Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
8C_860/2009
Arrêt du 22 septembre 2010
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges Ursprung, Président,
Leuzinger et Frésard.
Greffier: M. Métral.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Robert Assael, avocat,
recourant,
contre
Département des institutions du canton de Genève, rue de l'Hôtel-de-Ville 1, 1204 Genève,
intimé.
Objet
Autres problèmes relatifs au rapport de service,
recours contre le jugement du Tribunal administratif du canton de Genève du 25 août 2009.
Faits:
A.
A.________ est employé auprès de la police judiciaire genevoise. Dans la nuit du 7 au 8 août 2004, alors qu'il patrouillait lors d'une manifestation, il est intervenu dans le cadre d'une bagarre opposant plusieurs individus, parmi lesquels se trouvait B.________. A.________ était accompagné d'un collègue, C.________. Portant au bras droit le brassard de police, il s'est approché de deux individus qui se battaient pour tenter de les séparer. B.________ lui a alors asséné un violent coup de poing sur la partie gauche du visage. Ce coup a entraîné une fracture complète ouverte de la mandibule au niveau du menton, une fracture de l'articulation de la mandibule du côté gauche, ainsi que le descellement d'une dent.
B.________ Islami a été conduit au « PC de la manifestation », constitué d'un container métallique situé à l'angle de la rue X.________ et de la rue Y.________. Peu après, C.________ et A.________ sont entrés dans le container. Le premier a commencé à injurier et frapper B.________, qui était alors menotté dans le dos, couché au sol sur le ventre, le visage tourné. A.________ l'a également frappé, notamment avec un bâton tactique.
En raison des lésions subies au visage, A.________ a par la suite subi une intervention chirurgicale sous narcose, d'une durée de six heures, et a présenté une incapacité de travail totale pendant un mois.
Une procédure pénale a été ouverte contre B.________ Islami et A.________. Une enquête administrative a également été ouverte contre ce dernier, qui a été provisoirement suspendu de ses fonctions jusqu'au 20 octobre 2004. Dès cette dernière date, A.________ a pu reprendre son travail, mais n'a été autorisé qu'à exercer des tâches administratives jusqu'à droit connu sur l'enquête administrative.
Le 4 mai 2007, le Procureur général du canton de Genève a rendu deux ordonnances de condamnation contre B.________ et A.________. Le premier a été condamné à nonante jours-amende avec sursis jusqu'au 31 octobre 2010, pour lésions corporelles simples. Le second a été condamné à soixante jours de travail d'intérêt général, avec sursis pendant deux ans, pour abus d'autorité et lésions corporelles simples aggravées. Le Procureur général a également condamné A.________ au paiement du tiers des frais de justice, soit 4'047 francs. Il a réservé les droits de la partie civile. Les parties ne se sont pas opposées à ces ordonnances pénales. L'enquête administrative, qui avait été suspendue pendant la durée de la procédure pénale, a repris le 21 juin 2007.
Le 10 septembre 2007, A.________ a demandé au Conseiller d'Etat en charge du Département des institutions la prise en charge, par l'Etat de Genève, de ses frais de défense par un avocat pendant la procédure pénale, ainsi que des frais de procédure mis à sa charge et d'éventuels dépens que pourrait faire valoir la partie civile. Ce soutien lui était dû, dès lors qu'il avait été impliqué dans la procédure pénale à la suite de son intervention, dans le cadre de son travail de policier, pour tenter d'interrompre la bagarre dans laquelle B.________ était impliqué.
Le 9 juin 2008, le Conseiller d'Etat a rejeté la demande présentée par A.________.
B.
Par acte du 14 juillet 2008, A.________ a saisi le Tribunal administratif du canton de Genève d'un recours contre la décision du 9 juin 2008, subsidiairement d'une action pécuniaire contre l'Etat de Genève, en concluant à la condamnation de l'intimé au paiement de 48'756 francs 20, correspondant à la note d'honoraire de son avocat pour la procédure pénale.
Le Tribunal administratif a déclaré le recours irrecevable et a rejeté l'action pécuniaire. Il a condamné A.________ au paiement d'un émolument de 1'000 fr. et ne lui a pas alloué de dépens.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement. Il conclut, en substance, à la réforme du jugement entrepris en ce sens que l'Etat de Genève soit condamné à prendre en charge ses « frais de procédure et de défense » ainsi qu'à lui payer la somme de 48'756 francs 20 correspondant à la note d'honoraire de son mandataire relative à la procédure pénale. A titre subsidiaire, il demande l'annulation du jugement entrepris et le renvoi de la cause à l'instance cantonale pour qu'elle statue à nouveau.
L'intimé conclut au rejet du recours.
Considérant en droit:
1.
Le recourant conclut à la condamnation de l'Etat de Genève au paiement de 48'756 fr. 20 correspondant à la note d'honoraire de son mandataire pour la procédure pénale. Il demande également, dans une conclusion séparée, le paiement de ses «frais de procédure et de défense». Les frais de procédure mis à sa charge par le Procureur général du canton de Genève étant de 4'047 francs, il faut en déduire que le litige porte sur l'existence d'une créance du recourant d'un montant total de 52'803 francs 20 à l'encontre de l'Etat de Genève. La valeur litigieuse est supérieure au seuil prévu par l'art. 85 al. 1 let. b pour la recevabilité des recours dans les contestations pécuniaires en matière de rapports de travail de droit public.
2.
Les premiers juges ont refusé d'entrer en matière sur le recours interjeté par A.________, en se fondant sur l'art. 56B al. 4 de la loi cantonale sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941 (LOJ; RS/GE E 2.05); cette disposition n'est plus en vigueur depuis le 1er janvier 2009, mais les premiers juges l'ont déclarée applicable à la procédure parce qu'ils avaient été saisis par le recourant avant cette date. Pour le même motif, ils se sont fondés sur l'art. 56G LOJ dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2008 pour entrer en matière sur l'action pécuniaire interjetée à titre subsidiaire par le recourant. Ils ont rejeté cette action en considérant qu'il n'existait aucune disposition de droit public cantonal fondant une obligation générale de l'Etat de prendre en charge les frais relatifs à la défense d'un fonctionnaire de police impliqué dans une procédure pénale. Pour sa part, l'intimé refuse que l'Etat de Genève prenne en charge les frais de défense et de procédure du recourant, dès lors que cette procédure portait sur des infractions intentionnelles pour lesquelles le recourant a finalement été condamné pénalement.
3.
3.1 Le recourant soulève d'abord plusieurs griefs d'ordre formel contre le jugement entrepris. Il soutient qu'en refusant d'entrer en matière sur le recours interjeté contre la décision de l'intimé du 9 juin 2008, les premiers juges ont violé les art. 29 al. 1 et 2 Cst. et 6 CEDH. Ils auraient en outre refusé arbitrairement d'appliquer l'art. 56A LOJ, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2009, qui aurait dû les conduire à admettre la recevabilité du recours. Dans ce contexte, le recourant souligne qu'en entrant en matière sur l'action pécuniaire interjetée à titre subsidiaire, plutôt que sur le recours, les premiers juges ont renoncé, à tort, à se prononcer sur les griefs d'incompétence de l'intimé pour statuer sur ses prétentions, ainsi que de violation du droit d'être entendu, qu'il avait soulevés en instance cantonale. Le grief de violation du droit d'être entendu reposait sur le fait que l'intimé ne lui avait pas communiqué deux « ordonnances » du Conseil d'Etat genevois des 22 janvier 2003 et 2 juin 2008 avant de statuer.
3.2 Dès lors qu'elle a déclaré recevable l'action pécuniaire intentée à titre subsidiaire par le recourant, la juridiction cantonale a examiné, au fond, l'existence ou l'inexistence de la créance litigieuse. Le recourant ne soutient pas qu'elle aurait statué avec un pouvoir d'examen limité et ne peut donc se prévaloir d'aucun intérêt digne de protection au renvoi de la cause aux premiers juges pour qu'ils statuent sur ses conclusions dans le cadre d'une procédure de recours plutôt que d'action. Le recourant a, certes, soulevé les griefs de violation du droit d'être entendu et d'incompétence de l'autorité intimée pour statuer sur ses prétentions. Il n'a toutefois jamais demandé le renvoi de la cause à l'intimé ou au Conseil d'Etat, mais s'est limité à conclure, sur le fond, à la condamnation de l'Etat de Genève à la prise en charge des frais litigieux. Partant, il ne saurait, en instance fédérale, reprocher aux premiers juges d'avoir statué sur les seules conclusions qu'il ait prises en procédure cantonale plutôt que de renvoyer la cause à l'intimé ou à une autre autorité.
A défaut d'intérêt digne de protection du recourant à un renvoi de la cause aux premiers juges pour qu'ils entrent en matière sur son recours, ses conclusions dans ce sens devant le Tribunal fédéral sont irrecevables (cf. art. 89 al. 1 let. c LTF).
4.
4.1 Sur le fond, le recourant se réfère aux deux « ordonnances » citées, des 22 janvier 2003 et 2 juin 2008, dont il déduit un droit à la prise en charge des frais auxquels il a été exposé dans la procédure pénale. Il soutient que ces ordonnances à caractère législatif lui confèrent un tel droit parce que la procédure pénale portait sur des faits dans lesquels il s'était trouvé impliqué dans le cadre de ses fonctions. Il n'invoque aucune autre disposition de droit cantonal à l'appui de son recours.
4.2 La doctrine et la jurisprudence distinguent traditionnellement les ordonnances législatives des ordonnances administratives. Les premières s'adressent aux administrés, à qui elles accordent des droits ou imposent des obligations, exerçant ainsi des effets dits « externes ». Les secondes s'adressent exclusivement aux organes de l'administration et constituent des directives en vue de garantir l'application uniforme du droit. Elles ne confèrent pas de droits ni ne créent d'obligations à charge des administrés. En raison de leurs effets externes, les ordonnances législatives font l'objet d'une publication au recueil officiel de la législation du canton concerné ou de la Confédération (parmi d'autres : GRISEL, Traité de droit administratif, volume I, p. 89 sv.; HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., 2010, n. 120 ss p. 27 ss; ATF 128 I 167 cons. 4.3 et les références). Dès lors qu'elles ne confèrent ni droits, ni n'imposent d'obligations aux administrés, les ordonnances administratives ne peuvent en principe pas être invoquées directement dans une procédure de recours juridictionnelle; elles peuvent toutefois permettre d'étayer, dans certaines circonstances, les griefs de violation du principe d'égalité de traitement ou de droit à la protection de la bonne foi (cf. HÄFELIN/MÜLLER/UHLMANN, op. cit., n. 128 p. 29).
4.3 L' «ordonnance du 22 janvier 2003 » à laquelle se réfère le recourant est un « extrait de procès-verbal de la séance du Conseil d'Etat genevois du 22 janvier 2003 ». Selon cet extrait, l'autorité exécutive a décidé à l'époque de fixer certaines limites à la prise en charge des honoraires d'avocat et des frais d'un collaborateur « dans le cadre de l'application de la fiche MIOPE no 14.004.00 ». Rien n'indique que cette décision aurait été rendue publique et les premiers juges ont considéré, sans arbitraire, qu'il s'agissait d'une simple ordonnance administrative ne constituant pas, à elle seule, une base légale suffisante pour fonder la créance invoquée par le recourant. Il n'y a pas de motif de qualifier différemment l'arrêté du Conseil d'Etat du 2 juin 2008, qui « annule et remplace l'extrait de procès-verbal du 22 janvier 2003 », et dont le recourant n'allègue pas qu'il aurait été rendu public d'une manière ou d'une autre.
Par ailleurs, selon l'extrait de procès-verbal de la séance du 22 janvier 2003, la « fiche MIOPE no 14.004.00 » dont l'application devait être précisée prévoit que « si, à l'issue d'une procédure administrative, il est fait droit à l'ensemble des conclusions de la personne concernée, les frais engendrés par cette procédure peuvent être pris en charge, en tout ou partie, par l'Etat ». On voit donc mal comment le recourant pourrait déduire du document en question - même si on lui reconnaissait force de loi -, le droit à la prise en charge de ses frais dans une procédure pénale à l'issue de laquelle il a été condamné. Dans le même sens, l'arrêté du Conseil d'Etat du 2 juin 2008 ne prévoit « la prise en charge des frais de procédure et d'avocat déboursés par un membre du personnel de l'administration cantonale en raison d'une procédure de nature civile, pénale ou administrative, diligentée contre lui par des tiers, pour des faits en relation avec son activité professionnelle, que pour autant qu'il soit fait droit à l'essentiel des conclusions prises par le membre du personnel concerné à l'issue de la procédure et que la procédure ne soit pas initiée par l'Etat lui-même ». Ces conditions excluent la prise en charge de frais découlant d'une procédure pénale relative à une infraction intentionnelle poursuivie d'office par l'Etat, pour laquelle le recourant a finalement été condamné.
5.
Le recourant soulève le grief de violation du droit à la protection de la bonne foi (art. 9 Cst.). Il soutient qu'à partir du moment où le Conseil d'Etat genevois avait pris les décisions citées, l'intimé devait s'y tenir et ne pouvait refuser de les appliquer. Pour pouvoir être invoqué valablement, le droit à la protection de la bonne foi impliquerait toutefois, entre autres conditions, que le recourant ait été informé de la décision du 22 janvier 2003 avant d'engager les frais d'avocat dont il demande le remboursement sur la base de cette décision. Les premiers juges n'ont pas constaté ce fait, que le recourant n'a d'ailleurs pas allégué en instance cantonale. Quant à l'arrêté du 2 juin 2008, il est postérieur à la clôture de la procédure pénale, de sorte que le recourant n'a pas pu s'exposer à des frais particuliers dans la procédure pénale en se fondant sur cet arrêté. Enfin, comme on l'a vu (consid. 4.3), les actes auxquels se réfère le recourant, même à supposer qu'ils aient été portés à sa connaissance, ne lui auraient permis de tirer aucune conclusion quant au fait que ses dépenses dans la procédure pénale ouverte contre lui seraient prises en charge.
6.
Eu égard à ce qui précède, les conclusions du recourant tendant à la condamnation de l'Etat de Genève à la prise en charge des frais de défense et de procédure qu'il a encourus sont mal fondées.
Le recourant supportera les frais de procédure pour l'instance fédérale (art. 66 al. 1 LTF) et ne peut prétendre de dépens à la charge de la partie adverse (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal administratif du canton de Genève.
Lucerne, le 22 septembre 2010
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Ursprung Métral