté tout autre ou plus ample chef de conclusions (8); et mis les dépens à la charge de l'époux (9). Le bénéfice de l'assistance judiciaire a été refusé à dame X.________ par décision séparée du même jour.
B.
Statuant le 13 avril 2006 sur recours de l'époux, le Tribunal civil de l'arrondissement de la Sarine l'a partiellement admis; il a refusé de réduire la pension due à l'épouse à 800 fr. par mois, mais il a modifié le point de départ de cette pension, le fixant au 1er septembre 2005; il a en outre refusé de modifier l'attribution des dépens. Les dépens de la procédure de recours, comprenant notamment les frais de justice dus à l'État, par 600 fr. (émolument et débours compris), ont été mis à la charge de l'époux.
C.
Par mémoire du 30 mai 2006, l'époux a appelé de ce jugement, invoquant la violation de l'art. 111 CPC/FR (condamnation aux dépens) et concluant à ce que les dépens des deux procédures susmentionnées - devant le Président du Tribunal civil et devant le Tribunal civil - soient laissés à la charge de chaque partie.
Par arrêt du 3 novembre 2006, la Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg a déclaré le recours irrecevable, dépens à la charge de l'époux.
D.
Contre cet arrêt, le mari interjette un recours de droit public au Tribunal fédéral, concluant à son annulation et au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour qu'il rende un jugement dans le sens des considérants. Il invoque la violation du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst.) et celle du principe de l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.).
Par ordonnance présidentielle du 15 décembre 2006, sa requête d'effet suspensif (cf. art. 94 OJ) a été rejetée, la seule menace de l'exécution d'une décision portant sur le paiement d'une somme d'argent ne suffisant pas à justifier l'octroi de l'effet suspensif.
L'épouse conclut à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours, et à ce que l'époux soit condamné à lui verser une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens. La Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal propose le rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'arrêt attaqué ayant été rendu avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242), de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110), l'ancienne loi d'organisation judiciaire (OJ) est applicable à la présente cause (art. 132 al. 1 LTF).
2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 132 III 747 consid. 4 p. 748).
2.1 Déposé en temps utile (art. 89 al. 1 OJ) contre une décision finale (art. 87 OJ a contrario) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 OJ), pour violation du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst.) et application arbitraire (art. 9 Cst.) du droit cantonal de procédure (art. 54a al. 3 de la loi d'application du code civil suisse pour le canton de Fribourg: LACC/FR; RSF 210.1), le présent recours, qui ne peut pas être soumis au Tribunal fédéral par un autre moyen de droit (art. 84 al. 2 OJ), est recevable.
2.2 Le Tribunal fédéral revoit l'interprétation et l'application du droit cantonal (de procédure) sous l'angle de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Il peut s'écarter de l'interprétation retenue par la cour cantonale lorsqu'elle se révèle insoutenable parce que manifestement contraire au sens et au but de la disposition en cause. L'annulation de la décision attaquée ne se justifie toutefois que si celle-ci est arbitraire dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219).
En vertu de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, l'acte de recours doit contenir, sous peine d'irrecevabilité (cf. ATF 123 II 552 consid. 4d p. 558), un exposé succinct des droits constitutionnels ou des principes juridiques violés, précisant en quoi consiste la violation. Dans le cadre d'un recours de droit public, le Tribunal fédéral n'examine que les griefs expressément soulevés, et présentés de façon claire et détaillée, le principe iura novit curia étant inapplicable (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 129 I 113 consid. 2.1 p. 120 et les arrêts cités). Le justiciable qui se plaint d'arbitraire (art. 9 Cst.) ne peut dès lors se contenter de critiquer la décision attaquée comme il le ferait en instance d'appel, où la juridiction supérieure jouit d'une libre cognition; en particulier, il ne saurait se limiter à opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais doit démontrer par une argumentation précise que cette décision se fonde sur une application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement insoutenables (ATF 129 I 113 consid. 2.1 p. 120; 128 I 295 consid. 7a p. 312; 125 I 492 consid. 1b p. 495 et les arrêts cités). Le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur les critiques de nature appellatoire (ATF 130 I 258 consid. 1.3 p. 261/262; 125 I 492 consid. 1b p. 495).
La cour cantonale a refusé d'entrer en matière sur le recours en appel du mari pour application arbitraire de l'art. 111 CPC/FR (condamnation aux dépens); elle considère en effet que seule la violation du droit fédéral applicable aux mesures protectrices de l'union conjugale peut être invoquée par la voie de l'appel au Tribunal cantonal prévue par l'art. 54a al. 3 LACC/FR.
Selon l'intimée, le recours de droit public est irrecevable parce que le recourant n'a pas motivé, de manière conforme à l'art. 90 al. 1 let. b OJ, que la décision attaquée est arbitraire "dans son résultat"; elle fait valoir que "le recourant ne tente pas de démontrer [...] que l'arrêt attaqué aurait pour résultat de confirmer une attribution arbitraire des dépens". Le raisonnement de l'intimée ne saurait être suivi. En effet, dans le cas d'espèce, si l'interprétation de l'art. 54a al. 3 LACC/FR par la Cour d'appel devait s'avérer arbitraire, sa décision serait, par voie de conséquence, arbitraire dans son résultat, puisque privant totalement le recourant de la possibilité de faire contrôler l'application du droit, en l'occurrence l'art. 111 CPC/FR, par la Cour d'appel. Or, comme le reconnaît elle-même l'intimée, le recourant a correctement motivé en quoi, selon lui, l'interprétation de l'art. 54a al. 3 LACC/FR par l'autorité cantonale est insoutenable. Partant, on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir insisté - en particulier - sur le caractère arbitraire du résultat de l'arrêt cantonal, qui va de soi, comme on l'a vu, si sa critique relative à l'interprétation de l'article litigieux s'avérait fondée. Contrairement à ce que semble penser l'intimée, il ne s'agit pas en l'espèce, pour démontrer en quoi l'arrêt entrepris serait arbitraire dans son résultat, de s'en prendre à la manière dont les dépens ont été attribués par les différentes autorités cantonales. Partant, les exigences posées par l'art. 90 al. 1 let. b OJ étant respectées, la cour de céans peut entrer en matière sur le recours de droit public.
3.
Comme vu ci-dessus, la cour cantonale a déclaré irrecevable le recours en appel de l'époux pour application arbitraire de l'art. 111 CPC/FR, considérant en substance que l'art. 54a al. 3 LACC/FR ne permet d'invoquer que la violation du droit fédéral, à l'exclusion du droit cantonal. Le recourant estime que, ce faisant, l'autorité cantonale a violé le principe de la légalité garanti par l'art. 5 al. 1 Cst. et appliqué arbitrairement l'art. 54a al. 3 LACC/FR. Il relève que, si l'appel prévu par cet article est bien limité à la violation du droit et à la constatation inexacte des faits, le texte légal ne fait par contre aucune distinction entre le droit fédéral et le droit cantonal, pas plus qu'entre le droit de fond et le droit de procédure. Selon lui, la cour cantonale, en restreignant l'appel en question à la violation du droit fédéral, s'est écartée fautivement de la volonté du législateur; il mentionne à cet égard les travaux préparatoires relatifs à l'art. 54a al. 3 LACC/FR, qui ne laissent aucunement apparaître la volonté de limiter ce recours à la stricte violation du droit fédéral. Il considère que c'est donc à tort que l'autorité cantonale a refusé de statuer sur son recours en appel du 30 mai 2006 et qu'elle l'a déclaré irrecevable.
Dans la mesure où le grief de violation de l'art. 5 al. 1 Cst. n'est formulé que comme une conséquence de l'interprétation de l'art. 54a al. 3 LACC/FR, il n'a pas de portée qui aille au-delà de celui d'arbitraire dans l'interprétation de cette disposition.
3.1 En vertu des art. 54 let. d et 54a al. 1 LACC/FR, les mesures protectrices de l'union conjugale, régies par les art. 172 à 179 CC, sont prises en procédure sommaire (art. 360 ss CPC/FR) par le président du tribunal d'arrondissement. Selon l'art. 54a al. 2 LACC/FR, le jugement du président peut faire l'objet d'un recours au tribunal d'arrondissement dans un délai de trente jours, les art. 376 ss CPC/FR étant applicables pour le surplus.
Aux termes de l'art. 54a al. 3 LACC/FR, le jugement du tribunal d'arrondissement peut à son tour faire l'objet d'un recours en appel au Tribunal cantonal, lequel est limité à la "violation du droit et à la constatation inexacte des faits".
Depuis 1998, le Code de procédure civile du canton de Fribourg ne connaît plus qu'un seul recours au Tribunal cantonal - le recours en appel (art. 291 ss CPC/FR) -, lequel se présente sous deux formes: le recours ordinaire avec une cognition libre en fait et en droit (art. 299a al. 1 CPC/FR) et le recours restreint avec une cognition libre en droit et limitée en fait à l'arbitraire, dans certains cas (art. 299a al. 2 CPC/FR), notamment dans les contestations soumises à la procédure sommaire (art. 299a al. 2 let. b CPC/FR).
3.2 Pour refuser d'entrer en matière sur le recours en appel de l'époux du 30 mai 2006, la cour cantonale s'est référée à son arrêt rendu le 9 janvier 2006 (actuellement publié in RFJ 2006, p. 144 ss); dans cet arrêt, elle a considéré que la dénomination de l'appel prévu à l'art. 54a al. 3 LACC/FR était mauvaise, le législateur ayant en fait voulu créer un recours spécial pour les mesures protectrices, avec les caractéristiques d'un recours en cassation; elle y a en outre indiqué, sans que cela fût décisif pour le cas jugé en l'espèce, que "le droit dont la violation peut être invoquée est le droit fédéral applicable aux mesures protectrices, y compris l'art. 4 CC". Dans l'arrêt présentement attaqué, la cour cantonale se réfère à cette mention pour désormais exclure de la "violation du droit" au sens de l'art. 54a al. 3 LACC/FR une règle de procédure cantonale, en l'occurrence l'art. 111 CPC/FR relatif à l'attribution des dépens. La Cour d'appel ajoute qu'admettre en l'espèce la recevabilité du recours aurait pour conséquence que la décision sur les dépens rendue dans une procédure de mesures protectrices pourrait être attaquée devant le Tribunal d'arrondissement et devant le Tribunal cantonal, alors que, dans les autres procédures, seule la voie de l'appel devant le Tribunal cantonal est ouverte; selon elle, le législateur ne peut avoir voulu cela.
Dans sa réponse au recours de droit public, la Cour d'appel précise que la révision de la LACC/FR relative aux mesures protectrices de l'union conjugale - entrée en vigueur en 2004 - avait pour but d'adopter une procédure plus rapide et plus simple et de décharger le Tribunal cantonal. Elle se réfère une nouvelle fois à son arrêt rendu le 9 janvier 2006 et cite certaines interventions faites lors de la séance du Grand Conseil du 12 février 2004 (Projet de loi modifiant la loi d'application du code civil suisse pour le canton de Fribourg; mesures protectrices de l'union conjugale). La cour cantonale répète que le législateur n'a pas pu vouloir que la décision sur les dépens, qui est un point accessoire, soit aussi susceptible d'un recours au Tribunal cantonal, et encore moins d'un double recours comme c'est le cas en l'espèce (recours au Tribunal d'arrondissement et au Tribunal cantonal). Elle considère finalement que les motifs qu'elle expose sont des raisons sérieuses pour s'écarter du texte de l'art. 54a al. 3 LACC/FR.
3.3 Les arguments présentés par la Cour d'appel ne sont pas convaincants; l'interprétation qu'elle donne de l'art. 54a al. 3 LACC/FR est arbitraire (cf. supra, consid. 2.2 in initio). En effet, il n'est pas possible de déduire des termes légaux "violation du droit" que le contrôle serait restreint à la violation du droit fédéral exclusivement. Il ne découle pas non plus de la dénomination "recours en appel" retenue à l'art. 54a al. 3 LACC/FR que l'application du droit de procédure cantonal ne pourrait être revue. Rien dans les travaux préparatoires ne permet de retenir que le législateur a voulu créer un recours spécial au Tribunal cantonal, ayant les caractéristiques d'un recours en cassation, dont il n'existerait aucune règle générale dans le Code de procédure civile; aucun des intervenants ne mentionne expressément que le recours devrait se limiter à la violation du droit fédéral, à l'exclusion du droit cantonal. Une telle interprétation n'est pas non plus compatible avec la systématique du Code de procédure civile; l'appel se présente en effet sous deux formes, comme vu précédemment, soit l'appel ordinaire et l'appel restreint (art. 299a CPC/FR; cf. supra, consid. 3.1 in fine); or, l'art. 54a al. 3 LACC/FR, qui parle de recours en appel pour violation du droit et constatation inexacte des faits, est clairement un cas d'application de l'art. 299a al. 2 let. b CPC/FR (procédure sommaire), même si les termes d'arbitraire en fait y sont remplacés par ceux de "constatation inexacte des faits". Il est en effet communément admis que la notion de constatation inexacte des faits est équivalente à celle d'arbitraire (cf. à ce sujet le Message du Conseil fédéral du 28 février 2001 ad art. 92 LTF - actuellement art. 97 LTF - in FF 2001 p. 4135).
Cette motivation arbitraire ayant eu pour conséquence que le Tribunal cantonal a refusé d'entrer en matière sur le recours en appel du 30 mai 2006, le déclarant irrecevable, le résultat est également arbitraire dès lors que le recourant a été totalement privé de la possibilité de faire contrôler l'application du droit (art. 111 CPC/FR) par la Cour d'appel.
4.
Vu cette issue, les frais de la procédure doivent être mis à la charge de l'intimée qui a conclu à l'irrecevabilité, subsidiairement au rejet du recours; elle devra également verser une indemnité de dépens au recourant (cf. art. 156 al. 1 et 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis et l'arrêt attaqué est annulé.
2.
Un émolument judiciaire de 750 fr. est mis à la charge de l'intimée.
3.
L'intimée versera au recourant une indemnité de dépens de 750 fr.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Ie Cour d'appel du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg.
Lausanne, le 24 mai 2007
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: