Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
12T_1/2007
Décision du 29 mai 2007
Commission administrative
Composition
M. le Juge Aeschlimann, Président,
Mme la Juge Leuzinger, Vice-présidente,
M. le Juge Meyer, Juge fédéral,
M. le Secrétaire général Tschümperlin.
Dénonciateurs
X.________,
Y.________,
contre
Tribunal administratif fédéral, 3003 Berne.
Objet
plainte à l'autorité de surveillance concernant la durée d'une procédure devant l'ancienne Commission de recours en matière d'asile 1 / N 410 498 / FR / VMA / VIT
Faits :
A.
Les dénonciateurs sont ressortissants russes. En juillet 2001, ils se sont rendus en Suisse où ils ont déposé une demande d'asile. L'Office fédéral des réfugiés (ci-après: ODR) a rejeté celle-ci par décision du 11 juin 2003.
B.
Le 7 juillet 2003, les dénonciateurs ont recouru contre cette décision auprès de la Commission fédérale de recours en matière d'asile (ci-après: CRA) (pièce 8A/1). Par lettres des 11 août 2003, 11 mai 2004, 2 novembre 2004, 29 mars 2005, 4 avril 2005 et 21 septembre 2006, ils ont fourni diverses informations et documents complémentaires. Dans deux courriers du 30 novembre 2004 (pièce 8A/12) et du 13 avril 2005 (pièce 8A/17), ils se sont plaints auprès de la CRA de la durée de la procédure.
C.
Par décision du 23 juillet 2003, la CRA a imparti aux dénonciateurs un délai pour s'acquitter de l'avance de frais, a rejeté leur demande d'assistance judiciaire et autorisé leur séjour en Suisse pour la durée de la procédure (pièce 8A/2). L'avance de frais a été versée le 5 août 2003 (pièce 8A/3).
Le 29 juillet 2004, la CRA a invité l'ODR à émettre une prise de position (pièce 8B/A31/2). Celle-ci lui est parvenue le 6 août 2004 (pièce 8A/8) et a été envoyée le 9 août 2004 aux dénonciateurs pour déterminations (pièce 8A/9). Ces dernières, datées du 23 août 2004, sont parvenues le 25 août 2004 à la CRA (pièce 8A/10).
Par courrier du 31 mars 2005, la CRA a demandé à l'ambassade suisse à Moscou d'examiner le dossier des dénonciateurs et de confirmer l'authenticité des documents qu'ils ont produits (pièce 8A/15). L'ambassade suisse a transmis la demande au consulat général de Suisse à St-Pétersbourg (ci-après: consulat général) qui a chargé une avocate sur place de procéder aux vérifications requises. Par fax du 9 juin 2005, transmis le même jour en courrier postal par le consulat général à la CRA, qui l'a reçu le 21 juin 2005, l'avocate a indiqué que les services consultés n'avaient pas encore répondu, mais que les documents présentés par les dénonciateurs semblaient peu dignes de foi à différents égards. Elle prévoyait de donner des nouvelles dès qu'elle en saurait davantage (pièce 8A/19).
Dans un entretien téléphonique du 9 février 2006 entre la CRA et le consulat général, ce dernier s'est engagé à rappeler à l'avocate de vérifier les points encore en suspens (pièce 8A/20). Les 18 et 25 avril 2006, le consulat a envoyé à la CRA deux rapports complémentaires (pièces 8A/21 et 8A/22). Par courrier du 4 mai 2006, la CRA a demandé au consulat de préciser si d'autres rapports allaient encore être envoyés et l'a en particulier prié de répondre à différentes questions toujours restées sans réponse (pièce 8A/23). Les 20 juin, 17 juillet et 21 août 2006, le consulat a encore envoyé des rapports complémentaires (pièces 8A/25, 8A/26 et 8A/27).
D.
Le 23 octobre 2006, les dénonciateurs ont interjeté auprès du Conseil fédéral un moyen de droit intitulé « recours pour déni de justice » à l'encontre de la CRA (pièce 2). Ils demandent que soit constaté le refus de statuer de la CRA et qu'il lui soit enjoint de statuer immédiatement sur leur moyen de droit. Ils font valoir que depuis le dépôt de leur recours auprès de la CRA en juillet 2003, trois ans et quatre mois se sont écoulés sans qu'une décision soit prise, malgré qu'ils se soient plaints à deux reprises de la durée de la procédure par lettres du 30 novembre 2004 et du 13 avril 2005. De plus, la CRA avait répondu le 7 décembre 2004 que la décision était prévue pour le premier semestre 2005 (pièce 8A/13), mais avait précisé le 21 avril 2005 que des mesures d'instruction supplémentaires seraient nécessaires (pièce 8A/18). Depuis lors, elle est restée inactive.
E.
Le 29 décembre 2006, après diverses transmissions au sein de l'administration (voir pièce 4, p. 1), l'Office fédéral de la justice a remis le "recours" au Tribunal fédéral (ci-après: TF). Par décision (ordonnance) du 15 février 2007, ce dernier l'a déclaré recevable en tant que plainte à l'autorité de surveillance (pièce 4).
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La présente procédure concerne - comme développé plus en détail dans la décision du TF du 15 février 2007 (pièce 4) - une plainte à l'autorité de surveillance au sens des art. 1 al. 2 LTF et 3 let. f RSTF en relation avec l'art. 71 al. 1 PA. Selon l'art. 2 al. 2 RSTF, cette autorité n'exerce pas de surveillance sur la jurisprudence. Dans le cadre de la présente plainte à l'autorité de surveillance, le Tribunal fédéral examine donc uniquement si le cours de la procédure devant la CRA correspond au déroulement régulier d'une affaire. La procédure est conduite d'office entre autorités et ne confère aucun droit de partie (art. 71 al. 2 PA; art. 9 al. 2 RSTF).
2.
Les dénonciateurs se plaignent d'un refus de statuer ou d'un déni de justice (pièce 2, p. 2). La CRA a expressément déclaré par courriers des 7 décembre 2004 et 21 avril 2005 qu'elle allait statuer sur le recours du 7 juillet 2003 et qu'elle avait entrepris diverses mesures d'instruction; le TAF a précisé qu'il faudrait encore en ordonner dans ses déterminations du 30 mars 2007 (pièce 7, p. 2). Dès lors, il n' y a manifestement pas de déni de justice formel, c'est-à-dire un refus exprès ou tacite de prendre une décision (ATF 117 Ia 116 consid. 3a p. 117; 107 Ib 160 consid. 3b p. 164; Lorenz Meyer, Das Rechtsverzögerungsverbot nach Art. 4 BV, thèse Berne 1982, p. 3; Georg Müller, in: Kommentar BV, n. 89 ad art. 4 Cst.; Jörg Paul Müller, Grundrechte in der Schweiz, 3e éd. Berne 1999, p. 495) .
3.
3.1 Toutefois, il y a lieu d'examiner si la procédure a duré tellement longtemps qu'elle ne correspond plus aux exigences de l'exécution régulière de ses tâches par la CRA, auquel cas il se justifie de se référer par analogie aux critères développés dans le cadre du recours pour retard injustifié.
3.2 L'art. 29 al. 1 Cst. garantit, comme exigence minimale dans une procédure judiciaire ou administrative, le droit à ce qu'une décision soit prise dans un délai raisonnable. L'art. 6 par. 1 CEDH garantit le même droit, c'est-à-dire que les contestations sur des droits et obligations de caractère civil doivent être jugées dans un délai raisonnable (arrêt du TF 1A.169/2004 du 18 octobre 2004, publié in Pra 2005 no 58 p. 447; Lorenz Meyer, op. cit., p. 7 et 34).
3.3 Selon les principes développés par la jurisprudence relative à l'art. 4 al. 1 aCst. en matière de retard injustifié, toujours applicables sous l'empire de la nouvelle Constitution fédérale (voir art. 29 al. 1 Cst.), une autorité judiciaire ou administrative doit rendre sa décision dans un certain délai, qui apparaît raisonnable au vu de la nature de l'affaire et de l'ensemble des circonstances. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure ne peut pas être fixé de manière absolue, mais doit être apprécié dans le cas d'espèce en tenant compte de toutes les circonstances et de l'ensemble de la procédure. Sont ainsi notamment à prendre en considération la nature, le genre et la complexité de l'affaire, le comportement des personnes et des autorités, l'enjeu pour les intéressés et les développements spécifiques à l'affaire (arrêt 1A.169/2004 du 18 octobre 2004, in Pra 2005 no 58 p. 447, ATF 124 I 139 consid. 2c, p. 142, ZBl 2002 p. 411 consid. 2d, avec références; arrêt CourEDH Josef Müller contre Suisse, ch. 31, JAAC 2003 139 1415; Lorenz Meyer, op. cit., p. 35 ss, également pour ce qui suit).
Pour les dénonciateurs, il n'est pas important de savoir sur quels motifs est fondée la durée excessive de la procédure; est uniquement déterminant le fait que l'autorité n'agit pas ou pas dans les délais. Lors du constat d'une durée excessive de la procédure, il faut examiner si les circonstances qui ont conduit à la prolongation de la procédure sont objectivement justifiées (ATF 125 V 188 consid. 2a, 117 Ia 193 consid. 1c, 108 V 13 consid. 4c; 107 Ib 160 consid. 3b; 103 V 190 consid. 3c; Georg Müller, in: Kommentar BV, n. 92 ss. ad art. 4 Cst.; Jörg Paul Müller, Grundrechte in der Schweiz, 3e éd. Berne 1999, p. 503 ss. et Markus Schefer, Grundrechte in der Schweiz, Ergänzungsband zur dritten Auflage des gleichnamigen Werkes von Jörg Paul Müller, 2005, p. 282 ss).
4.
4.1 Depuis l'introduction de la demande d'asile jusqu'au dépôt de la présente plainte à l'autorité de surveillance, 5 ans et 3 mois se sont écoulés (63 mois). La procédure devant la CRA mise en cause par les dénonciateurs a duré environ 3 ans et 3 mois (39 mois) jusqu'au dépôt du recours.
Il y a lieu de relever en particulier environ 12 mois entre le paiement de l'avance de frais par les dénonciateurs le 5 août 2003 et la prochaine mesure d'instruction ordonnée par la CRA, soit l'invitation de l'ODR à prendre position le 29 juillet 2004. Durant ces 12 mois, la CRA est restée inactive. Après avoir reçu le 25 août 2004 les déterminations des dénonciateurs suite à la prise de position de l'ODR, la CRA a laissé s'écouler 7 autres mois avant d'envoyer le 31 mars 2005 une demande à l'ambassade suisse à Moscou. Après que le consulat général a remis environ 3 mois plus tard à la CRA, via l'ambassade suisse à Moscou, une première réponse écrite incomplète et dit avoir en vue d'autres informations, 7 mois et demi ont à nouveau passé jusqu'à ce que la CRA la relance, d'abord par téléphone le 9 février 2006, puis environ 3 mois plus tard, soit le 4 mai 2006, par écrit. Le dernier des rapports émis à ce sujet est parvenu le 25 août 2006 à la CRA. En tout, près de 17 mois se sont ainsi écoulés entre la demande de la CRA à l'ambassade suisse à Moscou et la réception du dernier rapport.
4.2 Il est notoire qu'il y a énormément d'affaires à trancher en matière d'asile et de droit des étrangers. Beaucoup de cas sont également portés devant l'autorité de recours, qui est ainsi obligée de mettre certaines priorités (arrêt du Tribunal fédéral non publié 2A.17/2000 du 21 février 2000). Elle dispose naturellement pour cela d'une grande marge d'appréciation, dans laquelle il n'appartient pas à l'autorité de surveillance de s'immiscer. L'autorité de surveillance n'intervient que si le cours de la procédure ne respecte manifestement plus le déroulement régulier d'une affaire.
4.3 En l'espèce, il est patent que la CRA est restée inactive pendant longtemps par deux fois au début de la procédure. Entre la réception de l'avance de frais et l'invitation de l'ODR à prendre position, elle a laissé passer près de 12 mois sans prendre d'autres mesures. Après la remise des déterminations des dénonciateurs suite à la prise de position de l'ODR, environ 7 autres mois se sont écoulés jusqu'à ce que la CRA envoie ses questions à l'ambassade suisse à Moscou. Pour ces deux phases d'inactivité, il n'y a aucune justification objective au regard du degré de complexité et du temps lié aux mesures d'instruction ordonnées.
Dans les déterminations du TAF, il est exposé que la procédure a pris du retard avant tout en raison de la complexité particulière du cas (pièce 7, ch. 2). Il est vrai que les difficultés de l'affaire concernent principalement l'éclaircissement de l'état de fait, qui exige la collaboration de l'ambassade suisse à Moscou ainsi que de diverses autorités et personnes en Russie. La longue durée de la procédure après la demande à l'ambassade suisse en Russie, soit depuis le 31 mars 2005, est en partie due au fait que les services interrogés en Russie n'ont répondu que de manière incomplète et en faisant traîner les choses. Il est également reconnu que les retards de procédure dus au fait que les autorités étrangères ont fait traîner la procédure ne sont généralement pas à mettre à la charge de la collectivité publique (ATF 103 V 198). L'autorité suisse compétente doit néanmoins dans le cadre des moyens disponibles faire en sorte que l'autorité étrangère exécute rapidement la mission dont on l'a chargée. De ce point de vue, le temps que la CRA a attendu jusqu'à la première sommation téléphonique (environ 10 mois après la demande, ou 7 mois et demi après réception de la première réponse), respectivement jusqu'à la sommation écrite (environ 13 mois après la demande, ou 10 mois et demi après réception de la première réponse) dépasse la limite acceptable.
4.4 Après avoir interjeté leur recours auprès de la CRA, les dénonciateurs ont déposé six dossiers de pièces en tout, contenant divers documents et informations pour étayer leur demande. Il ne peut cependant pas être reproché aux dénonciateurs d'avoir déployé une activité démesurée qui se serait répercutée sur la longueur de la procédure (voir ATF 1A.169/2004 consid. 2.2., publié in Pra 2005 no 58 p. 447). On peut encore moins leur imputer une passivité excessive, puisqu'ils se sont plaints à deux reprises par écrit de la longueur de la procédure.
4.5 Dans l'ensemble, la présente procédure a duré tellement longtemps qu'elle ne correspond plus, en tenant compte des circonstances de l'espèce, au déroulement ordinaire d'une affaire. En particulier, il y a lieu de relever les deux phases objectivement inacceptables d'environ 12, respectivement 7 mois, pendant lesquelles la CRA est restée inactive, ainsi que la période excessive jusqu'à la sommation des autorités suisses à l'étranger.
5.
Dans les déterminations du TAF du 30 mars 2007, il est constaté que de nouvelles mesures d'instruction complémentaires seraient nécessaires avant que la procédure soit prête à être jugée (pièce 7). De telles mesures risquent fort d'entraîner un nouveau retard dans la procédure, d'autant que manifestement rien n'a avancé jusqu'ici. Le Tribunal administratif fédéral devra donc s'assurer que ces éventuelles mesures d'instruction complémentaires interviennent au plus vite.
6.
En résumé, il s'ensuit qu'en l'espèce la durée de la procédure devant la CRA ne correspond objectivement pas au déroulement ordinaire d'une affaire, d'autant que la procédure n'est actuellement, c'est-à-dire après environ 45 mois, toujours pas prête à être jugée. Dans ces circonstances, il se justifie d'enjoindre au Tribunal administratif fédéral de clore rapidement cette procédure et de rendre une décision au plus vite.
Vu l'issue de la procédure, il n'est pas perçu de frais ( art. 63 al. 1 et 2 PA ). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral décide:
1.
Il est constaté que la procédure de recours devant l'ancienne commission de recours en matière d'asile a duré trop longtemps.
2.
Il est enjoint au Tribunal administratif fédéral de clore rapidement la procédure concernant le recours interjeté le 15 juillet 2003 par X.________ et Y.________ et de rendre une décision au plus vite.
3.
Il n'est pas perçu de frais ni alloué de dépens.
4.
La présente décision est communiquée au Tribunal administratif fédéral.
Lausanne, le 29 mai 2007
Au nom du du Tribunal fédéral
La commission administrative
Le Président: Le Secrétaire général: