Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
5A_366/2007 /frs
Arrêt du 7 décembre 2007
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.
Parties
Fondation A.________,
recourante,
contre
B.________,
intimé, représenté par Me Bernard Katz, avocat,
Objet
mainlevée d'opposition,
recours contre l'arrêt de la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 19 avril 2007.
Faits:
A.
A.a En 1989, C.________ a vendu à B.________ l'immeuble n° 2229 du registre foncier de la commune de X.________, pour le prix de 6'000'000 fr.; cet immeuble était grevé de deux cédules hypothécaires au porteur de 3'500'000 fr. et 2'500'000 fr.
Le 2 mai 1991, l'acquéreur s'est engagé à retransférer cet immeuble au vendeur pour le prix de 6'000'000 fr.
Le même jour, la Banque hypothécaire du canton de Genève a conclu un accord avec les prénommés, aux termes duquel elle a accordé à C.________ un crédit de 6'000'000 fr. pour l'achat du Domaine X.________, moyennant le nantissement, par B.________, des deux cédules hypothécaires susmentionnées, les conditions générales de la banque étant déclarées applicables; les deux intéressés ont en outre signé les conditions générales de la banque, ainsi que les conditions spéciales applicables aux crédits hypothécaires. B.________ a également signé un acte de nantissement général, établi sur formule pré-imprimée, par lequel il a déclaré constituer en gage et remettre en nantissement à la banque, en garantie de toutes les créances actuelles ou futures que celle-ci pourrait posséder contre C.________, en particulier tous les papiers-valeurs qu'il possède; l'article 6 de cet acte autorisait la banque à dénoncer et à encaisser les titres remis en gage.
A.b Avec effet au 30 juin 2000, la Banque hypothécaire du canton de Genève a cédé à la Fondation A.________ sa créance issue du prêt hypothécaire octroyé à C.________, représentant un montant en capital, intérêts et frais de 8'488'757 fr.95, garanti par deux titres hypothécaires «remis en pleine propriété», à savoir les deux cédules hypothécaires grevant l'immeuble n° 2229 du registre foncier de la commune de X.________; cette cession a été notifiée à C.________.
Le 19 mars 2002, la Fondation a dénoncé le crédit hypothécaire au remboursement et, le 1er juillet 2002, elle a dénoncé les deux cédules au remboursement.
A.c En 2003, la Fondation a introduit une poursuite en réalisation d'un gage immobilier contre B.________ sur la base des deux cédules hypothécaires. La mainlevée provisoire de l'opposition a été refusée par le Président du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois, le débiteur désigné étant C.________.
-:-
En 2004, la Fondation a ouvert une nouvelle poursuite contre B.________ en se fondant derechef sur les deux cédules. Le Président du Tribunal d'arrondissement a refusé la mainlevée par le motif que le débiteur était C.________ et que la banque ne pouvait pas agir par la voie de la poursuite en réalisation d'un gage immobilier, les cédules ayant été remises en nantissement; la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois a confirmé cette décision le 18 août 2005.
B.
Le 13 avril 2006, la Fondation a formé deux réquisitions de poursuite en réalisation de gage immobilier: la première à l'encontre de C.________ (n° ccc), la seconde à l'encontre de B.________ (n° bbb), chacun étant poursuivi comme débiteur et codébiteur solidaire de l'autre.
B.a Dans la poursuite contre C.________, le commandement de payer les sommes de 3'500'000 fr. et 2'500'000 fr., indiquant comme titre de la créance les deux cédules hypothécaires, a été notifié le 2 mai 2006. L'opposition a été levée le 24 octobre 2006 par le Juge de paix des districts d'Aigle et du Pays-d'Enhaut; ce magistrat a retenu que le poursuivi est le débiteur des cédules et, en ce qui concerne le gage, que l'article 6 de l'acte de nantissement accordait à la banque le droit de faire valoir comme un propriétaire les droits rattachés aux titres.
B.b Dans la présente procédure, le commandement de payer contre B.________ a été signifié le 6 avril 2006, pour les montants de 3'500'000 fr. et 2'500'000 fr., mentionnant comme titre de la créance les deux cédules hypothécaires. Par prononcé du 9 novembre 2006, le Juge de paix a refusé de lever l'opposition du poursuivi; cette décision a été maintenue le 19 avril 2007 par la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal vaudois.
C.
Agissant par la voie d'un recours en matière civile au Tribunal fédéral, la Fondation conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au prononcé de la mainlevée provisoire de l'opposition formée par le poursuivi «en sa qualité de tiers propriétaire».
L'intimé propose le rejet du recours.
Le Tribunal fédéral considère en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 133 III 462 consid. 2 p. 465, 629 consid. 2 p. 630).
1.1 La décision prise en matière de mainlevée provisoire de l'opposition est sujette au recours en matière civile (art. 72 al. 2 let. a LTF) lorsque, comme en l'espèce, la valeur litigieuse atteint 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF). Elle est finale au sens de l'art. 90 LTF puisqu'elle met fin à la procédure (ATF 133 III 399 consid. 1.4 p. 400).
Interjeté en temps utile (art. 45 al. 1 et 100 al. 1 LTF) par la partie qui a succombé en instance cantonale (art. 76 al. 1 LTF) à l'encontre d'une telle décision prise sur recours en dernière instance cantonale (art. 75 LTF), le présent recours est en principe recevable.
1.2 Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), qui comprend les droits constitutionnels (FF 2001 p. 4000 ss, 4132; ATF 133 I 201 consid. 1 p. 203). La décision en matière de mainlevée - définitive ou provisoire - n'est en effet pas une décision de «mesures provisionnelles» au sens de l'art. 98 LTF, contre laquelle seule la violation des droits constitutionnels - notamment la prohibition de l'arbitraire (art. 9 Cst.) - peut être soulevée (ATF 133 III 399 consid. 1.5 p. 400).
2.
Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il n'est lié ni par les moyens invoqués par les parties ni par l'argumentation juridique retenue par la juridiction cantonale; il peut dès lors admettre le recours pour d'autres motifs que ceux invoqués par le recourant, comme il peut le rejeter en opérant une substitution de motifs; toutefois, compte tenu de l'obligation de motiver qui incombe au recourant en vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, qui correspond à celle de l'art. 55 al. 1 let. c aOJ (FF 2001 p. 4093; ATF 133 IV 286 consid. 1.4 p. 287), il n'examine pas toutes les questions juridiques qui peuvent se poser, mais seulement celles qui sont soulevées devant lui (ATF 133 IV 150 consid. 1.2 p. 152; 133 V 515 consid. 1.3 p. 519).
3.
L'intimé fait valoir que la recourante devait développer ses moyens à l'encontre de chacune des motivations de l'arrêt déféré et que, comme elle ne formule aucun grief quant à la question de l'existence ou non d'une reconnaissance de dette de sa part, son recours ne respecterait pas les exigences de l'art. 42 al. 2 LTF, ce qui devrait entraîner son «rejet».
L'intimé se méprend sur le sens de la jurisprudence qui impose, sous peine d'irrecevabilité, au recourant de critiquer chacune des motivations de la décision entreprise (ATF 133 IV 119). Cette exigence vise une double motivation sur un même point et non, comme en l'occurrence, une motivation unique pour chacun des deux points traités, à savoir l'opposition à la créance et l'opposition au droit de gage. Puisque la recourante admet désormais que l'intimé n'est pas le «débiteur», elle peut se limiter à contester le refus de la mainlevée de l'opposition se rapportant au droit de gage.
4.
La recourante reproche à la juridiction précédente de ne pas avoir levé l'opposition que le poursuivi a formée en tant que tiers propriétaire du gage, qualité dans laquelle il était aussi visé par le commandement de payer et la requête de mainlevée. Elle expose que la poursuite contre des codébiteurs solidaires, dont la dette est garantie par gage, ne se déroule pas de la même manière dans tous les cantons; si, à Genève, quatre commandements de payer auraient été notifiés, deux seuls l'ont été dans la présente poursuite dans le canton de Vaud: l'opposition a donc été formée par le poursuivi tant comme débiteur que comme tiers propriétaire du gage. Partant, l'autorité cantonale aurait dû prononcer la mainlevée de l'opposition se rapportant au gage, dès lors que toutes les conditions en étaient réalisées, les cédules hypothécaires lui ayant été remises en nantissement et l'article 6 de l'acte de nantissement lui permettant d'intenter directement une poursuite en réalisation de gage immobilier.
4.1 Selon l'art. 153 al. 2 let. a LP, un exemplaire du commandement de payer est également notifié au tiers qui a constitué le gage; cet acte n'est qu'un double de celui qui a été signifié au débiteur (personnel) et il porte le même numéro. Autrement dit, il n'y a qu'une seule poursuite, mais dirigée à l'encontre de plusieurs poursuivis, qui peuvent exercer leurs droits indépendamment les uns des autres (Foëx, in: Poursuite et faillite, Commentaire romand, n. 20 ad art. 153 LP).
Le commandement de payer en cause (n° bbb) désigne l'intimé comme «débiteur», et C.________ comme «codébiteur solidaire»; la présente poursuite concerne ainsi des codébiteurs solidaires, dont l'un est propriétaire de l'immeuble (= l'intimé). Certes, l'art. 85 ORFI prévoit que, lorsque le débiteur fait opposition au commandement de payer, cette opposition est, sauf mention contraire, censée se rapporter tant à la créance qu'au droit de gage. Cette disposition est toutefois dénuée de pertinence, dès lors que l'intimé est poursuivi en qualité de débiteur solidaire des cédules hypothécaires, et non pas de «tiers propriétaire du gage». On ne se trouve donc pas dans la situation visée à l'art. 153 al. 2 let. a LP.
4.2 La question de savoir si l'intimé répond ou non solidairement de la dette relève du droit matériel; elle n'est pas débattue lors du dépôt de la réquisition de poursuite, mais, au plus tôt, au stade de la mainlevée de l'opposition (art. 79 ss LP).
Vu le libellé du commandement de payer (supra, consid. 4.1), c'est la seule problématique qui se posait au juge de mainlevée, étant précisé que celui-ci n'examine que la force probante du titre qui lui est produit, et non l'existence de la créance en tant que telle (cf. ATF 132 III 140 consid. 4.1.1 p. 141/142). La cour cantonale a considéré, à ce propos, que la recourante n'avait pas démontré que la banque avait accepté l'intimé comme «débiteur cédulaire», la preuve d'une reprise de dette externe n'ayant pas été rapportée. Or, loin de critiquer l'arrêt entrepris sur ce point, l'intéressée affirme expressément qu'elle ne «remet pas en cause le refus du Tribunal cantonal de prononcer la mainlevée en qualité de débiteur à l'opposition formée» par l'intimé. Il n'y a dès lors pas lieu d'en connaître plus avant (art. 42 al. 2 LTF).
Le reproche adressé à l'autorité précédente d'avoir ignoré la «double nature de l'opposition» est mal fondé dans sa prémisse; comme on l'a vu, la poursuite est dirigée contre l'intimé en sa qualité de codébiteur solidaire des cédules, et non de «tiers propriétaire du gage».
Quant à la référence aux pratiques genevoise et vaudoise en matière de poursuite contre une pluralité de «débiteurs et/ou propriétaires», elle apparaît hors de propos; la question de la régularité de la poursuite en réalisation de gage est du ressort des autorités de surveillance et doit être examinée dans le cadre de la plainte (art. 17 LP).
4.3 En conclusion, le présent recours doit être rejeté. Cela étant, il n'y a pas lieu de rechercher - ce qui ressortit à la compétence du juge de mainlevée (ATF 122 III 295 et les références) - si l'article 6 de l'acte de nantissement habilite la recourante à procéder directement par la voie de la poursuite en réalisation de gage immobilier (cf. à ce sujet: arrêts 5C.11/2005 du 27 mai 2005, consid. 3, et 5A_481/2007 du 6 novembre 2007, consid. 3, destiné à la publication).
5.
Vu le sort du recours, les frais et dépens de la procédure doivent être mis à la charge de la recourante (art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Une indemnité de 15'000 fr., à payer à l'intimé à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 7 décembre 2007
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier: