Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
4G_1/2007
Arrêt du 13 septembre 2007
Ire Cour de droit civil
Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kiss et Chaix, juge suppléant.
Greffier: M. Carruzzo.
Parties
Y.________ SA,
requérante, représentée par Me Baptiste Rusconi,
contre
X.________, représenté par Me Christophe Piguet,
Z.________ SA,
intimée, représentée par Me Jean-Christophe Diserens.
Objet
demande d'interprétation de l'arrêt rendu le
26 septembre 2006 par la Ire Cour civile du Tribunal fédéral (4C.368/2005 et 4C.370/2005).
Faits :
A.
Le 5 octobre 1988, une explosion a ravagé un immeuble, à Montreux, dont la Fondation A.________ (ci-après: la Fondation) est propriétaire. Ce sinistre est survenu à l'occasion de travaux de rénovation du bâtiment confiés à l'architecte X.________ (ci-après: l'architecte); il a été causé par le percement d'une conduite de branchement de gaz par le marteau-piqueur d'un manoeuvre de l'entreprise Z.________ SA (ci-après: l'entreprise). La responsabilité de Y.________ SA (ci-après: Y.________), qui est au bénéfice d'un monopole d'intervention sur les conduites d'amenée de gaz, a également été engagée dans l'accident.
Par jugement du 9 mai 2005, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois a condamné X.________ et Z.________ SA à verser à la Fondation A.________ les montants de 1'526'072 fr. 60 avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2005 et de 28'800 fr. avec intérêts à 5% dès le 26 juillet 1996 (ch. I) et statué sur les frais et dépens de la cause (ch. VI à IX). La Cour a réparti les responsabilités du dommage à raison de 50% pour l'architecte, de 25% pour l'entreprise et de 25% pour Y.________. Elle a réglé de la manière suivante la question des actions récursoires entre coresponsables:
"Il. Le défendeur X.________ doit relever la défenderesse Z.________ SA, à concurrence des montants payés par celle-ci au-delà du quart des montants alloués sous chiffre I ci-dessus, mais au maximum à concurrence de la moitié des montants alloués sous chiffre I ci-dessus.
III. L'appelée en cause Y.________ SA doit relever la défenderesse Z.________ SA à concurrence des montants payés par celle-ci au-delà du quart des montants alloués sous chiffre I ci-dessus, mais au maximum à concurrence du quart des montants alloués sous chiffre I ci-dessus.
IV. L'appelée en cause doit relever le défendeur X.________ à concurrence des montants payés par celui-ci au-delà de la moitié des montants alloués sous chiffre I ci-dessus, mais au maximum à concurrence du quart des montants alloués sous chiffre I ci-dessus.
V. L'appelée en cause doit payer à X.________ le montant de 38'362 fr. 30 (...), avec intérêt à 5% l'an dès le 21 août 1996."
Ce jugement a fait l'objet de deux recours en réforme séparés de la part de Y.________ et de l'architecte ainsi que d'un recours joint de la part de l'entreprise. Le recours de Y.________ visait notamment à faire constater la prescription des prétentions récursoires de l'entreprise dirigées contre elle.
B.
Par arrêt du 26 septembre 2006, le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de Y.________ et rejeté ceux formés par X.________ et Z.________ SA. Il est notamment arrivé à la conclusion que Z.________ SA était déchue de ses droits de recours envers Y.________ en rapport avec le dommage subi par la Fondation (consid. 6.2.2); l'action récursoire de l'entreprise contre Y.________ devait donc être entièrement rejetée, ce qui entraînait la modification du chiffre III du dispositif du jugement entrepris (consid. 6.3). Dans ses développements relatifs aux dépens, le Tribunal fédéral a relevé que, si Y.________ n'a plus à subir d'action récursoire de la part de l'entreprise, elle "peut toujours être recherchée à concurrence du quart du dommage de la Fondation par l'architecte; économiquement parlant, la présente décision ne modifie donc pas fondamentalement la situation" (consid. 7).
Pour ce qui intéresse la présente cause, le dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral a la teneur suivante:
"Les chiffres Ill et V du dispositif du jugement attaqué sont réformés dans le sens qui suit:
III. L'action récursoire de Z.________ SA contre Y.________ SA est entièrement rejetée.
V. (...)"
C.
Le 5 mars 2007, Y.________ a saisi le Tribunal fédéral d'une demande d'interprétation. Elle y expose que la Fondation a été indemnisée par l'architecte, à raison de 75%, et par l'entreprise, à raison de 25%; dès lors, l'architecte s'estime en droit de lui réclamer la totalité du montant équivalant à 25% du dommage. Or, à suivre Y.________, cela ne serait pas conforme au fond de l'arrêt du Tribunal fédéral. S'inspirant de la réglementation des rapports entre codébiteurs solidaires dans l'éventualité où l'un des débiteurs n'est pas en mesure de s'acquitter de son dû (art. 148 al. 3 CO), Y.________ propose de supporter une charge finale de 2/3 de 25% en faveur de X.________, soit 1/6ème du dommage total.
Y.________ prie en conséquence le Tribunal fédéral de procéder à l'interprétation de son arrêt du 26 septembre 2006 "dans le sens que, du fait de la déchéance des droits de recours de Z.________ SA contre Y.________, la part de la créance principale de la Fondation A.________ selon chiffre I du dispositif du jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal du 8 avril 2005 est réduite à 2/3 de 25%, c'est-à-dire à 1/6 de la créance (2/3 de 1/4 = 1/6), en ce qui concerne la part dont doit encore répondre Y.________ dans le recours interne". Y.________ ajoute, dans ses conclusions, que cela "revient à préciser dans le dispositif de l'arrêt qu'en plus du chiffre III du dispositif du jugement cantonal, tel qu'il a été réformé par l'arrêt du Tribunal fédéral sous ch. 2, le chiffre IV du dispositif du jugement cantonal est modifié en ce sens que le dernier membre de la phrase («mais au maximum à concurrence...») reçoive la teneur suivante: «... mais au maximum à concurrence de 1/6 des montants alloués sous chiffre I ci-dessus»."
X.________ et Z.________ SA concluent principalement à l'irrecevabilité de la requête d'interprétation et, subsidiairement, au rejet de celle-ci.
L'effet suspensif a été accordé à ladite requête par ordonnance présidentielle du 4 avril 2007.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
La présente demande d'interprétation a été déposée après l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110). Comme il ne s'agit pas d'une procédure de recours au sens du chapitre 3 de la nouvelle loi (art. 72 ss LTF), celle-ci est applicable à la présente cause (art. 132 al. 1 in initio LTF).
2.
Conformément à l'art. 129 al. 1 LTF, dont le texte est semblable à celui de l'art. 145 al. 1 OJ, si le dispositif d'un arrêt du Tribunal fédéral est peu clair, incomplet ou équivoque, ou si ses éléments sont contradictoires entre eux ou avec les motifs, ou s'il contient des erreurs de rédaction ou de calcul, le Tribunal fédéral, à la demande écrite d'une partie ou d'office, interprète ou rectifie l'arrêt.
2.1 Selon la jurisprudence relative à l'ancien droit, mais applicable à l'art. 129 LTF, l'interprétation tend à remédier à une formulation peu claire, incomplète, équivoque ou en elle-même contradictoire du dispositif de la décision rendue. Elle peut, en outre, se rapporter à des contradictions existant entre les motifs de la décision et le dispositif (Jean-François Poudret, COJ, n. 3 ad art. 145 OJ). Les considérants ne peuvent faire l'objet d'une interprétation que si et dans la mesure où il n'est possible de déterminer le sens du dispositif de la décision qu'en ayant recours aux motifs. Enfin, l'interprétation a pour but de rectifier des fautes de rédaction, de pures fautes de calcul ou des erreurs d'écriture (ATF 110 V 222 consid. 1 et les références).
Ne sont pas recevables, en revanche, les demandes d'interprétation qui visent à la modification du contenu de la décision: l'interprétation a en effet uniquement pour objet de reformuler clairement et complètement une décision qui ne l'a pas été alors même qu'elle a été clairement et pleinement pensée et voulue (Poudret, op. cit., n. 1 ad art. 145 OJ). Il n'est pas davantage admissible de provoquer, par la voie de la demande d'interprétation, une discussion d'ensemble sur la décision entrée en force (relative, par exemple, à la conformité au droit ou à la pertinence de celle-ci), ayant pour objet tous les propos du tribunal, en particulier les notions juridiques et les mots utilisés. Seul est accessible à l'interprétation ce qui, du contenu de l'arrêt, présente le caractère d'une prescription. Tel n'est pas le cas, notamment, des questions que le tribunal n'avait pas à examiner et qu'il ne devait donc pas trancher (arrêt 2P.63/2001 du 10 juillet 2002, consid. 1.2).
2.2 La requérante prétend que le dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral serait incomplet. A la suivre, ce dispositif ne préciserait pas toutes les conséquences que l'on devrait tirer de l'absence d'action récursoire de l'entreprise contre elle-même.
Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a confirmé la répartition du dommage entre les responsables à raison de 50% pour l'architecte et de 25% pour chacun des deux autres responsables. Le dispositif incriminé ne s'écarte pas de cette répartition, de sorte qu'il n'existe aucune contradiction sur ce point entre le dispositif et les motifs de la décision. Ce résultat correspond également à ce qui a été pleinement pensé et voulu. Pour preuve, l'éventualité que l'architecte - après avoir lui-même indemnisé la Fondation - se retourne contre l'appelée en cause à concurrence du quart du dommage subi par la Fondation a été expressément réservée au considérant 7 de l'arrêt dont l'interprétation est demandée. Cette éventualité s'est aujourd'hui réalisée: quoi qu'en dise l'appelée en cause, cela demeure parfaitement conforme au fond de la décision prise par le Tribunal fédéral, laquelle met à la charge de l'appelée en cause un quart du dommage subi par la Fondation.
Les développements de la requérante relatifs à l'art. 148 al. 3 CO ne sont certes pas dénués d'intérêt sur le plan intellectuel. Ils n'ont cependant pas leur place dans la présente cause où l'hypothèse de l'insolvabilité d'une partie n'est pas réalisée et n'a de surcroît jamais été alléguée. Dès lors, le Tribunal fédéral n'avait pas à aborder cette problématique, ce qui conduit au rejet de la demande d'interprétation.
2.3 Se fondant sur les échanges de courriers entre son conseil et ceux des parties adverses, la requérante prétend également que le dispositif de l'arrêt du Tribunal fédéral est peu clair, voire équivoque, car il permettrait des interprétations diverses et contradictoires.
Comme on l'a indiqué plus haut, le dispositif litigieux est parfaitement conforme aux considérants en droit du Tribunal fédéral. Ainsi, dans le corps de sa décision (cf. consid. 7), ce dernier n'a-t-il pas exclu l'hypothèse - qui se vérifie aujourd'hui - d'un recours (interne) de l'architecte contre l'appelée en cause à concurrence du quart du dommage subi par la Fondation. Ce recours était d'ailleurs déjà prévu au chiffre IV du dispositif de l'arrêt cantonal, chiffre qui n'a pas été modifié par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 26 septembre 2006. Eu égard à ces éléments, le droit de recours de l'architecte contre l'appelée en cause à concurrence du quart du dommage subi par la Fondation ne peut pas être remis en question. La proposition d'interprétation de la requérante consiste, en définitive, à limiter à un sixième du dommage l'action récursoire de l'architecte contre elle: cela revient manifestement à modifier le contenu de la décision du Tribunal fédéral, ce qui est exclu dans une demande d'interprétation. Cette demande doit dès lors être rejetée.
3.
Compte tenu de l'issue de la cause, la requérante supportera l'émolument judiciaire et versera à chaque intimé une indemnité à titre de dépens (art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
La demande d'interprétation est rejetée.
2.
Un émolument judiciaire de 2'000 fr. est mis à la charge de la requérante.
3.
La requérante versera à chacun des deux intimés une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 13 septembre 2007
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier: