BGer 4A_409/2012 |
BGer 4A_409/2012 vom 16.10.2012 |
Bundesgericht
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Tribunal fédéral
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Tribunale federale
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{T 0/2}
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4A_409/2012
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Arrêt du 16 octobre 2012
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Ire Cour de droit civil
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Composition
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Mme et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
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Greffière: Mme Monti.
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Participants à la procédure
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A.________, représentée par Me Marino Montini,
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recourante,
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contre
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1. X.________,
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agissant par Me Sven Schwab,
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2. Y.________, représenté par
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Me Marco Renna,
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3. Z.________,
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représenté par Me Stéfanie Brun Poggi,
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intimés.
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Objet
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conclusions civiles dans une procédure pénale; voies de recours,
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recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 31 mai 2012 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.
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Faits:
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A.
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Par jugement du 4 décembre 2008, le Tribunal correctionnel du district de Boudry, composé du président et de deux jurés, a condamné pénalement X.________, Y.________ et Z.________ (les auteurs) pour actes d'ordre sexuel avec un enfant, commis le 3 septembre 2007 sur la personne de A.________, née le 10 février 1992 (la victime). Cette dernière avait pris des conclusions civiles tendant à la condamnation solidaire des trois auteurs au paiement de 87'830 fr. Le Tribunal correctionnel a dit que les débats et le jugement sur ces conclusions interviendraient à la requête de la partie la plus diligente, une fois le jugement pénal devenu définitif; les prétentions à des dépens seraient jugées en même temps.
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Saisi par la victime le 11 février 2009, et après avoir tenu audience le 21 avril 2009, le Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers, composé d'un juge unique, a statué sur les conclusions civiles par jugement du 7 juin 2011. Il a condamné l'auteur X.________ à payer à la victime les montants de 11'080 fr. (remboursement de frais médicaux et tort moral) en vertu des art. 41 ss CO et de 3'000 fr. (indemnité de dépens) en vertu de l'art. 152 CPC/NE (section 4: de la répartition des frais et dépens). Pour le surplus, le tribunal a rejeté les conclusions civiles prises contre les deux autres auteurs. A la fin du jugement rédigé, il a précisé, en citant les art. 227 CPP/NE, art. 311, 321 et 405 CPC, que le jugement pouvait faire l'objet, selon la valeur litigieuse, d'un appel ou d'un recours, à introduire dans les trente jours auprès du greffe du Tribunal cantonal. Le jugement a été envoyé pour notification le 8 juin 2011.
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B.
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La victime a interjeté appel civil par acte du 11 juillet 2011, concluant à ce que les trois auteurs soient solidairement condamnés à lui payer 87'830 fr. La Cour d'appel civile du Tribunal cantonal, après avoir procédé à un échange de vues avec la Cour pénale du Tribunal cantonal, a déclaré l'appel irrecevable par arrêt du 31 mai 2012. Son analyse peut se résumer comme il suit : le jugement attaqué a été prononcé par le juge pénal. Il n'a donc pas été rendu dans le cadre d'une affaire civile contentieuse (au sens de l'art. 1 let. a CPC). Un jugement sur les conclusions civiles rendu par adhésion peut uniquement faire l'objet d'un appel pénal (art. 398 al. 5 CPP). Il n'y a pas d'obligation pour une cour civile de transmettre d'office un appel à une cour pénale. De toute façon, l'acte de recours a été déposé après l'échéance du délai d'appel pénal de vingt jours à compter de la notification du jugement motivé (art. 399 al. 3 CPP). La victime ne saurait se prévaloir de l'indication inexacte des voies de droit dès lors qu'elle était assistée d'un avocat qui pouvait s'apercevoir du vice en consultant les dispositions légales pertinentes.
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C.
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La victime (ci-après: la recourante) interjette un recours en matière civile. Elle conclut principalement à ce que les trois auteurs (ci-après: les intimés) soient condamnés solidairement à lui payer 87'830 fr. avec intérêts à 5% l'an dès le 2 septembre 2007, subsidiairement à ce que la cause soit renvoyée à la Cour d'appel civile.
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L'auteur X.________ a expressément renoncé à déposer une réponse; il a néanmoins conclu au rejet du recours. L'auteur Z.________ a déclaré s'en rapporter à justice. Enfin, l'auteur Y.________ a conclu à l'irrecevabilité de la conclusion principale de la recourante et au rejet du recours pour le surplus.
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Considérant en droit:
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1.
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La recourante invoque entre autres une violation de l'art. 5 al. 3 Cst. en vertu duquel les organes de l'État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi.
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1.1 Il découle de ce principe constitutionnel que si l'autorité donne de fausses indications, elle peut être liée et devoir traiter le destinataire d'une façon dérogeant au droit. Cela vaut notamment en cas de fausse indication des voies de recours, pour autant toutefois que le destinataire ne reconnaisse pas l'erreur et ne puisse pas s'en apercevoir en faisant preuve de l'attention commandée par les circonstances. Seule la faute grave d'une partie ou de son représentant peut faire échec à la protection de sa bonne foi. Tel est le cas lorsque l'avocat de la partie pouvait d'emblée se rendre compte de l'inexactitude en consultant simplement la législation applicable; on ne saurait en revanche lui reprocher de ne pas avoir poussé ses recherches plus loin (ATF 135 III 374 consid. 1.2.2; 134 I 199 consid. 1.3.1; cf. art. 49 LTF, art. 52 CPC).
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1.2 En l'espèce, le jugement pénal a été rendu le 4 décembre 2008; la requête de reprise de la procédure sur les conclusions civiles a été déposée le 11 février 2009 et une audience s'est tenue le 21 avril 2009. Ces actes étant antérieurs à l'entrée en vigueur des codes de procédure fédéraux, la procédure de première instance restait en toute hypothèse régie par le droit de procédure cantonal jusqu'à la clôture de l'instance (art. 448 al. 1 et 450 CPP, art. 404 al. 1 CPC).
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Le code de procédure pénale neuchâtelois prévoyait que le débat sur les conclusions civiles, s'il était postérieur au jugement pénal, intervenait sur requête de la partie la plus diligente; la cause était instruite et jugée par le président du tribunal qui avait rendu le jugement pénal, selon les règles de la procédure orale (art. 27 al. 4 CPP/NE). Le code neuchâtelois prévoyait en outre que si la cause devait encore être instruite ou plaidée, le juge y pourvoyait conformément aux dispositions du code de procédure civile; par ailleurs, le jugement sur les conclusions civiles ne pouvait être attaqué que par les voies de droit prévues par le code de procédure civile (art. 227 al. 2 et 3 CPP/NE). Ainsi, le tribunal statuant sur les conclusions civiles n'avait pas la même composition que celui ayant jugé au pénal, et il procédait selon les règles de la procédure civile. Savoir si un tel jugement doit être qualifié de civil ou de pénal n'est pas nécessairement évident.
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Dans le cas d'espèce, le prononcé pénal a été rendu par le Tribunal correctionnel du district de Boudry siégeant avec un président et deux jurés, tandis que le prononcé civil émane du Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers siégeant avec un juge unique (soit le président ayant siégé au pénal). Ce tribunal a fixé les frais et dépens en se référant aux dispositions du code de procédure civile cantonal; le jugement motivé ne précise pas en quelle qualité le Tribunal régional procédait.
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Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher à l'avocat de la recourante d'avoir commis une faute grave. Recevant un jugement sur les seules conclusions civiles, rendu en application des règles de procédure civile par un tribunal autrement composé et dénommé que celui ayant précédemment statué au pénal, le mandataire ne devait pas nécessairement conclure que l'indication des voies de recours de la nouvelle procédure civile fédérale était erronée. Il est vrai que dans le nouveau droit fédéral, lorsque le président du tribunal pénal statue sur les conclusions civiles postérieurement au prononcé pénal du tribunal (cf. art. 126 al. 4 CPP), son jugement ne peut être attaqué que par les voies de recours pénales. Toutefois, ce président procède selon les règles de la procédure pénale (NICOLAS JEANDIN/HENRY MATZ, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, nos 47 et 49 ad art. 126 CPP), à la différence du juge neuchâtelois sous l'ancien droit cantonal, si bien que cela ne devait pas obligatoirement amener un avocat à douter de l'indication de la voie de recours civile. Comme la recourante le relève au demeurant, la Cour d'appel civile a notifié l'appel aux intimés et les a invités à déposer une réponse, ce qu'elle n'était pas censée faire si l'appel était manifestement irrecevable (cf. art. 312 al. 1 CPC); il semble donc que les choses n'étaient pas d'emblée si claires pour elle non plus, ce qui plaide contre une faute grave de l'avocat.
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1.3 Il en découle que la recourante pouvait se fier à l'indication des voies de recours donnée dans le jugement du 7 juin 2011. L'arrêt d'irrecevabilité de la Cour d'appel civile est annulé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs soulevés à son encontre. La seconde instance cantonale ne s'étant pas prononcée sur le fond, le Tribunal fédéral ne saurait le faire en l'état. La cause est dès lors retournée à la Cour d'appel civile pour suite de la procédure.
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2.
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Les frais et dépens sont mis à la charge des deux intimés qui ont conclu au rejet du recours et qui succombent ainsi dans la présente procédure (art. 66 et 68 LTF).
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Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
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1.
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Le recours est partiellement admis.
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2.
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L'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel pour suite de la procédure.
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3.
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Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des intimés X.________ et Y.________, solidairement entre eux.
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4.
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Les intimés X.________ et Y.________ sont condamnés solidairement à verser à la recourante une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.
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5.
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Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour d'appel civile.
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Lausanne, le 16 octobre 2012
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Au nom de la Ire Cour de droit civil
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du Tribunal fédéral suisse
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La Présidente: Klett
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La Greffière: Monti
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