BGer 4A_155/2013
 
BGer 4A_155/2013 vom 21.10.2013
{T 0/2}
4A_155/2013
 
Arrêt du 21 octobre 2013
 
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Klett, Présidente, Kolly, Kiss, Niquille et Ch. Geiser, Juge suppléant.
Greffier: M. Piaget.
Participants à la procédure
Société X.________ SA, représentée par Me Pierre Banna,
recourante,
contre
1. H.Z.________,
2. F.Z.________,
tous les 2 représentés par Me William Rappard,
intimés.
Objet
contrat de bail, congé,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers, du 18 février 2013.
 
Faits:
A. Par contrat du 15 janvier 1996, Société X.________ SA a remis à bail à H.Z.________ et F.Z.________ un appartement (no 43) de trois pièces au 4 ème étage d'un immeuble situé à la rue ... à Genève.
B. Par requête du 7 octobre 2011, déclarée non conciliée par la commission compétente et portée devant le Tribunal des baux et loyers le 19 décembre 2011, les locataires ont conclu à l'annulation de la résiliation.
C. La bailleresse exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 18 février 2013. Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à son annulation et à ce que le congé litigieux soit déclaré valable et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision. La recourante invoque l'établissement manifestement inexact et incomplet des constatations cantonales, la violation de l'art. 271 CO et celle de l'art. 8 CC.
 
Considérant en droit:
 
1.
1.1. Lorsque - comme c'est le cas en l'espèce - le litige porte sur la validité d'un congé donné par le bailleur, la valeur litigieuse correspond au moins à trois ans de loyer, en raison du délai de protection, dans le cas où le locataire obtient gain de cause, qui est prévu par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 136 III 196 consid. 1.1 p. 197; 111 II 384 consid. 1 p. 386). Il n'est donc pas douteux, à considérer le montant du loyer annuel, que la valeur litigieuse minimale de 15'000 fr. requise en matière de bail à loyer par l'art. 74 al. 1 let. a LTF est ici atteinte.
1.2. Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Il peut donc également être formé pour violation d'un droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1 p. 247; 136 II 304 consid. 2.4 p. 313).
Le Tribunal fédéral applique d'office le droit dont il peut contrôler le respect (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours, ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (ATF 138 II 331 consid. 1.3 p. 336; 137 II 313 consid. 4 p. 317 s.). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 137 III 580 consid. 1.3 p. 584; 135 II 384 consid. 2.2.1 p. 389; 135 III 397 consid. 1.4 p. 400).
1.3. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62; 137 II 353 consid. 5.1 p. 356) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (ATF 137 II 353 consid. 5.1 p. 356; 136 I 184 consid. 1.2 p. 187). La partie recourante qui se plaint d'arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits doit motiver son grief d'une manière qui réponde aux exigences de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 137 I 58 consid. 4.1.2 p. 62). Une rectification de l'état de fait ne peut être demandée que si elle est de nature à influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).
1.4. Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF). S'il admet le recours, le Tribunal fédéral peut réformer la décision attaquée, c'est-à-dire qu'il peut statuer lui-même sur le fond à la place de l'autorité précédente (art. 107 al. 2 LTF).
 
2.
2.1. La recourante estime que certaines constatations ont été établies de façon manifestement inexacte et incomplète.
2.2. La question litigieuse est de savoir si le congé est annulable en application de l'art. 271 al. 1 CO, c'est-à-dire s'il contrevient aux règles de la bonne foi.
2.2.1. Pour dire si un congé est ou non abusif, il faut connaître le motif réel de la résiliation, dont la constatation relève de l'établissement des faits (ATF 131 III 535 consid. 4.3 p. 540; 130 III 699 consid. 4.1 p. 702). La partie qui prétend que le congé est abusif doit en principe apporter la preuve des faits qui permettent de le constater (art. 8 CC), mais sa partie adverse doit contribuer loyalement à la manifestation de la vérité en fournissant les éléments qu'elle est seule à détenir (ATF 135 III 112 consid. 4.1 p. 119).
2.2.2. Dans un bail à durée indéterminée, chaque partie est en principe libre de le résilier pour la prochaine échéance en respectant le délai de congé. La résiliation ordinaire du bail n'exige pas de motif particulier, ce même si elle entraîne des conséquences pénibles pour le locataire (ATF 138 III 59 consid. 2.1 p. 62). Elle ne nécessite aucune menace de résiliation préalable mais elle est annulable uniquement si elle contrevient aux règles de la bonne foi (cf. art. 266a et 271 al. 1 CO).
2.3. En ce qui concerne le motif tiré de l'altercation entre l'employé de la régie et le locataire, il a été retenu (art. 105 al. 1 LTF) que l'employé était dans son tort, puisqu'il a tenté de pénétrer dans l'appartement, contre le gré des locataires, et sans avoir au préalable annoncé sa visite. Rappelant que le Ministère public a retenu que le locataire avait agi en état de légitime défense, et que son geste était proportionné, la cour cantonale a conclu que la recourante ne pouvait se fonder sur un tel motif pour résilier le bail des locataires, sans contrevenir aux règles de la bonne foi.
2.4. En ce qui concerne le motif tiré de l'état de l'appartement, il n'a pas été établi que les locataires étaient responsables du mauvais état de leur logement. La cour cantonale rappelle que l'entretien de la chose louée est à la charge du bailleur (art. 256 al. 1 CO) et que la recourante n'est dès lors pas fondée à le reprocher aux locataires et de justifier le congé par ce biais.
2.5. S'agissant des prétendus démêlés avec les voisins, la cour cantonale retient qu'il s'agissait de conflits mineurs, totalement banals dans un immeuble locatif. Elle précise que ce motif apparaît plutôt comme un prétexte invoqué pour les besoins de la cause. Retenir que le motif avancé est un prétexte est une question de fait (cf. arrêt 4A_64/2010 du 29 avril 2010 consid. 2.3). La recourante fournit à ce propos l'extrait d'un procès-verbal et d'une de ses correspondances sans toutefois démontrer que la cour cantonale aurait versé dans l'arbitraire. Il n'y a donc pas lieu de s'écarter de la constatation de la cour précédente.
2.6. En ce qui concerne les deux motifs restants (extrait du jugement de divorce et antenne parabolique), la cour cantonale ne les a pas considérés comme suffisants pour justifier le congé, le comportement de la bailleresse étant jugé contradictoire en ce sens que celle-ci a menacé les locataires de conséquences minimes et non d'une résiliation du bail.
2.6.1. S'agissant de l'attribution de l'appartement conjugal entre les locataires (résultant du jugement de divorce), il a été retenu, en fait, que la bailleresse les a interpellés trois fois, au cours du printemps et de l'été 2011 pour obtenir un extrait du jugement sur ce point. Contrairement à ce que laissent entendre les intimés, la recourante n'a pas exigé le jugement dans son entier (celui-ci contenant des données personnelles sur les ex-époux), ce qui ne serait pas admissible. Il a également été constaté que les locataires n'ont simplement pas réagi aux requêtes successives de la bailleresse, celle-ci finissant par les informer qu'elles les considéraient toujours comme solidairement responsables.
2.6.2. S'agissant de l'attribution du logement, le jugement de divorce est constitutif, en ce sens qu'il provoque un véritable transfert du contrat, l'époux attributaire devenant locataire en lieu et place de son conjoint ( PIERRE WESSNER, Le divorce des époux et l'attribution judiciaire du logement à l'un d'eux des droits et obligations résultant du bail portant sur le logement de la famille, in Séminaire sur le droit du bail, 2000, nos 31 et 33, et la référence au Message du Conseil fédéral; SUTTER/FREIBURGHAUS, Kommentar zum neuen Scheidungsrecht, 1999, no 32 ad art. 121 CC). Lorsque, comme en l'espèce, un seul des ex-époux - alors qu'ils étaient auparavant colocataires - reste titulaire du bail, on se trouve également dans la situation d'un transfert de contrat (cf. arrêt 4A_352/2012 du 21 novembre 2012 consid. 3.3).
Cela signifie que, depuis l'entrée en force du jugement de divorce, le bailleur peut se voir opposer le transfert du bail, même s'il n'avait pas connaissance de la procédure de divorce ( WESSNER, op. cit., no 61). Le locataire s'oblige, en vertu d'un devoir accessoire au contrat de bail - même en l'absence d'une clause explicite à ce sujet - à informer le bailleur. Ce devoir contractuel accessoire découle du principe de la bonne foi ( WESSNER, op. cit., no 62; sur la notion de devoirs accessoires: OLIVIER CHAPUIS, Responsabilité et devoirs accessoires découlant d'un contrat, 2004, p. 68 ss). La violation fautive du devoir d'information fonde éventuellement le bailleur à réclamer au locataire la réparation du dommage subi ( WESSNER, op. cit., no 62; LACHAT/ZAHRADNIK, in Das Mietrecht für die Praxis, 8e éd. 2009, p. 493 note de pied no 193; DAVID LACHAT, Le bail à loyer, nouvelle éd. 2008, p. 595 note de pied no 197).
Le bailleur se voit donc imposer un changement de locataire mais, dans le même temps, il est protégé par la règle prévoyant la solidarité des ex-époux pour les dettes de loyer (art. 121 al. 2 CC; entre autres auteurs: HAUSHEER/GEISER/AEBI-MÜLLER, Das Familienrecht des Schweizerischen Zivilgesetzbuch, 4e éd. 2010, n. 10.44 p. 124). L'art. 263 CO a servi de modèle à l'art. 121 CC et les deux normes reposent sur le même mécanisme qui consiste à offrir au bailleur une solidarité limitée dans le temps en contrepartie de son obligation de poursuivre les relations contractuelles avec un tiers qu'il n'aura pas lui-même librement choisi (cf. Wessner, op. cit., nos 7 et 32; sous l'angle de l'art. 263 CO: Bise/Planas, in Droit du bail à loyer, Bohnet/Montini (éd.), 2010, nos 1 et 77 ad art. 263 CO; dans la perspective de l'art. 121 CC: Andrea Büchler, in FamKomm Scheidung, Ingeborg Schwenzer (éd.), 2e éd. 2011, no 14 ad art. 121 CC). Cette obligation du bailleur naît dès que le transfert de bail est effectif et la durée, relative ou absolue, de la solidarité prévue aux art. 263 al. 4 CO et 121 al. 2 CC, commence à courir dès ce jour (cf. pour l'art. 121 CC: Sutter/Freiburghaus, op. cit., no 42 ad art. 121 CC; sous l'angle de l'art. 263 CO: Lachat, op. cit., n. 3.4.4 p. 590; Richard Permann, Mietrecht Kommentar, 2e éd. 2007, no 17 ad art. 263 CO).
2.6.3. En ce qui concerne l'antenne parabolique, il résulte de l'arrêt cantonal que l'ordre donné par la bailleresse visait à ce que l'antenne litigieuse ne soit plus visible de l'extérieur et qu'il s'agissait donc exclusivement de veiller à préserver l'esthétique de l'immeuble. Une telle exigence peut se comprendre dans la perspective de la bailleresse et on ne saurait la considérer 
2.6.4. Cela étant, lorsque, comme en l'espèce, le locataire fait obstruction à des exigences pourtant admissibles - et même essentielle en ce qui concerne l'attribution du logement - imposées par la bailleresse, la résiliation du bail par cette dernière ne saurait être considérée comme contraire à la bonne foi. Une résiliation est, par principe, admissible et une exception ne peut être envisagée que lorsque le congé contrevient aux règles de la bonne foi. La cour cantonale a renversé ce principe, en fournissant une argumentation qui laisse entendre, à tort, qu'une résiliation ordinaire doit être justifiée par la bailleresse.
2.7. Le Tribunal des baux et loyers, examinant d'office la question de la prolongation du bail (art. 273 al. 5 CO), a conclu à une unique prolongation de six mois échéant le 31 juillet 2012. Vu la solution retenue, la cour cantonale n'a pas eu à examiner cette question. Dans leur écriture au Tribunal fédéral, les intimés ne disent mot sur la question d'une éventuelle prolongation du bail et concluent uniquement au rejet, sans prendre de conclusion subsidiaire en prolongation. Il n'y a donc pas à traiter cette question (art. 107 al. 1 LTF; cf. sous l'angle de l'art. 274 f al. 3 aCO: ATF 121 III 266 consid. 2b; 118 II 50 consid. 2a).
3. Il résulte des considérations qui précèdent que le recours doit être admis et l'arrêt de l'autorité précédente réformé (cf. consid. 1.4) en ce sens que le congé notifié le 20 septembre 2011 à H.Z.________ (alors seul locataire) pour le 31 janvier 2012 est valable.
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est admis et l'arrêt attaqué est réformé en ce sens que le congé notifié le 20 septembre 2011 pour le 31 janvier 2012 à H.Z.________ pour l'appartement no 43 de 3 pièces situé au 4 ème étage de l'immeuble sis rue ... à Genève est valable.
2. La demande d'assistance judiciaire des intimés est admise pour répondre au recours en matière civile déposé par la recourante et Me William Rappard est désigné comme avocat d'office.
3. Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis solidairement à la charge des intimés, mais supportés par la Caisse du Tribunal fédéral.
4. La Caisse du Tribunal fédéral versera à Me William Rappard une indemnité de 2'500 fr. à titre d'indemnité d'avocat d'office.
5. Les intimés, débiteurs solidaires, verseront à la recourante une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.
6. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre des baux et loyers.
Lausanne, le 21 octobre 2013
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Klett
Le Greffier: Piaget