Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1C_102/2009
Arrêt du 16 juin 2009
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Raselli.
Greffier: M. Parmelin.
Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Shalini Pai, avocate,
contre
Département de l'intérieur du canton de Vaud, Service juridique et législatif, Autorité d'indemnisation LAVI, place du Château 1, 1014 Lausanne.
Objet
indemnisation fondée sur la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infraction,
recours contre le jugement du Tribunal des assurances du canton de Vaud du 18 décembre 2008.
Faits:
A.
Le 15 février 2004, A.________, enceinte de six mois, a été victime d'un brigandage alors qu'elle travaillait comme caissière dans une station-service à Cheseaux-sur-Lausanne. L'un des auteurs de l'infraction a pointé un pistolet dans sa direction et lui a demandé le contenu de la caisse.
Par jugement du 19 mai 2005, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne a condamné les auteurs du brigandage à raison notamment de ces faits à la peine de cinq ans de réclusion et les a expulsés du territoire suisse pour une durée de quinze ans. Il les a en outre astreints à verser à A.________ la somme de 10'000 fr., avec intérêts à 5% l'an, dès le 15 février 2004, à titre de réparation du tort moral.
Le 13 février 2006, A.________ a déposé une demande fondée sur les art. 11 et suivants de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infraction (LAVI; RS 312.5) tendant à l'octroi d'une indemnité en réparation du tort moral de 10'000 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 15 février 2004, ainsi que d'une indemnité de 1'500 fr. à titre de participation à ses frais d'avocat.
Par décision du 10 mai 2007, le Département des institutions et des relations extérieures du canton de Vaud (aujourd'hui, le Département de l'intérieur) a rejeté la demande. Il a estimé que le versement d'une somme de 1'500 fr. pour les frais d'avocat ne se justifiait pas dès lors que la requérante s'était vue octroyée une indemnité de conseil d'office de 2'300 fr. par le jugement pénal. Il a écarté la demande d'indemnisation en réparation du tort moral au motif que l'atteinte à la santé psychique de la jeune femme ne revêtait pas le degré de gravité requis pour fonder sa qualité de victime.
Le Tribunal des assurances du canton de Vaud, devenu depuis le 1er janvier 2009 la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal (ci-après: le Tribunal cantonal), a rejeté le recours formé par A.________ contre cette décision qu'il a confirmée, au terme d'un jugement rendu le 18 décembre 2008.
B.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer ce jugement en ce sens qu'elle a droit à une indemnité pour tort moral de 10'000 fr., avec intérêts à 5% l'an dès le 15 février 2004. Elle conclut subsidiairement à l'annulation du jugement entrepris et au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle instruction et nouveau jugement.
Le Tribunal cantonal se réfère à son jugement. Le Département de l'intérieur du canton de Vaud conclut au rejet du recours. Invité à se déterminer, l'Office fédéral de la justice a renoncé à déposer des observations.
Considérant en droit:
1.
Le jugement attaqué peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF. La recourante, qui a vu sa demande d'indemnité en réparation morale refusée faute de pouvoir se prévaloir du statut de victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI, dispose de la qualité pour recourir selon l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité énoncées aux art. 82 ss LTF sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Seule est litigieuse en l'espèce la question de savoir si la recourante peut se prévaloir de la qualité de victime nécessaire à l'octroi d'une indemnisation pour la réparation du tort moral fondée sur l'art. 12 LAVI, étant précisé que cette question doit être examinée selon la loi dans sa teneur en vigueur avant le 1er janvier 2009 (cf. art. 48 let. a LAVI). L'argumentation développée en relation avec le caractère justifié du montant de 10'000 fr. exigé à ce titre excède l'objet du litige. Elle est par conséquent irrecevable.
2.1 En vertu des art. 2 al. 1 et 11 al. 1 LAVI, celle ou celui qui est victime d'une infraction pénale et subit, de ce fait, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique, peut demander une indemnisation ou une réparation morale dans le canton où l'infraction a été commise. L'indemnité, qui ne peut excéder 100'000 fr., est fixée en fonction du montant du dommage subi et des revenus de la victime ( art. 13 al. 1, 2 et 3 LAVI ). La réparation morale est due, elle, indépendamment du revenu de la victime, lorsque celle-ci subit une atteinte grave et que des circonstances particulières justifient cette réparation (art. 12 al. 2 LAVI).
Il n'existe pas de liste exhaustive des infractions relevant du champ d'application de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions (arrêt 6S.333/2002 du 20 août 2002, consid. 2.2 in Pra 2003 n° 19 p. 91). La qualité de victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI se détermine principalement en fonction des conséquences engendrées par l'atteinte subie. Celle-ci doit présenter une certaine gravité (ATF 129 IV 95 consid. 3.1 p. 98, 216 consid. 1.2.1 p. 218; 125 II 265 consid. 2a/aa p. 268), ce qui est le cas lorsqu'elle entraîne une altération profonde ou prolongée du bien-être (cf. arrêt 1P.147/2003 du 19 mars 2003). Il ne suffit donc pas que la victime ait subi des désagréments, qu'elle ait eu peur ou qu'elle ait eu quelque mal (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1 p. 218). L'intensité de l'atteinte se détermine suivant l'ensemble des circonstances de l'espèce (ATF 129 IV 95 consid. 3.1 p. 98). S'agissant d'une atteinte psychique, elle se mesure d'un point de vue objectif, non pas en fonction de la sensibilité personnelle et subjective du lésé (ATF 131 IV 78 consid. 1.2 p. 81). L'octroi d'une indemnisation ou d'une réparation morale fondée sur l'art. 11 LAVI suppose que la qualité de victime soit établie (ATF 125 II 265 consid. 2c/aa p. 270).
2.2 Le Tribunal cantonal a retenu en substance ce qui suit: bien que, lors du brigandage du 15 février 2004, A.________ se soit sentie directement confrontée à la mort et ait pensé à sa fille de seize mois et à l'enfant qu'elle portait, la situation s'était sensiblement améliorée deux mois plus tard puisque la consultation du 29 avril 2004 auprès de la thérapeute X.________, qualifiée de consultation de contrôle, n'avait pas été suivie d'autres rendez-vous dans l'immédiat. Certes, en 2005, la recourante avait sollicité à nouveau l'aide de cette thérapeute, notamment dans la perspective du procès pénal de ses agresseurs; toutefois, les deux entretiens intervenus en mars et avril 2005 avaient pour l'essentiel révélé qu'elle était encore éprouvée par l'agression dont elle avait été la victime et que des flash-backs visuels, bien que plus espacés que précédemment, l'assaillaient encore. Le Tribunal cantonal a dès lors admis que dans l'ensemble, le brigandage n'avait pas laissé subsister chez la recourante de séquelles importantes, tant sur le plan physique que du point de vue psychique, et en tous les cas pas durant un très grand laps de temps; il a en outre ajouté que c'était vraisemblablement l'imminence du procès pénal qui avait été à l'origine de la sollicitation de la thérapeute X.________ une année environ après les faits. Il a encore relevé que la peur de mourir à laquelle avait été confrontée la jeune femme n'avait duré que quelques minutes et n'avait pas atteint le seuil de gravité requis par la jurisprudence pour lui reconnaître la qualité de victime.
La recourante reproche aux juges cantonaux d'avoir fait abstraction d'éléments essentiels et, plus particulièrement, de certificats médicaux qui attesteraient la présence d'une alopécie sévère secondaire au traumatisme psychologique subi, plusieurs mois après les faits, et qui établiraient une atteinte physique durable, imputable au brigandage et propre à lui conférer la qualité de victime au sens de l'art. 2 al. 1 LAVI. Elle se plaint à ce propos d'une violation de son droit d'être entendue garanti à l'art. 29 al. 2 Cst. et d'arbitraire dans l'appréciation des preuves constitutive d'une violation du droit fédéral.
2.3 Le Tribunal cantonal n'évoque effectivement pas la calvitie dont a souffert la recourante depuis l'été 2005 et qui a nécessité le port d'une perruque ainsi qu'un traitement médical de longue durée, alors même qu'il reproduit dans l'état de fait du jugement l'attestation établie le 12 mai 2006 par le Docteur Y.________, spécialiste FMH en médecine générale, mentionnant cet élément. On ignore s'il n'en a pas tenu compte parce qu'il s'agissait d'un fait nouveau qu'il tenait à tort ou à raison pour irrecevable, s'il l'a purement et simplement ignoré ou s'il l'a implicitement écarté parce qu'il l'a considéré comme impropre à établir une atteinte suffisamment grave à l'intégrité physique de la recourante pour admettre sa qualité de victime. Il n'appartient pas au Tribunal fédéral de reconstituer une motivation insuffisante ou de pallier à l'absence de motivation de l'acte attaqué. Le défaut de motivation constaté revient en l'occurrence à violer le droit d'être entendue de la recourante garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. (cf. ATF 133 V 439 consid. 3.3 p. 445) et entraîne l'annulation du jugement entrepris, ainsi que le renvoi de la cause à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud pour qu'elle statue à nouveau.
3.
Le recours doit par conséquent être admis dans la mesure où il est recevable. Le canton de Vaud est dispensé des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Il versera en revanche une indemnité de dépens à la recourante qui obtient gain de cause avec l'assistance d'une avocate (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable. Le jugement attaqué est annulé et la cause renvoyée à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud pour nouvelle décision.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de 2'000 fr. à payer à la recourante à titre de dépens est mise à la charge du canton de Vaud.
4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante, au Département de l'intérieur et à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.
Lausanne, le 16 juin 2009
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Féraud Parmelin