Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1B_594/2011
Arrêt du 7 novembre 2011
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Fonjallaz, Président, Reeb et Eusebio.
Greffière: Mme Mabillard.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Christophe Piguet, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la Confédération, case postale 334, 1000 Lausanne 22.
Objet
Prolongation de la détention provisoire,
recours contre la décision du Tribunal pénal fédéral, Ire Cour des plaintes, du 16 septembre 2011.
Faits:
A.
Le 7 avril 2009, le Ministère public de la Confédération (ci-après: le MPC) a ouvert une enquête de police judiciaire à l'encontre de deux individus pour soupçon de participation à une organisation criminelle (art. 260ter CP). Le 15 mai 2009, l'enquête a été étendue à plusieurs personnes suspectées d'entretenir des liens avec l'organisation en question, entre autres A.________. Celui-ci a été arrêté le 15 mars 2010 dans le cadre d'une opération d'envergure internationale et placé en détention. Il lui est reproché d'être affilié à une organisation criminelle internationale, fortement hiérarchisée, dirigée depuis l'Espagne et active principalement dans le vol par effraction, le vol et le recel. Une caisse commune, dénommée "Obschak" serait alimentée par les produits des méfaits commis par les membres de l'organisation.
A.________ a également été inculpé de vols et de tentatives de vol, de détention et de consommation de stupéfiants, de violation de domicile ainsi que d'obtentions frauduleuses de prestations pour des trajets en train, infractions principalement commises entre novembre 2008 et janvier 2010 au Tessin. Ces poursuites ont été jointes par ordonnances des 15 février et 26 mai 2011 en mains des autorités fédérales dans le cadre de la procédure ouverte par le MPC.
La détention provisoire du prénommé a régulièrement été prolongée pour des durées répétées de trois mois. Plusieurs demandes de mise en liberté ont été refusées.
B.
Donnant suite à la demande du MPC, le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après: le Tmc) a ordonné, le 18 août 2011, la prolongation de la détention provisoire de A.________ pour une durée de trois mois à compter du 16 août 2011. Il a reconnu l'existence d'une présomption de culpabilité suffisante à l'égard du prévenu ainsi que d'un risque de fuite et de réitération.
Par décision du 16 septembre 2011, la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après: le TPF) a rejeté le recours de A.________ contre l'ordonnance précitée et rejeté la demande d'assistance judiciaire. Selon le TPF, la prolongation de la détention du prénommé était justifiée par l'existence d'indices de culpabilité suffisants ainsi que par les risques de fuite et de réitération. En outre, les principes de la proportionnalité et de célérité de la procédure étaient respectés.
C.
Agissant par la voie du recours en matière pénale, A.________ demande au Tribunal fédéral de réformer la décision du TPF du 16 septembre 2011 en ce sens que sa libération immédiate est ordonnée, subsidiairement que sa libération est ordonnée dans le délai raisonnable nécessaire pour organiser son retour en Géorgie. Il sollicite en outre l'assistance judiciaire. Le recourant se plaint en substance d'une constatation arbitraire des faits en relation avec les soupçons qui pèsent sur lui ainsi que d'une violation du principe de la proportionnalité.
Le TPF se réfère intégralement à sa décision. Le MPC se réfère également à la décision attaquée, ainsi qu'à sa demande de prolongation de détention du 10 août 2011. Par courrier du 31 octobre 2011, le recourant a invité le Tribunal fédéral à impartir au MPC un nouveau et bref délai pour prendre position sur le recours, en particulier s'agissant des faits exposés.
Considérant en droit:
1.
Selon l'art. 79 LTF, le recours en matière pénale est recevable contre les décisions de la Cour des plaintes du TPF portant sur des mesures de contraintes, notamment les décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. Le recourant a qualité pour agir au sens de l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF. Les autres conditions de recevabilité du recours sont au surplus réunies.
2.
Dans son écriture du 31 octobre 2011, le recourant invite le Tribunal fédéral à impartir au MPC un nouveau et bref délai pour prendre position sur le recours, en particulier s'agissant des faits exposés. Il considère que la manière de procéder du MPC, lequel déclare n'avoir pas d'observation à formuler et s'en réfère à la décision attaquée, est inadmissible. Le recourant semble perdre de vue que le droit d'être entendu est un droit et non une obligation; chaque partie est dès lors libre de renoncer à se déterminer. Il importe peu à cet égard que le MPC n'agisse pas comme autorité intimée, mais comme partie à part entière, comme le soutient le recourant. Il n'y a par conséquent pas lieu de donner suite à sa requête.
3.
Le TPF a rejeté le recours de A.________ ainsi que sa demande d'assistance judiciaire. Le recourant ne conteste pas le chiffre 2 du dispositif de la décision attaquée, relatif au refus de l'assistance judiciaire, si bien que le litige porte uniquement sur la prolongation de la détention provisoire.
4.
Une mesure de détention provisoire n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité ( art. 36 al. 2 et 3 Cst. ; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 221 al. 1 CPP; art. 5 par. 1 let. c CEDH; arrêt 1B_63/2007 du 11 mai 2007 consid. 3 non publié in ATF 133 I 168). Le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des faits, revue sous l'angle restreint des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF (ATF 135 I 71 consid. 2.5 p. 73 s. et les références).
5.
Le recourant nie l'existence de charges suffisantes à son encontre. Il estime que le TPF a constaté les faits de façon arbitraire et qu'il n'y a pas d'indices sérieux permettant de le soupçonner de participation à une organisation criminelle.
5.1 Pour qu'une personne soit placée en détention préventive, il doit exister à son égard des charges suffisantes ou des indices sérieux de culpabilité, c'est-à-dire des raisons plausibles de la soupçonner d'avoir commis une infraction. L'intensité des charges propres à motiver un maintien en détention préventive n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître vraisemblable après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (ATF 116 Ia 143 consid. 3c p. 146; GÉRARD PIQUEREZ, Traité de procédure pénale suisse, 2e éd., 2006, p. 540 et les références). Appelé à se prononcer sur la constitutionnalité d'une décision de maintien en détention préventive, le Tribunal fédéral n'a pas à procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge, ni à apprécier la crédibilité des éléments de preuve mettant en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 116 Ia 143 consid. 3c p. 146).
5.2 En l'espèce, le recourant est suspecté d'appartenir à l'organisation criminelle des "Voleurs dans la loi" et d'avoir tenu un rôle de chef régional pour le Tessin. Dans deux arrêts précédents, des 14 juillet 2010 et 18 mars 2011, le TPF avait retenu que l'examen du dossier, et notamment la teneur des écoutes téléphoniques, permettait de déterminer que le recourant était parfaitement informé de la structure de l'organisation en question et qu'il occupait bel et bien un rôle de cadre. De nombreuses conversations confirmaient de tels soupçons. Le TPF a relevé tout particulièrement que le recourant avait lui-même déclaré, lors d'un entretien téléphonique du 12 mai 2009, que "tu sais qu'ici au Tessin, c'est moi qui suis en charge". De même, une liste avec le montant des contributions régionales pour le Tessin versées pour le mois de janvier 2010 a été retrouvée dans les affaires de l'intéressé lors de la perquisition dans la chambre qu'il occupait dans ce canton. D'autres éléments factuels tendaient à démontrer que le recourant était en contact avec les hauts dirigeants espagnols de l'organisation, qu'il était impliqué dans la réorganisation des échelons hiérarchiques à la suite de la vague d'arrestations intervenues à Genève en 2009 et qu'il était chargé de rassembler et de remettre l'"Obschak" pour le Tessin au responsable général pour la Suisse, ce à quoi il aurait effectivement procédé. Au cours de conversations téléphoniques, le prévenu se serait au demeurant référé, à plusieurs reprises et de manière suspecte et ambiguë, au "salaire" qui arriverait maintenant "en retard" et qui aurait dans le passé été "pris" et "apporté" par ses soins. Le TPF a par ailleurs considéré que les nouveaux éléments fournis par les documents ressortant de la commission rogatoire menée en Espagne et par le rapport de la police judiciaire fédérale du 5 septembre 2011 n'étaient pas de nature à affaiblir la présomption de culpabilité pesant à ce jour à l'encontre de l'intéressé. Il ressortait notamment des écoutes téléphoniques effectuées en Espagne que l'un des responsables européens de l'organisation établi dans ce pays dit connaître le prévenu.
Le recourant ne prétend pas que les faits retenus dans la décision attaquée seraient inexacts ou erronés mais conteste plutôt leur appréciation. Il relativise notamment la portée de ses déclarations téléphoniques en leur attribuant une autre signification. Il fait également valoir qu'avant son arrestation, il était toxicomane et suivait depuis plusieurs mois une cure de méthadone, qu'il bénéficiait de l'aide sociale et avait été condamné pour des infractions constitutives de petite délinquance; ce portrait ne concorderait aucunement avec le prétendu rôle majeur dans une organisation criminelle que le MPC persisterait à lui attribuer. Ces considérations ne permettent toutefois pas de tenir pour arbitraire l'établissement et l'appréciation des faits effectués par le TPF. L'ensemble des éléments retenus dans la décision attaquée constitue en effet un faisceau d'indices suffisant de la culpabilité du recourant en relation avec la participation à une organisation criminelle, malgré ses dénégations, étant rappelé qu'il appartiendra au juge du fond d'apprécier la valeur probante des différentes déclarations et de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge.
6.
Le recourant se plaint ensuite d'une violation du principe de la proportionnalité. Il fait grief au TPF d'avoir estimé que la durée de sa détention avant jugement était encore compatible avec la peine encourue concrètement en cas de condamnation. D'autre part, ses deux dernières auditions des 9 et 10 août 2011 permettraient de constater que l'instruction n'a pas évolué depuis plus d'un an.
6.1 En vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5 par. 3 CEDH, toute personne qui est mise en détention préventive a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la procédure pénale. Une durée excessive de la détention constitue une limitation disproportionnée du droit à la liberté personnelle, qui est notamment violé lorsque la durée de la détention préventive dépasse la durée probable de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre. Dans l'examen de la proportionnalité de la durée de la détention, il y a lieu de prendre en compte la gravité des infractions faisant l'objet de l'instruction. Le juge peut maintenir la détention préventive aussi longtemps qu'elle n'est pas très proche de la durée de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre concrètement en cas de condamnation (ATF 133 I 168 consid. 4.1 p. 170; 132 I 21 consid. 4.1 p. 27; 107 Ia 256 consid. 2 et 3 p. 257 ss et les références).
L'incarcération peut aussi être disproportionnée en cas de retard injustifié dans le cours de la procédure pénale (ATF 128 I 149 consid. 2.2.1 p. 151 s.; 123 I 268 consid. 3a p. 273; 116 Ia 147 consid. 5a, 107 Ia 257 consid. 2 et 3). Il doit toutefois s'agir d'un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable (ATF 128 I 149 consid. 2.2.1 p. 151 s.). Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure pénale s'apprécie selon les circonstances particulières de la cause, eu égard en particulier à la complexité de l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes, ainsi qu'à l'enjeu du litige pour l'intéressé (ATF 133 I 270 consid. 3.4.2 p. 281 et les arrêts cités).
6.2 Le recourant est détenu provisoirement depuis le 15 mars 2010. Il a donc subi à ce jour un peu plus d'une année et demie de détention. Il est notamment soupçonné d'avoir participé à une organisation criminelle internationale à raison des faits mentionnés précédemment. L'infraction de participation à une telle organisation est à elle seule passible d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus (art. 260ter CP). Par conséquent, compte tenu de la gravité des faits reprochés au recourant et de ses antécédents (il est connu des autorités pénales belges pour association de malfaiteurs, recel, usage de faux, violation des règles sur le séjour des étrangers et vol, infractions commises entre 2003 et 2006), la durée de la détention avant jugement subie à ce jour est encore compatible avec la peine encourue concrètement en cas de condamnation. Enfin, il n'apparaît pas que la détention doive se prolonger au-delà de la durée admissible dans la mesure où le MPC a annoncé dans sa demande de prolongation de la détention du 10 août 2011 la préparation de la mise en accusation, laquelle devrait être engagée d'ici la fin de l'année devant le TPF, après que le recourant ait été confronté aux principaux acteurs ainsi qu'aux éléments issus des nombreuses pièces obtenues en exécution de la commission rogatoire adressée par les autorités suisses en Espagne.
6.3 Par ailleurs, l'organisation criminelle à laquelle le recourant est soupçonné d'avoir participé est dirigée depuis l'Espagne et a exercé son activité non seulement en Suisse, mais dans plusieurs pays d'Europe. L'enquête de police judiciaire, qui concerne plus d'une trentaine de prévenus, a donc nécessité de nombreuses mesures d'investigation en Suisse et à l'étranger, notamment en Espagne. Dans ces circonstances, compte tenu de la complexité du dossier ayant trait à une organisation criminelle de grande ampleur à caractère international qui implique de nombreux intervenants, il n'apparaît pas que les autorités de poursuites pénales suisses aient contrevenu à leur obligation de diligence dans la conduite de l'enquête. En particulier, c'est à tort que le recourant estime que l'instruction n'a pas évolué depuis plus d'un an, puisqu'il apparaît notamment que la demande d'entraide judiciaire avec l'Espagne a été déposée en décembre 2010 et exécutée en mars 2011. Enfin, il est pris acte du fait que l'exploitation des pièces obtenues des autorités espagnoles est en cours, que les prévenus concernés seront confrontés aux éléments issus de la traduction dans les plus brefs délais et que la mise en accusation devrait être engagée d'ici à la fin de l'année (cf. courrier du MPC du 10 août 2011). Les autorités judiciaires apparaissent dès lors poursuivre l'enquête sans désemparer, de sorte que l'instruction concernant le recourant pourra vraisemblablement être terminée à brève échéance. Le principe de célérité est en l'état respecté.
7.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté. Dès lors que le recourant est dans le besoin et que ses conclusions ne paraissaient pas d'emblée vouées à l'échec, sa requête d'assistance judiciaire doit être admise (art. 64 al. 1 LTF), même si elle a été rejetée devant le TPF. Par conséquent, il y a lieu de le dispenser des frais pour la procédure devant le Tribunal fédéral et d'allouer une indemnité à son mandataire, désigné comme avocat d'office (art. 64 al. 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise. Me Christophe Piguet est désigné comme défenseur d'office du recourant et ses honoraires, supportés par la caisse du Tribunal fédéral, sont fixés à 1'800 francs.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la Confédération et au Tribunal pénal fédéral, Ire Cour des plaintes.
Lausanne, le 7 novembre 2011
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
La Greffière: Mabillard