Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6B_930/2008 /rod
Arrêt du 15 janvier 2009
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Ferrari et Mathys.
Greffier: M. Vallat.
Parties
X.________,
Y.________,
recourants,
tous les 2 représentés par Me Guillaume Perrot, avocat,
contre
Ministère public du canton de Vaud, rue de l'Université 24, 1005 Lausanne,
intimé.
Objet
Lésions corporelles simples par négligence, devoir de fonction
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale, du 16 juin 2008.
Faits:
A.
Par jugement du 26 février 2008, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne a condamné Y.________ et X.________ chacun à la peine de dix jours-amende à 50 francs l'un, avec sursis pendant deux ans, pour lésions corporelles simples par négligence. Ce jugement statuait en outre sur les prétentions civiles et les frais de la cause.
B.
Par arrêt du 16 juin 2008, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois a admis partiellement le recours formé par les deux condamnés en ce sens que A.________, partie civile, a été renvoyée à faire valoir ses prétentions devant le juge ordinaire. Cet arrêt repose, en substance sur l'état de fait suivant.
B.a Le 14 janvier 2006, A.________ a pris le bus vers 16h30 à l'arrêt Bois-Gentil à Lausanne pour se rendre au foyer dans lequel sa fille autiste est prise en charge. Elle était en retard et, dans son empressement, elle avait oublié son sac à main contenant ses papiers et son argent. En cas de retard, sa fille pouvait faire de violentes crises d'angoisse liées à sa maladie.
Juste avant l'arrivée du bus à l'arrêt situé près du foyer, X.________ a contrôlé le titre de transport de A.________, qui était en possession d'un billet à 2 fr. 40 au lieu de 2 fr. 80. Il s'est alors adjoint les services de Y.________, également contrôleur dans ce bus, pour lui expliquer qu'elle avait le choix entre le paiement de 60 fr. avec un constat anonyme ou un paiement différé de 80 fr. sur lequel figurerait son identité. Arrivés à l'arrêt du Foyer, les trois protagonistes sont descendus du bus. Les contrôleurs ont demandé ses papiers d'identité à A.________ qui n'en avait pas sur elle et qui a tergiversé, ne comprenant pas pourquoi on lui demandait des sommes aussi élevées. Finalement, elle a fourni son identité et son adresse exactes mais à cause du stress ressenti, lié à la situation, elle n'a pas pu sur le moment indiquer sa date de naissance. Les contrôleurs ont téléphoné au Contrôle des habitants qui, pour une raison inconnue, n'a pas trouvé l'inscription de A.________.
Pressée de questions, A.________ a commencé à paniquer. Elle a montré des velléités de s'enfuir, mais les deux contrôleurs se sont placés devant elle. Elle a alors proposé à ceux-ci de l'accompagner au foyer, situé juste en face de la rue, ce qu'ils ont refusé, conformément à leurs consignes. Se rendant compte que les contrôleurs n'avaient aucune intention de la laisser partir, A.________ a tenté de les contourner. Y.________ et X.________ l'ont retenue. Se sentant prisonnière et craignant pour sa fille, A.________ a tenté une nouvelle fois de partir. X.________ l'a alors saisie par la main gauche tandis que Y.________ prenait la droite. Ils lui ont fait une clé de bras et lui ont maintenu les mains derrière le dos, ce qui l'a forcée à se pencher en avant.
B.b Il ressort du constat médical établi le 16 janvier 2006 par la Policlinique médicale universitaire que A.________ a subi une probable atteinte péri-articulaire de l'épaule droite compatible avec les éléments que la patiente relate et une poussée hypertensive dans ce contexte de stress émotionnel intense. A.________ a eu le bras soutenu par une écharpe pendant un certain temps. Au 27 juin 2007, son épaule droite présentait toujours une limitation fonctionnelle, son état étant stable mais sans amélioration. Le certificat médical établi le 17 décembre 2007 par le docteur B.________, psychiatre et psychothérapeute, indique que A.________ présentait un état de choc post-traumatique sévère avec troubles phobiques et dépressifs. Ce médecin ajoute que la patiente présentait déjà un état dépressif en raison de sa situation légale et familiale et que ces événements ont été l'élément déclencheur d'une décompensation grave.
C.
X.________ et Y.________ forment un recours en matière pénale contre cet arrêt. Ils concluent principalement à sa réforme dans le sens de leur acquittement et, à titre subsidiaire, à l'annulation de l'arrêt entrepris et au renvoi de la cause à la cour cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision au sens des considérants.
Il n'a pas été ordonné d'échange d'écritures.
Considérant en droit:
1.
Les deux recourants procèdent par une écriture conjointe, dans laquelle ils développent une argumentation commune dirigée contre l'arrêt cantonal qui les concerne. Il convient de traiter les deux recours dans un seul et même arrêt.
2.
Les recourants soulèvent tout d'abord un grief relatif à l'application du droit cantonal. Ils relèvent que la procédure de première instance s'est déroulée en deux temps, la personne ayant présidé la première audience, tendant à la conciliation, n'ayant, par la suite, plus participé au jugement de la cause. Ils reprochent à la cour cantonale d'avoir appliqué arbitrairement l'art. 324 CPP/VD en refusant de sanctionner ce vice par la nullité du jugement.
2.1 Sous réserve des exceptions visées par l'art. 95 let. c à e LTF, qui ne sont pas pertinentes en l'espèce, l'application du droit cantonal et communal ne peut être invoquée à l'appui d'un recours au Tribunal fédéral que s'il en résulte une violation du droit fédéral au sens de l'art. 95 let. a LTF, soit notamment de la garantie constitutionnelle fédérale contre l'arbitraire (art. 9 Cst.; ATF 133 II 249 consid. 1.2.1 p. 251).
Une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif ou en violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire même préférable (ATF 134 I 140 consid. 5.4 et les arrêts cités, p. 148, 129 I 8 consid. 2.1 p. 9).
2.2 Conformément à l'art. 324 CPP/VD, le tribunal doit rester au complet pendant toute la durée des débats (al. 1). S'il y a des suppléants (art. 318 al. 2), ils assistent aux débats dès la première audience. Ils assistent également aux délibérations et au jugement, mais ne sont admis à y participer que lorsqu'il y a lieu de remplacer un des membres du tribunal. Ils n'assistent à la lecture du jugement que s'ils ont participé à la délibération (al. 2). Comme le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de le constater, cette règle doit être lue en relation avec l'art. 366 CPP/VD, qui prescrit que les juges qui participent aux opérations énumérées à l'art. 365 (délibération, jugement et lecture du jugement après rédaction) doivent avoir assisté à toutes les opérations antérieures dès l'ouverture des débats (cf. ATF 95 I 593 consid. 3, p. 594 s.).
Il s'agit donc moins d'examiner, comme le souhaiteraient les recourants, si le premier président, qui a tenté une conciliation, était seul à pouvoir juger la cause, que de savoir si le second président, qui a jugé la cause, a participé à toutes les opérations visées par les art. 365 et 366 CPP/VD. Or, l'arrêt cantonal constate que le second président a mené l'ensemble des débats, y compris une nouvelle tentative de conciliation (arrêt entrepris, consid. 1.2, p. 6), ce qui permet de conclure qu'il a participé à l'ensemble des opérations visées par les art. 365 et 366 CPP/VD. On n'aboutit pas à une autre conclusion si l'on considère la sanction de la violation des art. 324 et 366 CPP/VD. Comme cela ressort de l'arrêt précité, si l'un des juges composant un tribunal doit être remplacé après une interruption des débats, ceux-ci doivent être repris ab ovo, y compris l'audition des témoins déjà entendus lors de la première audience (ATF 95 I 593 consid. 3 p. 594 s.). En l'espèce, si le président a été remplacé après la première tentative de conciliation, le second président, qui a renouvelé la tentative de conciliation et procédé à l'ensemble des opérations des débats, a, ce faisant, repris la cause ab ovo. Il s'ensuit que l'arrêt cantonal n'apparaît pas arbitraire dans son résultat. Le grief est infondé.
3.
Sur le fond, les recourants ne contestent pas que les conditions d'application de l'art. 125 CP sont réalisées en l'espèce. Les autorités cantonales ont dûment constaté l'existence de la lésion et la causalité naturelle entre celle-ci et la clé de bras, imputée à la négligence des recourants (jugement de première instance, consid. 4 p. 14 et 16; arrêt entrepris, consid. B. p. 2, consid. 1 p. 3, 2 p. 9 et 2.2 p. 10). Ces constatations de fait lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF). Il n'apparaît pas non plus que l'arrêt entrepris violerait le droit fédéral sur les questions de la négligence (art. 18 CP; cf. aussi ATF 133 IV 158 consid. 5.1, p. 161 s. et les références citées) et de la causalité adéquate (cf. ATF 131 IV 145 consid. 5.1, p. 147/148 et les arrêts cités) et les recourants ne tentent pas de le démontrer.
Les recourants invoquent en revanche une violation de l'art. 14 CP. Ils reprochent en résumé à la cour cantonale d'avoir mis en balance la faible quotité du montant impayé avec la contrainte exercée, au lieu de prendre en considération l'intérêt des Transports publics de la région lausannoise à adopter une attitude cohérente et égale à l'égard de l'ensemble de ses clients, de façon à ce que le contrôle général soit non seulement juste et efficace mais surtout crédible auprès du public. Ils soulignent dans ce contexte les consignes très strictes et précises qu'ils ont reçues et le fait qu'ils n'ont, dans cette mesure, aucune marge de manoeuvre. Ils estiment que la cour cantonale aurait, à tort, fondé son jugement sur un état de fait objectif au lieu de prendre en considération les faits tels qu'ils leur apparaissaient au moment d'agir. Ils reprochent enfin à la cour cantonale de n'avoir pas précisé quelle aurait été la manière d'agir conforme à l'exigence de proportionnalité.
3.1 Conformément à l'art. 14 CP (ancien art. 32 CP), quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu de ce même code. La licéité de l'acte est, en tous les cas, subordonnée à la condition qu'il soit proportionné à son but (ATF 107 IV 84 consid. 4 p. 86).
Conformément aux art. 58 al. 1 à 3 CPP/VD, en cas de flagrant délit, l'arrestation peut être ordonnée et exécutée sans qu'il soit besoin d'aucun mandat (al. 1 ). Chacun a le droit d'appréhender la personne qu'il surprend en flagrant délit (al. 2). La personne appréhendée doit être remise sans délai au juge ou à la police; le juge l'entend dans les vingt-quatre heures, conformément à l'art. 129 (al. 3). Selon la jurisprudence cantonale vaudoise, l'alinéa 2 de cette disposition habilite les agents chargés du contrôle des billets dans les transports publics, qui ne sont pas investis de pouvoirs de police, à appréhender l'usager qui voyage sans titre de transport valable et tente de se soustraire au contrôle, afin de le remettre sans délai au juge ou à la police (v. BOVAY et al., Procédure pénale vaudoise, 3e éd. 2008, art. 58 n. 4). Une telle intervention est soumise au principe de la proportionnalité. Il s'agit donc d'examiner si le préjudice porté aux droits de tiers n'excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre le but qui le justifie (cf. ATF 107 IV 84 consid. 4 et 4a, p. 85 s., 94 IV 5 consid. 1 et 2a p. 7 s.), en tenant compte des circonstances du cas d'espèce, soit de la justification et du type de la mesure prise, ainsi que des moyens et du temps dont disposait l'intéressé, selon la représentation qu'il avait des faits au moment où il a agi (ATF 107 IV 84 consid. 4b et c, p. 87).
3.2 En l'espèce, il est constant que la victime s'était munie d'un titre de transport mais que le prix de ce dernier (2 fr. 40) ne correspondait pas au tarif du trajet effectué (2 fr. 80). En revanche, rien n'indique, dans les constatations de fait de l'arrêt entrepris, qu'elle se soit cachée ou ait d'une quelconque manière déjoué des mesures de contrôle. Aucun élément ne suggère un comportement frauduleux au sens de l'art. 150 CP (v. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 2002, art. 150, n. 14 et 19). L'infraction constatée relevait ainsi tout au plus de la contravention au sens de l'art. 51 al. 1 let. a de la Loi fédérale sur les transports publics du 4 octobre 1985 (LTP; RS 742.40) en corrélation avec l'art. 1 de l'ordonnance sur le transport public du 5 novembre 1986 (OTP; RS 742.401). Le but poursuivi par les recourants en la retenant devait ainsi se limiter à garantir un simple contrôle (cas échéant par la police) des informations fournies par cette dernière sur son identité, en vue d'une éventuelle plainte pénale en relation avec la contravention précitée (art. 51 al. 1 let. a LTP) et du recouvrement de la surtaxe tarifaire (art. 16 LTP) qui avait été demandée. Il s'agissait donc d'un contrôle de pure forme (cf. pour une situation similaire: ATF 107 IV 84 consid. 4a, p. 86).
3.3 Quant aux moyens utilisés pour atteindre ce but, il ressort du jugement de première instance, auquel renvoie l'arrêt cantonal sur ce point (arrêt entrepris, consid. B, p. 2), que les contrôleurs n'ignoraient pas le risque de causer des lésions de l'épaule en opérant une clé de bras, singulièrement lorsque la personne qui doit être maîtrisée bouge (jugement du 26 février 2008, p. 15). L'arrêt cantonal souligne également le caractère de dernier recours de cette méthode pour les contrôleurs des transports publics. Selon l'adjoint du responsable des contrôleurs, une telle prise se justifiait si les contrôleurs, recevant des coups qu'ils ne pouvaient esquiver, pouvaient éventuellement être obligés de maîtriser la personne. En d'autres termes, cette technique d'immobilisation devait être conçue avant tout comme un moyen de défense en cas de risque d'atteinte à l'intégrité physique des contrôleurs et non comme moyen de coercition pour imposer au contrevenant de se soumettre à un contrôle. L'arrêt cantonal constate enfin que la victime, en nette infériorité physique et numérique, n'a jamais tenté d'agresser les recourants, mais simplement de s'enfuir (arrêt entrepris, consid. 2.3.2, p. 11), même si les autorités cantonales n'ont pas exclu qu'elle ait invectivé les contrôleurs, voire essayé de se dégager en agitant les poings, l'un ayant pu toucher l'un des recourants (arrêt entrepris, consid. B.1, p. 3). Ces constatations de fait lient la cour de céans (art. 105 al. 2 LTF).
3.4 Il résulte de ce qui précède que les recourants, qui n'étaient pas et n'avaient pas de raison de se sentir menacés ne serait-ce qu'en raison de la disproportion des forces en présence, ont recouru, pour garantir la réalisation d'un simple contrôle d'identité, à des moyens de défense de dernier recours qu'ils savaient susceptibles de causer des atteintes à l'intégrité physique. Cette constatation suffit à exclure la proportionnalité de cette intervention même dans la représentation des faits des recourants au moment où ils ont agi et, partant, l'application de l'art. 14 CP. Le grief est infondé.
Pour le surplus, dans la mesure où les recourants, selon leur représentation des faits, n'étaient pas convaincus par les explications fournies par l'intéressée, d'autres moyens de contrainte directe ou indirecte étaient envisageables pour atteindre le but poursuivi, sans remettre en cause l'efficacité et la crédibilité de la lutte contre la resquille. La cour cantonale a ainsi retenu à juste titre qu'il aurait été possible et commandé par le bon sens - malgré les instructions reçues - de l'accompagner de l'autre côté de la rue pour vérifier son identité. Les recourants auraient également eu la possibilité de retenir un objet nécessaire ou ayant apparemment une valeur d'affection, tel qu'un trousseau de clé, une montre, un téléphone, un bijou, voire une pièce de vêtement, tout au moins le temps que l'intéressée se rende de l'autre côté de la rue pour retrouver sa fille ou jusqu'à l'arrivée de la police (v. l'exemple cité par BOVAY et al., ibidem, à propos du flagrant délit de vol d'un journal dans une caissette).
4.
Le recours est rejeté. Les recourants supportent les frais de la cause à parts égales et solidairement ( art. 66 al. 1 et 5 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 francs, sont à la charge des recourants à parts égales et solidairement.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 15 janvier 2009
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Favre Vallat