BGer 4A_328/2010 |
BGer 4A_328/2010 vom 24.09.2010 |
Bundesgericht
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Tribunal fédéral
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Tribunale federale
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{T 0/2}
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4A_328/2010
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Arrêt du 24 septembre 2010
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Ire Cour de droit civil
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Composition
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MM. et Mme les Juges Corboz, juge présidant,
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Kolly et Kiss.
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Greffière: Mme Cornaz.
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Participants à la procédure
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X.________,
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représenté par Me Marc Labbé,
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recourant,
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contre
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Y.________ SA,
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représentée par Me Yves Richon,
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intimée.
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Objet
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contrat de travail; licenciement immédiat,
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recours contre l'arrêt de la Cour civile du
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Tribunal cantonal jurassien du 3 mai 2010.
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Faits:
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A.
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Y.________ SA (l'employeuse) a engagé X.________ (l'employé) en qualité de responsable carrosserie-peinture dès le 1er avril 2005, pour un salaire mensuel brut de 6'200 fr., versé treize fois l'an; en dernier lieu, ledit salaire s'élevait à 6'780 francs.
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Le 10 avril 2008, l'employeuse a licencié l'employé oralement avec effet immédiat; le même jour, elle lui a remis une lettre précisant les motifs de sa décision, en ce sens qu'elle lui reprochait de s'être approprié à plusieurs reprises et sans droit de l'argent versé par des clients en paiement de travaux effectués chez l'employeuse ainsi que du matériel propriété de celle-ci, et également d'avoir établi des quittances au nom de l'employeuse et de s'être approprié l'argent versé.
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B.
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Le 2 mai 2008, l'employé a ouvert action contre l'employeuse, concluant à ce que celle-ci soit condamnée à lui payer une somme fixée en dernier lieu à 43'533 fr. 75 avec intérêts. L'employeuse a proposé le déboutement de son adverse partie et, reconventionnellement, conclu au paiement par l'employé d'un montant arrêté finalement à 11'614 fr. à titre de dommages-intérêts; elle reprochait à son ancien collaborateur de ne pas avoir respecté le contrat et, dès lors, d'avoir violé les tâches et obligations qui lui incombaient.
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Par jugement du 27 octobre 2009, le Conseil de Prud'hommes jurassien a condamné l'employeuse à payer à l'employé 18'790 fr. 75 bruts (salaire d'avril à juillet 2008) et 8'000 fr. nets (indemnité selon l'art. 337c al. 3 CO), rejeté la demande reconventionnelle, débouté les parties du surplus de leurs conclusions, mis les débours de la procédure de 400 fr. à la charge de l'employeuse et condamné celle-ci à verser à l'employé une indemnité de dépens de 12'000 francs.
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Statuant sur appel de l'employeuse par arrêt du 3 mai 2010, la Cour civile du Tribunal cantonal jurassien a débouté l'employé de ses conclusions, annulé le jugement de première instance en ce qu'il déboutait les parties de leurs autres conclusions et renvoyé l'affaire au Conseil de Prud'hommes pour qu'il statue sur la demande reconventionnelle de l'employeuse, mis les débours de première instance par 400 fr. et d'appel par 150 fr. à la charge de l'employé et condamné celui-ci à verser à l'employeuse une indemnité de dépens de 5'000 fr. pour la procédure annulée et celle de seconde instance. Elle a considéré qu'il ressortait de diverses déclarations que l'employé avait remis 400 fr. qui devaient revenir au garage au responsable de la cagnotte en lui demandant de les mettre dans cette caisse; devant les réticences de ce dernier, il avait décidé de mettre 200 fr. dans la cagnotte et gardé le solde de 200 fr.; il ne ressortait pas clairement du dossier ce qu'il était advenu de ce dernier montant, les personnes entendues ignoraient quelle en avait été l'affectation; quoi qu'il en était, un tel comportement était susceptible de tomber sous le coup de l'art. 138 CP (réd.: abus de confiance), même si la somme en cause paraissait de faible importance au sens de l'art. 172ter CP; une plainte pénale avait été déposée. Ce comportement de l'employé était objectivement de nature à rompre les liens de confiance; en effet, celui-ci avait travaillé chez l'employeuse quelque trois ans; il était responsable du département carrosserie-peinture; même si des directives claires concernant l'encaissement ne lui avaient pas été données, c'était lui qui encaissait certaines sommes d'argent, en particulier pour la peinture, au nom du garage et il était bien évident qu'il ne pouvait en disposer selon son bon vouloir; il jouissait d'une certaine indépendance; or, il avait tout d'abord tenté de soustraire la somme de 400 fr. puis devant la résistance d'un employé, il avait limité à 200 fr. le montant versé dans la cagnotte affectée aux dépenses des ouvriers; c'était donc volontairement et en connaissance de cause qu'il avait tout d'abord tenté de détourner 400 fr. puis qu'il avait fait verser 200 fr. dans la cagnotte. Ce comportement, susceptible de constituer une infraction de droit pénal, était assurément de nature à rompre les rapports de confiance entre employeur et employé et constituaient dans les circonstances de l'espèce un juste motif de résiliation immédiate. L'employeuse était donc en droit de mettre fin aux rapports de travail par un licenciement immédiat et dans cette mesure, il n'était pas nécessaire de rechercher ce qu'il en était des autres griefs adressés à l'employé. Enfin, les considérants écrits du jugement du Conseil de Prud'hommes ne parlaient pas de l'action reconventionnelle ni des motifs de son rejet et l'affaire devait donc lui être retournée pour qu'il se prononce à ce sujet.
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C.
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L'employé (le recourant) forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral; il conclut à l'annulation de l'arrêt du 3 mai 2010 et principalement à la condamnation de l'employeuse à lui verser 18'790 fr. 75 (salaire d'avril à juillet 2008), 8'000 fr. (indemnité selon l'art. 337c al. 3 CO), 12'000 fr. (indemnité de dépens de première instance) ainsi que 3'000 fr. (indemnité de dépens pour la seconde instance), le tout avec intérêts, subsidiairement au renvoi de la cause à la Cour civile du Tribunal cantonal jurassien pour nouvelle décision dans le sens des considérants. L'employeuse (l'intimée) propose le déboutement de son adverse partie de toutes ses conclusions.
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Considérant en droit:
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1.
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Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 135 III 1 consid. 1.1, 329 consid. 1).
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1.1 L'arrêt entrepris déboute le recourant de ses conclusions fondées sur le licenciement immédiat - considéré par la cour cantonale comme reposant sur de justes motifs -, tranchant ainsi définitivement la question au plan cantonal, mais laisse par contre indécise l'issue de la demande reconventionnelle de l'intimée. Dès lors qu'il ne met pas fin à l'entier de la procédure, il ne constitue pas une décision finale (art. 90 LTF); en tant qu'il statue sur l'un des objets dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause, il doit être qualifié de décision partielle et est donc à cet égard sujet à un recours immédiat au Tribunal fédéral (cf. art. 91 let. a LTF; ATF 132 III 785 consid. 2); dans la mesure où il renvoie pour le surplus l'affaire au juge de première instance pour nouvelle décision, il constitue en revanche une décision incidente dont on ne voit pas - et le recourant ne le prétend pas davantage - qu'elle puisse causer un préjudice irréparable, ni qu'un recours immédiat permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse, si bien que la question de la demande reconventionnelle n'a pas à être abordée dans le cadre de la présente procédure devant le Tribunal fédéral (cf. art. 93 al. 1 LTF; ATF 133 III 629 consid. 2; 132 III 785 consid. 2).
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1.2 Pour le surplus, la décision querellée a été rendue en matière civile (art. 72 al. 1 LTF), par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF), dans le cadre d'une affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse dépasse le seuil de 15'000 fr. applicable en matière de droit du travail (art. 74 al. 1 let. a LTF), de sorte que la voie du recours en matière civile est ouverte.
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2.
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Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris les droits constitutionnels (ATF 135 III 670 consid. 1.4; 134 III 379 consid. 1.2 p. 382). Saisi d'un tel recours, le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), dont il ne peut s'écarter que s'ils l'ont été de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 135 III 127 consid. 1.5 p. 130, 397 consid. 1.5) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). La partie recourante qui entend faire rectifier ou compléter un fait doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions pour le faire seraient réalisées (cf. ATF 133 IV 286 consid. 6.2).
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3.
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Le recourant soutient principalement que la question des 200 fr. versés dans la cagnotte ne constituerait pas un des motifs invoqués par l'employeuse au moment de la résiliation de son contrat, ni mentionné dans la lettre du 10 avril 2009; cette question n'aurait pas engendré de rupture du lien de confiance puisque, bien que connue de l'employeuse au jour du licenciement, elle n'avait pas motivé le congé. A cet égard, le recourant joue vainement sur les mots; les motifs de la résiliation relèvent du fait (ATF 131 III 535 consid. 4.3 p. 540) et le recourant ne démontre pas en quoi les juges cantonaux auraient arbitrairement retenu que l'épisode litigieux tombait sous le coup du reproche de s'être approprié sans droit de l'argent versé par des clients, mentionné dans la lettre de motivation du licenciement.
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4.
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Subsidiairement, le recourant plaide que le grief retenu serait infondé et ne permettrait pas de justifier la résiliation immédiate.
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4.1 Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour justes motifs doit être admise de manière restrictive. D'après la jurisprudence, les faits invoqués à l'appui d'un renvoi immédiat doivent avoir entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat de travail. Seul un manquement particulièrement grave du travailleur justifie son licenciement immédiat; si le manquement est moins grave, il ne peut entraîner une résiliation immédiate que s'il a été répété malgré un avertissement. Par manquement du travailleur, on entend en règle générale la violation d'une obligation découlant du contrat de travail, mais d'autres incidents peuvent aussi justifier une résiliation immédiate. Une infraction pénale commise au détriment de l'employeur constitue, en principe, un motif justifiant le licenciement immédiat du travailleur. Le juge apprécie librement s'il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cet effet, il prendra en considération tous les éléments du cas particulier, notamment la position et la responsabilité du travailleur, le type et la durée des rapports contractuels, ainsi que la nature et l'importance des manquements (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 31 s.).
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4.2 En substance, le recourant expose qu'il n'avait aucune responsabilité accrue ni aucune compétence concernant la gestion financière, que l'existence de la cagnotte aurait été connue de l'employeuse, qu'il ne s'agissait pas systématiquement de petites sommes de quelques francs qui y étaient versées et qu'il n'avait jamais été responsable de la cagnotte, laquelle était gérée par un autre collaborateur qui décidait exclusivement de ce qui y entrait ou non, lui-même n'ayant fait que proposer de verser l'argent provenant de la vente de peinture, sans rien imposer, raison pour laquelle la cour cantonale aurait sombré dans l'arbitraire en retenant qu'il aurait "décidé" de mettre l'argent dans la cagnotte. Force est de constater que le recourant ne fait que présenter une argumentation à caractère appellatoire dans laquelle il se limite à mettre en exergue certains éléments qu'il estime utiles à sa thèse avant de tenter de faire prévaloir sa propre vision des choses sur celle des juges cantonaux; en particulier, savoir qui avait la maîtrise de la cagnotte ne change rien au fait que, quels que soient les termes que l'on emploie, le recourant a de fait pris l'initiative du versement d'argent provenant de la vente de peinture dans ladite cagnotte, disposant ainsi sans droit d'espèces revenant à l'intimée et qu'il avait encaissées au nom de cette dernière; par ailleurs, s'il n'apparaît certes pas que le recourant ait été en charge de la gestion financière, il était par contre responsable de la carrosserie, à savoir des collaborateurs, du matériel et de la clientèle, position dans l'entreprise qui lui imposait d'adopter un comportement d'autant plus irréprochable.
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En définitive, l'on ne voit pas que, dans les circonstances du cas particulier, la cour cantonale ait violé le droit fédéral en admettant l'existence de justes motifs de licenciement immédiat, étant rappelé que le Tribunal fédéral ne revoit qu'avec réserve la décision d'équité prise en dernière instance cantonale (cf. ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32, 213 consid. 3.1 p. 220).
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5.
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Dès lors que le motif retenu par les juges cantonaux suffit à justifier le licenciement immédiat, il n'est pas nécessaire de se pencher sur l'argumentation du recourant relative aux autres griefs invoqués par l'intimée, qui n'ont pas été traités par l'autorité de recours.
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6.
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Il résulte des considérants qui précèdent que le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. En conséquence, les conclusions du recourant portant sur le versement de dépens pour les première et seconde instance n'ont plus lieu d'être (cf. art. 68 al. 5 LTF).
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7.
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Compte tenu de l'issue du litige, les frais judiciaires et dépens de l'intimée pour la procédure devant le Tribunal fédéral sont mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 ainsi qu'art. 68 al. 1 et 2 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2.
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Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
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3.
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Une indemnité de 2'500 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à la charge du recourant.
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4.
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Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour civile du Tribunal cantonal jurassien.
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Lausanne, le 24 septembre 2010
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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Le Juge présidant: La Greffière:
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Corboz Cornaz
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