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Original
 
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
[img]
{T 0/2}
1B_321/2013
Arrêt du 30 octobre 2013
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Eusebio et Chaix.
Greffière: Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
X.________,
représenté par Maîtres Giorgio Campá et Florian Baier, avocats, Etude Bellon & Campá,
recourant,
contre
Y.________,
intimé.
Objet
Procédure pénale, récusation du Procureur,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 19 août 2013.
Faits:
A.
X.________ fait l'objet d'une instruction pénale pour assassinats conduite par le Ministère public du canton de Genève (ci-après: le Ministère public). Il lui est reproché d'avoir exécuté ou fait exécuter douze personnes entre novembre 2005 et septembre 2006, alors qu'il était Directeur général de la police nationale civile du Guatemala.
Le prévenu a requis une première fois, le 31 août 2012, la récusation du Procureur Y.________ (ci-après: le Procureur), en raison de ses liens prétendus avec l'association Z.________, laquelle s'était jointe aux dénonciations formées contre X.________ et s'était impliquée pour obtenir l'arrestation du prévenu et l'audition de témoins à charge. Cette demande a été rejetée le 15 octobre 2012 par la Chambre pénale de recours de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice), les motifs allégués ne permettant pas de fonder un soupçon de prévention du Procureur. Par arrêt du 10 janvier 2013 (1B_685/2012), le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par X.________; alors qu'il était avocat, le Procureur Y.________ avait relu et corrigé bénévolement, en 2003, un ouvrage publié par Z.________; il était aussi intervenu aux côtés de cette association; toutefois, aucune de ces interventions, qui remontaient à dix ans, n'était en rapport avec X.________, le Guatemala ou l'Amérique centrale; le manque de réponse aux nombreuses questions du requérant, les souvenirs imprécis du magistrat et les irrégularités de procédures alléguées ne constituaient pas non plus des motifs de récusation.
B.
Le 13 décembre 2012, X.________ a sollicité une deuxième fois la récusation du Procureur Y.________, notamment au motif que celui-ci, lors de l'audition d'un témoin, n'avait pas relevé les contradictions existant avec ses déclarations antérieures filmées par Z.________, n'avait pas autorisé l'enregistrement de cette audition et avait refusé de mentionner au procès-verbal les déclarations de l'interprète. Il lui reprochait aussi de ne pas avoir fait figurer les DVD de Z.________ dans la copie du dossier qui lui avait été remise. La Cour de justice a rejeté cette deuxième demande de récusation. Le recours formé par X.________ contre cet arrêt a été rejeté par le Tribunal fédéral, par arrêt du 19 avril 2013 (1B_86/2013).
C.
X.________ a déposé une troisième demande de récusation, le 9 mars 2013, vu la manière dont les auditions avaient été menées entre les 4 et 8 mars 2013. Il a également fait grief au Procureur Y.________ d'avoir eu un entretien à huis clos avec l'avocate de la partie plaignante lors d'une suspension d'audience. Le 6 avril 2013, il a à nouveau requis la récusation du magistrat prénommé, au motif que celui-ci aurait tenté d'intimider un témoin à décharge produit par la défense. Par arrêt du 6 mai 2013, la Cour de justice a rejeté cette troisième demande de récusation. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours interjeté contre cet arrêt, le 9 août 2013 (1B_205/2013) : aucun des motifs avancés par le recourant ne permettait d'admettre l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant la récusation du Procureur.
D.
Le 26 juillet 2013, X.________ a formulé une quatrième demande de récusation. Il a reproché cette fois au Procureur de ne pas avoir répondu à la question posée par ses conseils le 23 juillet 2013, "avez-vous été membre de l'association Z.________ ?". Ce silence constituerait une démonstration évidente de partialité. Dans ses observations devant la cour cantonale, le Procureur a précisé qu'il n'était pas membre de Z.________ et qu'il ne se souvenait pas avoir jamais demandé à en faire partie. Par arrêt du 19 août 2013, la Cour de justice a déclarée irrecevable la requête en récusation pour cause de tardiveté. Elle a considéré en substance que ladite requête, déposée onze mois après l'arrestation du requérant et alors que la question liée à l'indépendance du Procureur vis-à-vis de Z.________ avait déjà justifié deux requêtes de même nature, qui avaient été rejetées en dernier lieu par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 10 janvier 2013 (1B_685/2012), était tardive.
E.
Agissant par la voie du recours en matière pénale assorti d'une demande d'assistance judiciaire, X.________n demande principalement au Tribunal fédéral d'annuler cet arrêt et d'ordonner la récusation du Procureur Y.________. Il sollicite subsidiairement qu'ordre soit donné au Procureur d'indiquer s'il a été membre de l'association Z.________ et de le récuser en cas de réponse affirmative ou de refus de réponse.
Invités à se déterminer, la Cour de justice se réfère à son arrêt, sans observations, alors que le Procureur Y.________ conclut au rejet du recours. Le recourant a déposé de nouvelles observations, le 28 octobre 2013, persistant dans ses conclusions.
Considérant en droit:
1.
Le recours est dirigé contre une décision finale d'irrecevabilité prise en dernière instance cantonale; sur le fond, la contestation porte sur la récusation d'un magistrat pénal. Le recours est dès lors recevable comme recours en matière pénale selon les art. 78 et 92 al. 1 LTF. Le recourant, dont la demande de récusation a été rejetée, a qualité pour agir (art. 81 al. 1 LTF).
Les juges cantonaux ayant refusé d'entrer en matière sur le recours, seule la question de la recevabilité de la requête de récusation peut donc être portée devant le Tribunal fédéral qui n'a, à ce stade, pas à examiner le fond de la contestation. Les conclusions du recourant tendant à la récusation du Procureur sont donc irrecevables (ATF 133 II 409 consid. 1.4 p. 414).
Pour le reste, les autres conditions de recevabilité sont réunies, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
Le recourant se plaint d'une violation des art. 30 al. 1 Cst., 6 par. 1 CEDH et 56 let. f CPP. Il reproche à la Cour de justice d'avoir retenu qu'il aurait dû poser plus tôt la question de l'appartenance passée du Procureur à l'association Z.________, alors que celui-ci aurait dû divulguer spontanément cet élément en vertu de l'art. 57 CPP.
2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation.
Selon l'art. 5 al. 3 Cst., les organes de l'Etat et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. Même si l'art. 3 al. 2 let. a CPP ne semble imposer qu'aux autorités pénales de se conformer au principe de la bonne foi, le respect des règles de la bonne foi vaut aussi pour le prévenu (Piquerez/Macaluso, Procédure pénale suisse, 2011, n. 431 pour qui la lettre a de l'art. 3 al. 2 CPP est trop restrictive; Niklaus Oberholzer, Grundzüge des Strafprozessrechts, 2012, n. 579; Jeanneret/Kuhn, Précis de procédure pénale, 2013, n. 4004; Hausheer/Aebi-Müller, Berner Kommentar, 2012, n. 314 ad art. 2 ZGB; voir également l'art. 52 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 [CPC; RS 272] qui prévoit que "quiconque participe à la procédure doit se conformer aux règles de la bonne foi").
Celui qui omet de se plaindre immédiatement de la prévention d'un magistrat et laisse la procédure se dérouler sans intervenir agit contrairement à la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) et voit son droit se périmer (ATF 138 I 1 consid. 2.2 p. 4; 134 I 20 consid. 4.3.1 p. 21 et les références). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder ce moyen en réserve pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable ou lorsque l'intéressé se serait rendu compte que l'instruction ne suivait pas le cours désiré (ATF 139 III 120 consid. 3.2.1 p. 124; 136 III 605 consid. 3.2.2 p. 609; 129 III 445 consid. 3.1 p. 449 et les arrêts cités; Jean-Marc Verniory, Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n. 5 et 6 ad. art. 58 CPP; Markus Boog, Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2011, n. 7 ad art. 58).
Dès lors, même si l'art. 58 al. 1 CPP ne prévoit aucun délai particulier, il y a lieu d'admettre que la récusation doit être demandée aussitôt, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation (arrêt 1B_209/2013 du 15 août 2013 consid. 3.1 et les arrêts cités).
Par ailleurs, l'art. 57 CPP, à l'instar des art. 48 CPC et 35 LTF, prévoit un devoir spontané du magistrat de déclarer un motif de récusation.
2.2. En l'espèce, le Procureur a déclaré ne pas être membre de Z.________ et ne jamais avoir demandé à l'être. A sa connaissance, il n'a pas été membre de cette association. Il n'avait dès lors pas d'obligation de déclarer un motif de récusation au sens de l'art. 57 CPP. Par conséquent seule entre en considération la requête présentée par le prévenu dès qu'il a eu connaissance du motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP).
Or la question des liens du magistrat avec l'association précitée est évoquée depuis le début de la procédure. Elle a fait l'objet de la première demande de récusation du 31 août 2012. Par courrier du 1er septembre 2012, le conseil du recourant avait écrit au Procureur pour lui demander de préciser les rapports qu'il avait entretenus avec les membres du comité de Z.________. Cette problématique a été traitée par la Cour de justice dans son arrêt du 15 octobre 2012, puis par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 10 janvier 2013 (1B_685/2012). Dans l'arrêt précité, celui-ci avait notamment constaté qu'il ne suffisait pas que le Procureur ait eu par le passé des engagements proches de ceux défendus par l'association Z.________ et qu'il ait pu côtoyer des membres de celle-ci pour imposer sa récusation, à l'instar de ce que la jurisprudence avait considéré pour un juge du Tribunal des baux autrefois avocat d'une association de défense des locataires (cf. ATF 138 I 1 consid. 2.3 p. 4).
Si le recourant avait jugé lacunaire le traitement de la problématique des liens entre le magistrat en cause et l'association Z.________ au motif que la question de l'appartenance passée du Procureur à cette association n'avait pas été abordée, il lui appartenait de soumettre cette question dès réception de l'arrêt de la Cour de justice du 15 octobre 2012, au plus tard dès réception de l'arrêt du Tribunal fédéral du 10 janvier 2013. Le prévenu n'explique pas pourquoi il a attendu le 23 juillet 2013 pour le faire, alors qu'entre temps il a déposé plusieurs requêtes de récusation reposant sur d'autres motifs. Dans ces conditions, en gardant ce moyen en réserve pour l'invoquer onze mois après son arrestation, alors que l'instruction ne suit pas le cours désiré, il a contrevenu au principe de la bonne foi. Ce principe imposait en effet qu'il pose sans retard - s'il l'estimait utile - la question de l'appartenance passée du magistrat à cette association, sous peine d'irrecevabilité. En attendant six mois depuis la réception de l'arrêt susmentionné du Tribunal fédéral traitant des liens entre le magistrat et l'association précitée, l'intéressé a vu son droit de se prévaloir de ce motif de récusation se périmer. La Cour de justice pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, déclarer la requête tardive et donc irrecevable au motif qu'elle n'avait pas été présentée "sans délai" au sens de l'art. 58 al. 1 CPP.
2.3. Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
3.
Dans la mesure où le recours paraissait d'emblée voué à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être accordée pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 64 al. 1 et 2 LTF). Il convient cependant, dans les circonstances données, de renoncer à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1, seconde phrase, LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Procureur Y.________ et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 30 octobre 2013
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
La Greffière: Tornay Schaller