BGer 1B_2/2014
 
BGer 1B_2/2014 vom 21.01.2014
{T 0/2}
1B_2/2014
 
Arrêt du 21 janvier 2014
 
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Merkli et Chaix.
Greffière: Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Kathrin Gruber, avocate,
recourant,
contre
Ministère public central du canton de Vaud, avenue de Longemalle 1, 1020 Renens.
Objet
Détention provisoire,
recours contre l'arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 4 décembre 2013.
 
Faits:
A. A.________ se trouve en détention provisoire depuis le 14 juin 2013 sous la prévention, notamment, de tentative d'assassinat, mise en danger de la vie d'autrui, dommages à la propriété, violation de domicile, utilisation abusive d'une installation de télécommunication et insoumission à une décision de l'autorité. Il lui est principalement reproché d'avoir, le 11 juin 2013, au domicile de son épouse à la Tour-de-Peilz, menacé celle-ci avec une arme à feu, de l'avoir atteinte à la cuisse droite, d'avoir ensuite défoncé la porte de la salle de bains dans laquelle s'étaient réfugiés son épouse, sa fille et ses beaux-parents, d'avoir alors fait feu, blessant de la sorte sa belle-mère à l'abdomen et son beau-père à la main.
La détention de l'intéressé a été prolongée le 5 septembre 2013 pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 11 décembre 2013. Par ordonnance du 19 novembre 2013, le Tribunal des mesures de contrainte (Tmc) a rejeté la demande de mise en liberté présentée par A.________. Celui-ci a recouru contre cette décision auprès de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: la cour cantonale), qui a rejeté ce recours par arrêt du 4 décembre 2013.
En substance, la cour cantonale a considéré que le risque de fuite existait et que le risque de récidive était manifeste. Au vu des antécédents et des charges pesant sur le détenu, le principe de proportionnalité demeurait en outre respecté.
B. A.________ recourt contre cette décision auprès du Tribunal fédéral. Il sollicite la réforme de l'arrêt cantonal en ce sens qu'il est immédiatement libéré, cas échéant moyennant certaines mesures de substitution. Il requiert en tout état l'octroi de l'assistance judiciaire.
Le Ministère public de l'arrondissement de l'Est vaudois conclut au rejet du recours. La cour cantonale se réfère aux considérants de sa décision. Le recourant a répliqué.
 
Considérant en droit:
1. Le recours en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) est ouvert contre une décision relative à la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté au sens des art. 212 ss CPP (RS 312.0). Formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 80 LTF) et qui touche le recourant dans ses intérêts juridiquement protégés (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF), le recours en matière pénale est recevable.
2. Une mesure de détention préventive n'est compatible avec la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst. et 5 CEDH) que si elle repose sur une base légale (art. 31 al. 1 et art. 36 al. 1 Cst.), soit en l'espèce l'art. 221 CPP. Elle doit en outre correspondre à un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 2 et 3 Cst.; art. 212 al. 3 CPP). Pour que tel soit le cas, la privation de liberté doit être justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (cf. art. 221 al. 1 let. a, b et c CPP). Préalablement à ces conditions, il doit exister à l'égard de l'intéressé des charges suffisantes, soit de sérieux soupçons de culpabilité (art. 221 al. 1 CPP; art. 5 par. 1 let. c CEDH). Le Tribunal fédéral examine librement ces questions, sous réserve toutefois de l'appréciation des faits, revue sous l'angle restreint des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF (ATF 135 I 71 consid. 2.5 p. 73 s. et les références).
3. Le recourant ne conteste pas la matérialité des faits retenus à son égard. En revanche, il estime que l'éventuel risque de fuite peut être évité par le dépôt de ses papiers d'identité et l'interdiction de quitter le territoire suisse; s'agissant du risque de récidive, il expose qu'il est nul dès lors que sa femme et sa fille se trouvent désormais en Turquie.
3.1. Aux termes de l'art. 221 al. 1 let. c CPP, la détention provisoire peut être ordonnée lorsqu'il y a lieu de craindre que le prévenu compromette sérieusement la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre.
Selon la jurisprudence, il convient de faire preuve de retenue dans l'appréciation du risque de récidive: le maintien en détention ne peut se justifier pour ce motif que si le pronostic est très défavorable et si les délits dont l'autorité redoute la réitération sont graves (ATF 137 IV 13 consid. 4.5 p. 21; 135 I 71 consid. 2.3 p. 73; 133 I 270 consid. 2.2 p. 276 et les arrêts cités). Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu ( ATF 137 IV 13 consid. 3-4 p. 18 ss; cf. arrêt 1B_133/2011 du 12 avril 2011 consid. 4.7). Le risque de récidive peut également se fonder sur les infractions faisant l'objet de la procédure pénale en cours, si le prévenu est fortement soupçonné - avec une probabilité confinant à la certitude - de les avoir commises (ATF 137 IV 84 consid. 3.2 p. 86 et les références citées).
3.2. Selon l'arrêt cantonal, le recourant a étranglé sa femme à deux reprises au cours de l'année 2010, faits qui n'ont toutefois pas donné lieu à une procédure pénale. Le 26 septembre 2012, il a en particulier été reconnu coupable de lésions corporelles simples qualifiées sur son épouse - il lui avait occasionné, au moyen d'un couteau, des blessures aux fesses qui avaient nécessité plusieurs points de suture - et a notamment été condamné à une peine pécuniaire de 45 jours-amende, à CHF 60.- le jour-amende, avec sursis pendant trois ans.
A teneur de l'expertise psychiatrique ordonnée dans le cadre de l'instruction pénale, le risque de récidive existe (cf. le rapport du 23 octobre 2013). Les experts ont en effet relevé que, si des conditions extérieures menaçant son intégrité psychique se présentaient, elles pourraient conduire le recourant à un point de bascule où ses actes prendraient le pas sur ses capacités de penser et de jugement; au vu de la fragilité psychique de l'intéressé et en raison du fait qu'il déclare qu'il recommencera si cela est nécessaire, il est à craindre qu'il en arrive de nouveau à des actes similaires, "plutôt dans un contexte familial identique que dans un autre cadre", les experts n'excluant pas d'autres possibilités; l'inquiétante fascination du recourant pour les armes à feu a aussi été relevée. Les experts ont enfin insisté sur le fait que le recourant doit pouvoir bénéficier d'un traitement psychiatrique et psychothérapeutique intégré "et ceci également au sein de l'établissement pénitentiaire où il se trouve".
3.3. A lire le recourant, tout risque de récidive serait aujourd'hui exclu: son épouse et sa fille se trouvent en Turquie et il n'a pas l'intention de se rendre dans ce pays, ayant fait un travail sur lui; toutes ses armes à feu ont été saisies; l'appartement conjugal a été vendu; la procédure de divorce est sur le point de se terminer; enfin, il encourrait une peine encore compatible avec le sursis, compte tenu de sa responsabilité pénale moyenne au moment des faits.
De telles affirmations font l'impasse sur les antécédents du recourant, lesquels, mis en relation avec les faits de la présente procédure, dont on ne peut nier la gravité, dénotent une escalade certaine dans la violence. Le recourant passe aussi sous silence le fait que les experts n'ont pas limité l'éventualité d'une récidive au seul contexte conflictuel familial, ce qui relativise d'autant l'éloignement géographique avec son épouse et sa fille et rend sans portée toute discussion en relation avec le dépôt des pièces d'identité ou l'interdiction de quitter le territoire. Enfin, peu importe que le recourant estime que sa prise en charge thérapeutique serait préférable, voire plus efficace en liberté avec son propre thérapeute, du moment que les experts judiciaires ont retenu qu'un tel suivi est possible en milieu fermé.
Par conséquent, en retenant que le risque de réitération était en l'occurrence manifeste, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral. De même, au vu des antécédents du recourant et des faits de la présente procédure, l'appréciation des juges cantonaux relative au respect de la proportionnalité est exempte de toute critique. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner la question du risque de fuite de l'intéressé.
4. Mal fondé, le recours doit ainsi être rejeté. Les conclusions du recourant étant vouées à l'échec, il ne saurait être fait droit à la demande d'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF). Vu la situation personnelle de l'intéressé, l'arrêt sera néanmoins rendu sans frais (art. 66 al. 1, 2ème phrase, LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est rejeté.
2. La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3. Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4. Le présent arrêt est communiqué à Me Katrin Gruber, ainsi qu'à Me Robert Ayrton, défenseur du recourant depuis le 9 janvier 2014, au Ministère public central du canton de Vaud et à la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 21 janvier 2014
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Fonjallaz
La Greffière: Kropf