BGer U_18/2007
 
BGer U_18/2007 vom 07.02.2008
Tribunale federale
{T 7}
U 18/07
Arrêt du 7 février 2008
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges Ursprung, Président,
Widmer et Frésard.
Greffier: M. Métral.
Parties
Lloyd's Underwriters London, Avry-Bourg 6, 1754 Avry-Centre FR,
recourante, représentée par Me Christian Grosjean, avocat, rue Jean-Sénebier 20, 1205 Genève,
contre
G.________,
intimée, représentée par Me Michel Bergmann, avocat, rue de Hesse 8-10,1204 Genève,
Objet
Assurance-accidents,
recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et Canton de Genève du 22 novembre 2006.
Faits:
A.
A.a G.________, née en 1954, était employée de maison au service d'un couple privé, depuis le 1er juin 1996. A ce titre, elle était assurée contre le risque d'accidents par Lloyd's Underwriters London (ci-après : Lloyd's).
Le 22 décembre 1996, à 4h30, la voiture que conduisait l'assurée au Portugal a traversé la chaussée avant d'aller percuter un arbre. La mère de la conductrice, qui avait pris place à l'avant du véhicule, est décédée au cours de son transport à l'hôpital. Sa fille a souffert d'une fracture de l'humérus gauche avec un syndrome cervico-brachial, blessures qui ont nécessité une intervention chirurgicale au Portugal. L'assurée y est restée hospitalisée jusqu'à mi-janvier 1997. Elle a par la suite présenté un état dépressif pour lequel elle a été traitée dès le 4 avril 1997 par la doctoresse I.________, psychiatre et psychothérapeute. Lloyd's a pris en charge le traitement médical et alloué des indemnités journalières jusqu'au 15 avril 1997. Dès cette date, elle a mis fin à ses prestations. A la suite d'un recours, le Tribunal administratif du canton de Genève a constaté le droit de l'assurée aux prestations litigieuses jusqu'au 30 novembre 1997 au moins; il a renvoyé la cause à l'assureur-accidents pour instruction complémentaire et décision sur le droit aux prestations pour la période postérieure au 30 novembre 1997.
A.b Reprenant l'instruction de la cause, Lloyd's a confié une expertise médicale de l'assurée à la doctoresse D.________, psychiatre et psychothérapeute. Dans un rapport du 14 septembre 1999, cette dernière a indiqué que G.________ souffrait de troubles psychiques apparus immédiatement après l'accident du 22 décembre 1996 et qui ont fortement augmenté d'intensité dans les mois suivants. L'experte a posé le diagnostic d'épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques congruents à l'humeur (F 32.3, selon la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes, 10ème éd. 1993 [CIM-10]), et décompensation de la structure de la personnalité. Elle a précisé que l'état psychique de l'intéressée n'était pas le résultat d'une genèse cérébro-organique ou endogène, mais que sa nature était psychogène. Elle a exposé que l'accident en question avait joué un rôle de désorganisation traumatique dans un fonctionnement de personnalité antérieurement stable et que l'assurée présentait un tableau clinique s'inscrivant dans un deuil pathologique de type mélancolique, affection pour laquelle on ne pouvait fixer de limitation dans le temps. La doctoresse D.________ a relevé, en anamnèse, que G.________ était fille unique; l'époux et la mère de l'assurée, qui vivait avec le couple G.________ depuis le décès de son propre époux en 1993, formaient sa seule famille. A la question de savoir si des facteurs étrangers à l'accident avaient joué un rôle dans la genèse ou dans la persistance de ces troubles, la doctoresse D.________ a répondu que l'on devait retenir à ce titre seulement la structure de la personnalité, pour autant non assimilable à un trouble de personnalité. Par ailleurs, l'experte a estimé que l'intéressée était totalement incapable de travailler, au-delà du 1er décembre 1997 et pour une durée indéterminée, dans son activité antérieure d'employée de maison ou de gouvernante; G.________ subissait un dommage permanent du fait de l'accident, dans le sens de l'apparition d'un trouble psychique grave et invalidant.
Appelé à donner son avis sur cette expertise, le médecin-conseil de Lloyd's, le docteur T.________, psychiatre et psychothérapeute, a exposé dans un rapport du 9 novembre 1999 que l'assurée était atteinte d'un grave trouble dépressif avec des symptômes psychotiques, nécessitant absolument une thérapie psychiatrique. Cette atteinte à la santé réduisait la capacité de travail de l'intéressée de 80 %. Le docteur T.________ a précisé que l'accident était l'une des causes de l'atteinte à la santé, mais que son importance, comme facteur causal, s'estompait progressivement au profit d'autres causes. Le médecin-conseil a par ailleurs nié toute atteinte à l'intégrité d'origine accidentelle, en l'absence de troubles cérébraux organiques.
A la suite de ce rapport médical, Lloyd's a demandé à la doctoresse D.________ un rapport d'expertise complémentaire. Dans un nouveau rapport, du 13 décembre 1999, la spécialiste prénommée a exposé que les atteintes à la santé présentées par l'assurée n'étaient plus, désormais, en relation de causalité avec l'accident du 22 septembre 1996. Elle a souligné qu'elle n'avait diagnostiqué ni un état de stress post-traumatique, ni un état dépressif réactionnel, et a précisé que si le trouble dépressif majeur, sévère et chronique dont souffrait l'assurée persistait au-delà d'une année après l'accident, des facteurs préexistant à l'accident en étaient à l'origine (structure de personnalité assimilable à un facteur constitutionnel). Dans ce contexte, l'accident n'avait été que le révélateur d'un dysfonctionnement de cette organisation de personnalité antérieurement stable. La doctoresse D.________ a ajouté partager l'avis du docteur T.________ selon lequel il n'y avait pas lieu de retenir une atteinte à l'intégrité physique ou psychique au sens strict puisqu'il n'y avait pas eu de dégât cérébral irréversible. Enfin, elle a exposé que le deuil pathologique était une notion relevant de la maladie et qui, par définition, était chronique, l'accident n'ayant fait que favoriser ou permettre l'éclosion de la maladie.
Par décision et décision sur opposition des 28 janvier et 25 juillet 2000, Lloyd's a refusé d'allouer des prestations pour la période postérieure au 1er décembre 1997.
B.
B.a L'assurée a déféré la cause au Tribunal administratif du canton de Genève (ci-après : Tribunal administratif). Ce dernier a constaté que la recourante présentait encore, après le 1er décembre 1997, une incapacité de travail de 100 % et une atteinte à l'intégrité de 75 %, en relation de causalité avec l'accident assuré; il a renvoyé la cause à Lloyd's pour qu'elle fixe le montant des prestations dues à l'assurée (jugement du 23 avril 2002). La juridiction cantonale s'est notamment fondée sur les constatations d'une expertise judiciaire établie le 4 février 2002 par le docteur U.________, psychiatre et psychothérapeute, nonobstant certaines critiques émises par le docteur T.________ dans une détermination du 6 mars 2002. Le docteur U.________ a repris le diagnostic d'épisode dépressif sévère posé par la doctoresse D.________, en précisant que cet état pouvait être qualifié de moyen ou léger cinq ans après l'accident. Malgré cette évolution, l'incapacité de travail restait totale, mais une amélioration n'était pas exclue dans un délai de deux à trois ans. Le lien de causalité avec l'accident était certain.
A la suite d'un recours de Lloyd's, le Tribunal fédéral des assurances (depuis le 1er janvier 2007 : Ire et IIème Cours de droit social du Tribunal fédéral) a annulé le jugement entrepris et renvoyé la cause à la juridiction cantonale pour instruction complémentaire et nouveau jugement (arrêt U 177/02 du 15 juin 2004).
B.b La cause a été transmise au Tribunal des assurances sociales du canton de Genève (ci-après : Tribunal des assurances), entré en fonction le 1er août 2003 et qui a repris les compétences attribuées précédemment au Tribunal administratif dans le domaine de l'assurance-accidents. A la demande du Tribunal des assurances, le docteur U.________ a établi un rapport d'expertise complémentaire le 17 janvier 2005. Il s'est notamment déterminé sur les critiques émises par le docteur T.________ et a maintenu, pour l'essentiel, les constatations déjà décrites dans l'expertise du 4 février 2002. Lloyd's en a contesté la valeur probante et a demandé la mise en oeuvre d'une nouvelle expertise. La juridiction cantonale a accepté cette demande et a confié un mandat d'expert judiciaire au docteur A.________, médecin-psychiatre à la clinique X.________. Dans un rapport du 12 janvier 2006, ce dernier a posé le diagnostic de troubles de l'adaptation (réaction de deuil), avec perturbation mixte des émotions et des conduites (F 43.25 CIM-10), ainsi que d'épisode dépressif léger, chronique (F 32.0 CIM-10). Il a cependant précisé que le diagnostic de deuil compliqué serait plus exact. Ce diagnostic ne figurait pas dans le CIM-10, ni dans la 4ème édition du Diagnostic Manual of mental disorders (DSM-IV); toutefois, son introduction dans la cinquième édition de ce système de classification (DSM-V, en cours d'élaboration) était probable. Le docteur A.________ a exposé que le lien de causalité naturelle entre l'accident du 22 décembre 1996 et les atteintes à la santé psychique dont souffrait encore l'assurée était certain; l'incapacité de travail restait totale. Lloyd's a produit une détermination du 6 mars 2006 du docteur F.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, dans laquelle celui-ci met en doute le rapport de causalité naturelle entre l'accident assuré et les atteintes à la santé psychique persistant près de dix ans plus tard, en l'absence d'état de stress post-traumatique.
Par jugement du 22 novembre 2006, le Tribunal des assurances a alloué à G.________, sous suite de dépens, une rente fondée sur un taux d'invalidité de 100 %, avec effet dès le 1er décembre 1997, et une indemnité fondée sur un taux d'atteinte à l'intégrité de 50 %; il a renvoyé la cause à Lloyd's pour qu'elle fixe le montant exact des prestations.
C.
Lloyd's a recouru contre ce jugement. Elle en demande l'annulation et conclut, en substance, à la confirmation de la décision sur opposition du 25 juillet 2000. L'intimée conclut au rejet du recours et à la condamnation de l'intimée à une amende pour «téméraire plaideur». Entendue en qualité d'intéressée, Concordia propose le rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
1.1 La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242). L'acte attaqué ayant été rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132 al. 1 LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).
1.2 Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente d'invalidité pour la période courant dès le 1er décembre 1997, ainsi que sur son droit à une indemnité pour atteinte à l'intégrité. La décision sur opposition litigieuse a été rendue le 25 juillet 2000, de sorte qu'en ce qui concerne les règles de droit matériel, les dispositions législatives entrées en vigueur ou modifiées postérieurement à cette dernière date ne sont pas applicables. En effet, en cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste celle qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de dispositions particulières de droit transitoire (ATF 130 V 445 consid. 1.2.1 p. 446 sv., 127 V 466 consid. 1 p. 467, 126 V 163 consid. 4 p. 166); par ailleurs, les faits sur lesquels le juge peut être amené à se prononcer sont ceux qui se sont produits jusqu'au moment de la décision administrative litigieuse (ATF 121 V 362 consid. 1b p. 366).
2.
2.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas d'accident professionnel, d'accident non professionnel ou de maladie professionnelle. Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré suppose notamment entre l'événement dommageable de caractère accidentel et l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette condition est remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans l'événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique ou immédiate de l'atteinte : il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte à la santé, c'est-à-dire qu'il se présente comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l'administration ou, le cas échéant, le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181, 402 consid. 4.3 p. 406; Frésard/Moser-Szeless, L'assurance-accidents obligatoire, in : Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht, Vol. XIV [Meyer, édit.], 2ème éd., Bâle, Genève, Munich 2007, no 79 p. 865).
2.2 La juridiction cantonale a considéré que les atteintes à la santé psychique dont souffre l'assurée sont en relation de causalité naturelle avec l'accident du 22 décembre 1996. Elle s'est fondée sur les constatations des docteurs U.________ et A.________. La recourante conteste la valeur probante de ces expertises, en se référant aux différentes déterminations des docteurs T.________ et F.________, ainsi qu'au rapport complémentaire établi le 13 décembre 1999 par la doctoresse D.________. Elle reproche en substance aux docteurs U.________ et A.________ de n'avoir pas pris expressément position sur toutes les pièces qu'elle avait produites, en particulier les déterminations des docteurs F.________ et T.________ d'après lesquelles des troubles psychiques consécutifs à un accident devraient en principe s'estomper dans un délai de six mois à deux ans, hormis en cas d'atteinte cérébrale ou d'état de stress post-traumatique. Elle fait également grief au docteur A.________ d'avoir posé un diagnostic non conforme à un système de classification reconnu, le diagnostic de deuil compliqué ne figurant ni dans le CIM-10, ni dans le DSM-IV.
2.3
2.3.1 Le juge apprécie librement les preuves (art. 61 let. c LPGA; art. 95 al. 2 OJ, en relation avec les art. 113 et 132 OJ). Toutefois, si les rapports médicaux sont contradictoires, il ne peut trancher l'affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. A cet égard, l'élément déterminant n'est ni l'origine, ni la désignation du moyen de preuve comme rapport ou expertise, mais son contenu. Il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et, enfin, que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 352 consid. 3a).
2.3.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, la jurisprudence a posé quelques principes relatifs à la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Ainsi, le juge ne s'écartera pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Peut constituer une raison de s'écarter de l'expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 352 ss consid. 3b).
2.4 Les premiers juges ont attribué à juste titre une pleine valeur probante aux deux expertises judiciaires figurant au dossier. A la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 15 juin 2004, le docteur U.________ a été invité a se déterminer sur les critiques émises précédemment par le docteur T.________, ce qu'il a fait de manière convaincante. Il a notamment précisé qu'il n'avait pas posé le diagnostic de réaction dépressive, mais d'épisode dépressif, la durée de cette dernière affection n'étant pas forcément limitée à deux ans selon le CIM-10. En outre, le point de vue du docteur U.________ est corroboré, dans une large mesure, par l'expertise du docteur A.________.
Ce dernier praticien a précisé à juste titre qu'il était artificiel de distinguer le décès de la mère de l'assurée dans l'accident, ainsi que le sentiment de culpabilité de l'assurée qui s'en était suivi, d'une part, de l'accident lui-même, d'autre part; on ne pouvait ainsi pas considérer, comme le faisait le docteur T.________ (p. 5 de la détermination du 6 mars 2002), que les troubles psychiques avaient pu être causés par le décès de la mère et le sentiment de culpabilité, mais pas par l'accident. Comme la doctoresse D.________, le docteur A.________ a posé le diagnostic de deuil compliqué. Il a ajouté que ce diagnostic ne figurait pas encore dans le DSM-IV ni dans le CIM-10, mais qu'il serait vraisemblablement intégré dans le DSM-V, en cours d'élaboration. Le docteur A.________ s'est référé à plusieurs publications scientifiques en précisant qu'elles étaient représentatives des conceptions psychiatriques actuelles sur le sujet. Ni le docteur T.________, ni le docteur F.________ n'ont remis en cause cette dernière affirmation, par exemple en citant d'autres contributions scientifiques mettant en doute celles auxquelles s'est référé le docteur A.________; ils se sont limités à souligner que le diagnostic ne figurait pas dans l'un des systèmes de classification actuels. Par ailleurs, le docteur A.________ ne s'est pas borné à poser le diagnostic de deuil compliqué. Il a également posé d'autres diagnostics figurant dans le CIM-10 (trouble de l'adaptation [réaction de deuil] avec perturbation mixte des émotions et des conduites, épisode dépressif léger, chronique), en expliquant pourquoi la notion de deuil compliqué lui paraissait mieux définir l'atteinte à la santé présentée par l'assurée. On voit mal en quoi cette démarche serait contraire à la rigueur scientifique que l'on est en droit d'attendre d'un expert médical.
Compte tenu du caractère probant des expertises judiciaires, les premiers juges étaient fondés à constater les faits sur la base de ces expertises plutôt que sur les avis médicaux établis par les docteurs T.________ et F.________, dont le caractère relativement général limite fortement la valeur probante pour l'analyse de la situation concrète de l'assurée. Enfin, la doctoresse D.________ semble nier le lien de causalité naturelle entre l'accident assuré et les atteintes à la santé psychique de l'intimée en partant du principe, à tort (cf. consid. 2.1 supra), qu'un tel lien n'est établi que si l'accident peut être considéré comme l'unique ou le principale cause de l'atteinte à la santé (p. 4 du rapport complémentaire du 13 décembre 1999 : «...mais l'accident ne peut être considéré comme l'unique responsable. Il n'a fait que favoriser cette évolution ou encore permettre l'éclosion de la maladie»). C'est dire que ses constatations ne permettent pas de tirer de conclusions claires sur le rapport de causalité litigieux, contrairement à celles des experts U.________ et A.________.
2.5 Vu ce qui précède, le recours est mal fondé, en tant qu'il conteste l'existence d'un rapport de causalité naturelle entre l'accident et les atteintes à la santé présentées par l'assurée.
3.
3.1 Le droit aux prestations de l'assurance-accidents suppose, outre un rapport de causalité naturelle, un rapport de causalité adéquate entre l'événement accidentel et l'atteinte à la santé. Pour que cette condition soit remplie, il faut que, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, l'accident soit propre à entraîner un effet du genre de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2 p. 181, 402 consid. 2.2 p. 405, 125 V 456 consid. 5a p. 461). Par la causalité adéquate, il s'agit de déterminer si un dommage peut encore être équitablement mis à la charge d'un tiers (en l'occurrence, l'assurance-accidents), eu égard au but de la norme de responsabilité applicable. Cette question est d'ordre juridique et il appartient au juge d'y répondre en se fondant sur des critères normatifs (cf. ATF 123 III 110 consid. 3a p. 112 sv., 123 V 98 consid. 3 p. 100 ss, 122 V 415 consid. 2c p. 417 sv.).
3.2 La jurisprudence a posé plusieurs critères en vue de juger du caractère adéquat du lien de causalité entre un accident et les troubles d'ordre psychique développés ensuite par la victime. Elle a tout d'abord classé les accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement : les accidents insignifiants ou de peu de gravité (par ex. une chute banale), les accidents de gravité moyenne et les accidents graves. Pour procéder à cette classification, il convient non pas de s'attacher à la manière dont l'assuré a ressenti et assumé le choc traumatique, mais bien plutôt de se fonder, d'un point de vue objectif, sur l'événement accidentel lui-même. En présence d'un accident de gravité moyenne, il faut prendre en considération un certain nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants :
- les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l'accident;
- la gravité ou la nature particulière des lésions physiques compte tenu notamment du fait qu'elles sont propres, selon l'expérience, à entraîner des troubles psychiques;
- la durée anormalement longue du traitement médical;
- les douleurs physiques persistantes;
- les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable des séquelles de l'accident;
- les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes;
- le degré et la durée de l'incapacité de travail due aux lésions physiques.
Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate soit admise. Un seul d'entre eux peut être suffisant, notamment si l'on se trouve à la limite de la catégorie des accidents graves. Inversement, en présence d'un accident se situant à la limite des accidents de peu de gravité, les circonstances à prendre en considération doivent se cumuler ou revêtir une intensité particulière pour que le caractère adéquat du lien de causalité soit admis (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140, 403 consid. 5c/aa p. 409).
3.3
3.3.1 Pour l'application des critères relatifs à la causalité adéquate entre des affections psychiques et un accident assuré, la jurisprudence précise qu'un accident ne doit pas être qualifié de léger, moyen ou grave en fonction de ses conséquences, notamment sur la santé de l'assuré ou d'un tiers, mais uniquement en fonction de son déroulement. En l'occurrence, les circonstances de l'accident ne sont pas très précisément établies. On sait que le véhicule conduit par l'assurée a dévié de sa trajectoire et est allé s'encastrer dans un arbre. Selon toute vraisemblance, l'assurée s'est endormie au volant alors qu'elle roulait à une vitesse relativement élevée : l'accident s'est produit sur un tronçon rectiligne d'une route nationale, en dehors d'une localité, sur un terrain plat, et le choc a été suffisamment violent pour entraîner le décès d'une passagère du véhicule et, pour la conductrice, une fracture de l'humérus; l'époux de l'intimée, qui était dans un autre véhicule au moment de l'accident, l'a trouvée quasi-inconsciente lorsqu'il est arrivé quelques instants plus tard sur place. Compte tenu du déroulement de l'accident, il convient de le qualifier de moyennement grave, à la limite d'un accident grave (cf. arrêt U 2/07 du 19 novembre 2007, consid. 5.3.1).
L'accident a entraîné le décès de la mère de l'intimée. Cette dernière était au volant du véhicule accidenté de sorte qu'elle s'est sentie responsable de ce décès; elle-même a subi une fracture de l'humérus, pour laquelle elle a été hospitalisée, ce qui l'a empêchée d'assister à l'ensevelissement de sa mère. On relèvera par ailleurs, bien que cela ne revête qu'une importance secondaire dans le cas particulier, que l'accident s'est déroulé de nuit, par temps de pluie. L'ensemble de ces éléments de fait justifie de tenir le critère des circonstances particulièrement impressionnantes ou dramatiques pour rempli en l'espèce. Dans la mesure où l'accident est à la limite d'un accident grave, ces seules circonstances suffisent à admettre le lien de causalité adéquate litigieux (cf. arrêt U 2/07 cité ci-avant, consid. 5.3.2).
4.
4.1 Les premiers juges ont considéré, en se fondant sur les expertises établies par les docteurs U.________ et A.________, que les atteintes à la santé psychiques de l'assurée entraînaient une incapacité de travail totale dans toute activité professionnelle, justifiant l'octroi d'une rente fondée sur un taux d'invalidité de 100 %. La recourante conteste ce taux d'invalidité, au motif, d'une part, que les constatations des docteurs U.________ et A.________ ne seraient pas suffisamment probantes, et d'autre part, que l'intimée aurait exercé, depuis l'accident, diverses activités professionnelles à un taux de 25 % (reprise à temps partiel, en 1997, de son ancienne activité de gouvernante, pour le couple qui l'employait au moment de l'accident, prise en charge de personnes âgées deux heures par semaine, pendant quelques mois en 1998, et enfin aide à son époux pour le service à table, lors de banquets organisés dans le restaurant où il est engagé).
4.2 Aux termes de l'art. 18 LAA (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 30 juin 2001; consid. 1.2 supra), si l'assuré devient invalide à la suite d'un accident, il a droit à une rente d'invalidité (al. 1). Est réputé invalide celui dont la capacité de gain subit vraisemblablement une atteinte permanente ou de longue durée. Pour l'évaluation de l'invalidité, le revenu du travail que l'assuré devenu invalide par suite d'un accident pourrait obtenir en exerçant l'activité que l'on peut raisonnablement attendre de lui, après exécution éventuelle de mesures de réadaptation et compte tenu d'une situation équilibrée du marché du travail, est comparé au revenu qu'il aurait pu obtenir s'il n'était pas invalide (al. 2).
4.3 Les docteurs D.________, U.________ et A.________ ont tous trois attesté une incapacité de travail totale de l'assurée, dans toute activité professionnelle. En ce qui concerne la valeur probante des expertises des docteurs U.________ et A.________, la recourante ne soulève rien de nouveau par rapport à ce qui a déjà été exposé en relation avec l'origine accidentelle de ses atteintes à la santé (consid. 2.4 supra). Sur ce point, il convient d'y renvoyer. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la recourante, les docteurs U.________ et A.________ n'ont pas négligé de prendre en considération les activités professionnelles exercées occasionnellement par l'assurée. Le docteur U.________, en particulier, a précisé que la capacité de travail de l'intimée avait pu fluctuer de 0 à 25 % pendant la période prise en considération, et que ses constatations relatives à la capacité de travail concernaient l'époque à laquelle il l'avait examinée. Pour sa part, la doctoresse D.________ avait déjà précisé, en 1999, que l'assurée n'avait en fait repris le travail que durant de très brèves périodes : son activité pour ses anciens employeurs, à 25 %, n'avait duré que du 8 juin au 18 août 1997, l'assurée s'étant par la suite à nouveau trouvée en incapacité de travail totale; par ailleurs, la reprise d'une activité de dame de compagnie chez une amie, en mars 1998, s'était rapidement soldée par un échec complet. En réalité, ces tentatives de reprises du travail, marquées par autant d'échecs successifs, sont plus de nature à accréditer les constatations des experts relatives à l'incapacité de travail de l'assurée qu'à les mettre en doute. La seule aide apportée ponctuellement par l'assurée à son époux, lors de banquets organisés par l'employeur de ce dernier, ne permet pas davantage de tenir pour établie une capacité de travail significative en dépit des constatations contraires de tous les experts ayant examiné l'assurée. Compte tenu de cette incapacité de travail - et de gain - totale, les premiers juges étaient fondés à reconnaître à l'intimée le droit à une rente correspondant à un taux d'invalidité de 100 %.
5.
La juridiction a reconnu le droit de l'intimée à une indemnité pour une atteinte à l'intégrité de 50 %. La recourante conteste l'existence d'une telle atteinte, en particulier le caractère durable des affections psychiques dont souffre l'intimée. Elle se réfère à une détermination du docteur F.________, dans laquelle celui-ci a souligné que la gravité de l'épisode dépressif traversé par l'assurée s'était amoindrie, ce qui montrait que l'état de santé de cette dernière était évolutif et tendait vers une amélioration.
5.1 Aux termes de l'art. 24 LAA (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2003; consid. 1.2 supra), si par suite d'un accident, l'assuré souffre d'une atteinte importante et durable à son intégrité physique ou mentale, il a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l'intégrité (al. 1). L'indemnité est fixée en même temps que la rente d'invalidité ou, si l'assuré ne peut prétendre une rente, lorsque le traitement médical est terminé (al. 2). L'atteinte à l'intégrité est réputée durable lorsqu'il est prévisible qu'elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie (art. 36 al. 1, 1ère phrase, OLAA). L'indemnité pour atteinte à l'intégrité est allouée sous forme de prestation en capital. Elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain assuré à l'époque de l'accident et est échelonnée selon la gravité de l'atteinte à l'intégrité (art. 25 al. 1 LAA).
5.2 Le docteur A.________ s'est montré très pessimiste quand à l'évolution de l'état de santé de l'intimée. Lors d'une audition du 12 avril 2006 par la juridiction cantonale, il a exposé que si l'état dépressif dont elle souffrait s'était, certes, amélioré, son état clinique s'était objectivement détérioré, au point que l'assurée ne serait plus capable de faire un bilan neuropsychologique. Le docteur A.________ a ajouté que son pronostic défavorable se fondait sur le diagnostic de deuil compliqué, qui présentait beaucoup de ressemblance clinique avec un état de stress post-traumatique. Or, dans des cas particulièrement défavorables de stress post-traumatique, les troubles consécutifs à l'événement traumatisant pouvaient durer toute une vie. Dans l'expertise du 12 janvier 2006, le docteur A.________ a en outre précisé les symptômes présentés par l'assurée : «état d'indifférence émotionnelle, détachement affectif, impression de vide et d'inutilité, retrait social majeur, s'accompagnant de perturbations cognitives (troubles attentionnels et difficultés de concentration). [Ces troubles] peuvent parfois donner un tableau clinique quasi-psychotique et ils entraînent des altérations sévères des relations interpersonnelles et du fonctionnement social et professionnel.» En l'occurrence, force est donc de constater que près de 10 ans après l'accident, les atteintes à la santé psychique présentées par l'assurée sont sévères et qu'une amélioration de la situation reste très hypothétique. Il convient par conséquent de tenir le caractère durable de ces troubles pour établi. En ce qui concerne le taux d'atteinte à l'intégrité, le docteur A.________ l'a fixé à 50 %; sur ce point, il rejoint l'appréciation du docteur U.________, qui fixait également ce taux à 50 % compte tenu de l'état de santé de l'assurée lorsqu'il l'avait examinée. Il n'y a pas lieu de s'en écarter.
6.
La recourante voit ses conclusions entièrement rejetées, de sorte qu'elle versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 159 OJ). Il n'y a pas matière à lui infliger une amende disciplinaire en raison de procédés téméraires ou d'un comportement contraire à la bonne foi, comme le demande l'intimée (cf. art. 31 OJ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours de droit administratif est rejeté.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
La recourante versera à l'intimée la somme de 2'500 fr. à titre de dépens pour la dernière instance.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal des assurances de la République et Canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 7 février 2008
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Ursprung Métral