Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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{T 0/2}
4A_122/2013
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Arrêt du 31 octobre 2013
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux Klett, présidente,
Kolly et Niquille.
Greffière: Mme Monti.
Participants à la procédure
Z.________, représentée par Me Reynald P. Bruttin,
recourante,
contre
W.________ SA,
représentée par Me Bruno Mégevand,
intimée.
Objet
responsabilité contractuelle de la banque,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu
le 25 janvier 2013 par la Chambre civile
de la Cour de justice du canton de Genève.
Faits:
A.
La société genevoise V.________ SA, fondée en septembre 2003, a engagé en octobre 2003 une relation de compte courant avec la banque W.________ SA. Il était convenu que celle-ci adresse la correspondance au siège de la société.
Le 3 décembre 2003, l'administrateur unique de V.________ SA a octroyé une procuration avec signature individuelle à l'actionnaire unique A.________, citoyen français. Le prénommé était autorisé à entreprendre tout acte juridique en rapport avec la relation bancaire, notamment déposer, emprunter ou retirer des valeurs, ou encore effectuer des versements ou prélèvements sous quelque forme que ce soit.
Au cours de l'été 2004, le titulaire de la procuration a informé la banque du fait que V.________ SA s'était engagée à racheter le fonds de commerce d'un café-restaurant. Le 11 août 2004, il a transmis une copie de l'acte de vente dont il ressortait que le prix était fixé à 520'000 fr.
En septembre 2004, il a annoncé à la banque qu'un versement d'environ 2 millions d'euros allait parvenir sur le compte de la société. Eu égard à l'importance du montant, la banque a invité V.________ SA à lui fournir de plus amples renseignements sur le transfert envisagé et sur l'ayant droit économique des fonds déposés sur les comptes ouverts au nom de la société.
Le 15 septembre 2004, A.________ a signé et remis à la banque un "formulaire A" qui se rapportait à un compte de la société concernant le café-restaurant; V.________ SA y était désignée comme ayant droit économique. Selon un contrôle interne de la banque, le document aurait dû être signé par l'administrateur de la société.
Par courrier du 23 septembre 2004 portant l'en-tête de V.________ SA, A.________ a précisé qu'une somme de 1,8 ou 2 millions d'euros allait être versée par une entité française dénommée Z.________, présentée comme l'associée de V.________ SA; ces fonds devaient servir à des opérations d'investissement à Genève.
Le 30 septembre 2004, Z.________ a versé 600'000 euros sur l'un des comptes de V.________ SA. Le lendemain, ce même compte a été débité de 495'499 euros, somme qui a été convertie en francs suisses (741'626 fr.) pour être virée à la société ayant vendu le fonds de commerce du restaurant.
Le 5 octobre 2004, les statuts de V.________ SA ont été modifiés. X.________ a été nommé nouvel administrateur unique avec signature individuelle. La société, dont le but initial consistait à prendre des participations et à effectuer des opérations commerciales principalement à l'étranger, devait désormais se consacrer à la création, l'achat, la vente et l'exploitation de cafés-restaurants. Le siège social a été implanté dans une autre localité genevoise. La Feuille officielle suisse du commerce a publié ces données le ....
Le 12 octobre 2004, un employé de la banque a rédigé une note interne intitulée "Transactions inhabituelles", qui était consacrée aux 600'000 euros reçus par V.________ SA. Selon les explications de A.________, il s'agissait d'un acompte sur le remboursement de sommes qu'il avait investies dans la construction d'un barrage hydroélectrique en France, et sur le bénéfice réalisé dans cette opération.
Le même jour, l'employé bancaire a pris divers renseignements commerciaux sur les sociétés V.________ SA et Z.________.
Le 26 octobre 2004, la banque a écrit un courrier à V.________ SA, adressé à l'ancien siège de la société. Invoquant l'obligation de se renseigner imposée par la législation sur le blanchiment d'argent, la banque s'interrogeait notamment sur la raison d'un versement aussi important, qui contrastait avec le peu d'activités enregistrées jusque-là sur les comptes de la société. Elle demandait aussi des renseignements sur l'actionnariat de V.________ SA et sur la fonction occupée par A.________ au sein de cette société. Enfin, eu égard au changement d'administrateur, elle exigeait un nouveau jeu de documents de signatures.
V.________ SA a répondu le 27 octobre 2004 sous la signature de A.________. Ce dernier expliquait que la société s'était initialement consacrée à des démarches de prospection ne générant pas d'activité significative. Le transfert de fonds était dû à des opérations réalisées en partenariat avec Z.________ dans le domaine d'activité de celle-ci. Il précisait être l'actionnaire unique de V.________ SA et l'ayant droit économique des fonds versés à celle-ci.
Le 28 octobre 2004, Z.________ et V.________ SA, représentée par A.________, ont signé une convention selon laquelle la première mettait à disposition de la seconde la somme de 2 millions d'euros, remboursable dans les trois ans, pour la recherche de sites d'exploitation hydroélectrique en Suisse. Le jour suivant, Z.________ a versé 1,4 millions d'euros sur le compte de V.________ SA, en sus des 600'000 euros déjà transférés. La banque n'a pas été informée de cet accord.
Le 1er novembre 2004, le nouvel administrateur de V.________ SA s'est rendu dans les locaux de la banque pour lui remettre les documents requis. L'organe a en particulier confirmé le pouvoir de signature conféré à A.________ sur les comptes de la société; sur le formulaire A, il a désigné le prénommé comme l'ayant droit économique des fonds déposés sur les comptes de la relation bancaire. Il a demandé d'adresser la correspondance bancaire au nouveau siège de V.________ SA, sauf instruction particulière.
Le 4 novembre 2004, un cadre de la banque a rencontré A.________. Celui-ci a réaffirmé que les 2 millions d'euros étaient destinés à des investissements en Suisse. Il a précisé que Z.________ était majoritairement détenue par une tierce personne, mais qu'il avait lui-même investi des fonds dans cette société sous la forme de cession de parts en blanc. Le cadre a résumé le contenu de cette entrevue dans une note interne intitulée "transactions inhabituelles".
De nombreux virements et retraits en espèces ont été prélevés sur l'un des comptes de V.________ SA. Son solde a passé de 1,4 millions d'euros le 29 octobre 2004 à 3'647 euros le 31 mars 2005. Ont notamment été opérés un virement de 100'000 euros en faveur d'un "client de la banque" et un virement de 66'361 euros à l'attention d'une société, avec la mention "consignation capital". Des montants ont été transférés sur le compte de V.________ SA consacré au café-restaurant, tandis que d'autres ont servi à payer des charges apparemment relatives à l'exploitation du restaurant. Par ailleurs, des retraits en espèces importants ont été effectués à intervalles réguliers. Il n'est pas contesté que A.________ est l'auteur de tous les ordres de virement et des retraits en espèces.
Le 7 avril 2005, les avoirs de V.________ SA ont été saisis dans le cadre d'une enquête pénale ouverte notamment contre le premier administrateur de la société et contre A.________. Celui-ci a été condamné en mai 2008 à six ans de réclusion pour abus de confiance aggravés et instigation à abus de confiance aggravés.
La faillite de V.________ SA a été prononcée le 22 mai 2006. Z.________ a vu sa créance de 2 millions d'euros colloquée en 3
ème classe pour un montant de 3'109'920 francs suisses. L'office des faillites a en outre porté à l'inventaire deux créances en responsabilité contre l'administrateur X.________ et contre le réviseur, en leur qualité d'organes, ainsi qu'une prétention en responsabilité contractuelle contre la banque; ces prétentions ont fait l'objet d'une cession des droits de la masse en faveur de Z.________.
B.
B.a. Le 22 décembre 2010, Z.________ a intenté une action à Genève visant à faire condamner solidairement l'administrateur X.________, l'organe de révision et la banque au paiement de 3'109'920 fr. à titre de dommages-intérêts pour violation de leurs obligations à l'égard de V.________ SA. Les défendeurs ont conclu au rejet. Par jugement du 20 juin 2012, le Tribunal de première instance (14
ème Chambre) a débouté Z.________ de toutes ses conclusions.
B.b. Cette décision a été déférée à la Chambre civile de la Cour de justice, qui a partiellement admis l'appel formé par Z.________ dans un arrêt du 25 janvier 2013. Elle a en outre rejeté le recours formé par la banque au sujet de l'indemnité allouée pour ses frais de défense.
Sur le fond, la Cour a nié tout manquement de la banque et de l'organe de révision, confirmant ainsi le rejet de l'action intentée contre ces deux sociétés. En revanche, elle a considéré que l'administrateur avait enfreint son devoir de diligence et de surveillance. Selon ses propres dires, il n'avait exercé aucune activité pour V.________ SA jusqu'à l'arrestation de l'actionnaire unique. Il ne s'était jamais rendu dans les locaux de la société, n'avait pas pris connaissance de la correspondance et des relevés bancaires adressés au siège de la société, attendant de recevoir des comptes que la fiduciaire ne lui avait jamais transmis. La cour a partiellement annulé le jugement et renvoyé la cause au premier juge pour qu'il complète ses constatations concernant le dommage causé à V.________ SA.
C.
C.a. L'administrateur a saisi le Tribunal fédéral d'un recours en matière civile dans lequel il concluait au rejet de l'action intentée à son encontre par Z.________. Le recours a été rejeté dans la mesure où il était recevable par arrêt du 27 août 2013 (4A_120/2013).
C.b. La société Z.________ a également déposé un recours en matière civile. Elle requiert d'annuler le jugement du Tribunal de première instance en tant qu'il rejette l'action contre la banque et de renvoyer la cause à cette autorité pour instruction complémentaire et nouvelle décision. La recourante produit un bordereau de pièces déjà versées au dossier cantonal, lequel a été transmis à la cour de céans.
La banque intimée conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. L'autorité précédente se réfère aux motifs de son arrêt.
Considérant en droit:
1.
1.1. L'arrêt attaqué met hors de cause la banque codéfenderesse à l'action intentée par Z.________. Cette décision est finale du point de vue de la banque, même si elle ne termine pas l'instance qui perdure à l'égard d'un autre consort. Le recours est recevable contre une telle décision, qualifiée de partielle (art. 91 let. b LTF; cf. ATF 134 III 379 consid. 1.1; sous l'OJ, ATF 127 I 92 consid. 1a).
1.2. La banque intimée reproche à la recourante d'avoir pris des conclusions exclusivement cassatoires, en les dirigeant de surcroît contre le jugement de première instance.
Le recours en matière civile étant une voie de réforme (cf. art. 107 al. 2 LTF), le justiciable ne peut en principe pas se contenter de requérir l'annulation de l'arrêt attaqué. Il doit prendre des conclusions sur le fond du litige, sauf s'il apparaît que le Tribunal fédéral, en cas d'admission du recours, ne serait de toute façon pas en mesure de statuer sur le fond et ne pourrait que renvoyer la cause à l'autorité cantonale (ATF 134 III 379 consid. 1.3; 133 III 489 consid. 3.1).
Contrairement au Tribunal de première instance, la Cour de justice a considéré que l'administrateur avait manqué à son devoir de diligence et de surveillance. Elle a annulé le jugement attaqué et ordonné le renvoi de la cause au premier juge afin qu'il procède à une instruction complémentaire sur la question du dommage. La recourante entend obtenir la même décision à l'encontre de la banque, dont elle cherche à faire reconnaître le défaut de diligence. A la lecture de l'arrêt attaqué, il faut admettre qu'une instruction complémentaire sur la question du dommage serait aussi nécessaire si la responsabilité de ce consort devait être reconnue. Pour le surplus, le recours est clairement dirigé contre la décision de la Cour de justice, étant entendu que l'art. 107 al. 2 LTF autorise aussi le Tribunal fédéral à renvoyer la cause au juge de première instance. Le grief d'irrecevabilité se révèle infondé.
1.3. L'intimée dénonce une motivation insuffisante, calquée sur l'argumentation présentée aux juges d'appel.
L'art. 42 LTF impose au recourant d'exposer succinctement en quoi l'acte attaqué viole le droit (al. 2). L'argumentation doit présenter un lien avec la décision attaquée; le recourant ne saurait reprendre mot pour mot les motifs invoqués devant l'autorité précédente, en s'abstenant d'expliquer pour quelle raison cette autorité, et non le juge de première instance, enfreint le droit fédéral (ATF 134 II 244 consid. 2.3).
En l'occurrence, le recours satisfait aux exigences de l'art. 42 LTF. Ni le Tribunal de première instance, ni la Cour de justice n'ont suivi la thèse de la recourante quant à une responsabilité de la banque; des redites dans l'argumentation présentée sont inévitables.
2.
La recourante taxe d'arbitraire la constatation selon laquelle "V.________ SA a répondu [à la demande d'informations présentée par la banque, réd.] sous la signature de A.________ le 27 octobre 2004". En réalité, il aurait fallu retenir que le prénommé avait répondu sur le papier à en-tête de V.________ SA.
Le grief est en réalité d'ordre juridique. Quoi qu'il en soit, la formulation adoptée par la Cour de justice permet de comprendre que A.________ a répondu au nom de la société V.________ SA, alors qu'il n'en était pas l'administrateur.
Pour le surplus, la cour de céans n'a pas à tenir compte des faits exposés par la recourante dans la mesure où ils n'ont pas été retenus dans l'arrêt attaqué (cf. art. 97 al. 1 et art. 105 LTF ; ATF 136 II 101 consid. 3; 133 II 249 consid. 1.4.3 ).
3.
3.1. La recourante dénonce une violation des art. 97 al. 1 et 398 al. 2 CO. En sa qualité de cessionnaire des droits de la masse en faillite de V.________ SA, elle reproche en substance à la banque d'avoir enfreint ses obligations de mandataire en se contentant des explications "incompréhensibles" données par le fondé de procuration à propos de transactions identifiées comme "inhabituelles", et en donnant suite à ses instructions alors que les retraits, souvent opérés en espèces, étaient "insolites et contraires au but" de la société. Du moment que la banque avait des doutes sur la provenance des fonds ou sur les dires du fondé de procuration, elle devait intervenir auprès de la société elle-même.
3.2.
3.2.1. Dans ses relations avec le titulaire d'un compte, la banque répond en principe en vertu de l'art. 398 al. 2 CO, qui impose un devoir de diligence et de fidélité au mandataire. Les règles du mandat s'appliquent au contrat de giro bancaire, par lequel le client charge la banque de s'occuper de son trafic de paiements en effectuant des versements à sa place, en recevant des virements pour lui et en compensant les créances réciproques. Ce contrat se greffe habituellement sur celui de compte courant (cf. ATF 126 III 20 consid. 3a/aa; 110 II 283 consid. 1). Le mandataire doit faire tout ce qu'il peut pour assurer la bonne exécution de sa prestation et favoriser la survenance du résultat, qu'il ne garantit toutefois pas. Il doit éviter tout ce qui pourrait causer un dommage au mandant (Walter Fellmann, Berner Kommentar, 1992, n°s 21 et 24 ad art. 398 CO; cf. ATF 115 II 62 consid. 3a). La banque peut donc engager sa responsabilité en dommages-intérêts pour défaut de diligence. Il faut cependant avoir égard au fait que dans certains cas, une action en exécution reste possible. Ainsi, lorsque la banque débite le compte d'un client au profit d'un tiers non autorisé, ou sur les instructions d'un représentant qui sort du cadre de sa procuration, elle ne pourra généralement pas opposer son acte de disposition au client; elle devra recréditer le compte à ses frais ( DANIEL GUGGENHEIM, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 4
e éd. 2000, p. 61 s. et p. 428 s.; Fellmann, op. cit., n° 436 ad art. 398 CO; cf. aussi ATF 132 III 449 consid. 2; 112 II 450 consid. 3a p. 454).
3.2.2. Selon CARLO LOMBARDINI, la banque n'est normalement pas tenue de surveiller les opérations qu'un client effectue sur son compte, sous réserve des dispositions en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. Lorsque le titulaire du compte confère une procuration à un tiers, la banque doit s'assurer que les actes du représentant sont couverts par cette procuration. Pour le surplus, il incombe au client de surveiller le représentant et, le cas échéant, de restreindre ses pouvoirs. La banque ne doit intervenir que si le représentant agit clairement au détriment du représenté et qu'elle perçoit cette situation sans aucun doute. De même, lorsque le titulaire du compte est une personne morale, il lui incombe de surveiller les personnes dotées du pouvoir de signature pour éviter qu'elles ne commettent des abus. L'attention de la banque peut toutefois être attirée par le fait que la correspondance relative au compte est adressée au domicile du fondé de procuration, ou par le fait que la relation bancaire ne paraît pas connue d'autres organes ( LOMBARDINI, Droit bancaire suisse, 2
e éd. 2008, pp. 325, 336 et 364).
3.2.3. Le droit public impose à la banque des règles de comportement et de diligence destinées à lutter contre le blanchiment d'argent et à permettre aux autorités pénales de trouver les personnes coupables et de confisquer le produit des infractions. La diligence requise dans l'identification du client et de l'ayant droit économique ne doit pas être confondue avec celle due au cocontractant en vertu des règles sur le mandat. Les règles de droit public peuvent même aller contre les intérêts du client (cf. THELESKLAF/WYSS/ZOLLINGER/VAN THIEL, Geldwäschereigesetz, 2
e éd. 2009, p. 31 s. n° 5 ad art. 1 LBA; CLAUDIA GEIGER, Der wirtschaftlich Berechtigte im Sinne der Vereinbarung über die Standesregeln zur Sorgfaltspflicht der Banken [VSB], 2006, p. 157).
Ces règles figurent en particulier dans la loi fédérale concernant la lutte contre le blanchiment d'argent dans le secteur financier (LBA; RS 955) et dans des ordonnances d'application. Selon la jurisprudence, la LBA n'a pas pour but de protéger des intérêts patrimoniaux individuels; l'illicéité requise pour fonder une responsabilité civile délictuelle au sens de l'art. 41 CO ne peut pas être déduite directement de la violation d'une obligation prescrite par la LBA (ATF 134 III 529). Cela étant, lorsqu'il s'agit d'apprécier si la banque a fait preuve de l'attention commandée par les circonstances au sens de l'art. 3 al. 2 CC, le juge peut être amené à prendre en compte la Convention de l'Association suisse des banquiers relative à l'obligation de diligence des banques (CDB; cf. ATF 131 III 511 consid. 3.2.3) ou les règles d'application de la LBA (cf. ATF 131 III 418 consid. 2.3.3).
3.3. L'analyse portée par la cour cantonale sur le comportement de la banque est la suivante: confrontée à des transactions qu'elle a jugées inhabituelles, la banque ne s'est pas contentée des premières explications données par A.________, qui était légitimé à représenter V.________ SA. Elle lui a demandé des informations complémentaires et a pris des renseignements commerciaux sur Z.________ et sur V.________ SA. Informée des changements survenus dans l'administration de cette dernière, la banque a fait remplir un nouveau jeu de documents de signatures, comprenant notamment une nouvelle procuration en faveur de A.________. Ce faisant, la banque s'est assurée de ce que la relation bancaire et les pouvoirs du prénommé étaient connus du nouvel administrateur de V.________ SA. Le formulaire A signé par cet organe désignait par ailleurs A.________ comme l'ayant droit économique des valeurs déposées sur le compte de V.________ SA. La banque n'avait pas de raison de mettre en doute cette déclaration, alors qu'elle n'avait pas été informée de la convention de prêt conclue avec Z.________. La signature du formulaire A lui permettait de satisfaire à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. Pour le surplus, elle pouvait se contenter des explications données par A.________, lesquelles paraissaient plausibles. Les virements et retraits opérés sur le compte de la société n'étaient pas nécessairement incompatibles avec l'intention annoncée de procéder à des investissements en Suisse, ni avec le but modifié de la société, consistant à acquérir ou exploiter des établissements publics. Surtout, la banque n'avait pas à s'immiscer dans la relation entre le titulaire du compte et l'ayant droit économique. Il n'y avait pas de circonstances particulières permettant de conclure à l'existence d'un comportement déloyal de A.________ au détriment de V.________ SA, "au motif que le véritable ayant droit économique des fonds n'aurait pas été le premier, mais la seconde". La correspondance et les relevés de compte étaient toujours adressés au siège de la société, de sorte que la banque ne pouvait ni ne devait soupçonner que l'activité de A.________ n'était pas connue de la société. Elle n'avait aucun motif de refuser de remettre à A.________ les fonds déposés sur le compte de la société.
3.4. En tant qu'actionnaire unique non-membre du conseil d'administration de V.________ SA, A.________ ne pouvait pas disposer librement des avoirs déposés sur les comptes bancaires de la société, ni donner des instructions à la banque. Une procuration était nécessaire. Elle lui a été délivrée par l'administrateur unique, doté de la signature individuelle. Sur le principe, le titulaire de la procuration était habilité sans restriction à retirer de l'argent des comptes de la société.
La banque s'est toutefois étonnée de l'annonce d'un prochain virement de 2 millions d'euros au profit de la société; il lui a paru étrange qu'un montant aussi important vienne subitement alimenter des comptes jusque-là peu actifs. Elle a estimé être confrontée à une "transaction inhabituelle", utilisant ainsi la terminologie de l'art. 6 let. a LBA, qui impose une obligation particulière de clarification. Des constatations insolites (
ungewöhnlich ) détruisent la présomption selon laquelle le titulaire du compte coïncide avec l'ayant droit économique (cf. chiffre 25 ad art. 3 CDB, dans sa teneur du 2 décembre 2002, auquel renvoyait l'art. 14 al. 1 de l'ancienne ordonnance en matière de lutte contre le blanchiment d'argent [OBA-CFB du 18 décembre 2002, RO 2003 560]).
Estimant avoir une obligation de se renseigner en vertu de la législation sur le blanchiment, la banque a donc demandé une première fois à la société des informations sur l'ayant droit économique et sur le transfert de fonds. Le titulaire de la procuration, qui s'était présenté en mars 2004 à un employé de banque comme l'actionnaire de V.________ SA, a expliqué que les fonds provenaient d'un investissement qu'il avait lui-même consenti dans une opération en France. Dans un formulaire A, il a désigné la société V.________ SA comme l'ayant droit économique des valeurs patrimoniales déposées sur un compte consacré au café-restaurant. Ces informations étaient peu compatibles entre elles; de surcroît, un contrôle interne de la banque jugeait que le formulaire A devait être rempli par l'administrateur de la société. La banque a demandé une nouvelle fois des précisions à la société, en posant de surcroît des questions quant à l'actionnariat et quant à la fonction de A.________ au sein de la société. Les explications ont derechef été fournies par le prénommé, qui a indiqué être actionnaire unique et ayant droit économique des fonds versés à la société. Ces dernières allégations ont été corroborées par le nouvel administrateur, qui a signé un nouveau formulaire A dans lequel il désignait A.________ comme l'ayant droit économique des fonds déposés sur les comptes de la relation bancaire.
La cour cantonale souligne que l'obtention du second formulaire A permettait à la banque de respecter ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment. La recourante ne plaide pas que la banque aurait enfreint des règles de diligence découlant notamment de la LBA ou des ordonnances d'application. Une telle violation ne s'impose pas de façon manifeste (cf. art. 42 al. 2 LTF; ATF 135 II 384 consid. 2.2.1). L'on observe que la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment prévoit, entre autres moyens de clarification, la prise de renseignements auprès de l'ayant droit économique (art. 18 al. 1 let. a OBA-CFB [RO 2003 561]).
Sous l'angle de la responsabilité contractuelle du mandataire, il faut se demander si la banque aurait pu et dû identifier un risque de dommage pour sa cliente et si elle aurait dû exiger des explications de l'administrateur, attirant ainsi explicitement son attention sur le transfert de 2 millions d'euros. Or, le fait que la banque ait éprouvé des doutes notamment sur l'ayant droit économique, en raison d'une arrivée importante de fonds après une période de relative inactivité, ne signifie pas nécessairement qu'elle devait soupçonner de façon caractérisée un comportement déloyal du titulaire de la procuration envers la société, dont il s'est révélé être l'actionnaire unique. Il était normal que la banque s'adresse à la société, dans la mesure où elle n'avait pas encore confirmation du statut du titulaire de la procuration, finalement désigné comme l'ayant droit économique des fonds. Le fait qu'il réponde au nom de la société ne signifiait pas impérativement qu'il agissait au détriment de celle-ci, alors que la correspondance bancaire était adressée au siège de la société.
De même, l'on ne saurait reprocher à la banque d'avoir sollicité un renouvellement de la procuration en faveur de A.________ sans attirer expressément l'attention de l'administrateur sur la récente entrée de 2 millions d'euros. Cette demande intervenait dans le contexte d'un changement d'administrateur, qui nécessitait d'obtenir un nouveau jeu de signatures. Il n'apparaît pas que la banque aurait eu des doutes quant à la légitimité du fondé de procuration, dont les pouvoirs pouvaient se justifier par le fait qu'il était actionnaire unique et ayant droit économique. Dans ces circonstances, la banque n'a pas enfreint ses devoirs de mandataire envers sa cliente en s'abstenant de demander des explications à l'administrateur, et d'attirer ainsi son attention sur le virement de 2 millions d'euros.
L'on ajoutera encore que même si une violation du devoir de diligence devait être admise, il faudrait encore établir un lien de causalité entre l'omission de la banque - soit le fait de ne pas avoir exigé des explications de l'administrateur - et le résultat dommageable. Se poserait la question du comportement hypothétique de l'organe. Or, au vu des carences de l'administrateur, qui est demeuré entièrement passif et n'a pas exercé la moindre surveillance, l'existence d'un lien de causalité aurait pour le moins prêté à discussion.
3.5. Subsiste le fait que la banque a exécuté les ordres de débit donnés par A.________. La recourante plaide que les retraits, souvent en espèces au guichet, étaient "incompréhensibles, insolites et contraires au but social".
La jurisprudence définit de façon large les actes autorisés par le but social, et la doctrine ne conçoit que dans des cas extrêmes des comportements contraires au but ainsi défini (ATF 111 II 284 consid. 3b; PETER BÖCKLI, Schweizer Aktienrecht, 4
e éd. 2009, § 13 n. 497). Les quelques précisions livrées dans l'état de fait ne suffisent pas à réaliser une telle prévision. Par ailleurs, l'arrêt attaqué ne retient pas que ces transactions auraient dû être détectées par la banque sous l'angle des réglementations relatives au blanchiment d'argent. La recourante ne le plaide pas, et une telle conclusion ne s'impose pas de façon manifeste sur la base de l'état de fait retenu. Le solde du compte a certes drastiquement diminué en quelques mois; toutefois, l'état de fait ne permet pas de mesurer la part des débits liés à l'exploitation du café-restaurant et celle des retraits en espèces. En l'absence de précisions supplémentaires, l'on ne saurait reprocher un manquement à la banque qui, au-delà des obligations en matière de blanchiment, n'a normalement pas à surveiller la légitimité des retraits effectués par un signataire autorisé. La recourante axe du reste l'essentiel de son argumentation sur le fait que la banque s'est à tort satisfaite des réponses de l'actionnaire et a renoncé à solliciter l'administrateur. Or, encore une fois, ce grief n'est pas fondé.
4.
En définitive, le recours doit être rejeté.
Les frais de la procédure sont mis à la charge de la recourante, qui versera à la banque intimée une indemnité de dépens (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF ).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais de justice, arrêtés à 20'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 22'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 31 octobre 2013
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Klett
La Greffière: Monti