BGer 5A_726/2010 |
BGer 5A_726/2010 vom 22.03.2011 |
Bundesgericht
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Tribunal fédéral
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Tribunale federale
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{T 0/2}
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5A_726/2010
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Arrêt du 22 mars 2011
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IIe Cour de droit civil
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Composition
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Mme et MM. les Juges Hohl, Présidente,
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von Werdt et Herrmann.
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Greffier: M. Braconi.
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Participants à la procédure
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X.________,
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représentée par Me Ronald Asmar, avocat,
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recourante,
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contre
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Y.________,
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représenté par Me Christian Grobet, avocat,
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intimé.
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Objet
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mainlevée provisoire de l'opposition,
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recours contre l'arrêt de la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève du 8 septembre 2010.
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Faits:
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A.
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A.a La société genevoise X.________ a pour but la promotion et la construction d'immeubles, en particulier de nature résidentielle; A.________ en est l'administrateur et B.________ l'actionnaire unique.
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A.b En 2004, B.________ - agissant pour le compte de X.________ - a confié à l'architecte Y.________ la conception et la réalisation des plans d'un projet de construction immobilière sur la parcelle n° 989 de la commune de C.________, dont X.________ était propriétaire. Ce contrat a été conclu oralement. Après plusieurs variantes qui n'ont pas été retenues, Y.________ a soumis à X.________ un projet d'ensemble résidentiel dénommé "D.________", qui a fait l'objet d'une demande d'autorisation de construire, délivrée le 20 octobre 2006 puis complétée le 25 janvier 2008.
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Un document manuscrit et intitulé "Accord Y.________ / B.________" a été signé par Y.________ et B.________ le 6 août 2007; divers postes chiffrés et annotés y sont mentionnés comme suit:
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"45'000 fr. Villa: Plan + aut + exécution;
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40'000 fr. E.________ (à payer par lui, mais à défaut garanti par B.________);
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350'000 fr. Y.________: participation vente solde appart. D.________ (à payer par X.________ dès encaissement prix de vente);
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100'000 fr. participation profit éventuel villa à compenser avec un prêt personnel avant le 31.12.2007".
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A.c Entre 2004 et 2006, X.________ a payé de façon échelonnée la somme de 968'400 fr. à Y.________. Un échéancier qui fait référence au projet des "D.________" et à un accord forfaitaire avec le maître de l'ouvrage portant sur 900'000 fr., hors TVA, a été établi par Y.________ le 11 juillet 2005. Les factures que celui-ci a adressées à X.________, en relation avec cet échéancier, mentionnent qu'elles se rapportent à des honoraires d'architecte pour un projet d'ensemble de villas selon un accord passé entre les intéressés; d'après leur libellé, les factures afférentes aux acomptes des mois d'avril à octobre 2006 concernent la "réadaptation d'un nouveau projet". X.________ a encore versé 350'000 fr. à Y._______ entre octobre et novembre 2007: une facture du 10 octobre 2007 porte sur des "honoraires d'architecte pour des compléments selon accord et étude de modifications clients"; deux autres du 23 novembre 2007 visent un "complément d'honoraires".
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Dans un courrier adressé le 1er février 2008 à Y.________, B.________ lui a reproché d'avoir conclu, à son insu, un accord d'honoraires avec la société F.________ SA; il ajoutait: "En ce qui concerne vos honoraires, je n'ai jamais voulu entrer en matière sur le décompte des heures passées par vos collaborateurs pour la simple raison que nous avons conclu un accord forfaitaire, lequel a d'ailleurs été revu à la hausse en cours du mandat. Au montant convenu, sans jamais avoir pris un engagement envers vous, je vous ai indiqué que je vous verserais un complément d'honoraires si les appartements se vendaient comme je le souhaitais. Je l'ai fait pour la vente du premier appartement à Monsieur (...) et nous nous sommes mis d'accord pour un deuxième complément de 350'000 fr. correspondant au solde de la vente des appartements. Tous ces honoraires vous ont déjà été payés [...]".
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Le 14 avril 2009, le conseil de Y.________ a réclamé à X.________ le paiement des montants suivants:
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- 434'839 fr. 10 à titre de solde d'honoraires pour l'activité relative au projet des "D.________" ainsi qu'à un autre projet concernant la parcelle n° 2646 à C.________;
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- 350'000 fr. de participation financière sur la vente des appartements des "D.________";
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- 40'000 fr. à titre d'honoraires pour l'activité relative à un appartement des "D.________" acquis par E.________.
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Répondant le 27 avril 2009 pour le compte de X.________, B.________ a opposé une fin de non-recevoir à ces prétentions.
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B.
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Le 6 août 2009, Y.________ a fait notifier à X.________, pris conjointement et solidairement avec B.________, un commandement de payer les sommes de 350'000 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 1er mai 2009 (montant dû "à titre de participation d'une vente immobilière") et de 40'000 fr. avec intérêts à 5% dès la même date ("honoraires non payés et garantis par le débiteur [i.e. B.________] selon reconnaissance de dette du 6 août 2008" [recte: 2007]); la poursuivie a formé opposition totale (poursuite n° xxxx).
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Un commandement de payer portant sur des sommes identiques a été notifié le 7 août 2009 à B.________; cet acte a également été frappé d'opposition (poursuite n° xxxx).
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Par jugement du 15 mars 2010, le Tribunal de première instance de Genève a refusé la mainlevée provisoire. Statuant le 8 septembre 2010, sur l'appel interjeté par le poursuivant, la Cour de justice du canton de Genève a prononcé la mainlevée provisoire de l'opposition formée par X.________ à concurrence de 350'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er mai 2009 et débouté les parties de toutes autres conclusions.
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C.
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Par mémoire du 15 octobre 2010, X.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral; sur le fond, elle conclut au rejet de la requête de mainlevée et au maintien de l'opposition.
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Des observations sur le fond n'ont pas été requises.
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D.
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Par ordonnance du 11 novembre 2010, la Présidente de la IIe Cour de droit civil a attribué l'effet suspensif au recours.
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Considérant en droit:
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1.
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Le recours a été déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) à l'encontre d'une décision finale (art. 90 LTF) qui prononce, en dernière instance cantonale et sur recours (art. 75 LTF), la mainlevée provisoire de l'opposition (art. 72 al. 2 let. a LTF et 82 al. 1 LP); la valeur litigieuse est atteinte, de sorte qu'il est également recevable de ce chef (art. 74 al. 1 let. b LTF).
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La décision entreprise n'étant pas de nature provisionnelle au sens de l'art. 98 LTF, la cognition du Tribunal fédéral n'est pas restreinte à la violation des droits constitutionnels (ATF 133 III 399 consid. 1.5).
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2.
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La recourante fait d'abord valoir que l'autorité précédente a substitué son appréciation des preuves à celle du Tribunal de première instance, violant ainsi arbitrairement l'art. 292 al. 1 let. c LPC/GE; elle reproche en outre à l'autorité cantonale d'avoir tenu pour arbitraire l'appréciation des preuves à laquelle a procédé le premier juge.
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2.1 D'après la jurisprudence, l'autorité qui statue avec un plein pouvoir d'examen, alors qu'elle ne jouit que d'une cognition restreinte, tombe dans l'arbitraire (ATF 116 III 70 consid. 2b et les références). L'autorité précédente n'encourt pas ce reproche.
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Il est vrai que, saisie d'un appel extraordinaire (art. 292 LPC/GE) - voie de recours ouverte contre les jugements de mainlevée (ATF 106 Ia 88 consid. 1) -, la Cour de justice est liée par les faits constatés par le Tribunal de première instance, à moins que l'appréciation des preuves par celui-ci ne soit arbitraire ou formellement contredite par les pièces du dossier et les témoignages (ATF 106 Ia 88 consid. 1; Bertossa et alii, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, vol. II, 2001, n° 3 et 10 ad art. 292 LPC/GE). L'autorité précédente n'a toutefois nullement substitué son "appréciation des preuves" à celle du premier juge, mais porté une appréciation juridique différente au document invoqué à titre de reconnaissance de dette; or, sur ce point, son pouvoir d'examen n'est pas restreint à l'arbitraire ou à la violation manifeste du droit (cf. parmi plusieurs: arrêts 5P.455/1999 du 4 avril 2000 consid. 2a et 5P.41/2001 du 22 avril 2001 consid. 2, non publié à l'ATF 127 III 232 ss). Le même raisonnement vaut pour les circonstances de la prétendue libération de la poursuivie (cf. infra, consid. 3.2); l'autorité précédente s'est écartée de l'avis du premier juge quant à la portée juridique des versements intervenus en octobre et novembre 2007 en se référant à la cause des paiements mentionnée sur les factures émises par le poursuivant. Le grief de violation de l'art. 9 Cst., qui repose sur les mêmes prémisses erronées, s'avère infondé. C'est en vain que la recourante affirme que l'appréciation du document litigieux par le premier juge "résiste au grief d'arbitraire"; comme on l'a vu, il n'est pas nécessaire qu'une pareille appréciation (juridique) soit arbitraire pour être censurée (cf. déjà dans ce sens: ATF in: SJ 1953 p. 17 ss, 23 consid. 4).
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3.
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La recourante soutient en outre que la juridiction précédente a enfreint l'art. 82 LP, d'une part en considérant que le document du 6 août 2007 valait reconnaissance de dette (al. 1), d'autre part en niant qu'elle ait rendu vraisemblable sa libération (al. 2).
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3.1
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3.1.1 Par reconnaissance de dette au sens de l'art. 82 al. 1 LP, il faut entendre notamment l'acte sous seing privé, signé de la main du poursuivi, ou de son représentant (ATF 130 III 87 consid. 3.3), d'où découle sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et échue (ATF 131 III 268 consid. 3.2; 132 III 480 consid. 4.1). L'autorité précédente a retenu, sans être contredite (art. 42 al. 2 LTF), que "la représentation valable de [X.________] par [B.________] est admise et incontestée par les parties à la présente procédure".
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3.1.2 La Cour de justice a retenu que le document dont se prévaut le poursuivant est signé sous la forme d'un accord, comme l'indique son intitulé («Accord Y.________ / B.________»), ce qui trahit l'existence d'un engagement formel; ledit accord est daté et signé par les intéressés, étant relevé que la représentation de la poursuivie par le co-poursuivi n'est pas remise en discussion. De plus, le "style laconique" adopté dans le corps du texte n'empêche pas de saisir aisément que la poursuivie s'est engagée à verser au poursuivant un montant de 350'000 fr. au titre de participation à la vente du solde des appartements du complexe résidentiel dès l'encaissement du prix de vente. Il s'ensuit que le document litigieux vaut reconnaissance de dette pour la somme de 350'000 fr., avec la précision que le co-poursuivi, dont le poursuivant ne soutient pas qu'il aurait agi à titre personnel, ne dispose pas de la légitimation passive quant à cette créance.
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3.1.3 L'opinion de l'autorité précédente n'est pas critiquable. En dépit de sa formulation elliptique, le titre litigieux comporte tous les éléments essentiels de la reconnaissance de dette: il contient, sous la signature d'un représentant autorisé, un engagement de la recourante ("à payer par X.________") de payer à l'intimé ("Y.________") une somme d'argent déterminée (350'000 fr.). Certes, comme l'observe la recourante, cet engagement n'était pas échu lorsqu'il a été souscrit, car le montant n'était payable que "dès l'encaissement du prix de vente" du solde des appartements des "D.________". Cependant, l'autorité précédente a admis que la vente du dernier appartement était intervenue le 21 avril 2008 - constatation qui n'est pas critiquée de manière motivée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.2) -, si bien que cette condition était réalisée au moment de l'introduction de la poursuite.
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3.2
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3.2.1 Conformément à l'art. 82 al. 2 LP, le poursuivi peut faire échec à la mainlevée provisoire en rendant immédiatement vraisemblable sa libération; la loi n'exige donc pas une preuve stricte du moyen libératoire (cf. ATF 96 I 4 consid. 1). Lorsque le juge statue sous l'angle de la simple vraisemblance, il doit, en se fondant sur des éléments objectifs, avoir l'impression que les faits allégués se sont produits, sans exclure pour autant la possibilité qu'ils se soient déroulés autrement (ATF 132 III 140 consid. 4.1.2 et les citations).
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3.2.2 En l'espèce, le Tribunal de première instance a considéré que la poursuivie avait rendu vraisemblable sa libération puisqu'elle s'était précisément acquittée du montant de 350'000 fr., "de façon échelonnée, en octobre et novembre 2007". La Cour de justice s'est exprimée en sens contraire: la somme en cause a été payée en trois versements, sur la base de trois factures distinctes, qui se référaient respectivement à des "honoraires d'architecte pour des compléments selon accord et étude de modifications clients" et à un "complément d'honoraires"; dès lors, ces versements "ne semblent pas avoir été effectués au titre de participation à la vente du solde des appartements, à plus forte raison en l'absence de toute mention d'un tel motif notamment à l'occasion des versements concernés". A cela s'ajoute qu'à cette époque la vente du dernier appartement n'avait pas encore eu lieu, car elle est intervenue le 21 avril 2008.
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La recourante ne réfute en réalité pas les motifs de l'autorité cantonale, déduits principalement de la cause des versements mentionnée sur les factures, mais se borne à exposer sa propre argumentation, reposant sur la seule identité entre les montants payés en octobre et novembre 2007 et la somme qui lui est réclamée par voie de poursuite. Faute de répondre aux exigences légales de motivation, le grief est irrecevable (art. 42 al. 2 LTF; ATF 134 II 244 consid. 2.1 et 2.3).
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4.
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En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité, aux frais de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens à l'intimé, qui n'a pas été invité à répondre sur le fond et s'en est remis à justice sur la requête d'effet suspensif.
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
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2.
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Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
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3.
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Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la 1ère Section de la Cour de justice du canton de Genève.
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Lausanne, le 22 mars 2011
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Au nom de la IIe Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La Présidente: Le Greffier:
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Hohl Braconi
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