Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
6B_266/2011
Arrêt du 13 octobre 2011
Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges Mathys, Président,
Schneider et Denys.
Greffière: Mme Angéloz.
Participants à la procédure
A.X.________ et B.X.________, représentés par
Me Saskia Ditisheim, avocate,
recourants,
contre
Procureur général du canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
intimé.
Objet
Levée de saisies pénales,
recours contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 28 février 2011.
Faits:
A.
Par arrêt du 25 juin 2010, la Cour correctionnelle sans jury du canton de Genève a condamné A.Y.________, pour abus de confiance aggravés, gestion déloyale aggravée et faux dans les titres, à une peine privative de liberté de 3 ans, 11 mois et 12 jours. Elle a par ailleurs statué sur des prétentions de diverses parties civiles et décidé du sort d'avoirs ayant fait l'objet de saisies pénales conservatoires. A ce titre, elle a notamment ordonné la levée, en faveur de l'Office des faillites, de la saisie frappant le compte joint n° xxx des époux Y.________ auprès d'UBS SA et de celle frappant la somme de 39'023 euros versée par A.Y.________ à la caisse du Palais de justice en date du 13 mars 2006.
Statuant sur le pourvoi formé par A.X.________ et B.X.________, en leur qualité de parties civiles, contre la levée des saisies pénales précitées, la Cour de cassation genevoise l'a rejeté par arrêt du 28 février 2011.
B.
La Cour correctionnelle a justifié sa décision de lever les saisies pénales frappant le compte n° xxx auprès d'UBS et la somme de 39'023 euros versée à la caisse du Palais de justice par le fait que ces avoirs étaient sans relation avec les infractions commises et ne devaient donc pas être séquestrés en garantie de la créance compensatrice, de 600'000 fr., prononcée contre le condamné.
La cour de cassation cantonale a jugé infondés les griefs de motivation insuffisante, d'arbitraire et de violation des art. 70, 71 al. 3 et 72 CP soulevés devant elle. Subséquemment, elle a rejeté le pourvoi et mis les frais de l'instance, par 3000 fr., à la charge des recourants.
C.
A.X.________ et B.X.________ forment un recours en matière pénale. Ils invoquent une violation de l'art. 29 al. 3 Cst. et une application arbitraire de l'art. 7 let. a du règlement genevois sur l'assistance juridique, un déni de justice formel et une violation de leur droit à une décision motivée découlant du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. ainsi qu'une violation de l'art. 71 al. 3 CP et, en relation avec cette dernière disposition, de l'interdiction de l'arbitraire. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision, en sollicitant l'assistance judiciaire.
Le Procureur général conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. L'autorité cantonale a renoncé à formuler des observations. Les recourants, auxquels ces réponses ont été communiquées, ont persisté dans leurs conclusions.
Considérant en droit:
1.
Les recourants sont habilités à former un recours en matière pénale pour contester une décision de dernière instance cantonale qui confirme la levée, prononcée par un jugement de condamnation rendu à l'encontre de l'accusé, d'un séquestre ordonné par l'autorité d'instruction en application de l'art. 71 al. 3 CP en vue de l'exécution d'une créance compensatrice dont ils demandaient l'allocation en réparation de leur dommage (cf. ATF 136 IV 29 consid. 1.9 p. 40; arrêt 1B_212/2007 consid. 1.4).
2.
Dans un premier moyen, les recourants se plaignent d'une application arbitraire de l'art. 7 let. a du règlement genevois sur l'assistance juridique et d'une violation de l'art. 29 al. 3 Cst. Alléguant avoir été mis au bénéfice de l'assistance juridique en instance cantonale, ils font valoir que, sous réserve d'une révocation de cette mesure, dont les conditions ne seraient pas réalisées, ils ne pouvaient être condamnés aux frais de la procédure de cassation, du moins pas inconditionnellement.
2.1 L'arrêt attaqué ne mentionne pas que les recourants auraient été mis au bénéfice de l'assistance juridique. En annexe du présent recours, ces derniers produisent toutefois la copie de deux décisions datées du 11 avril 2011, émanant du Vice-Président du Tribunal de première instance, dont il ressort que, dans la procédure pénale P/5673/2005, ouverte à l'encontre de A.Y.________, ils ont sollicité et obtenu l'assistance juridique avec effet au 10 février 2006 et sans que cette dernière ait été limitée à certains actes de procédure ou à une seule instance. On doit en déduire que les recourants ont effectivement été mis au bénéfice de cette mesure dans la procédure cantonale, que celle-ci leur a été accordée pour l'ensemble de cette procédure et qu'elle n'a pas été révoquée au cours ou à l'issue de cette dernière.
2.2 Les recourants, selon ce qui ressort de leur motivation, soulèvent en réalité deux griefs, se plaignant, d'une part, d'une application arbitraire du règlement genevois sur l'assistance juridique, du fait d'avoir été condamné aux frais de la procédure de cassation malgré qu'ils étaient au bénéfice de la mesure litigieuse, et, d'autre part, d'une violation de l'art. 29 al. 3 Cst., au motif que ces frais ont été mis inconditionnellement à leur charge.
2.3 Du texte des dispositions de droit cantonal qu'ils citent, il résulte que les recourants invoquent une application arbitraire du règlement genevois sur l'assistance juridique du 18 mars 1996.
2.3.1 Ce règlement était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2010, date à laquelle il a été abrogé, pour être remplacé, depuis le 1er janvier 2011, par le règlement genevois sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale (cf. art. 21 et 22 de ce dernier règlement; RSG E 2 05.04). En l'espèce, la question de savoir lequel de ces règlements était applicable au moment où la cour de cassation cantonale a statué, le 28 février 2011, n'a toutefois pas à être approfondie. En effet, les recourants ne prétendent pas et moins encore ne démontrent que, s'agissant de la question litigieuse, le nouveau règlement, dont ils ne se réclament pas, leur serait plus favorable que l'ancien, sous l'empire duquel l'assistance juridique leur a été octroyée.
2.3.2 L'art. 7 let. a du règlement invoqué prévoit qu'en matière pénale l'assistance juridique comporte la dispense d'avancer ou de payer les frais dus à l'Etat et les frais d'expertise. Cette disposition, comme cela ressort déjà de son texte, qui parle notamment de frais «dus» à l'Etat, ne fait nullement obstacle à ce qu'une partie mise au bénéfice de l'assistance juridique soit condamnée aux frais, c'est-à-dire en soit reconnue débitrice envers l'Etat, aux conditions fixées par le droit de procédure applicable, en l'occurrence par l'art. 102 al. 1 aCPP/GE relatif aux frais de la procédure de cassation, sur lequel s'est fondée la cour cantonale et en vertu duquel «à l'exclusion du procureur général, le recourant dont le pourvoi en cassation est déclaré irrecevable ou mal fondé peut être condamné aux frais». Ce dont elle dispense le bénéficiaire de l'assistance juridique, c'est du paiement des frais auxquels il a été condamné, aussi longtemps que les conditions de l'octroi de cette mesure, dont l'indigence du bénéficiaire, sont réalisées. En tant que l'arrêt attaqué condamne les recourants, dont il juge le pourvoi en tous points infondé, aux frais de la procédure de cassation, il ne viole donc pas arbitrairement l'art. 7 let. a du règlement invoqué. Sur ce point, le recours ne peut être que rejeté.
2.4 L'art. 29 al. 3 Cst. confère à toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes le droit, à moins que sa cause n'apparaisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite et, dans la mesure où la défense de ses droits le requiert, à l'assistance gratuite d'un défenseur. Selon la jurisprudence, cette disposition, comme l'art. 6 ch. 3 let. c CEDH, qui n'a pas une portée plus étendue, n'impose pas une renonciation définitive de l'Etat au remboursement par le bénéficiaire de l'assistance juridique des frais avancés au titre de la défense d'office. Elle ne s'oppose donc pas à ce que le dispositif d'une décision statue sur le principe de l'obligation du bénéficiaire de rembourser les frais avancés, ni à ce qu'il fixe le montant de ces derniers. Elle exige toutefois que le remboursement ne puisse être poursuivi par voie d'exécution forcée aussi longtemps que la situation économique de l'intéressé ne le permet pas (ATF 135 I 91 consid. 2, notamment 2.4.3 p. 100 ss; cf. aussi arrêts 6B_128/2011 consid. 5, 1B_13/2009 consid. 7, 6B_587/2008 consid. 3.2 et 6B_471/2008 consid. 3).
En l'espèce, le dispositif de l'arrêt attaqué met notamment à la charge des recourants un émolument de 3000 fr. à payer à l'Etat, à titre de frais pour la procédure de cassation. Ainsi formulé, il autorise donc en principe d'entreprendre le recouvrement de ce montant par voie d'exécution forcée. Or, la motivation de l'arrêt attaqué ne permet pas de discerner pour quelles raisons les recourants ne pourraient plus invoquer en leur faveur la garantie de l'art. 29 al. 3 Cst. Comme cela ressort des décisions du 11 avril 2011 qu'ils produisent, l'assistance juridique ne leur a pas été retirée, le contraire n'ayant au demeurant pas été constaté dans l'arrêt attaqué. Ce dernier ne fournit par ailleurs aucune explication quant à d'éventuelles garanties offertes par le droit cantonal que le recouvrement des frais litigieux ne sera pas entrepris aussi longtemps que la situation économique des recourants ne s'est pas améliorée. Sur ce point, le recours doit donc être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau sur les frais litigieux, en se conformant à la jurisprudence précitée.
3.
Les recourants invoquent une violation de l'art. 29 Cst., plus précisément du droit d'être entendu garanti par l'alinéa 2 de cette disposition. Ils soutiennent que, s'agissant de la levée des saisies pénales frappant le compte n° xxx auprès d'UBS et la somme de 39'023 euros versée à la caisse du Palais de justice, la décision attaquée consacre un déni de justice formel et viole leur droit à une décision motivée.
3.1 Le grief pris d'un déni de justice formel (sur cette notion, cf. ATF 135 I 6 consid. 2.1 p. 9) est dénué de fondement. En dénonçant comme insuffisante la motivation de l'arrêt attaqué sur le point litigieux, les recourants admettent en effet eux-mêmes que la cour cantonale s'est prononcée sur ce point.
3.2 L'arrêt attaqué, qui seul peut faire l'objet du présent recours (cf. art. 80 al. 1 LTF), se réfère aux pages 40 et 41 de la décision de première instance, en relevant qu'il en ressort que les premiers juges ont justifié la levée des saisies litigieuses par le fait que les avoirs sur lesquels elles portaient étaient sans relation avec les infractions commises. Il considère, à juste titre, que cette motivation, bien que sommaire, était suffisante pour que les recourants puissent comprendre ce qui avait conduit les premiers juges à lever les saisies litigieuses et attaquer utilement leur décision sur ce point. Preuve en est d'ailleurs que les recourants ont été à même de contester cette motivation dans leur pourvoi et que la cour cantonale est entrée en matière sur les griefs qu'ils formulaient à cet égard, qu'elle a examinés et rejetés, au demeurant par une motivation que les recourants sont derechef en mesure de critiquer dans le présent recours, en arguant d'arbitraire et d'une violation de l'art. 71 al. 3 CP. Le grief de motivation insuffisante est ainsi dépourvu de fondement.
4.
Les recourants soutiennent que le refus de maintenir les saisies frappant, respectivement, le compte n° xxx auprès d'UBS et la somme de 39'023 euros versée le 13 mars à la caisse du Palais de justice, est arbitraire et viole l'art. 71 al. 3 CP.
4.1 Les recourants ne prétendent même pas et ne démontrent en tout cas pas, conformément aux exigences de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (cf. ATF133 IV 286 consid. 1.4 p. 287), que l'état de fait sur lequel repose le refus de maintenir les saisies litigieuses serait arbitraire, mais se borne à affirmer que ce refus «inéquitable, heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité». Le grief d'arbitraire est par conséquent irrecevable, faute de motivation suffisante.
4.2 L'art. 71 al. 3 CP prévoit que l'autorité d'instruction peut placer sous séquestre, en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, des valeurs patrimoniales appartenant à la personne concernée. Il s'agit d'une mesure conservatoire, de caractère temporaire, destinée à assurer l'exécution d'une créance compensatrice. Le séquestre suppose donc qu'une créance compensatrice entre en ligne de compte, laquelle ne joue qu'un rôle de substitution de la confiscation et est donc soumise aux mêmes conditions que cette dernière, ce qui implique notamment que les valeurs patrimoniales en question soient le résultat d'une infraction ou aient été destinées à décider ou à récompenser l'auteur d'une infraction. En l'absence d'un tel lien, il n'y a pas place pour une créance compensatrice, de sorte que le séquestre frappant les valeurs doit être levé (cf. arrêt 1P.93/1998 consid. 2d). La restitution des valeurs au lésé en rétablissement de ses droits suppose également un tel lien (cf. art. 70 al. 1 CP) et n'entre donc pas non plus en considération si ce dernier fait défaut.
La cour cantonale a retenu qu'il n'était pas établi que les valeurs litigieuses soient en relation avec les infractions commises par l'accusé et en a déduit que ceux-ci ne pouvaient être ni restitués aux lésés, ni confisqués. Elle a ajouté que les premiers juges auraient certes pu, conformément à l'art. 71 al. 3 CP, maintenir le séquestre à titre conservatoire en vue de garantir la créance compensatrice allouée aux lésés en vertu de l'art. 73 CP, mais que le résultat de leur décision n'était toutefois pas choquant, puisque les avoirs litigieux ne se trouvaient pas libérés en faveur de l'accusé, mais de la masse en faillite et serviraient donc à désintéresser les créanciers.
Les recourants ne remettent aucunement en cause la constatation cantonale selon laquelle il n'est pas établi que les valeurs litigieuses soient en relation avec les infractions commises par l'accusé. C'est donc sans violer le droit fédéral que, fondée sur ce constat, la cour cantonale a exclu aussi bien une confiscation de ces valeurs ou une créance compensatrice de remplacement qu'une restitution de ces dernières et, partant, qu'elle a confirmé la levée du séquestre dont elles étaient frappées. Les recourants se bornent d'ailleurs à objecter que la levée des séquestres a pour effet de les mettre sur un pied d'égalité avec les créanciers ayant produit dans la faillite, en affirmant que ces derniers, contrairement à eux, ne sont pas lésés, ce qui, supposé établi, ne saurait justifier le maintien d'une mesure dont les conditions ne sont pas réalisées. Le grief doit dès lors être rejeté.
5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être partiellement admis, en ce sens que l'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour qu'elle statue à nouveau sur les frais de la procédure de cassation (cf. supra, consid. 2.4). Pour le surplus, il est rejeté dans la mesure où il est recevable.
Les recourants obtiennent partiellement gain de cause. Ils peuvent donc prétendre à une indemnité de dépens réduite (cf. art. 68 al. 1 LTF). Dans cette mesure, leur demande d'assistance judiciaire devient sans objet. Pour le surplus, cette demande sera rejetée, les autres griefs soulevés étant dénués de chances de succès (art. 64 al. 1 LTF). Les recourants supporteront par ailleurs des frais réduits, eu égard à l'issue de la cause et à leur situation financière (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée dans la mesure où elle n'est pas sans objet.
3.
Une part des frais judiciaires, arrêtée à 800 fr., est mise à la charge des recourants.
4.
Une indemnité de 1500 fr., à payer en mains de la mandataire des recourants solidairement entre eux à titre de dépens, est mise à la charge du canton de Genève.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de cassation du canton de Genève.
Lausanne, le 13 octobre 2011
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Mathys
La Greffière: Angéloz