Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
{T 0/2}
1B_676/2012
Arrêt du 27 novembre 2012
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président, Merkli et Chaix.
Greffier: M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Reza Vafadar, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy.
Objet
détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 1er novembre 2012.
Faits:
A.
A.________ se trouve en détention provisoire à Genève depuis le 28 février 2012 sous la prévention de blanchiment d'argent aggravé. Il lui est reproché d'avoir, de novembre 2011 à février 2012, en tant qu'employé d'un bureau de change genevois, blanchi plus d'un million d'euros provenant de trafics de stupéfiants. Il était mis en cause par les dénommé X.________ et Y.________, qui affirmaient lui avoir remis plusieurs centaines de milliers d'euros provenant de trafics de drogue, afin qu'il les change en grosses coupures ou procède à des transferts à l'étranger, contre une commission de 1,5% soit environ 15'000 euros.
La détention provisoire a été prolongée par le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc), en raison des risques de collusion avec les personnes à entendre. Compte tenu des antécédents du recourant, un risque de réitération a également été retenu (cf. arrêt 1B_226/2012 du 5 mai 2012 confirmant l'existence de charges suffisantes et du risque de collusion). Le 6 juin 2012, le Tmc a refusé la mise en liberté du prévenu, retenant à nouveau le danger de collusion et de réitération. Par arrêt du 27 juin 2012, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a rejeté le recours formé par A.________, et le Tribunal fédéral en a fait de même par arrêt du 8 août 2012 (arrêt 1B_430/2012).
B.
Par ordonnance du 19 octobre 2012, le Tmc a ordonné une nouvelle prolongation de la détention jusqu'au 19 décembre 2012, en raison du risque de récidive; l'activité de blanchiment pouvait s'exercer en dehors d'un bureau de change et le prévenu avait été condamné en 2007 pour des faits similaires. Les risques de fuite et de collusion subsistaient, "bien que ténus", et aucune mesure de substitution n'était envisageable.
C.
Par arrêt du 1er novembre 2012, la Chambre pénale de recours a rejeté le recours formé par A.________. Le risque de réitération avait été retenu dans les précédentes décisions, dont celle rendue le 21 septembre 2012 par la cour cantonale, qui n'avait pas été contestée. Le prévenu avait produit un contrat de travail en tant que réceptionniste dans un garage. Etabli pour les besoins de la cause, ce document ne garantissait pas l'existence d'un engagement durable. Les actes de blanchiment étaient encore possibles en dehors d'un bureau de change: le recourant avait agi en toute connaissance de cause, et n'avait pas pris conscience de la gravité de ses actes. La durée de la détention était proportionnée au regard de la peine encourue.
D.
Par acte du 8 novembre 2012, A.________ forme un recours en matière pénale par lequel il demande l'annulation de l'arrêt cantonal et sa mise en liberté immédiate, subsidiairement le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
La cour cantonale se réfère à son arrêt, sans observations. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Dans ses dernières déterminations, le recourant a persisté dans ses griefs et ses conclusions.
Considérant en droit:
1.
Selon l'art. 78 LTF, le recours en matière pénale est ouvert contre les décisions relatives à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF, le prévenu a qualité pour agir. Le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision rendue en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). Les conclusions présentées sont recevables au regard de l'art. 107 al. 2 LTF.
2.
Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst. ), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité ( art. 36 al. 2 et 3 Cst. ; ATF 123 I 268 consid. 2c p. 270). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 221 al. 1 CPP; art. 5 par. 1 let. c CEDH; arrêt 1B_63/2007 du 11 mai 2007 consid. 3 non publié in ATF 133 I 168). Le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des faits, revue sous l'angle restreint des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF (ATF 135 I 71 consid. 2.5 p. 73 s. et les références).
3.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 221 CPP. Il reproche à la cour cantonale d'avoir retenu un risque de réitération en se limitant à des considérations générales, sans examiner sérieusement les arguments soulevés par le recourant et les mesures de substitution proposées. La cour cantonale se serait référée à des décisions précédentes, alors qu'il est apparu depuis lors que les gains réalisés par le recourant n'ont pas dépassé 15'000 euros. Dans un grief distinct, qui doit être traité simultanément, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir méconnu que le risque de récidive nécessite, pour être retenu, l'existence d'indices concrets. L'infraction de blanchiment nécessiterait une structure spécifique permettant l'écoulement des devises. Or, le recourant, licencié en février 2012, ne dispose plus d'une telle structure. Après sa première condamnation, il aurait accepté sa faute et n'aurait pas réitéré durant quatre ans et demi. Le recourant relève aussi qu'il a produit un contrat de travail en tant que réceptionniste dans un garage. Sa situation familiale ne justifierait pas non plus le pronostic négatif posé par la cour cantonale.
3.1 Aux termes de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire peut être ordonnée lorsqu'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu "compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre". Selon la jurisprudence, il convient de faire preuve de retenue dans l'appréciation du risque de récidive: le maintien en détention ne peut se justifier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable et si les délits dont l'autorité redoute la réitération sont graves (ATF 137 IV 13 consid. 4.5 p. 21; 135 I 71 consid. 2.3 p. 73; 133 I 270 consid. 2.2 p. 276 et les arrêts cités). Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3-4 p. 18 ss; cf. arrêt 1B_133/2011 du 12 avril 2011 consid. 4.7). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 137 IV 84 consid. 3.2 p. 86 et les références citées).
3.2 Dans son arrêt du 8 août 2012, la Cour de céans a confirmé l'existence d'un risque de récidive, retenant que les faits étaient graves. Le recourant, condamné au mois de juillet 2007 pour blanchiment d'argent, avait repris ses agissement, de même nature mais de plus grande ampleur, certes quatre ans et demi après sa condamnation, mais seulement quatre mois après l'échéance du sursis qui lui avait été accordé. La situation familiale a également été prise en compte, de même que le fait que le recourant ne travaille plus dans un bureau de change. Le recourant ne dispose certes plus des facilités liées à son activité dans un tel bureau, mais il pourrait toujours profiter de ses relations et du réseau constitué dans le cadre de son activité pour se livrer à de nouveaux actes de blanchiment. Du point de vue du risque de récidive, la situation n'a guère évolué depuis les précédentes décisions, notamment l'arrêt du Tribunal fédéral du 8 août 2012, de sorte que le risque de récidive ne peut qu'être confirmé.
3.3 Le recourant invoque également en vain l'art. 237 CPP, qui impose l'adoption de mesures de substitution à la détention provisoire. En effet, dès lors qu'une activité de blanchiment pourrait avoir lieu parallèlement à une activité professionnelle sans liens avec le milieu de la finance, le contrat d'engagement produit par le recourant (en tant que réceptionniste dans un garage) n'offre aucune garantie suffisante.
4.
Invoquant enfin les art. 5 par. 3 CEDH et 36 al. 3 Cst., le recourant estime que la prolongation de sa détention violerait le principe de la proportionnalité. Il reproche à la cour cantonale d'avoir évalué la peine envisageable sans tenir compte des gains effectivement réalisés, lesquels ne dépasseraient pas 15'000 euros.
4.1 En vertu des art. 31 al. 3 Cst. et 5 par. 3 CEDH, toute personne qui est mise en détention provisoire a le droit d'être jugée dans un délai raisonnable ou d'être libérée pendant la procédure pénale. Une durée excessive de la détention constitue une limitation disproportionnée de ce droit fondamental, notamment lorsqu'elle dépasse la durée probable de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre. Dans l'examen de la proportionnalité de la durée de la détention, il y a lieu de prendre en compte la gravité des infractions faisant l'objet de l'instruction. Le juge peut maintenir la détention provisoire aussi longtemps qu'elle n'est pas très proche de la durée de la peine privative de liberté à laquelle il faut s'attendre concrètement en cas de condamnation (ATF 133 I 168 consid. 4.1 p. 170; 132 I 21 consid. 4.1 p. 27; 107 Ia 256 consid. 2 et 3 p. 257 ss et les références).
4.2 Contrairement à ce que soutient le recourant, le bénéfice retiré des opérations de blanchiment n'est pas le seul critère pour retenir l'existence d'un cas grave au sens de l'art. 305bis al. 2 CP, impliquant une peine privative de liberté de cinq ans au plus. En effet, cette disposition vise également les membres d'une organisation criminelle (let. a), la participation à une bande formée pour se livrer systématiquement au blanchiment d'argent (let. b), ainsi que le chiffre d'affaires important (let. c). Compte tenu des montants en jeu (soit plus d'un million d'euros recyclés, abstraction faite des mises en prévention complémentaires prononcées par le Ministère public après l'arrêt attaqué), l'application des dispositions relatives au cas grave n'apparaît pas exclue dans le cas particulier (cf. ATF 129 IV 188 consid. 2.2 et 3.1 fixant des limites minimum de 100'000 fr. pour le chiffre d'affaires et de 10'000 fr. pour le gain). Cela implique la possibilité d'une condamnation à une peine de privation de liberté plus longue que les quelque dix mois de détention provisoire que le recourant aura subis à l'échéance de la prolongation en cours. Au surplus, le Procureur a annoncé un avis de prochaine clôture pour le 30 novembre 2012, ce qui devrait permettre un renvoi en jugement dans un délai raisonnable. Il n'y a pas, par conséquent, de violation du principe de la proportionnalité.
5.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire et les conditions en paraissent réunies. Me Reza Vafadar est désigné comme avocat d'office du recourant, rétribué par la caisse du Tribunal fédéral. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise; Me Reza Vafadar est désigné comme avocat d'office du recourant et ses honoraires, supportés par la caisse du Tribunal fédéral, sont fixés à 1'500 francs. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 27 novembre 2012
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
Le Greffier: Kurz