Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6B_136/2010
Arrêt du 2 juillet 2010
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges Schneider, Juge présidant, Wiprächtiger et Jacquemoud-Rossari.
Greffier: M. Vallat.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Philippe Nordmann, avocat,
recourant,
contre
Ministère public du canton de Vaud, rue de l'Université 24, 1014 Lausanne,
intimé.
Objet
Violation simple des règles de la LCR (conduite en état d'incapacité et contravention à la LStup); erreur de fait (art. 13 CP), etc.,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale, du 26 octobre 2009.
Faits:
A.
X.________, né en 1979, a consommé du cannabis le dimanche 14 octobre 2007. Le mardi suivant, vers 12 h 15, il a été renversé par une voiture, alors qu'il circulait au guidon de son motocycle. Il a été grièvement blessé. Une prise de sang effectuée à 13h20 a mis en évidence une concentration sanguine de 2,3 µg/l de tétrahydrocannabinol (THC).
Par jugement du 21 août 2009, le Tribunal de police de l'arrondissement de Lausanne l'a condamné à cinq jours-amende à 50 fr. l'un avec deux ans de sursis, pour conduite en incapacité et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants.
B.
Par arrêt du 26 octobre suivant, la Cour de cassation pénale vaudoise a admis partiellement le recours du condamné. Tout en confirmant les déclarations de culpabilité, la cour cantonale a exempté X.________ de toute peine eu égard à la gravité des lésions subies lors de l'accident.
C.
X.________ forme un recours en matière pénale. Il conclut à l'annulation de la décision entreprise et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
Invités à formuler des observations, la cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt, cependant que le Ministère public vaudois a conclu au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.
Exempté de toute peine, X.________ n'en a pas moins un intérêt juridique à l'annulation de la décision cantonale, en tant qu'elle confirme un verdict de culpabilité. Il est légitimé à recourir (art. 81 al. 1 let. b LTF).
2.
Le recourant invoque, dans un premier moyen, la violation du principe de la légalité. Selon lui, l'art. 2 al. 2 let. a OCR n'aurait pas de base légale. Selon son sous-titre, cette règle ne serait fondée que sur l'art. 55 al. 1 LCR relatif au constat de l'alcoolémie et non sur l'art. 55 al. 7 LCR et le Conseil fédéral n'aurait pas respecté le cadre de la délégation de compétence opérée par le législateur.
2.1 Le Tribunal fédéral peut contrôler la constitutionnalité et la légalité des ordonnances du Conseil fédéral. Lorsqu'une ordonnance est fondée sur une délégation législative, il s'assure que les dispositions adoptées restent dans le cadre de la norme de délégation. Il vérifie également qu'elles ne violent pas le droit constitutionnel, sauf si une dérogation découle directement de la norme de délégation elle-même. Si la délégation de compétence donne au Conseil fédéral un large pouvoir d'appréciation pour fixer des dispositions d'exécution, cette décision lie le Tribunal fédéral, qui ne doit pas substituer sa propre appréciation à celle de l'autorité compétente. Il ne peut, dans ce cas, intervenir que si l'ordonnance sort manifestement du cadre de la délégation ou si, pour d'autres motifs, elle viole la loi ou la constitution (ATF 131 II 162 consid. 2.3, p. 166).
2.2 Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2005 (RO 2002 2767, 2004 2849; FF 1999 4106), l'art. 55 al. 7 LCR prescrit que le Conseil fédéral peut, pour les autres substances que l'alcool, fixer le taux de concentration dans le sang à partir duquel la personne concernée est réputée incapable de conduire au sens de cette loi, indépendamment de toute autre preuve et de tout degré de tolérance individuelle (let. a). Le Conseil fédéral édicte en outre des prescriptions sur les examens préliminaires, sur la procédure qui règle l'utilisation de l'alcootest et le prélèvement de sang, sur l'analyse des échantillons prélevés et sur l'examen médical complémentaire de la personne soupçonnée d'être dans l'incapacité de conduire (let. b). En exécution de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a édicté l'art. 2 al. 2 let. a OCR (RS 741.11). Dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2005 (RO 2004 2581), cette norme dispose qu'un conducteur est réputé incapable de conduire chaque fois qu'il est prouvé que son sang contient notamment du tétrahydrocannabinol (cannabis). Le Conseil fédéral a, quant à lui, sous-délégué à l'Office fédéral des routes (OFROU) la tâche d'établir, après entente avec les experts, des directives sur la preuve de la présence des substances mentionnées à l'al. 2 (art. 2 al. 2bis OCR). L'OFROU a formulé, dans un premier temps, des Instructions concernant la constatation de l'incapacité de conduire dans la circulation routière, le 1er septembre 2004. L'annexe 6 de ces instructions posait les exigences requises pour les laboratoires d'analyse des stupéfiants et des médicaments. Le chiffre 5 de cette annexe (Rapports d'analyse/rapports d'expertises) fixait les valeurs limites selon l'art. 2 al. 2 OCR, soit, en particulier, la valeur de 1,5 µg/l pour le THC. Ce seuil ressort désormais de l'art. 34 de l'Ordonnance de l'OFROU concernant l'ordonnance sur le contrôle de la circulation routière (OOCCR-OFROU), du 22 mai 2008, entrée en vigueur le 1er octobre 2008 (art. 39 OOCCR-OFROU).
2.3 Le législateur a ainsi délégué au Conseil fédéral la compétence de fixer le taux de concentration dans le sang à partir duquel la personne concernée est réputée incapable de conduire, pour les autres substances que l'alcool, et d'édicter les prescriptions relatives à l'analyse des échantillons prélevés.
2.3.1 Cette délégation ne laisse subsister qu'une marge d'appréciation réduite puisqu'il s'agit uniquement de fixer un taux. Elle laisse cependant à la libre appréciation de l'exécutif la manière de déterminer ce taux et la valeur numérique de celui-ci.
2.3.2 En édictant l'art. 2 al. 2 OCR, le Conseil fédéral n'a pas chiffré précisément le taux en question, mais posé que la présence de THC dans le sang conduisait à considérer que la personne était incapable de conduire. En d'autres termes, selon la norme réglementaire, lue en corrélation avec la norme de délégation, un taux plasmatique de tetrahydrocannabinol même faible suffit à rendre applicable la présomption légale. Par ailleurs, compétent pour édicter les règles relatives aux analyses, le Conseil fédéral a sous-délégué cette compétence à l'OFROU. Une telle subdélégation est admissible s'agissant des modalités d'exécution de la loi (art. 106 al. 1 deuxième phrase LCR), ce qui inclut, depuis le 1er avril 2003, des règles à contenu normatif (cf. Message du Conseil fédéral concernant la modification de la loi fédérale sur la circulation routière du 31 mars 1999; FF 1999 4106, spéc. 4146). On doit admettre que les règles fixant notamment les prescriptions relatives à l'exécution d'analyses de prélèvements sanguins constituent de telles modalités d'exécution. En application de sa propre compétence déléguée, l'OFROU a arrêté, notamment, à 1,5 µg/l le seuil de détection du THC, ce qui conduit, en définitive, à poser qu'au-delà de 1,5 µg/l de THC dans le sang, l'incapacité de conduire est présumée de manière irréfragable (cf. art. 55 al. 7 let. a LCR). Il s'ensuit que, lus conjointement, l'art. 2 al. 2 let. a OCR et le seuil de détection arrêté par l'OFROU répondent à toutes les exigences de la délégation de compétence de l'art. 55 al. 7 LCR.
Pour le surplus, si comme le relève le recourant, le sous-titre de l'art. 2 OCR ne mentionne pas expressément l'art. 55 al. 7 LCR, son al. 2 a été introduit par une modification du 28 avril 2004, dont le préambule mentionne expressément l'art. 55 al. 7 LCR (RO 2004 2851). Le recourant ne peut dès lors rien déduire en sa faveur de l'élément d'interprétation formel qu'il invoque.
2.4 Le recourant objecte ensuite qu'une quantité infime de THC n'entraînerait pas une incapacité de conduire.
2.4.1 Ce faisant, le recourant discute le contenu même des règles édictées en application de la délégation de compétence. Un tel examen préjudiciel n'est pas exclu dans son principe (v. supra consid. 2.1), mais connaît cependant des limites liées notamment à la règle constitutionnelle selon laquelle le Tribunal fédéral ne peut refuser d'appliquer une loi fédérale (art. 190 Cst.).
2.4.2 La règle selon laquelle l'incapacité de conduire résultant de la consommation de stupéfiants, le cannabis en particulier, est déterminée par un taux de concentration dans le sang résulte de l'art. 55 al. 7 LCR. Il s'ensuit que le Tribunal fédéral ne peut examiner préjudiciellement le principe d'un tel critère, mais tout au plus, la valeur limite numérique fixée par les autorités d'exécution. Par ailleurs, le recourant ne tente pas de démontrer que le Conseil fédéral serait tombé dans l'arbitraire déjà en faisant usage de la délégation de compétence potestative de l'art. 55 al. 7 LCR nonobstant les doutes qui peuvent subsister sur la réelle valeur indicative d'un tel taux quant à la capacité de conduire (en ce sens, un auteur soutient que le Conseil fédéral aurait dû y renoncer: YVAN JEANNERET, Les dispositions pénales de la Loi sur la circulation routière, 2007, art. 91 LCR, n. 32). Il n'y a donc pas lieu non plus d'examiner la cause dans cette perspective (art. 106 al. 2 LTF).
2.4.3 En ce qui concerne la valeur limite elle-même, en posant qu'une quantité infime de THC dans le sang n'entraînerait pas une incapacité de conduire, le recourant, qui n'invoque pas expressément l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.), se borne à affirmer sa propre opinion sur une question technique. Ses développements ne satisfont pas aux exigences de motivation accrues déduites de l'art. 106 al. 2 LTF. Ils ne permettent, en tout cas, pas de démontrer que les dispositions d'exécution en question ne seraient pas conformes à la Constitution fédérale parce qu'un taux de THC supérieur à la limite de 1.5 µg/l n'entraînerait pas une incapacité de conduire. Au demeurant, le Tribunal fédéral a déjà relevé, dans sa jurisprudence, qu'en l'état des connaissances médicales, il n'existe pas de données scientifiques permettant de corréler de manière fiable la quantité consommée d'un stupéfiant, le cannabis en particulier, respectivement la quantité de la substance se trouvant dans le corps, à une incapacité de conduire, notamment parce que les effets de cette dernière drogue peuvent être les plus importants à un moment où le taux de THC dans le sang a déjà régressé considérablement (ATF 130 IV 32 consid. 3.2, p. 34 et consid. 3.5, p. 38). Il n'est donc pas possible d'affirmer, comme le fait le recourant, qu'un taux sanguin de THC minime n'entraînerait aucune incapacité de conduire.
2.4.4 Le recourant relève, enfin, que le taux limite d'alcoolémie est arrêté par une ordonnance de l'Assemblée fédérale. A ses yeux, la délégation à l'OFROU n'offrirait pas les mêmes garanties.
L'Assemblée fédérale s'est réservé la compétence de fixer les taux d'alcoolémie dans une ordonnance en raison du caractère éminemment politique de cette décision (BO/CE 2001 p. 564 ss). Ces considérations sont, dès lors, sans pertinence pour apprécier la légalité des règles édictées en application de l'art. 55 al. 7 LCR, relatives à la constatation de l'incapacité de conduire pour d'autres causes que l'alcool.
2.4.5 Le grief déduit de la violation du principe de la légalité doit ainsi être rejeté dans la mesure où il est recevable.
3.
Le recourant invoque ensuite l'erreur sur les faits. Il souligne que son erreur aurait porté sur sa capacité de conduire et non sur son taux de THC. En d'autres termes, il soutient qu'ayant fumé du cannabis le dimanche précédant l'accident, il ne pouvait, le mardi suivant, se douter qu'il était encore incapable de conduire.
3.1 Agit sous l'emprise d'une erreur sur les faits, celui qui n'a pas connaissance ou qui se base sur une appréciation erronée d'un élément constitutif d'une infraction pénale. L'intention délictuelle fait défaut. L'auteur doit être jugé selon son appréciation erronée, si celle-ci lui est favorable (art. 19 al. 1 aCP et 13 al. 1 CP). La punissabilité de la négligence entre éventuellement en considération lorsque l'erreur aurait pu être évitée en usant des précautions voulues et que la négligence est réprimée par la loi (art. 19 al. 2 aCP et 13 al. 2 CP). Les erreurs sur tous les éléments constitutifs d'une infraction qui impliquent des conceptions juridiques entrent dans le champ de l'art. 13 CP et non de l'art. 21 CP (ATF 129 IV 238 consid. 3.1 et 3.2, p. 240 s.). Il s'ensuit que pour examiner la question de l'erreur, le juge doit, préalablement, constater les éléments de fait déterminant les conditions subjectives de l'infraction.
3.2 Selon la cour cantonale, l'argument du recourant selon lequel il ne pouvait pas savoir que son taux de THC était encore si élevé un jour et demi après avoir fumé du cannabis ne pouvait être accueilli, même si la dernière inhalation de cannabis avait eu lieu l'avant-veille de l'accident et si, lors de celui-ci, le recourant se considérait apte à conduire. Le principe légal de "tolérance zéro" aurait pour conséquence que l'incapacité de conduire ne nécessiterait pas d'autre preuve que la concentration dans le sang du conducteur de la drogue décelée (arrêt entrepris, consid. 6, p. 8).
3.3 Contrairement à ce que paraît penser la cour cantonale, ni la délégation de compétence de l'art. 55 al. 7 LCR, ni les règles édictées en application de cette norme ne modifient les conditions de la répression de l'art. 91 LCR. Cette infraction exige toujours, au plan subjectif, l'intention, y compris le dol éventuel, ou la négligence de l'auteur (art. 100 ch. 1 LCR). Par ailleurs, l'art. 55 LCR porte exclusivement sur le constat de l'incapacité de conduire et ne règle, en conséquence, que la question de la preuve de ce fait objectif, à l'exclusion de toute la problématique des aspects subjectifs. Il s'ensuit que ni cette disposition légale, ni les règles édictées en vertu des délégations de compétence qu'elle contient, ne peuvent régler la preuve, respectivement son appréciation, des faits internes à l'auteur déterminant son intention de conduire en état d'incapacité. Il n'est donc pas possible d'éluder l'examen des éléments subjectifs et d'exclure une éventuelle erreur sur les faits au seul motif que les art. 2 al. 2 OCR et 34 OOCCR-OFROU consacreraient un principe de "tolérance zéro". Une telle interprétation de ces deux dernières dispositions excéderait en effet clairement le cadre de la délégation de compétence sur laquelle elles reposent.
3.4 Au regard de l'art. 91 LCR, les conditions de l'intention sont réunies lorsque l'auteur a conscience de son état d'incapacité ou prend en compte la possibilité que tel soit le cas et que, ce nonobstant, il prend le volant ou le guidon et engage son véhicule sur la voie publique (YVAN JEANNERET, op. cit., art. 91, n. 84).
En l'espèce, on recherche en vain, dans le jugement de première instance, toute constatation de fait relative à l'intention du recourant, soit à la conscience qu'il avait de son état. Le premier juge a simplement indiqué que les éléments apportés par l'accusé n'étaient pas de nature à renverser la présomption selon laquelle il se trouvait en incapacité de conduire ce jour là. Il était, en particulier, indifférent qu'il n'ait plus consommé de cannabis depuis le dimanche précédant le jour de l'accident dès lors que les effets de cette drogue seraient perceptibles et le principe actif détectable plusieurs heures voire plusieurs jours après la dernière consommation (jugement, consid. 5, p. 8 s.). Cette appréciation, au demeurant motivée très sommairement, ne porte que sur l'existence objective d'une incapacité de conduire, qui est de toute manière présumée de manière irréfragable par la loi lorsque le taux plasmatique de THC excède le seuil fixé par l'OFROU. Ce jugement ne fait, en revanche, aucune référence aux circonstances qui permettraient d'établir que le recourant se savait en incapacité de conduire lorsqu'il a pris le guidon de son motocycle. Quant à la cour cantonale, comme on l'a vu, elle a jugé ces questions de fait sans pertinence (supra consid. 3.2). Il s'ensuit que l'état de fait établi par les autorités cantonales ne permet pas de contrôler l'application du droit fédéral. La cause doit être renvoyée à l'autorité précédente afin qu'elle complète l'instruction et qu'elle rende une nouvelle décision au sens des considérants.
4.
Le recourant obtient partiellement gain de cause. Il supporte des frais réduits (art. 66 al. 1 LTF). Il peut prétendre des dépens réduits dans la même proportion (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis partiellement. L'arrêt cantonal est annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale au sens des considérants qui précèdent. Le recours est rejeté, pour le surplus, dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le canton de Vaud versera en main du conseil du recourant la somme de 1500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de cassation pénale.
Lausanne, le 2 juillet 2010
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Le Greffier:
Schneider Vallat