Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
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{T 0/2}
9C_781/2013
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Arrêt du 28 janvier 2014
IIe Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Kernen, Président, Glanzmann et Parrino.
Greffier: M. Piguet.
Participants à la procédure
Mutuel Assurance Maladie SA
(en tant que successeur en droit de Mutuel Assurances), rue des Cèdres 5, 1920 Martigny,
représentée par Maître Michel Bergmann,
recourante,
contre
Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, rue du Mont-Blanc 18, 1201 Genève,
intimée.
Objet
Assurance-maladie (frais d'expertise),
recours contre le jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 19 septembre 2013.
Faits:
A.
A.a. A.________ était assuré auprès de Mutuel Assurances pour l'assurance obligatoire des soins en cas de maladie. L'intéressé ayant contesté la légitimité de la hausse de sa prime d'assurance valable à compter du 1
er janvier 2007, Mutuel Assurances a confirmé de façon formelle le montant de la prime par décision du 12 décembre 2006 et décision sur opposition du 2 avril 2007.
A.b. A.________ a déféré la décision du 2 avril 2007 devant le Tribunal cantonal des assurances sociales de la République et canton de Genève (depuis le 1
er janvier 2011: la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève). La procédure a été suspendue jusqu'à droit connu sur une affaire parallèle pendante devant la juridiction cantonale, puis devant le Tribunal fédéral, opposant les mêmes parties et concernant le montant de la prime due pour l'année 2001. Après que le Tribunal fédéral eut définitivement tranché ce litige (arrêt 9C_312/2008 du 24 novembre 2008), le Tribunal cantonal des assurances sociales a ordonné le 20 janvier 2009 la reprise de la cause et fixé à A.________ un délai au 20 février 2009 pour retirer son recours ou déposer un mémoire complémentaire. Sur la base de l'échange d'écritures qui s'en est suivi, la Présidente du Tribunal cantonal des assurances sociales a, par ordonnance du 30 avril 2009 - confirmée par arrêt incident du 8 juin 2009 -, ordonné la mise en oeuvre d'une expertise comptable devant porter sur l'exercice financier de l'année 2006 de Mutuel Assurances et imparti aux parties un délai échéant au 29 mai 2009 - prolongé ensuite jusqu'au 14 juillet 2009 - pour lui communiquer plusieurs noms d'experts-comptables ainsi que la liste des questions qu'elles souhaitaient voir poser à l'expert qui serait désigné. Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevables les recours interjetés par Mutuel Assurances contre ces deux décisions (arrêt 9C_485/2009, 9C_565/2009 du 16 juillet 2009).
A.c. Par ordonnance du 16 décembre 2009, la Présidente du Tribunal cantonal des assurances sociales a désigné B.________ et D.________ en qualité d'experts et défini la mission d'expertise. La demande de récusation formée à l'encontre des experts par Mutuel Assurances a été rejetée aussi bien par le Tribunal cantonal des assurances sociales (jugement incident du 9 mars 2010) que par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_309/2010 du 11 août 2010).
A.d. B.________ et D.________ ont déposé leur rapport le 1
er septembre 2011, puis un rapport complémentaire le 23 août 2012. Par jugement du 19 septembre 2013, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours formé par A.________ contre la décision du 2 avril 2007 et mis à la charge de Mutuel Assurances les frais d'expertise à hauteur de 185'808 fr. 90.
B.
Mutuel Assurance Maladie SA (en qualité de successeur en droit de Mutuel Assurances) interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement, dont elle demande l'annulation dans la mesure où il met à sa charge les frais d'expertise à hauteur de 185'808 fr. 90.
La Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit:
1.
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF . Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans être limité par les arguments de la partie recourante ou par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Il fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). La partie recourante qui entend s'écarter des faits constatés doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut être pris en considération. Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).
2.
En procédure fédérale, le litige a uniquement pour objet la question de la mise à la charge de la recourante des frais de l'expertise comptable.
2.1. La juridiction cantonale a considéré que la recourante, bien qu'elle fût la seule à pouvoir apporter les éléments nécessaires à la résolution du litige, n'avait pas produit de documents permettant de se prononcer valablement sur les questions soulevées par l'assuré quant à ses frais administratifs et de courtage ou au montant de la cotisation annuelle qu'elle versait au Groupe Mutuel. Dans la mesure où l'assuré n'avait aucun autre moyen que de requérir la mise en oeuvre d'une expertise comptable pour pouvoir apporter la preuve de l'inadéquation du montant de sa prime et où la juridiction cantonale n'était pas en mesure de juger de la présente cause sans mettre en oeuvre une telle expertise, il convenait, eu égard à la jurisprudence du Tribunal fédéral (soit notamment l'ATF 137 V 210), de mettre à la charge de la recourante l'intégralité des frais d'expertise, soit un montant total de 185'808 fr. 90.
2.2. La recourante reproche à la juridiction cantonale d'avoir violé le droit fédéral, singulièrement l'art. 61 let. a LPGA, et fait preuve d'arbitraire en la condamnant au paiement des frais de l'expertise, alors même qu'elle avait obtenu gain de cause sur le fond et qu'elle n'avait pas agi par témérité ou légèreté dans la présente affaire.
3.
3.1. Sous réserve des exigences définies à l'art. 61 let. a à i LPGA, la procédure devant le tribunal cantonal des assurances (respectivement le Tribunal administratif fédéral) est régie par le droit cantonal et les principes généraux de procédure. Conformément à l'art. 61 let. a LPGA, la procédure doit, sous réserve de l'art. 69 al. 1bis LAI, être gratuite pour les parties; des émoluments de justice et les frais de procédure peuvent toutefois être mis à la charge de la partie qui agit de manière téméraire ou témoigne de légèreté (ATF 127 V 196; voir également arrêt 9C_620/2007 du 25 avril 2008 consid. 5).
3.2. Dans un passé récent, le Tribunal fédéral a indiqué que les frais qui découlaient de la mise en oeuvre d'une expertise médicale judiciaire mono-, bi- ou pluridisciplinaire pouvaient le cas échéant être mis à la charge d'un assureur social. En effet, lorsque l'autorité judiciaire de première instance décidait de confier la réalisation d'une expertise judiciaire pluridisciplinaire à un ou plusieurs experts ou à un centre d'expertise parce qu'elle estimait que l'instruction menée par l'autorité administrative était insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l'ATF 137 V 210), elle intervenait dans les faits en lieu et place de l'autorité administrative qui aurait dû, en principe, mettre en oeuvre cette mesure d'instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l'expertise ne constituaient pas des frais de justice, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l'art. 45 LPGA qui devaient être pris en charge par l'assureur social (ATF 137 V 210 consid. 4.4.2 p. 259). Le Tribunal fédéral a précisé par la suite que cette règle ne devait pas entraîner la mise systématique des frais d'une expertise judiciaire à la charge de l'autorité administrative. Encore fallait-il que l'autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l'expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d'instruction administrative. En d'autres mots, il devait exister un lien entre les défauts de l'instruction administrative et la nécessité de mettre en oeuvre une expertise judiciaire (ATF 139 V 496 consid. 4 p. 500).
4.
4.1. En l'espèce, la juridiction cantonale a, en application de la maxime inquisitoire régissant la procédure devant le tribunal cantonal des assurances (art. 61 let. c LPGA), fait le choix de mettre en oeuvre une expertise comptable afin d'élucider certaines questions de fait posées par le recours formé devant elle et, plus généralement, de vérifier le bien-fondé de l'augmentation valable à compter du 1
er janvier 2007 de la prime d'assurance litigieuse. Conformément à l'art. 61 let. a LPGA, les frais de l'expertise doivent aller à la charge de la caisse du tribunal, car il s'agit de frais de procédure. L'assureur social ne peut être appelé à payer que s'il a, en tant que partie au procès, agi témérairement ou avec légèreté. Or on constate à la lecture du jugement attaqué que la juridiction cantonale ne s'est pas fondée expressément sur l'un ou l'autre de ces motifs. Certes, elle a fait grief à la recourante de n'avoir pas produit les documents qui lui auraient permis de se prononcer valablement sur les questions qui étaient posées par le recours formé devant elle. Ce reproche est toutefois dénué de fondement. Il ressort en effet du dossier que la juridiction cantonale n'a nullement cherché à obtenir des renseignements par des moyens plus simples et économiques, en invitant par exemple la recourante à produire les documents qu'elle jugeait utiles à la résolution du litige, en procédant à l'audition des réviseurs de la recourante ou du Groupe Mutuel, ou encore en sollicitant une prise de position détaillée de la part de l'OFSP. Au contraire, la juridiction cantonale a immédiatement fait état de sa volonté de mettre en oeuvre une expertise comptable, puisque la première ordonnance d'expertise du 30 avril 2009 (confirmée le 8 juin 2009) a été rendue après le premier échange d'écritures. Il appartient par conséquent à la juridiction cantonale d'assumer les conséquences financières du choix délibéré de cette mesure d'instruction, fait par ailleurs en toute connaissance de cause (voir arrêt 9C_485/2009, 9C_565/2009 du 16 juillet 2009 consid. 4.1.5).
4.2. La juridiction cantonale fait valoir que les principes définis à l'ATF 137 V 210, qui concernait un litige relevant de l'assurance-invalidité, conduiraient à mettre à charge de la recourante les frais de l'expertise. Or il est vrai, comme relevé par la juridiction cantonale, que les dispositions relatives à la procédure d'instruction, définies aux art. 43 à 49 LPGA, sont les mêmes pour toutes les assurances sociales, donc non seulement pour l'assurance-invalidité mais aussi pour l'assurance-maladie. Toutefois, en l'espèce, la recourante a respecté son devoir d'instruire la cause et on ne peut pas lui reprocher un manquement objectif au cours de la phase d'instruction administrative. À ce propos, il convient de rappeler que les primes de l'assurance obligatoire des soins approuvées par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) bénéficient d'une présomption d'adéquation de leur montant (ATF 135 V 39 consid. 6.2 p. 45). Il n'appartient donc pas à l'assureur de démontrer que la clause tarifaire litigieuse est conforme au droit, mais à l'assuré d'établir, au degré de preuve requis en la matière, les circonstances qui permettraient d'admettre que les dispositions légales en matière de financement et de fixation de primes auraient été violées et justifieraient de revenir sur la décision d'approbation de l'OFSP (ATF 135 précité consid. 7.4.1 p. 47). En ces circonstances, le renvoi à l'ATF 137 V 210 ne permet pas de confirmer la solution adoptée par la juridiction cantonale, puisque, comme cela a été précisé à l'ATF 139 V 496, il faut une lacune - inexistante en l'espèce - dans l'instruction administrative pour pouvoir mettre les frais de procédure à la charge d'un assureur.
4.3. De même, la référence faite par la juridiction cantonale à l'arrêt de la Cour de céans 9C_256/2010 du 30 novembre 2011 (consid. 6.6) n'est pas non plus pertinente, car le litige avait pour objet la question de la prise en charge de frais administratifs liés à la mise en oeuvre de l'assurance (au sens de l'art. 45 LPGA).
5.
5.1. Bien fondé, le recours doit être admis et le jugement attaqué annulé dans la mesure où il met à la charge de la recourante les frais d'expertise. Au vu du sort du recours, il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs soulevés par la recourante qui deviennent sans objet.
5.2. Vu l'issue du litige, il convient de mettre les frais judiciaires à la charge de la République et canton de Genève (art. 66 al. 3 LTF; ATF 133 V 402 consid. 5 p. 407 et les références). La recourante, qui a conclu à l'octroi de dépens, ne saurait toutefois en prétendre, aucuns dépens n'étant alloués en règle générale aux organisations chargées de tâches de droit public (art. 68 al. 3 LTF; ATF 134 V 340 consid. 7 p. 351).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1.
Le recours est admis. Le jugement de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 19 septembre 2013 est annulé dans la mesure où il met à la charge de la recourante les frais d'expertise par 185'808 fr. 90.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis à la charge de la République et canton de Genève.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à A.________ et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 28 janvier 2014
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Kernen
Le Greffier: Piguet