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Original
 
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1B_392/2012
Arrêt du 28 août 2012
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Aemisegger, Juge présidant, Merkli et Chaix.
Greffière: Mme Arn.
Participants à la procédure
1. X.________,
2. Y.________,
toutes les 2 représentées par Me Dominique Henchoz, avocate,
recourantes,
contre
Ministère public de la Confédération, Taubenstrasse 16, 3003 Berne.
Objet
Séquestre pénal,
recours contre la décision du Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes, du 29 mai 2012.
Faits:
A.
Le Ministère public de la Confédération (ci-après: le MPC) a ouvert le 12 juillet 2011 une enquête pénale à l'encontre de A.________ pour blanchiment d'argent (art. 305bis CP), à la suite d'une annonce du Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent/MROS faisant état de l'existence d'une procédure pénale en Russie; l'enquête a été étendue à B.________ le 10 octobre 2011. A.________ est soupçonné d'avoir commis des actes d'escroquerie, respectivement d'abus de confiance, au préjudice de la banque C.________ dont il occupait une fonction dirigeante; il aurait participé au détournement de plus de quatorze milliards de roubles, soit environ CHF 430 millions, dont une partie serait parvenue sur des comptes sis en Suisse.
Le MPC a ordonné diverses mesures d'instruction, dont des saisies de relations bancaires auprès d'établissements de la place zurichoise. Le 20 janvier 2012, le MPC a ainsi adressé à la banque D.________ une ordonnance d'obligation de dépôt et blocage de comptes prescrivant le séquestre immédiat de deux comptes ouverts respectivement au nom de la fondation X.________ et à celui de la société Y.________, dont les ayants droit économiques sont des membres de la famille de A.________. Les montants saisis sur ces comptes s'élèveraient à environ USD 3.5 millions au 27 janvier 2012.
X.________ et Y.________ ont recouru contre l'ordonnance précitée en concluant à son annulation ainsi qu'à la levée des séquestres portant sur ces deux comptes.
B.
Par arrêt du 29 mai 2012, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après: le TPF) a rejeté le recours formé par X.________ et Y.________ contre la décision de séquestre. Le TPF a estimé qu'il existait en l'état des indices suffisants permettant de suspecter que les valeurs patrimoniales saisies sur les comptes de X.________ et Y.________ auprès de la banque D.________ étaient le produit des infractions qu'aurait commises A.________ en Russie. Selon les informations transmises par les autorités russes en exécution d'une demande d'entraide judiciaire, A.________ alors vice-président de la banque C.________, aurait dès la fin de l'année 2008 et de concert avec le président de ladite banque - B.________ également poursuivi - mis en place un système d'octroi de crédits à des clients de complaisance; ce mécanisme leur aurait permis de détourner et de s'approprier des sommes très importantes (près de RUB 13 milliards). Ces faits font l'objet d'une enquête menée par le Département du Ministère de l'intérieur de la Fédération de Russie dont le détail, en particulier le schéma de détournement de fonds, est explicité par les autorités russes. Par ailleurs, A.________ fait l'objet d'une seconde enquête également en lien avec son activité au sein de la banque C.________ portant sur des soupçons d'abus de confiance commis lors d'opérations d'achat et de vente d'action pour le compte de la banque C.________, les éléments de l'enquête étant également détaillés dans la réponse des autorités russes à la commission rogatoire; le préjudice occasionné aux actionnaires de la banque s'élèverait à RUB 1.5 milliards. Enfin, la mesure de séquestre visant les deux comptes litigieux n'était pas disproportionnée.
C.
Par acte du 29 juin 2012, X.________ et Y.________ forment un recours en matière pénale par lequel elles demandent l'annulation de l'arrêt du TPF et la levée du séquestre opéré sur les deux comptes. Elles se plaignent d'une constatation manifestement inexacte des faits pertinents ainsi que d'une violation du droit fédéral.
Le TPF se réfère à son arrêt. Le Ministère public conclut au rejet du recours aux termes de ses déterminations.
Considérant en droit:
1.
Selon l'art. 79 LTF, le recours en matière pénale est recevable contre les arrêts de la Cour des plaintes qui portent sur des mesures de contrainte. Les décisions relatives au séquestre d'avoirs bancaires constituent de telles mesures (ATF 136 IV 92 consid. 2.2 p. 94).
1.1 La décision ordonnant un séquestre pénal constitue une décision incidente (ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références). Selon la jurisprudence, le séquestre de valeurs patrimoniales cause en principe un dommage irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, car le détenteur se trouve privé temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 126 I 97 consid. 1b p. 101; voir également ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141; 128 I 129 consid. 1 p. 131).
1.2 En tant que titulaires des comptes séquestrés ayant participé à la procédure devant le TPF, les recourantes ont qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF).
1.3 Le Tribunal fédéral examine librement l'interprétation et l'application des conditions posées par le droit fédéral pour les atteintes aux droits fondamentaux (art. 95 let. a LTF; cf. ATF 128 II 259 consid. 3.3 p. 269). La décision relative aux mesures de contrainte ne constitue pas une décision sur mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF. La limitation des griefs prévue par cette disposition, de même que le principe d'allégation au sens de l'art. 106 al. 2 LTF (qui va au-delà de l'obligation de motiver posée à l'art. 42 al. 2 LTF), ne s'appliquent donc pas. Cela vaut également pour le séquestre d'objets ou de valeurs patrimoniales (ATF 129 I 103 consid. 2 p. 105 ss). Dès lors que le sort des biens saisis n'est décidé définitivement qu'à l'issue de la procédure pénale, et dans la mesure où les conditions de l'art. 93 al. 1 LTF sont réunies pour statuer à propos d'une décision incidente, le Tribunal fédéral examine librement l'admissibilité de la mesure malgré son caractère provisoire compte tenu de la gravité de l'atteinte et afin d'assurer le respect des garanties de la CEDH (art. 36 et 190 Cst.; cf. ATF 131 I 333 consid. 4 p. 339; 425 consid. 6.1 p. 434 et les références). S'agissant en revanche de l'application de notions juridiques indéterminées, le Tribunal fédéral respecte la marge d'appréciation qui appartient aux autorités compétentes (cf. ATF 136 IV 97 consid. 4 p. 100 et les références).
2.
Le séquestre pénal ordonné par une autorité d'instruction est une mesure conservatoire provisoire destinée à préserver les objets ou valeurs que le juge du fond pourrait être amené à confisquer ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice. Une telle mesure est fondée sur la vraisemblance. Tant que l'instruction n'est pas achevée, une simple probabilité suffit car, à l'instar de toute mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des prétentions encore incertaines. L'autorité doit pouvoir décider rapidement du séquestre provisoire (cf. art. 263 al. 2 CPP), ce qui exclut qu'elle résolve des questions juridiques complexes ou qu'elle attende d'être renseignée de manière exacte et complète sur les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99). Le séquestre pénal se justifie aussi longtemps que subsiste une probabilité de confiscation, respectivement de créance compensatrice (arrêt 1P.405/1993 du 8 novembre 1993 consid. 3 publié in SJ 1994 p. 97).
3.
Pour l'essentiel, les recourantes critiquent l'appréciation des preuves opérée par le TPF et se plaignent de l'établissement manifestement inexact des faits. Elles estiment avoir produit les pièces démontrant que les fonds bloqués constitueraient le remboursement en 2011 de fonds existant en 2004 déjà alors que les infractions reprochées à A.________ dateraient de 2008.
3.1 Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend invoquer que les faits importants pour le jugement de la cause ont été établis de manière arbitraire doit le démontrer par une argumentation précise répondant aux exigences de motivation de l'art. 42 al. 2 LTF, respectivement de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62). Une rectification de l'état de fait ne peut être demandée que si elle est de nature à influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Aucun fait nouveau, ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).
3.2 Le TPF a estimé qu'à ce stade initial de la procédure, il existait des indices suffisants permettant de suspecter que les valeurs patrimoniales saisies sur les comptes des recourantes étaient le produit des infractions qu'auraient commises le prévenu en Russie; le MPC devait encore analyser la documentation en sa possession et prendre les mesures d'instruction qui s'imposaient pour confirmer respectivement infirmer l'existence du soupçon initial.
La question de l'origine des valeurs séquestrées peut en l'état rester indécise pour les raisons suivantes. En effet, dans ses déterminations devant le Tribunal fédéral, le MPC ne soutient plus que les valeurs saisies seraient le produit des infractions reprochées à A.________ en Russie. Il relève que, conformément aux déclarations des recourantes, ces valeurs patrimoniales proviennent de la dissolution de E.________ en 2011 et ont été déposées sur les comptes séquestrés à la suite d'une donation de A.________ alors ayant droit économique des valeurs séquestrées. Le MPC justifie dès lors le maintien du séquestre afin d'assurer l'exécution d'une créance compensatrice conformément à l'art. 71 CP, substituant ainsi un motif de séquestre (créance compensatrice) à celui retenu par le TPF (produit d'une infraction).
3.3 Le séquestre en vue de l'exécution d'une créance compensatrice a pour but d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés (ATF 129 IV 107 consid. 3.2 p. 109; 123 IV 70 consid. 3 p. 74; 119 IV 17 consid. 2a p. 20). Lorsque l'avantage illicite doit être confisqué, mais que les valeurs patrimoniales qui sont le résultat de l'infraction ne sont plus disponibles - parce qu'elles ont été consommées, dissimulées ou aliénées -, le juge ordonnera leur remplacement par une créance compensatrice de l'Etat d'un montant équivalent (art. 71 CP; art. 59 ch. 2 al. 1 aCP). La créance compensatrice ne joue qu'un rôle de substitution de la confiscation en nature et ne doit donc, par rapport à celle-ci, causer ni avantage ni inconvénient (ATF 123 IV 70 consid. 3 p. 74). En raison de ce caractère subsidiaire, la créance compensatrice ne peut être ordonnée que si, dans l'hypothèse où les valeurs patrimoniales provenant de l'infraction auraient été disponibles, la confiscation eût été prononcée. La créance compensatrice est ainsi soumise aux mêmes conditions que la confiscation (cf. MADELEINE HIRSIG-VOUILLOZ, Commentaire romand CP, 2009, n. 4 ad. art. 71 CP). Entrent en considération comme fondement d'une créance compensatrice, autant les délits constituant la cause directe de l'avantage illicite, que les infractions secondaires comme le recel ou le blanchiment d'argent (ATF 125 IV 4 consid. 2). Le montant de la créance compensatrice doit être fixé à la valeur des objets qui n'ont pu être saisis et en prenant en considération la totalité de l'avantage économique obtenu au moment de l'infraction (HIRSIG-VOUILLOZ, op. cit., n. 8 ad. art. 71 CP). Cela présuppose ainsi que les valeurs patrimoniales mises sous séquestre équivalent au produit supposé d'une infraction, d'une part, et que le séquestre ordonné aux fins d'exécution de la créance compensatrice vise la "personne concernée", d'autre part. Par "personne concernée" au sens de l'art. 71 al. 3 CP (art. 59 ch. 2 al. 3 aCP), on entend non seulement l'auteur de l'infraction, mais aussi tout tiers, favorisé d'une manière ou d'une autre, par l'infraction (cf. arrêt 1B_185/2007 du 30 novembre 2007 consid. 10.1; cf. également LEMBO/JULEN BERTHOD, Commentaire romand CPP, n. 28 ad. art. 263 CPP; HIRSIG-VOUILLOZ, Le nouveau droit suisse de la confiscation pénale et de la créance compensatrice [art. 69 à 72 CP] in PJA 2007 p. 1376 ss, spéc. 1387; NIKLAUS SCHMID (éd), Kommentar Einziehung, Organisiertes Verbrechen, Geldwäscherei, 2ème éd., tome I, 2007, p. 174).
3.4 A l'appui de sa décision de maintien du séquestre en vue de l'exécution d'une créance compensatrice, le MPC relève notamment que les valeurs litigieuses ont été déposées selon un mécanisme propre à dissimuler leur véritable ayant droit économique. En outre, le MPC relève que le produit de l'infraction en Russie n'est plus disponible. Enfin, l'autorité pénale considère que les recourantes n'ont, à aucun moment de la procédure, fait valoir de contre-prestation adéquate pour les valeurs remises en donation par A.________.
Dans leur réplique, les recourantes relèvent, sur la base des dernières constatations de fait du MPC, que le lien de connexité entre les infractions reprochées en Russie et les valeurs litigieuses bloquées fait défaut. Fortes de ce constat, les recourantes contestent en outre la compétence des autorités suisses pour prononcer le séquestre des valeurs litigieuses puisqu'il n'existerait plus aucun élément permettant de rattacher ces fonds à la Suisse.
3.5 En l'occurrence, le sort des valeurs patrimoniales séquestrées doit être examiné au regard de l'ensemble des opérations financières réalisées par B.________ et A.________. Si les valeurs séquestrées ne sont pas, comme l'admet le MPC, le produit d'une infraction, mais que d'autres opérations sont en revanche liées à des valeurs d'origine criminelle, désormais non disponibles, la condamnation au paiement d'une créance compensatrice, dont le paiement serait garanti par les valeurs séquestrées, doit être envisagée. Une créance compensatrice peut au demeurant être prononcée non seulement contre la personne visée par la procédure pénale mais également contre des tiers.
En l'état de la procédure et compte tenu des éléments apportés par le MPC dans sa réponse, la possibilité d'un séquestre en vue de garantir le paiement d'une créance compensatrice (art. 71 CP) n'apparaît pas d'emblée exclue. Le prononcé d'une telle mesure de séquestre fait cependant appel à des éléments de fait qui ne ressortent pas de l'arrêt entrepris et sur lesquelles l'instance précédente ne s'est pas prononcée (impossibilité de séquestrer le produit de l'infraction, montant d'une éventuelle créance compensatrice, titularité des comptes en cause et arrière-plan économique, etc.). Il convient dès lors de renvoyer la cause à l'instance précédente pour qu'elle procède, dans le respect du droit d'être entendues des recourantes, à un examen complet de la cause, en fait et en droit, après avoir au besoin effectué des mesures d'instruction complémentaires. Elle devra rendre une nouvelle décision faisant ressortir les motifs déterminants de fait et de droit en relation avec les questions juridiques soulevées (cf. art. 112 al. 1 let. b et al. 3 LTF; ATF 135 II 145 consid. 8.2 p. 153).
4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être admis partiellement. L'arrêt attaqué est annulé et la cause renvoyée au TPF pour nouvelle décision dans le sens des considérants. L'annulation de l'arrêt entrepris n'a pas pour conséquence la levée du séquestre dès lors qu'en l'état la décision du MPC est maintenue. Les recourantes qui n'obtiennent que partiellement gain de cause puisque seule leur conclusion subsidiaire est admise, ne doivent payer qu'une partie des frais judiciaires, la Confédération n'ayant pas à en supporter (art. 66 al. 1 et 4 LTF). Pour le même motif, les recourantes ont droit à une indemnité de dépens réduite, à la charge du MPC (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée au Tribunal pénal fédéral pour nouvelle décision. La mesure de séquestre litigieuse est maintenue.
2.
Une partie des frais judiciaires, arrêtée à 1500 fr., est mise à la charge des recourantes.
3.
Le Ministère public de la Confédération versera aux recourantes une indemnité de 1500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourantes, au Ministère public de la Confédération et au Tribunal pénal fédéral, Cour des plaintes.
Lausanne, le 28 août 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Aemisegger
La Greffière: Arn