Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6B_416/2010
Arrêt du 29 septembre 2010
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges Schneider, Juge présidant,
Mathys et Jacquemoud-Rossari.
Greffier: M. Vallat.
Participants à la procédure
X.________, représenté par Me Jean-Pierre Garbade, avocat,
recourant,
contre
1. Procureur général du canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, 1204 Genève,
2. A.________,
3. B.________,
4. C.________,
5. D.________ SA,
6. E.________ SA,
7. F.________ SA,
tous représentés par Me Christian Luscher, avocat,
intimés.
Objet
Tentative de contrainte ( art. 22 et 181 CP ); arbitraire, droit d'être entendu,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale, du 19 avril 2010.
Faits:
A.
En 1991, Y.________ et Z.________ se sont associés pour la constitution d'un groupe de sociétés, qui comprend notamment D.________ SA et E.________ SA, dont ils sont l'un et l'autre administrateurs. Ils sont également administrateurs de F.________ SA, société qui fabrique les principaux composants de mouvements des montres Y.________. Cette dernière société n'appartient toutefois pas au groupe. A.________, avocat, associé en l'étude G.________ et associés, est administrateur président de plusieurs sociétés du groupe, notamment les deux premières citées. C.________ est directeur financier de ces mêmes sociétés et B.________ directeur de D.________ SA.
En 2003, Y.________ et Z.________ ont connu des différends qui ont fait l'objet de plusieurs procédures civiles, pénales et arbitrale. Dans le cadre de la procédure arbitrale ouverte le 23 octobre 2003, en particulier, Z.________ concluait notamment au paiement de 800 millions de francs plus intérêt, au titre de la moins-value estimée du fait d'une liquidation du groupe Y.________. X.________, avocat, a été mandaté par Y.________ le 10 février 2004. Son mandat a été résilié en été de la même année, suite à son inculpation pour les faits relatés ci-dessous.
B.
Par arrêt du 19 avril 2010, statuant sur appel d'un jugement rendu le 30 janvier 2009 par le Tribunal de police du canton de Genève, la Chambre pénale de la Cour de justice de Genève a reconnu X.________ coupable de tentative de contrainte en relation avec la notification de trois commandements de payer, chacun pour un milliard de francs, respectivement, le 20 avril 2004 à C.________ et B.________, et le 23 avril 2004 à F.________ SA. Elle a, en revanche, acquitté X.________ de plusieurs accusations et constaté la prescription de l'action pénale dans les autres cas. La Cour de justice a prononcé une peine de 90 jours-amende à 250 fr. l'un avec sursis pendant deux ans. Elle a, par ailleurs, débouté A.________, C.________, B.________ et F.________ SA de leurs conclusions civiles, condamné X.________ au tiers des frais de la procédure comprenant un émolument de 3000 fr. ainsi qu'au tiers des dépens des parties civiles C.________, B.________ et F.________ SA, comprenant une indemnité valant participation aux honoraires d'avocat.
C.
X.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à sa réforme dans le sens de son acquittement et au renvoi de la cause à l'autorité précédente afin qu'elle se prononce sur les dépens qui lui seraient dus par les parties civiles.
Invités à formuler des observations sur ce dernier point, le Procureur général a conclu au rejet du recours sur le fond. A.________, D.________ SA et E.________ SA ont conclu, avec suite de frais et dépens, principalement, à l'irrecevabilité du recours sur la question des dépens et, à titre subsidiaire, à son rejet. La cour cantonale s'est référée aux considérants de son arrêt. X.________ a encore déposé spontanément une réplique.
Considérant en droit:
1.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir constaté arbitrairement les faits sur lesquels repose sa condamnation pour tentative de contrainte (art. 97 al. 1 LTF en corrélation avec les art. 95 let. a LTF et 9 Cst.).
On renvoie sur la notion d'arbitraire à l'ATF 135 V 2 consid. 1.3, p. 4 s.
1.1 Selon la cour cantonale, le recourant avait expliqué que la cause de la créance objet des commandements de payer un milliard de francs tenait au montant de 800 millions de francs réclamé à Y.________, dans le cadre de la demande d'arbitrage du 23 octobre 2003 formée par Z.________. Le recourant ne pouvait ainsi ignorer que seul ce dernier aurait pu être débiteur de la prétention en poursuite, à l'exclusion des parties civiles. L'autorité précédente en a déduit que le recourant savait que son client n'était, en aucune manière créancier de C.________, B.________ et F.________ SA, de sorte que l'envoi de commandements de payer à ceux-ci ne répondait à aucun intérêt légitime (arrêt entrepris, consid. 8.2, p. 21/28).
1.2 Le recourant objecte, en se référant à diverses déclarations qu'il a faites en cours de procédure, ainsi qu'à certaines pièces du dossier, que cette explication n'avait trait qu'au montant de la créance. En revanche, au sujet de sa cause, il avait toujours affirmé qu'en leur qualité d'organes (administrateurs, directeur financier), de droit ou de fait, B.________ et C.________ pouvaient être considérés comme coresponsables de la perte financière subie du fait de la spoliation de Y.________ de son droit à la marque.
Il convient de reprendre plus en détail l'ensemble de ces affirmations du recourant.
1.2.1 En pages 7 et suivante de son mémoire, le recourant se réfère à ses déclarations selon lesquelles la somme en poursuite aurait correspondu à une perte financière liée à celle du droit à la marque Y.________ par son client, respectivement à la violation des droits absolus de ce dernier à son nom, sa marque et sa propriété.
1.2.2 En cours d'instruction, le recourant a expliqué, le 27 août 2004, qu'ensuite de la dénonciation des conventions par Y.________, la société simple ainsi que les sociétés du groupe devaient être liquidées et l'intégralité du capital social de FMTM revenir à ce dernier. A partir du 15 février 2004, tout au moins, les sociétés devaient avoir pour but leur liquidation. La poursuite de leur activité violait ainsi les droits de la personnalité de Y.________ ainsi que ses droits de propriété «communistes».
1.2.3 Lors de son inculpation au mois de juin 2006, le recourant ajoutait à ses explications que Y.________ avait perdu, en 1994, la propriété intellectuelle sur la marque du même nom à la suite de la signature d'une convention, mais que cette dernière, qui ne servait qu'à dissimuler le rapatriement de dividendes en fraude du fisc, était fictive au plan civile.
1.2.4 Lors de l'audience du Tribunal de police du 28 novembre 2008, le recourant a réaffirmé qu'au mois de février 2004, Y.________ avait le droit de libérer 100% des actions de la marque, cependant que B.________ et Z.________ s'y opposaient en invoquant la convention de 1994. Le recourant en avait déduit qu'une demande de dommages-intérêts était légitime, en précisant que les faits dommageables avaient eu lieu lors de l'établissement de la convention de vente d'actions en décembre 1994. Il fallait, à ses yeux, éviter une prescription due à cette vente.
1.2.5 Les explications du recourant à propos de la cause de la créance déduite en poursuite apparaissent ainsi largement contradictoires. Il s'agissait en effet, selon lui, à la fois d'interrompre la prescription en relation avec une obligation contractuelle (la vente des actions selon convention de 1994), ce qui aurait pu justifier les poursuites en tant qu'actes interruptifs de prescription, et d'obtenir réparation du dommage résultant, au plus tard en février 2004, de l'utilisation par Z.________ de la marque Y.________.
En ce qui concerne la première explication, force est de constater qu'elle ne lui est d'aucun secours dès lors que les commandements de payer figurant au dossier ne font pas référence à une obligation contractuelle résultant d'une vente, mais à des créances de nature délictuelle (« Gestion déloyale, violation du devoir de veiller aux intérêts du groupe Y.________; violation de l'obligation de fidélité en tant qu'organe de droit ou de fait des sociétés du groupe Y.________; et/ou complicité avec ces actes illicites »). Il s'ensuit que ces poursuites n'auraient, de toute manière, pu avoir l'effet interruptif de la prescription susceptible de justifier leur notification. Le recourant n'indique, du reste, pas quel rôle C.________, B.________ et F.________ SA auraient joué en 1994 au moment des faits et pourquoi la prescription aurait dû être interrompue à leur égard.
Quant à la seconde justification liée à la prétendue violation des droits absolus de Y.________, le recourant ne fournit aucune explication sérieuse du dommage financier prétendu de un milliard de francs. Selon lui, en effet, ce montant n'aurait été articulé qu'en relation avec le chiffre de 800 millions de francs qui faisait l'objet de conclusions de Z.________ devant l'instance arbitrale. Or, on ne voit pas que l'on puisse évaluer le dommage prétendument réalisé résultant de la perte du droit à la marque Y.________ par son titulaire en se référant au montant évalué des pertes futures liées à la liquidation du groupe, ces prétentions n'ayant aucun rapport entre elles. Le recourant n'a donc fourni aucune explication plausible à la notification de ces actes de poursuite qui portaient sur des sommes tout à fait extraordinaires. Le rapprochement opéré par le recourant entre les 800 millions de prétentions de Z.________ et le milliard demandé aux intimés suggère aussi qu'il s'agissait principalement pour le recourant, en tant que mandataire de Y.________, de formuler des prétentions plus élevées que celles de Z.________. Dans ces conditions l'autorité cantonale pouvait conclure sans arbitraire que le recourant avait requis intentionnellement ces poursuites à l'encontre de C.________, B.________ et F.________ SA dans le but d'amener ces personnes à prendre une position favorable à son client dans le cadre du litige qui opposait ce dernier à Z.________. Le grief est infondé.
2. Il résulte, par ailleurs, de ce qui précède, que le recourant allègue en vain avoir agi sous l'emprise d'une erreur sur les faits (art. 13 CP) au motif qu'il aurait cru que F.________ SA faisait partie du Groupe Y.________. L'arrêt entrepris ne constate, en effet, rien de tel et, de toute façon, une telle erreur demeurerait sans incidence sur l'issue du litige, en l'absence de toute justification sérieuse à l'envoi de ce commandement de payer.
3. Le recourant invoque ensuite l'application arbitraire du droit de procédure cantonal (art. 97 CPP/GE), respectivement la violation de son droit d'être entendu résultant d'une motivation insuffisante en relation avec le refus de lui attribuer des dépens à charge des parties civiles.
3.1 Les intimés A.________, D.________ SA et E.________ SA soutiennent que le moyen serait irrecevable, faute d'épuisement des instances cantonales. Ils relèvent que conformément à l'art. 6 du Règlement genevois fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale, les parties peuvent faire opposition à la taxation des dépens d'une partie dans un délai de trente jours dès la notification de la décision de condamnation aux frais et dépens. Cette opposition constituerait la voie de droit ordinaire pour contester une telle décision.
Selon la pratique cantonale, saisie d'une opposition à taxe, la Chambre pénale est compétente pour statuer sur la quotité des frais de la poursuite pénale et leur conformité avec le règlement. En revanche, la Chambre pénale n'est pas autorisée à revoir le bien-fondé de la condamnation d'une partie au remboursement des frais en question ni à modifier la répartition desdits frais entre les parties condamnées, cette compétence revenant exclusivement à l'autorité de jugement (SJ 2000 I p. 44; GRÉGOIRE REY, Procédure pénale genevoise, 2005, art. 97, n. 1.4). En l'espèce, le recourant ne discute pas le montant des dépens mais le principe de leur refus. On ne peut lui reprocher de n'avoir pas saisi la Chambre pénale d'une opposition. La décision querellée a donc été rendue en dernière instance cantonale en tant qu'elle règle le principe des dépens (art. 80 al. 1 LTF). Il convient d'entrer en matière sur le fond.
3.2 La réglementation des frais et dépens relève du droit cantonal de procédure pénale, dont le Tribunal fédéral n'examine l'application que sous l'angle de l'arbitraire (art. 9 Cst.). Conformément à l'art. 97 CPP/GE, applicable devant l'autorité d'appel par le renvoi de l'art. 245 al. 1 CPP/GE, devant les juridictions de jugement, les frais de l'Etat et les dépens de la partie civile sont mis à la charge du condamné (al. 1). En cas d'acquittement, les frais de l'Etat et les dépens de l'accusé sont mis à la charge de la partie civile (al. 2). Toutefois, si les circonstances le justifient, la partie civile peut être exonérée de tout ou partie des frais et dépens (al. 3). La condamnation de la partie civile aux dépens de l'accusé acquitté constitue la règle et son exonération l'exception. Pour déterminer si « les circonstances le justifient », le juge du fond dispose d'un large pouvoir d'appréciation (GRÉGOIRE REY, op. cit., art. 97, n. 3.1 s.).
3.3 En l'espèce, l'arrêt entrepris précise qu'en application de l'art. 97 al. 2 CPP/GE, les frais seront supportés à raison d'un tiers par X.________, condamné pour trois des onze chefs d'accusation qui lui étaient reprochés, les parties civiles D.________ SA, E.________ SA et A.________ succombant dans la totalité de leurs conclusions, aucun dépens ne leur ont été alloués. C.________, B.________ et F.________ SA avaient, en revanche, droit à des dépens pour avoir obtenu partiellement gain de cause sur le principe de la condamnation (arrêt entrepris, consid. 13, p. 25 et 26/28).
On peut ainsi comprendre que l'allocation de dépens à C.________, B.________ et F.________ SA excluait le droit du recourant, qui n'a pas été acquitté à leur égard, à des dépens. En revanche, la motivation de la décision entreprise ne permet pas de comprendre, au regard des principes posés par la loi cantonale et la doctrine y relative, les raisons pour lesquelles les parties civiles qui ont succombé dans toutes leurs conclusions (A.________, D.________ SA et E.________ SA) n'ont pas été condamnées à une partie des dépens tout au moins. Le recourant n'a, en effet, été condamné que pour trois des onze chefs d'accusation portés contre lui mais aucun de ceux qui ont été retenus ne concernait ces trois parties civiles. A leur égard, le recourant doit donc être considéré comme ayant été acquitté, quoi qu'en disent les intimés. Etant précisé que le recourant paraît avoir conclu expressément à l'allocation des dépens litigieux (arrêt entrepris, consid. D, p. 3/28), l'arrêt entrepris ne répond pas aux exigences minimales déduites du droit d'être entendu (cf. ATF 122 IV 8 consid. 2c p. 14; 121 I 54 consid. 2c p. 57) et ne permet pas, en particulier, d'examiner la décision sur les dépens au regard de l'art. 9 Cst. L'arrêt cantonal doit, par conséquent, être annulé sur ce point précis et la cause renvoyée à l'autorité précédente afin qu'elle se prononce à nouveau en exposant les motifs qui l'ont guidée.
4.
Le recourant obtient très partiellement gain de cause. Les parties civiles A.________, D.________ SA et E.________ SA succombent sur la question des dépens. Le Procureur général ne supporte pas de frais et ne peut prétendre à des dépens (art. 66 al. 4 et 68 al. 3 LTF). Il y a lieu de répartir les frais (art. 66 al. 1 LTF) et de compenser les dépens (art. 68 al. 1 LTF) entre les autres parties qui ont procédé.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis partiellement au sens des considérants. La cause est renvoyée à l'autorité précédente afin qu'elle statue à nouveau sur la question des dépens prétendus par le recourant de A.________, D.________ SA et E.________ SA. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4000 fr., sont répartis entre le recourant à raison de trois-quart (3000 fr.) et les intimés A.________, D.________ SA et E.________ SA un huitième (500 fr.), solidairement entre ces derniers et à parts égales, le solde de un huitième demeurant à la charge de l'Etat.
3.
Les dépens sont compensés.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale.
Lausanne, le 29 septembre 2010
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Le Greffier:
Schneider Vallat