Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1C_510/2009
Arrêt du du 14 juillet 2010
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger,
Reeb, Raselli et Eusebio.
Greffière: Mme Mabillard.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Benoît Bovay, avocat,
recourant,
contre
Commune de Servion, Le Collège, 1077 Servion, représentée par Me Jacques Haldy,
Etat de Vaud, place du Château 1, 1014 Lausanne, représenté par Me Jean-Michel Henny.
Objet
Expropriation matérielle,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours, du 29 juillet 2009.
Faits:
A.
A.________ est associé gérant de la société Y.________, dont le but est le commerce de fleurs et de matériel pour fleuristes.
Le 6 novembre 1987, il a acheté la parcelle 480 de la commune de Servion d'une surface de 3'805 m2 pour le prix de 353'865 fr., soit 93 fr. le m2. A la suite d'une nouvelle mensuration cadastrale intervenue en 1994, le bien-fonds a désormais une surface de 3'829 m2. Située en bordure de la route cantonale 636b, à la sortie de Servion direction Mézières, au lieu-dit du Praz de Perey, la parcelle était classée en zone artisanale, soit en zone à bâtir, selon le plan des zones et le règlement communal sur l'aménagement du territoire approuvé par le Conseil d'Etat le 11 janvier 1984. Elle était destinée à accueillir le nouveau siège de la société Y.________, ce qui devait permettre de réunir l'entier de la marchandise stockée en un seul lieu.
A.________ a participé aux frais relatifs à l'installation d'un collecteur et d'une station de refoulement pour un montant total de 28'966 fr. 30, selon factures des 14 juillet 1988, 7 avril et 1er décembre 1989. Le 15 mai 1992, l'atelier d'architecture X.________ a établi un contrat d'étude pour la construction d'une halle industrielle sur la parcelle 480, devisée à 1'185'000 fr., prix d'acquisition du terrain non compris. Les honoraires d'architectes se sont élevés à 20'000 fr.
Le 14 septembre 1992, la commune de Servion a délivré un permis de construire pour la construction d'une halle artisanale sur la parcelle 480.
La société Y.________ a dès lors cherché des entrepreneurs pour réaliser le projet. La meilleure offre n'était pas inférieure à 1'600'000 fr. et, comme la banque refusait une ligne de crédit supérieure à 1'400'000 fr., le projet souhaité n'a pas pu être réalisé. La société s'est dès lors installée dans ses locaux actuels à Servion. Bien qu'un étage supplémentaire ait été construit, ces locaux se sont avérés insuffisants pour emmagasiner tout le matériel, ce qui a obligé la société à continuer de louer des locaux dans des fermes de la région. A.________ s'est intéressé à vendre la parcelle 480. Mais la question des stocks n'étant pas résolue, il nourrissait toujours le projet de bâtir une halle de stockage sur son bien-fonds et la recherche d'un acquéreur n'était pas très active.
En 2003, B.________ a approché A.________ car il souhaitait acquérir la parcelle 480 afin d'y construire une halle industrielle. Ayant appris que la commune de Servion élaborait un nouveau plan général d'affectation qui classait ce bien-fonds en zone non constructible, il a cependant renoncé à l'acheter.
B.
Le plan des zones et le règlement communal sur l'aménagement du territoire approuvés par le Conseil d'Etat le 11 janvier 1984 ne permettant pas la maîtrise du développement de la commune de Servion, les autorités ont décidé d'établir un plan directeur communal pour définir les grandes lignes de l'aménagement futur et poser les principes de révision du plan des zones. Approuvé par le Conseil d'Etat le 10 mars 1998, le plan prévoit notamment que le secteur de la zone artisanale le long de la route cantonale 636b, soit les parcelles 480, 492, 421 et 417 situées au Praz du Perey, est trop étendu et devrait être transformé. Plus spécifiquement, des constructions sur les zones artisanales au Praz de Perey étendraient le village le long de la route cantonale et modifieraient considérablement le paysage à l'entrée de Servion. Le plan prévoit donc de délimiter le secteur d'activités artisanales en limitant l'étendue de sa zone en direction de Mézières et de réaffecter les terrains dans le secteur du Praz de Perey.
Après avoir obtenu l'aval des Services de l'Etat lors de l'examen préalable, le nouveau plan général d'affectation de la commune de Servion a été approuvé par le Département cantonal des infrastructures le 25 août 2004 et mis en vigueur le 10 janvier 2006. Conformément au plan directeur communal, le plan général d'affectation prévoit que le secteur comprenant la parcelle 480 est colloqué en zone intermédiaire. Selon le rapport de conformité, ceci a pour but d'assurer une meilleure concentration des bâtiments artisanaux et de limiter les nuisances provoquées par la proximité de la zone artisanale et de la zone villas. L'art. 18 du plan précise que la zone intermédiaire n'est pas constructible tant que les besoins en construction à Servion peuvent être contenus dans les zones prévues à cet effet. En cas d'extension des zones à bâtir, certaines parcelles pourront être libérées, sur la décision du conseil général, et être affectées à de nouveaux besoins. Des constructions liées à l'agriculture peuvent néanmoins être autorisées dans la zone intermédiaire, pour autant qu'elles ne compromettent pas l'affectation future et qu'elles répondent aux règles de la zone agricole.
C.
Par demande du 9 janvier 2007, A.________ a conclu à ce que la commune de Servion soit sa débitrice de la somme de 887'450 fr. (qu'il a ensuite réduite à 696'000 fr.) avec intérêts à 5 % l'an dès le 10 janvier 2006.
Selon le rapport du 14 mars 2008 et son complément du 16 mai 2008, l'expert C.________ a estimé que la valeur du m2 en zone intermédiaire à Servion était de 96 fr. au 10 janvier 2006. Il précisait que la parcelle 480 n'était pas inconstructible et que le prix de 4 fr. le m2 d'un terrain en zone agricole ne lui était pas applicable. En outre, un terrain constructible en zone artisanale à Servion était évalué à 150 fr. le m2 au 10 janvier 2006.
Après avoir procédé à une inspection locale et entendu plusieurs témoins, le Tribunal d'expropriation de l'arrondissement de l'Est vaudois (ci-après: le Tribunal d'expropriation) a rejeté les conclusions de la demande de A.________, par jugement du 20 mars 2009.
Par arrêt du 29 juillet 2009, la Chambre des recours du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: la Chambre des recours) a rejeté l'appel de A.________ et confirmé le jugement précité. Elle a considéré en substance que, dans les circonstances du cas particulier, l'intéressé n'avait pas subi une atteinte grave à son droit de propriété, si bien qu'il ne pouvait prétendre à une indemnité d'expropriation.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt précité de la Chambre des recours en ce sens que le recours est admis et le jugement du Tribunal d'expropriation du 20 mars 2009 est réformé, les conclusions de sa demande du 9 janvier 2007 étant admises, avec suite de frais, la commune de Servion étant débitrice à son égard de la somme de 559'034 fr., avec intérêts à 5 % dès le 10 janvier 2006, et avec suite de dépens des première et deuxième instances. Subsidiairement, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué, la cause étant renvoyée à la Chambre des recours pour nouveau jugement dans le sens des considérants et, le cas échéant, l'arrêt du Tribunal d'expropriation du 20 mars 2009 étant également annulé. Le recourant se plaint d'une violation de la garantie de la propriété et de l'art. 5 de la loi fédérale du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT; RS 700) ainsi que d'une application arbitraire des lois vaudoises sur l'expropriation et sur l'aménagement du territoire et des constructions.
La Chambre des recours se réfère aux considérants de son arrêt. La commune de Servion et l'Etat de Vaud concluent au rejet du recours. L'Office fédéral du développement territorial a renoncé à prendre position.
Considérant en droit:
1.
L'arrêt attaqué constitue une décision cantonale de dernière instance rendue en matière d'indemnisation résultant de restrictions apportées au droit de propriété au sens de l'art. 5 LAT. Il peut faire l'objet d'un recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF. Le recourant, qui est propriétaire de la parcelle dont il prétend qu'elle serait frappée d'une expropriation matérielle, dispose de la qualité pour recourir en vertu de l'art. 89 al. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité énoncées aux art. 82 ss LTF sont remplies, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1 Selon la jurisprudence, il y a expropriation matérielle au sens de l'art. 26 al. 2 Cst. et de l'art. 5 al. 2 LAT lorsque l'usage actuel d'une chose ou son usage futur prévisible est interdit ou restreint de manière particulièrement grave, de sorte que l'intéressé se trouve privé d'un attribut essentiel de son droit de propriété. Une atteinte de moindre importance peut aussi constituer une expropriation matérielle si elle frappe un ou plusieurs propriétaires d'une manière telle que, s'ils n'étaient pas indemnisés, ils devraient supporter un sacrifice par trop considérable en faveur de la collectivité, incompatible avec le principe de l'égalité de traitement (ATF 131 II 151 consid. 2.1 p. 155; 125 II 431 consid. 3a p. 433 et les arrêts cités).
La jurisprudence distingue généralement deux hypothèses: d'une part le refus de classement en zone à bâtir ("non-classement", "Nichteinzonung") et d'autre part le déclassement ("Auszonung"). On parle de déclassement lorsqu'un bien-fonds classé dans une zone à bâtir est frappé d'une interdiction de construire (cf. ATF 125 II 431 consid. 3b p. 433; 122 II 326 consid. 4c p. 330 et les arrêts cités). Cela présuppose toutefois qu'au moment de l'entrée en force de la mesure de planification qui produirait, selon le propriétaire, l'effet d'une expropriation matérielle, la parcelle en question se trouvait comprise dans une zone à bâtir édictée conformément aux prescriptions de la législation fédérale en matière d'aménagement du territoire (ATF 122 II 326 consid. 4b p. 329/330; 118 Ib 38 consid. 2c p. 41/42; 117 Ib 4). Il y a en revanche refus de classement lorsque la modification d'un plan d'affectation, qui a pour effet de sortir une parcelle de la zone à bâtir où elle se trouvait auparavant, intervient pour adapter ce plan aux exigences de la LAT, entrée en vigueur en 1980 - et partant pour mettre en oeuvre les principes du droit constitutionnel en matière de droit foncier - (ATF 131 II 151 consid. 2.6 p. 161). Tel est le cas de la décision par laquelle l'autorité de planification, édictant pour la première fois un plan d'affectation conforme aux exigences constitutionnelles et légales, ne range pas un bien-fonds déterminé dans la zone à bâtir et cela même si ce terrain était constructible selon la réglementation antérieure (ATF 125 II 431 consid. 3b p. 433; 122 II 326 consid. 4c p. 330; 119 Ib 124 consid. 2a p. 128, consid. 2d p. 129 s. et les arrêts cités).
2.2 Dans le cas particulier, la Chambre des recours a jugé que l'affectation de la parcelle du recourant en zone intermédiaire correspondait à un déclassement: la parcelle 480 a été colloquée en zone artisanale constructible par un plan de zones approuvé le 11 janvier 1984, à savoir postérieurement à l'entrée en vigueur de la LAT en 1980, ce qui crée la présomption qu'il respectait les exigences du droit fédéral. Un renversement de cette présomption pourrait être admis si la réglementation de 1984 avait aménagé une zone artisanale surdimensionnée eu égard aux exigences de la LAT. Pour la commune et l'Etat de Vaud, la zone artisanale était effectivement disproportionnée par rapport aux besoins, preuve en est qu'aucune demande de permis n'a été présentée depuis 1992 dans ce secteur. La Chambre des recours a cependant considéré, avec les premiers juges, que le but de la nouvelle réglementation n'était pas d'éliminer un surdimensionnement pour se conformer aux exigences de la LAT. Seule une réduction de quelque 15 % de la surface de la zone artisanale de Servion était intervenue, et cela dans un secteur bien particulier. Il s'agissait plutôt d'effectuer un remodelage partiel du droit communal pour tenir compte de divers éléments déterminants en matière d'aménagement (emplacement inadéquat de parcelles artisanales à proximité d'une zone de villas, sous-utilisation de parcelles sises au coeur de la zone artisanale, réduction du développement de l'activité artisanale). Le raisonnement des juges cantonaux, qui n'est pas remis en cause par le recourant, apparaît conforme au droit fédéral. Il reste dès lors à examiner si le déclassement de la parcelle 480 ouvre la voie de l'indemnisation pour expropriation matérielle.
3.
L'indemnité d'expropriation est destinée à compenser la perte ou la limitation de l'usage d'un bien-fonds, soit l'usage qui a été fait jusqu'alors, soit celui qui était prévisible dans l'avenir. La protection conférée par la règlementation en matière d'expropriation ne s'étend à l'usage futur prévisible que dans la mesure où il apparaît, au moment déterminant, comme très probable dans un proche avenir. Par usage futur prévisible d'un bien-fonds, on entend généralement la possibilité de l'affecter à la construction (ATF 131 II 151 consid. 2.1 p. 155; 125 II 431 consid. 3a p. 433 et les arrêts cités).
En l'espèce, le recourant avait la faculté de construire sur sa parcelle jusqu'au moment du déclassement. Il avait du reste obtenu un permis de construire une halle artisanale le 14 septembre 1992. Comme l'a relevé à juste titre la Chambre des recours, il importe peu que, depuis l'octroi du permis, il n'ait pas poursuivi ses démarches en vue de la réalisation de son projet. Il est de toute façon admis que, au moment de l'entrée en vigueur du nouveau plan général d'affectation de la commune de Servion, la parcelle du recourant était constructible dans un proche avenir au sens de la jurisprudence, de sorte que la privation du droit de bâtir a porté atteinte à son droit de propriété. Les juges cantonaux ont toutefois refusé de lui allouer une indemnité au motif que cette atteinte n'était pas particulièrement grave, eu égard notamment au caractère provisoire de la zone intermédiaire.
4.
4.1 Une interdiction temporaire de construire ne donne en principe pas droit à une indemnité pour expropriation matérielle. Elle est toutefois susceptible d'entraîner une restriction grave du droit de propriété si elle porte sur une longue durée (ATF 121 II 317 consid. 12d/bb p. 347 et les références citées). La jurisprudence ne fixe pas de manière schématique et générale ce qu'il faut entendre par restriction à la propriété de longue durée. En règle générale, une interdiction limitée à cinq ans n'est pas constitutive d'une expropriation matérielle, alors qu'une interdiction d'une durée supérieure à dix ans l'est. Quoi qu'il en soit, il convient d'examiner sur la base des circonstances concrètes de chaque cas si l'intensité de l'atteinte équivaut à une expropriation matérielle (cf. ATF 123 II 481 consid. 9 in fine p. 497; 120 Ib 465 consid. 5e p. 473; 112 Ib 496 consid. 3a in fine p. 507; 109 Ib 20 consid. 4a p. 22; PIERMARCO ZEN RUFFINEN/CHRISTINE GUY ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, 2001, p. 618 ss; Enrico Riva, Commentaire LAT, Zurich 1999, n. 126, 163 et 176 s. ad art. 5).
Selon l'art. 18 LAT, le droit cantonal peut prévoir d'autres zones d'affectation (que les zones à bâtir, agricoles et à protéger) et régler les cas des territoires non affectés et de ceux dont l'affectation est différée. Le législateur vaudois a fait usage de cette possibilité en édictant l'art. 51 de la loi cantonale du 4 décembre 1985 sur les constructions (ci-après : LATC). L'art. 51 LATC définit la zone intermédiaire, laquelle comprend les terrains dont la destination sera définie ultérieurement par des plans d'affectation ou de quartier (al. 1). Il ne s'agit pas d'une zone à bâtir, mais d'une zone "dont l'affectation est différée" (cf. ATF 123 I 175 consid. 3b/cc, 112 Ia 155 consid. 2f). Dans le système du droit cantonal vaudois, la zone intermédiaire trouve une justification au regard de la règle de l'art. 53 al. 3 LATC, qui dispose que les zones agricoles ne peuvent être modifiées avant un délai de vingt-cinq ans dès leur approbation par le Conseil d'Etat, sauf dérogations exceptionnelles accordées par celui-ci. La zone intermédiaire peut donc servir de "zone tampon" lorsque l'extension de la zone à bâtir est nécessaire et qu'un déclassement d'une partie de la zone agricole n'entre pas en considération avant l'échéance du délai de vingt-cinq ans (cf. arrêt 1P.329/1997 du 2 décembre 1997 consid. 2a et les références). En l'absence de motifs justifiant l'ajournement d'un classement précis, la commune doit manifester ses intentions, par exemple créer une zone de verdure ou d'habitation. Toutefois, si le développement urbain n'est pas encore clairement perceptible et que les modalités pratiques du classement de certains terrains contigus à une zone constructible sont encore incertaines, ceux-ci peuvent être rangés dans un territoire sans affectation spéciale, avec une fonction de réserve pour les 20 à 25 ans à venir (ATF 121 I 245 consid. 8c/aa p. 251; Eric Brandt/Pierre Moor, Commentaire LAT, Zurich 1999, n. 58 ad art. 18).
4.2 La Chambre des recours a considéré que la zone intermédiaire du droit cantonal vaudois était, de par sa nature, destinée à demeurer en vigueur pour une durée variant entre quinze et vingt-cinq ans. La commune intimée n'avait pas tenté de démontrer qu'elle aurait créé cette zone intermédiaire pour une période plus courte. Il n'est de toute façon contesté par aucune des parties que le laps de temps durant lequel cette zone est appelée à s'appliquer parle en faveur d'une atteinte grave et d'une indemnisation. La Cour cantonale a néanmoins estimé que, dans les circonstances du cas particulier, le recourant ne subissait pas une atteinte grave à son droit de propriété. Celui-ci n'avait pas cherché à mettre en valeur son bien-fonds par une construction depuis 1992. En tentant de vendre sa parcelle en 1992, il avait plutôt démontré que son projet de construction n'était plus d'actualité. L'atteinte subie correspondait ainsi seulement à la différence de prix du terrain selon qu'il se trouvait en zone artisanale ou intermédiaire. Selon l'expert, le prix du terrain constructible en zone artisanale s'élevait alors à 150 fr./m2 tandis que celui du terrain sis en zone intermédiaire était de 96 fr./m2. La différence multipliée par le nombre de m2 de la parcelle en cause correspondait donc au dommage subi par l'intéressé, à savoir 206'766 fr. (150 - 96 x 3'829). Il n'y avait cependant pas lieu de faire abstraction du fait qu'en cas de classement ultérieur en zone à bâtir, la valeur de la parcelle était susceptible d'augmenter dans une forte mesure. Le déclassement de la parcelle était en quelque sorte compensé par une perspective de valorisation, si bien que l'on ne pouvait parler d'atteinte grave au droit de propriété.
4.3 Le recourant ne partage pas ce point de vue. A son avis, en retenant qu'il n'avait pas cherché à mettre en valeur son bien immobilier, l'arrêt attaqué réintroduirait la condition subjective de la volonté du propriétaire, qui avait pourtant été écartée par la jurisprudence fédérale.
S'agissant de l'usage futur prévisible d'un bien-fonds déclassé, la jurisprudence a effectivement abandonné le critère subjectif de l'intention du propriétaire; la concrétisation de la construction ne doit simplement pas se heurter à des obstacles juridiques ou matériels importants. La Chambre des recours a du reste considéré que la parcelle du recourant était constructible dans un proche avenir, indépendamment du fait qu'il n'avait pas poursuivi ses démarches en vue de la réalisation de son projet (cf. consid. 3 ci-dessus). Rien ne l'empêchait toutefois de tenir compte de cet élément dans la pesée des intérêts destinée à évaluer l'ampleur de l'atteinte. Le sacrifice imposé au propriétaire ne sera en effet pas le même selon qu'il avait la volonté ou non de réaliser à court terme un projet sur sa parcelle. En l'occurrence, le recourant n'a effectivement pas cherché à mettre en valeur son bien-fonds depuis 1992 et il ressort du dossier que l'exécution de ses éventuels projets était plutôt éloignée dans le temps et hypothétique. La Cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, considérer que l'atteinte subie par l'intéressé ne consistait pas dans la privation de la possibilité d'effectuer à court terme une mise en valeur immobilière, mais correspondait seulement à la différence de prix du terrain selon qu'il se trouvait en zone artisanale ou intermédiaire.
4.4 Le recourant fait valoir qu'il n'existe aucune garantie que sa parcelle sera réaffectée à la construction dans le cadre du prochain plan d'affectation. Il n'y aurait dès lors pas lieu de faire une distinction selon que la parcelle est classée en zone agricole ou en zone intermédiaire. Il serait au demeurant absurde de considérer que l'affectation en zone intermédiaire n'est qu'une mesure temporaire, qui ne dure qu'entre quinze et vingt-cinq ans, puisque de façon générale un plan d'affectation n'a pas vocation à être valable plus de vingt-cinq ans. Il maintient par ailleurs que, depuis l'entrée en vigueur du nouveau plan d'affectation, sa parcelle a les mêmes atouts et inconvénients qu'un bien-fonds classé zone agricole. La perte subie se calculerait dès lors comme la différence entre le prix du terrain en zone artisanale et le prix du terrain en zone agricole, multiplié par le nombre de m2 de sa surface, soit 559'034 fr. (140 - 4 x 3'829).
Quoi qu'en dise le recourant, la zone intermédiaire du droit cantonal vaudois est par définition une mesure temporaire, puisqu'il s'agit précisément de différer l'affectation d'un secteur lorsque l'extension de la zone à bâtir est nécessaire mais que le développement urbain et les modalités pratiques du classement sont encore incertains. Cette solution permet une plus grande flexibilité dans l'aménagement du territoire, la commune pouvant, en cas de besoin, disposer de terrains constructibles à court terme sans attendre l'échéance du délai de vingt-cinq ans (cf. consid. 4.1 ci-dessus). Pour ces mêmes raisons, c'est à tort que le recourant assimile la zone intermédiaire à la zone agricole, même si, actuellement, les effets quant à l'utilisation de son terrain sont quasiment identiques. Sa parcelle a effectivement davantage de probabilités d'être affectée à la construction que si elle se trouvait en zone agricole, même s'il n'existe formellement aucune garantie à cet égard. En effet, les objectifs d'aménagement, à propos du développement futur de la commune (au-delà des quinze ans à venir), exprimés par le classement d'un secteur en zone intermédiaire, ont un poids certain lors des révisions ultérieures du plan d'affectation; les autorités locales en tiendront naturellement compte s'il est nécessaire d'étendre la zone à bâtir. C'est pour cette raison d'ailleurs que le classement en zone intermédiaire a un effet sur le prix du terrain, qui peut être plus élevé que dans une zone inconstructible "ordinaire" (cf. ATF 132 II 401 consid. 2.4 p. 406; arrêt arrêt 1P.329/1997 du 2 décembre 1997 consid. 2a). Il n'y a dès lors pas lieu, comme le préconise le recourant, de s'écarter des conclusions de l'expert, selon lesquelles la valeur du m2 en zone intermédiaire à Servion, au 10 janvier 2006, était de 96 fr. et le prix de 4 fr. le m2 d'un terrain en zone agricole ne lui était pas applicable.
4.5 Finalement, le recourant allègue qu'en fixant à 96 fr./m2 le prix du terrain, l'expert avait déjà tenu compte des possibilités de reclassement en zone constructible. L'arrêt attaqué, en retenant une deuxième fois dans son appréciation que la parcelle pourrait être classée en zone à bâtir, a compté à double ce critère de valorisation. Quoi qu'il en soit, il serait de toute façon erroné de tenir compte d'une éventuelle revalorisation de la parcelle déclassée pour calculer le dommage subi. En effet, l'art. 122 de la loi cantonale vaudoise du 25 novembre 1974 sur l'expropriation prévoit que si la restriction qui a donné lieu à indemnité est supprimée ou atténuée avant l'expiration d'un délai de 10 ans, la corporation publique a le droit d'en demander le remboursement total ou partiel.
Lors de l'estimation du prix du m2 de terrain en zone intermédiaire à Servion, l'expert a pris en compte tant l'empêchement momentané de construire que l'éventuelle mise en valeur future du secteur: il a déprécié de 20 % le prix du m2 de terrain constructible, à titre de "risque et bénéfice" (cf. complément au rapport d'expertise du 16 mai 2008). Cette moins-value correspond ainsi au préjudice subi par le recourant qui, selon l'arrêt attaqué, s'élève à 206'766 fr. Le dommage ne peut être qualifié de peu important. La Chambre des recours a cependant estimé qu'il était compensé par la perspective de valorisation du terrain, en cas de classement ultérieur en zone à bâtir. Comme l'a fait observer à juste titre le recourant, la probabilité que sa parcelle soit à nouveau constructible a déjà été prise en considération par l'expert dans l'estimation du prix du terrain. En outre, dans les circonstances du cas particulier, les chances que la zone intermédiaire du Praz de Perey soit prochainement réaffectée à la construction sont plutôt minces. Aucune demande de permis de construire n'a été présentée dans ce secteur depuis 1992, ce qui indique qu'il n'y avait pas de réel besoin. Par ailleurs, le but de la nouvelle réglementation, qui a réduit de 15 % seulement la surface de la zone artisanale, était d'effectuer un remodelage du droit communal dans le but d'assurer une meilleure concentration des bâtiments artisanaux et de limiter les nuisances provoquées par la proximité de la zone artisanale et de la zone de villas. Il n'existe par ailleurs aucun indice concret - à part une déclaration du syndic, relayée par l'expert dans son rapport du 14 mars 2008, selon laquelle "dans certains cas de figure, le délai de dépôt d'un plan de quartier pouvait être raisonnable à court terme" - que les besoins en construction à Servion commanderaient de libérer prochainement ce secteur. Il existe donc un risque sérieux que la parcelle du recourant reste inconstructible pendant une longue période et qu'elle ne soit pas pour autant classée ultérieurement en zone à bâtir. Au vu de ces éléments, c'est à tort que la Chambre des recours a retenu que le dommage subi par le recourant pouvait, en l'espèce, être compensé par la perspective de revalorisation de son bien-fonds. L'atteinte au droit de propriété ne peut dès lors être qualifiée de peu de gravité et il y a lieu d'indemniser l'intéressé pour expropriation matérielle. Au demeurant, selon la législation cantonale, celui-ci est tenu de rembourser l'indemnité si son terrain est réaffecté à la construction dans un délai de 10 ans.
5.
Il s'ensuit que le recours en matière de droit public doit être partiellement admis et l'arrêt attaqué annulé. La cause est renvoyée à la Chambre des recours pour qu'elle se prononce sur le montant de l'indemnité et qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens. Succombant, la commune de Servion et l'Etat de Vaud, dont les intérêts patrimoniaux sont en jeu (cf. art. 76 al. 2 LATC), doivent supporter les frais judiciaires ( art. 66 al. 1 et 4 LTF ). Ils verseront en outre une indemnité à titre de dépens au recourant, qui obtient partiellement gain de cause avec l'assistance d'un avocat ( art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis; l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Chambre des recours du Tribunal cantonal, pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
Les frais judiciaires, fixés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la commune de Servion et de l'Etat de Vaud.
3.
Une indemnité de 5'000 fr. est allouée au recourant à titre de dépens, à la charge de la commune de Servion et de l'Etat de Vaud.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, de la Commune de Servion et de l'Etat de Vaud, ainsi qu'au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Chambre des recours, et à l'Office fédéral du développement territorial.
Lausanne, le 14 juillet 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Féraud Mabillard