Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1B_305/2010
Arrêt du 25 octobre 2010
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Raselli et Eusebio.
Greffier: M. Parmelin.
Participants à la procédure
1. A.________, représenté par Me Christian Reiser, avocat,
2. B.________, représenté par Me Christian Luscher, avocat,
3. C.________, représenté par Mes Isabelle Bühler et Pierre de Preux, avocats,
4. D.________, représenté par Mes Vincent Jeanneret et Alec Reymond, avocats,
recourants,
contre
E.________, Président de la Cour correctionnelle de la République et canton de Genève, case postale 3108, 1211 Genève 3,
intimé,
Banque Cantonale de Genève, quai de l'Ile 17, 1204 Genève, représentée par Mes Jean-Marie Crettaz, Christophe Emonet & Jean Patry, avocats,
Etat de Genève, rue de l'Hôtel-de-Ville 2, 1204 Genève, représenté par Mes Eric Alves de Souza et Jean-Luc Herbez, avocats,
F.________, représenté par Mes Robert Assael et Jean-François Marti, avocats,
Procureur général de la République et canton de Genève, place du Bourg-de-Four 1, case postale 3565, 1211 Genève 3.
Objet
procédure pénale, récusation du Président de la Cour correctionnelle,
recours contre la décision du Plenum de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 31 août 2010.
Faits:
A.
Le 22 décembre 2009, A.________, B.________, C.________, D.________ et F.________ ont été renvoyés en jugement devant la Cour correctionnelle avec jury du canton de Genève, comme accusés de faux dans les titres et de gestion déloyale dans l'affaire dite de la Banque cantonale de Genève. Les débats ont été fixés du 4 octobre au 26 novembre 2010, sous la présidence du juge E.________ (ci-après: le Président). La liste des 35 jurés, établie le 25 mai 2010, a été remise aux accusés le 7 juillet 2010.
Le 11 août 2010, C.________ et D.________ ont demandé à la Cour de justice de la République et canton de Genève la récusation du Président. Ils relevaient qu'aucune audience publique n'avait été convoquée pour le tirage au sort du jury et que ce dernier comportait une proportion anormalement élevée de fonctionnaires, ce qui laissait présumer un choix délibéré de la part du Président. Or, les fonctionnaires cantonaux, employés par l'Etat de Genève qui était partie civile au procès, étaient susceptibles d'être prévenus contre les accusés. Il y avait donc lieu d'élucider les circonstances dans lesquelles avait eu lieu la désignation du jury.
Les 11 et 13 août 2010, A.________, puis B.________ ont également demandé au Président de se récuser ou de transmettre leur demande à la Cour de justice, en invoquant les mêmes motifs.
Le Président s'est déterminé en relevant que le tirage au sort du jury ne devait pas nécessairement se dérouler en présence des parties et qu'en l'espèce, il avait eu lieu en public à la suite d'un autre tirage en présence de tiers extérieurs. Conformément à la pratique, un procès-verbal n'avait pas été dressé sur-le-champ; il serait adressé aux parties par la suite. Les professions mentionnées sur la liste des jurés ne correspondaient pas forcément à la situation actuelle et la simple qualité de fonctionnaire ne constituait pas un motif de récusation. Le Président insistait sur la difficulté qu'il y avait à trouver des jurés disponibles pour une période aussi longue. Le Ministère public s'est également opposé à la récusation du Président.
En réplique, C.________ et D.________ ont demandé que le Président explique clairement comment les jurés avaient été désignés. Ils ont en outre produit l'avis d'un professeur de mathématiques et d'un chargé d'enseignement de l'Université de Genève selon lequel la probabilité d'un tirage au sort régulier pouvait être exclue à 99,99997%. Le 27 août 2010, A.________ a déposé des observations spontanées.
Par décision du 31 août 2010, le Plenum de la Cour de justice (ci-après: le Plenum) a rejeté la demande de récusation formée par D.________ et C.________, sans avoir procédé aux actes d'instruction requis. Le Président avait suivi la pratique en usage pour le tirage au sort des jurés. Il n'y avait ni violation grave des devoirs du magistrat, ni apparence de prévention pour ce motif. Pour couper court à toute suspicion et assurer la transparence, il était donné acte au Président de sa volonté de procéder à un nouveau tirage au sort en date du 8 septembre 2010. Les requêtes formées par A.________ et B.________ ont été déclarées sans objet, puisque les motifs invoqués étaient les mêmes.
B.
Par acte commun du 15 septembre 2010, A.________, B.________, C.________ et D.________ forment un recours en matière pénale. Ils concluent principalement à l'annulation de la décision du Plenum et à la récusation du Président, subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité intimée pour nouvelle décision au sens des considérants. A titre de mesures provisionnelles et superprovisionnelles, ils demandent qu'il soit ordonné au Président de s'abstenir de tout acte de procédure jusqu'à droit connu et qu'il soit invité à se déterminer par écrit et à bref délai sur les circonstances du tirage au sort du 25 mai 2010.
Par ordonnance présidentielle du 30 septembre 2010, la requête d'effet suspensif et de mesures provisionnelles a été rejetée.
Le Plenum, le Président et le Procureur général concluent au rejet du recours. L'Etat de Genève conclut dans le même sens. La Banque cantonale de Genève et F.________ s'en rapportent à justice.
Les recourants ont répliqué.
Considérant en droit:
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis.
1.1 Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF , une décision prise en dernière instance cantonale relative à la récusation d'un magistrat dans la procédure pénale peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière pénale. Les auteurs de la demande de récusation ont qualité pour recourir (art. 81 al. 1 LTF). Ils ont agi dans le délai de trente jours prescrit à l'art. 100 al. 1 LTF.
1.2 Dans ses déterminations, le Plenum considère que le nouveau tirage au sort effectué en séance publique le 8 septembre 2010 rendrait le présent recours sans objet. Il n'en est rien. Pour l'essentiel, les recourants considèrent que les irrégularités affectant la première sélection du jury constitueraient un indice de partialité du Président à leur égard. Si tel était le cas, le fait d'avoir procédé à un second tirage au sort ne changerait rien à l'existence d'un motif de récusation. Le recours a dès lors conservé son objet.
1.3 Compte tenu du pouvoir de décision du Tribunal fédéral, défini à l'art. 107 LTF, les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée et à l'admission de la demande de récusation, voire au renvoi de la cause à l'autorité cantonale, sont recevables.
2.
Les recourants se plaignent à divers titres d'un établissement inexact des faits au sens de l'art. 97 al. 1 LTF et de la violation de leur droit d'être entendus consacré à l'art. 29 al. 2 Cst. Vu l'issue du recours, ces questions peuvent demeurer indécises.
3.
Les recourants dénoncent sur le fond une violation de la garantie d'un juge indépendant et impartial au sens des art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. Ils affirment que le choix du jury opéré le 25 mai 2010 ne serait pas le fait du hasard, comme l'exige la loi, mais d'une sélection opérée par le Président fondée sur la disponibilité accrue de ses membres. Ils se fondent à cet égard sur l'avis de deux mathématiciens selon lequel la probabilité que, par tirage au sort, 10 des 35 jurés soient des fonctionnaires de l'Etat de Genève, partie civile à la procédure, est quasi nulle. Leur thèse serait encore confirmée par l'absence de tout procès-verbal des opérations de tirage au sort, contrairement aux exigences requises par le droit cantonal de procédure, et par les explications du Président qui font état de la difficulté de réunir des jurés disponibles pour la durée du procès. En procédant à un nouveau tirage au sort, le Président aurait tacitement admis ces irrégularités. Les recourants relèvent l'importance d'une procédure de désignation du jury conforme à la loi et estiment que l'attitude du Président constituerait une faute particulièrement lourde créant une apparence de prévention.
3.1 La garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître un doute sur son impartialité (ATF 126 I 68 consid. 3a p. 73). Elle tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 127 I 196 consid. 2b p. 198). En principe, même si elles sont établies, des erreurs de procédure ou d'appréciation commises par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de prévention. Seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constituant des violations graves de ses devoirs, peuvent justifier le soupçon de parti pris (ATF 125 I 119 consid. 3e p. 124; 116 Ia 135 consid. 3a p. 138).
3.2 Dans la décision attaquée, le Plenum a considéré que les requérants invoquaient une violation de la loi dans l'établissement de la liste des 35 candidats jurés devant siéger à leur procès, qui n'aurait pas été le fruit d'un tirage au sort, pour en déduire une prévention objective à leur endroit du juge concerné qui justifierait sa récusation. Il a écarté l'argument au motif que le Président avait suivi une pratique en usage depuis plusieurs législatures pour le tirage au sort des jurys de Cour correctionnelle et de Cour d'assises et que dans de telles circonstances, il ne saurait être retenu ni de violation lourde de ses devoirs ni une apparence de prévention résultant de ce motif. Néanmoins, pour couper court à toute suspicion et assurer la transparence en matière de composition du jury, il a donné acte au magistrat concerné de sa volonté de procéder à un nouveau tirage au sort des jurés appelés à siéger à l'audience du 4 octobre 2010.
Les noms des jurés de la Cour correctionnelle sont tirés au sort par le Président en audience publique au moins 21 jours avant l'ouverture de la session et cette opération est consignée dans un procès-verbal signé par le Président et par le greffier, conformément aux art. 249 et 252 du Code de procédure pénale genevois. L'absence de procès-verbal de l'audience publique du 25 mai 2010 consacrée au tirage au sort des jurés appelés à siéger dans le procès ouvert contre les recourants contrevient à la loi. Il ne s'agit pas d'une prescription de pure forme. Un tel document doit permettre de vérifier que le choix du jury s'est déroulé conformément à la loi et qu'il n'a pas été influencé d'une quelconque manière. La question de savoir si cette irrégularité constituait en l'espèce un vice de procédure impropre à fonder objectivement une prévention du Président, comme l'a retenu le Plenum au motif que la tenue d'un procès-verbal serait tombée en désuétude, peut en l'état rester indécise. L'absence de procès-verbal ne constituait en effet pas l'unique circonstance dont les recourants entendaient se prévaloir pour motiver la récusation du Président. Ces derniers lui reprochaient également dans ce contexte d'avoir influencé le résultat du tirage au sort du jury en choisissant ses membres en fonction de critères tenant à leur disponibilité accrue. Ils fondaient notamment leurs soupçons à cet égard sur le nombre anormalement élevé de fonctionnaires figurant dans la liste des jurés et sur l'avis d'un professeur de mathématiques et d'un chargé d'enseignement de l'Université de Genève qui concluait à une improbabilité confinant à la certitude d'un tel résultat. Or, le Plenum ne s'est pas prononcé sur ce point dans la décision attaquée. S'il devait être établi, le fait d'orienter le tirage au sort en ne conservant dans la liste des jurés que les personnes susceptibles d'assumer les contraintes liées à un procès de longue durée pourrait être une circonstance propre à créer une apparence légitime de suspicion à l'égard du magistrat concerné, quand bien même cela serait le fruit d'une volonté de faciliter l'organisation des débats et non pas d'une intention délibérée de la part de ce magistrat de nuire aux parties. Le nouveau tirage au sort auquel le Président a procédé le 8 septembre 2010 en présence des parties n'était pas de nature à rendre ce motif de récusation sans objet. L'absence de toute motivation à ce propos dans la décision attaquée consacre ainsi un déni de justice prohibé par les art. 29 al. 2 Cst. et 112 al. 1 let. b LTF, dont il reste à examiner les conséquences.
Il n'est certes pas absolument exclu que le Tribunal fédéral se prononce sur un grief dont la dernière instance cantonale de recours était régulièrement saisie et qu'elle a omis de traiter. Cela suppose toutefois que la décision attaquée contienne les constatations de fait suffisantes pour ce faire. Le Tribunal fédéral conduit en effet son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente selon l'art. 105 al. 1 LTF. Il ne lui appartient en principe pas, comme dernière instance de recours, d'instruire pour la première fois les faits pertinents. Si un état de fait est lacunaire et que la conformité de l'arrêt attaqué à la loi ou aux droits fondamentaux ne peut pas être contrôlée, celui-ci sera ainsi annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente, conformément à l'art. 107 al. 2 LTF, afin que l'état de fait soit complété (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2 p. 295). Tel est précisément le cas en l'espèce. Les constatations de fait de la décision attaquée ne permettent pas au Tribunal fédéral de se prononcer sur le point de savoir si le Président a influencé ou non le résultat du tirage au sort du jury opéré le 25 mai 2010 et si le motif de récusation évoqué en ce sens par les recourants présente ou non quelque pertinence. Le Plenum a statué avant d'avoir reçu le procès-verbal de cette opération, dont le Président avait pourtant annoncé la production au retour de vacances de son greffier, et sans avoir procédé aux mesures d'instruction requises par les recourants visant à établir les circonstances dans lesquelles s'est déroulé le tirage au sort du 25 mai 2010. Pour les raisons évoquées ci-dessus, il appartient non pas au Tribunal fédéral, mais à la cour cantonale de procéder aux mesures d'instruction nécessaires pour élucider ce point. Il convient ainsi d'annuler la décision attaquée et de renvoyer la cause au Plenum pour qu'il statue à nouveau sur la demande de récusation des recourants après avoir établi les circonstances dans lesquelles est intervenu le tirage au sort du jury le 25 mai 2010 en procédant à toutes les mesures d'instruction nécessaires à cet effet, telles que la remise du procès-verbal détaillé du tirage au sort du jury du 25 mai 2010 et, le cas échéant, l'audition du Président et de son greffier, comme l'ont demandé les recourants.
4.
Le considérant qui précède conduit à l'admission du recours. L'Etat de Genève, qui succombe, est dispensé des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Il versera en revanche des dépens aux recourants qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis. La décision attaquée est annulée et la cause renvoyée au Plenum de la Cour de justice de la République et canton de Genève pour nouvelle décision au sens des considérants.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de 2'500 fr. à payer à titre de dépens aux recourants, créanciers solidaires, est mise à la charge de l'Etat de Genève.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, aux mandataires de la Banque Cantonale de Genève, de l'Etat de Genève et de F.________, ainsi qu'au Procureur général et au Plenum de la Cour de justice de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 25 octobre 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Féraud Parmelin