Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
2P.326/2006
Arrêt du 10 juillet 2007
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Merkli, Président,
Hungerbühler et Wurzburger.
Greffière: Mme Dupraz
Parties
1. Ordre des avocats fribourgeois,
2. A.________,
3. B.________,
4. C.________,
5. D.________,
6. E.________,
7. F.________,
8. G.________,
9. H.________ et I.________, agissant par leur mère J.________,
recourants,
tous représentés par Me Nicolas Charrière, avocat,
contre
Conseil d'Etat du canton de Fribourg, rue des Chanoines 118, 1702 Fribourg.
Objet
octobre 2006 modifiant le tarif concernant les indemnités allouées aux défenseurs en matière d'assistance judiciaire au civil et au pénal et d'aide aux victimes d'infractions),
recours de droit public contre l'ordonnance du Conseil d'Etat du canton de Fribourg du 30 octobre 2006.
Faits :
A.
Le Conseil d'Etat du canton de Fribourg (ci-après: le Conseil d'Etat) a édicté, le 14 juin 2000, le tarif concernant les indemnités allouées aux défenseurs en matière d'assistance judiciaire au civil et au pénal et d'aide aux victimes d'infractions (ci-après: le Tarif) qui, dans sa teneur initiale, prévoyait ce qui suit à son article 1:
"1L'indemnité équitable allouée au défenseur d'office en matière civile et pénale est fixée compte tenu du travail requis, de l'importance et de la difficulté de l'affaire.
2En cas de fixation sur la base d'une liste de frais détaillée, l'indemnité horaire est de 150 francs."
Par ordonnance du 30 octobre 2006 (ci-après: l'Ordonnance), le Conseil d'Etat a modifié l'art. 1 al. 2 du Tarif en portant l'indemnité horaire à 170 fr. (art. 1 de l'Ordonnance). Par ailleurs, l'art. 2 de l'Ordonnance dispose:
"Cette indemnité horaire est applicable à toutes les fixations de listes de frais intervenues dès l'entrée en vigueur de la présente ordonnance. Toutefois, lors de la fixation de ces listes, les opérations antérieures au 1er mars 2006 restent indemnisées au tarif horaire de 150 francs."
B.
Agissant par la voie du recours de droit public, l'Ordre des avocats fribourgeois, A.________, B.________, C.________, D.________, E.________, F.________, G.________, ainsi que H.________ et I.________ concluent en fait à l'annulation de l'Ordonnance, sous suite de frais et dépens. Ils se plaignent de violation de l'interdiction de l'arbitraire, de la liberté économique de l'avocat ainsi que du droit du justiciable à une procédure équitable et à l'assistance judiciaire. Ils invoquent les art. 9, 27 et 29 Cst. ainsi que 6 CEDH.
Le Conseil d'Etat conclut au rejet du recours, sous suite de frais.
Lors d'un second échange d'écritures, les parties ont maintenu leurs conclusions.
C.
Par ordonnance du 22 janvier 2007, le Président de la IIe Cour de droit public a admis la requête d'effet suspensif contenue dans le recours, en ce sens que la pratique instaurée par la Cour de modération du Tribunal cantonal fribourgeois (ci-après: la Cour de modération) - indemnité horaire de 180 fr. - a été maintenue.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
L'acte attaqué ayant été rendu avant le 1er janvier 2007, la procédure reste régie par la loi fédérale du 16 décembre 1943 d'organisation judiciaire (OJ) (art. 132 al. 1 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral [LTF; RS 173.110]).
2.
A.________, B.________, C.________, D.________, E.________ et F.________, tous avocats pouvant être tenus d'accepter des désignations comme avocats d'office, ont indiscutablement qualité pour agir par la voie du recours de droit public (art. 88 OJ). Il en va de même de l'Ordre des avocats fribourgeois, qui est une association ayant notamment pour but de défendre les intérêts de la profession et de représenter le Barreau fribourgeois envers les autorités et les tiers. G.________ ainsi que H.________ et I.________ agissent présentement en justice au bénéfice de l'assistance judiciaire. Leur qualité pour recourir est moins évidente; vu l'issue du recours, la question peut cependant rester indécise. Par ailleurs, le recours remplit les autres conditions de recevabilité des art. 84 ss OJ.
3.
3.1 En premier lieu, les recourants critiquent le montant horaire de 170 fr. pour la rémunération des avocats d'office, étant précisé qu'à ce montant s'ajoutent les débours (art. 2 du Tarif) et la TVA, comme cela résulte de la décision de modération figurant au dossier (CM 2006-14; pièce des recourants n° 19). Selon eux, ce montant ne saurait être inférieur à 180 fr. au vu de la jurisprudence, soit notamment de l'arrêt du 6 juin 2006 paru aux ATF 132 I 201.
Dans cet arrêt, qui concerne le tarif argovien du 26 août 2003, le Tribunal fédéral a estimé que l'indemnisation pour les mandats d'office ne devait pas simplement comporter le remboursement des frais des défenseurs d'office, mais permettre à ceux-ci de réaliser un gain modeste et pas uniquement symbolique. Analysant les frais de l'avocat et partant d'un coût moyen horaire de 130 fr., il a admis que la rémunération de l'avocat d'office devait s'établir en moyenne suisse à 180 fr. de l'heure, plus la TVA, pour être compatible avec la Constitution, des différences cantonales pouvant justifier de s'écarter de ce montant vers le haut ou vers le bas. Encore faut-il qu'une telle différence soit justifiée. Ultérieurement, dans l'arrêt 2P.76/2005 du 27 juin 2006, le Tribunal fédéral a confirmé cette jurisprudence pour le canton de Glaris. Dans l'arrêt 5P.438/2006 du 17 janvier 2007, sur lequel on reviendra plus loin (consid. 3.2 ci-dessous) et qui concerne précisément le canton de Fribourg, le Tribunal fédéral a également pris comme référence une rémunération horaire de 180 fr. Par ailleurs, dans un arrêt du 15 septembre 2006 versé au dossier (CM 2006-14; pièce des recourants n° 19), la Cour de modération a accordé une rémunération horaire de 180 fr., en appliquant la jurisprudence parue aux ATF 132 I 201 et en estimant que le montant de 150 fr. encore prévu par le Tarif n'était pas constitutionnel. Elle a relevé que le niveau des coûts dans le canton de Fribourg devait se situer dans la moyenne suisse et correspondre à la situation existant dans les cantons d'Argovie et de Glaris (cet arrêt n'applique toutefois l'indemnité horaire de 180 fr. que dès le 1er mars 2006, se référant au tarif horaire de 150 fr. pour la période antérieure: sur ce dernier point, cf. consid. 3.2 ci-dessous).
Il n'y a pas lieu de s'écarter de ces précédents. Le Conseil d'Etat objecte notamment que le revenu moyen par habitant pour le canton de Fribourg est inférieur à la moyenne suisse. De leur côté, les recourants le contestent et font valoir que le niveau des salaires dans le canton de Fribourg se situe plutôt dans la moyenne suisse. Quoi qu'il en soit, les chiffres retenus par le Tribunal fédéral dans son arrêt de principe du 6 juin 2006 ne sont pas contredits de ce chef. En particulier, il n'y a pas de raison de penser qu'en ce qui concerne les frais d'avocat, le coût moyen horaire ne soit pas de l'ordre de 130 fr. dans le canton de Fribourg, une indemnité horaire globale de 180 fr. étant alors nécessaire pour assurer à l'avocat d'office la rémunération comportant un gain suffisant au regard des exigences constitutionnelles. Comme l'a jugé la Cour de modération dans l'arrêt susmentionné, la situation du canton de Fribourg est comparable à celle des cantons d'Argovie ou de Glaris (dans le même sens, cf. l'arrêt 5P.438/2006 du 17 janvier 2007). Dès lors, c'est sans raison suffisante, et donc arbitrairement, que l'Ordonnance a tiré le Tarif vers le bas par rapport à la rémunération horaire de 180 fr., d'autant que, dans l'intervalle, il n'y a pas eu d'indice d'une baisse du coût de l'heure d'avocat.
3.2 L'Ordonnance, soit la modification du Tarif, s'applique à toutes les fixations de listes de frais intervenues dès son entrée en vigueur le 1er novembre 2006. Toutefois, les opérations antérieures au 1er mars 2006 restent indemnisées au tarif horaire ancien de 150 fr. Tout en estimant que le tarif horaire devait être porté à 180 fr., la Cour de modération a estimé, dans son arrêt précité du 15 septembre 2006, que le nouveau montant n'était applicable que pour les opérations effectuées dès le 1er mars 2006, parce que la modification de la jurisprudence n'était intervenue qu'au début du mois de mars 2006 (l'arrêt paru aux ATF 132 I 201 a été rendu le 6 juin par la IIe Cour de droit public, après une séance publique du 3 mars 2006, à la suite de laquelle les autres cours ont été consultées selon la procédure de l'art. 16 OJ). Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de dire que ce point de vue était arbitraire. Dans l'arrêt précité 5P.438/2006 du 17 janvier 2007 - où le recours était dirigé contre un arrêt également rendu le 15 septembre 2006 par la Cour de modération (CM 2006-11) -, le Tribunal fédéral a indiqué que la jurisprudence relative au tarif horaire de 180 fr. (ATF 132 I 201 et arrêt 2P.76/2005 du 27 juin 2006) se rapportait à des situations de fait datant de 2003 et 2004. Ainsi, dans l'affaire glaronaise susmentionnée (arrêt 2P.76/2005 du 27 juin 2006), il s'agissait d'une note relative à des opérations allant du 3 juillet 2003 au 2 juillet 2004. Cette jurisprudence ne peut être que confirmée, la limitation prévue à l'art. 2 de l'Ordonnance devant être annulée. Tout au plus peut-on réserver l'hypothèse plutôt théorique à l'heure actuelle où une modération de note d'honoraires devrait concerner une période encore plus ancienne.
4.
Vu ce qui précède, il y a lieu d'admettre le recours pour arbitraire, dans la mesure où il est recevable, et d'annuler l'Ordonnance. Il est dès lors inutile d'examiner si les autres griefs des recourants sont fondés.
Succombant sur le principe, le canton de Fribourg, dont l'intérêt pécuniaire est en cause, doit supporter les frais judiciaires (art. 156 al. 2 OJ).
Obtenant gain de cause sur le principe, les recourants ont droit à des dépens qui seront fixés compte tenu du caractère quelque peu redondant de leur argumentation (art. 159 al. 1 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable et l'ordonnance du Conseil d'Etat du canton de Fribourg du 30 octobre 2006 modifiant le tarif concernant les indemnités allouées aux défenseurs en matière d'assistance judiciaire au civil et au pénal et d'aide aux victimes d'infractions est annulée.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge du canton de Fribourg.
3.
Le canton de Fribourg versera aux recourants, créanciers solidaires, une indemnité de 2'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au mandataire des recourants et au Conseil d'Etat du canton de Fribourg.
Lausanne, le 10 juillet 2007
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le président: La greffière: