Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1B_81/2008
Arrêt du 18 avril 2008
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.
Parties
A.________,
recourant, représenté par Me Alain Dubuis, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud, rue de l'Université 24, 1005 Lausanne.
Objet
détention préventive,
recours contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 7 mars 2008.
Faits:
A.
A.________ se trouve en détention préventive depuis le 2 février 2006. Il lui est reproché d'être à l'origine de la mort de sa mère B.________ et de l'amie de celle-ci, le 24 décembre 2005, et d'avoir fait disparaître sa soeur C.________.
Le Juge d'instruction de l'arrondissement de l'Est vaudois a, à plusieurs reprises rejeté des demandes de mise en liberté formées par le prévenu. Ces décisions ont été confirmées par arrêts du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal vaudois des 5 mai 2006 et 26 avril 2007. Ces arrêts retiennent en particulier que l'inculpé se trouvait dans une situation financière délicate et que sa mère avait décidé, peu avant le drame, de cesser de l'aider financièrement. Le prévenu avait donc un intérêt financier à la disparition de sa mère et de sa soeur. Il avait été décrit comme très irritable et agressif; il avait fourni deux versions contradictoires, tentant de faire croire à l'implication de sa soeur dans le décès de sa mère. Les charges étaient suffisantes. Le risque de fuite a été retenu compte tenu de l'importance de la peine encourue, et de l'absence de liens avec la Suisse. S'agissant d'une affaire grave et largement médiatisée, une libération du prévenu provoquerait l'indignation d'une partie de la population et compromettrait l'ordre public.
Par arrêt du 29 janvier 2008, le Tribunal d'accusation a renvoyé A.________ devant le Tribunal criminel de l'arrondissement de l'Est vaudois, comme accusé, notamment, d'un triple assassinat. Selon l'acte d'accusation, à la fin de l'année 2005, la mère de l'accusé avait refusé de continuer à lui verser des avances d'hoiries ou des prêts, comme elle l'avait fait en 2004 et 2005 pour environ deux millions de francs. Elle hésitait aussi à reconduire le contrat portant sur la gestion d'une partie du patrimoine immobilier familial, pour 72'000 fr. par année. Au mois de décembre 2005, A.________ avait pressé sa mère de lui verser rapidement 100'000 fr., alors qu'il n'avait plus de liquidités et devait faire face à certains engagements. En tuant sa mère, il pouvait bénéficier des revenus des biens de l'hoirie, dont il n'était jusqu'alors que nu-propriétaire. Il aurait aussi tué l'amie de sa mère afin d'éliminer un témoin, ainsi que sa soeur qu'il aurait fait disparaître afin de faire croire à son implication.
B.
Par prononcé du 11 février 2008, le Président du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois a rejeté une nouvelle demande de mise en liberté formée par A.________, et ordonné le maintien de celui-ci en détention préventive.
Par arrêt du 7 mars 2008, le Tribunal d'accusation a confirmé ce prononcé. Les présomptions suffisantes découlaient de l'arrêt de renvoi. Le maintien en détention était justifié par des motifs d'ordre public: compte tenu des mobiles et de la violence des actes, une mise en liberté provisoire apparaîtrait comme particulièrement choquante. Le risque de fuite était également concret, sur le vu de la gravité des actes reprochés. Le principe de la proportionnalité était respecté.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale contre ce dernier arrêt. Il conclut à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement à l'annulation de l'arrêt attaqué.
Le Tribunal d'accusation se réfère à son arrêt, en relevant que les débats ont été appointés au 16 juin 2008. Le Ministère public conclut au rejet du recours.
Le recourant a déposé des observations complémentaires, puis a répliqué.
Considérant en droit:
1.
L'arrêt relatif au maintien de l'accusé en détention est une décision en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 1 LTF. Rendu en dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), il peut faire l'objet d'un recours en matière pénale. Le recourant a qualité pour agir au sens de l'art. 81 al. 1 let. a LTF; il a agi dans le délai de trente jours (art. 100 al. 1 LTF).
2.
Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes. Il relève qu'en dépit d'une enquête complète, il n'existerait toujours aucune preuve matérielle à son encontre. L'arrêt de renvoi ne reposerait que sur des suppositions. Rien dans le dossier ne viendrait appuyer la thèse selon laquelle le recourant se serait rendu au domicile de sa mère le 24 décembre aux environs de midi et aurait asséné des coups violents et répétés aux victimes. Selon le rapport d'autopsie, les lésions constatées pouvaient aussi être la conséquence de chocs, par exemple contre le sol ou des escaliers. Il n'y aurait aucune certitude quant à l'intervention d'un tiers, et moins encore quant à l'implication du recourant. L'arrêt de renvoi retient que le recourant aurait pu placer les cheveux de sa soeur qui ont été retrouvés dans la main de sa mère. Cette supposition serait infirmée par le dossier. Rien ne permettrait non plus de relier le recourant à la disparition de sa soeur; on ignorerait le moment et le lieu du décès, ainsi que le modus operandi.
2.1 Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle, garantie par l'art. 10 al. 2 Cst. et par l'art. 5 CEDH, que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst. ), soit en l'espèce l'art. 59 du code de procédure pénale vaudois (CPP/VD). Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité ( art. 36 al. 2 et 3 Cst. ; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par la présence d'un danger pour la sécurité ou l'ordre publics, par l'existence d'un risque de fuite, ou par les besoins de l'instruction (cf. art. 59 al. 1 ch. 1, 2 et 3 CPP/VD). La gravité de l'infraction - et l'importance de la peine encourue - n'est, à elle seule, pas suffisante (ATF 117 Ia 70 consid. 4a). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes (art. 5 par. 1 let. c CEDH; ATF 116 Ia 144 consid. 3).
2.2 Appelé à se prononcer sur la constitutionnalité d'une décision de maintien en détention préventive, le Tribunal fédéral n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge, ni à apprécier la crédibilité des éléments de preuve mettant en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 116 Ia 143 consid. 3c p. 146). L'intensité des charges susceptibles de justifier un maintien en détention préventive n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons encore peu précis peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître vraisemblable après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (arrêt non publié F. du 27 novembre 1991, non reproduit sur ce point in SJ 1992, 191).
2.3 Cela étant, le recourant confond manifestement les conditions de maintien en détention préventive, soit l'existence d'indices suffisants de culpabilité, et les conditions auxquelles une condamnation peut être prononcée, soit l'absence de doutes sérieux quant à la culpabilité de l'accusé. S'agissant de la détention préventive, les charges recueillies contre le recourant sont clairement exposées dans l'arrêt de renvoi. Celui-ci mentionne dans le détail les mobiles qui auraient pu pousser le recourant à tuer sa mère, l'amie de celle-ci ainsi que sa soeur. Les indices à charge du recourant figurent dans l'arrêt du Tribunal d'accusation du 26 avril 2007, auquel renvoie le prononcé du 11 février 2008: le recourant avait fait des déclarations contradictoires; dans un premier temps, il avait prétendu n'avoir appris le décès de sa mère et de l'amie de celle-ci que le 5 janvier 2006 lors de sa première audition. Après avoir appris que des traces de son ADN avaient été découvertes notamment sur le col de la robe de sa mère, il avait déclaré s'être rendu sur les lieux le 24 décembre 2005; il aurait découvert les corps; sa soeur lui aurait expliqué que leur mère était tombée dans l'escalier après une bagarre; ils auraient déplacé les corps, après quoi sa soeur aurait disparu. Le Tribunal d'accusation a estimé peu probable que la soeur s'en soit prise à la mère alors que les deux femmes s'entendaient. Il n'était pas vraisemblable que le recourant ait aidé sa soeur à déplacer les corps alors que leurs relations étaient pour le moins houleuses. Les effets personnels de la soeur ainsi que son véhicule avaient été retrouvés dans la maison, de sorte qu'il était également peu probable qu'elle se soit enfuie à pied. Au demeurant, elle n'avait guère d'intérêt financier à la disparition de sa mère, au contraire du recourant. Le faisceau d'indices apparaît donc suffisant pour justifier un maintien en détention.
Le grief doit être rejeté, de même que l'argument relatif au principe de la proportionnalité, qui ne porte que sur l'existence de charges suffisantes.
3.
Le recourant conteste le risque de fuite. L'arrêt attaqué est fondé sur la seule gravité des charges, ce qui est contraire à la jurisprudence; le recourant est de nationalité suisse; il a vécu en Suisse dès son adoption en 1973, et y a effectué ses études et tout son parcours professionnels. Il possède des immeubles et sa situation financière ne lui permettrait pas de préparer une fuite à l'étranger.
3.1 Selon la jurisprudence, le risque de fuite ne peut s'apprécier sur la seule base de la gravité de l'infraction même si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, la perspective d'une longue peine privative de liberté permet souvent d'en présumer l'existence (ATF 125 I 60 consid. 3a p. 62); il doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger (ATF 117 Ia 69 consid. 4 et les arrêts cités).
3.2 L'arrêt attaqué mentionne exclusivement la gravité de la peine encourue. Compte tenu des infractions pour lesquelles le recourant est renvoyé en jugement, soit trois assassinats passibles chacun de dix ans de réclusion au minimum (art. 112 CP), il s'agit d'un élément important dans l'évaluation du risque de fuite. Compte tenu du récent renvoi en jugement du recourant, la perspective d'une éventuelle condamnation s'est encore rapprochée, ce qui augmente d'autant le risque de fuite. Pour le surplus, la situation personnelle du recourant a fait l'objet d'un examen dans l'arrêt du 26 avril 2007, et ces considérations restent d'actualité même s'y l'arrêt attaqué ne s'y réfère pas expressément. Déjà avant les faits, le recourant était brouillé avec les membres de sa famille; il était en instance de divorce et son amie était retournée vivre chez ses parents. Sa situation financière est elle aussi largement compromise. Ses attaches avec la Suisse (une amie qui lui rend régulièrement visite et sa résidence des Monts-de-Corsier) n'apparaissent dès lors pas suffisantes pour prévenir une fuite à l'étranger.
3.3 Le risque de fuite étant reconnu, il n'y a pas lieu de rechercher si le maintien en détention peut aussi se justifier pour des motifs tenant à l'ordre public, étant précisé que de tels motifs ne sauraient être retenus que dans des cas exceptionnels, et durant un temps limité (CourEDH, arrêt Letellier c/ France du 26 juin 1991, Série A vol. 207 par. 47 ss; arrêt du Tribunal fédéral 1P.307/2000 du 13 juin 2000).
4.
Le recourant invoque enfin l'art. 5 CEDH; il estime que le Juge d'instruction aurait violé le principe de célérité en écrivant, le 15 octobre 2007, qu'il attendait le dossier en retour du Tribunal fédéral (saisi d'un recours concernant une mesure de séquestre) pour prononcer une jonction de causes et la mise en préclôture. Le dernier rapport de police datait du mois de juillet 2007 et le Juge n'avait rendu son ordonnance à suivre que le 12 décembre 2007, ce qui aurait retardé sans motif la détention préventive.
4.1 En vertu du principe de célérité, une incarcération apparaît disproportionnée lors d'un retard injustifié dans le cours de la procédure pénale (ATF 128 I 149 consid. 2.2 p. 151, 125 I 60 consid. 3d p. 64, 124 I 208 consid. 6 p. 215 et les arrêts cités). Toutefois, n'importe quel retard n'est pas suffisant pour justifier l'élargissement du prévenu. Il doit s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 128 I 149 consid. 2.2 p. 151/152). Selon la jurisprudence, après la clôture de l'instruction, le prévenu doit en principe être renvoyé devant le juge du fond dans un délai qui, pour être conforme aux exigences des art. 10 Cst. et 5 par. 3 CEDH, ne devrait pas excéder quelques semaines, voire quelques mois (arrêt 1P.540/2002 du 4 novembre 2002).
4.2 Les reproches du recourant se concentrent sur la période allant de fin juillet à décembre 2007. Le 25 juillet 2007, un rapport d'investigations a été déposé par la police. Le Juge d'instruction a entendu le prévenu le 27 juillet 2007. Un recours a été formé le 31 juillet 2007 contre un refus de levée partielle de séquestre; il a été rejeté le 15 août 2007 par le Tribunal d'accusation. Le dossier de la procédure a ensuite été transmis au Tribunal fédéral, saisi d'un recours contre un arrêt du 18 juin 2007 concernant le séquestre. L'arrêt du Tribunal fédéral a été rendu le 25 octobre 2007. Afin que les parties aient l'occasion de consulter le dossier et de requérir des compléments d'instruction (art. 188 CPP/VD), le Juge d'instruction ne pouvait rendre d'ordonnance à suivre avant que le dossier ne lui soit restitué. Il en a informé l'avocat du recourant le 15 octobre 2007, sans que celui-ci ne réagisse. Le 14 novembre 2007, un délai a été accordé aux parties pour la consultation du dossier et d'éventuelles réquisitions. L'ordonnance à suivre a été rendue le 12 décembre 2007.
L'instruction a certes connu un temps d'arrêt de quelques mois, mais cela n'est pas imputable au Juge d'instruction. On ne saurait reprocher à ce dernier d'avoir attendu l'issue de la procédure de recours devant le Tribunal fédéral, car les questions soulevées se rapportaient à l'existence de charges suffisantes ainsi qu'à la connexité entre les infractions poursuivies et les biens séquestrés, et présentaient ainsi une certaine pertinence pour la suite de la procédure au fond. Au demeurant, si le recourant entendait contester ce retard, il pouvait s'adresser en tout temps au Juge d'instruction et intervenir, à tout le moins, à réception de la lettre du 15 octobre 2007. Il ne saurait se prévaloir d'un retard dans l'instruction à l'appui d'une demande de mise en liberté formée six mois plus tard. Au demeurant, sous l'angle de la proportionnalité, la durée de la détention préventive est manifestement compatible avec la peine susceptible d'être prononcée, si le recourant, au terme des débats qui sont d'ores et déjà fixés à fin juin 2008, est reconnu coupable de plusieurs assassinats.
5.
Le recours doit par conséquent être rejeté, aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud et au Président du Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois.
Lausanne, le 18 avril 2008
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Féraud Kurz