BGer 6B_935/2013
 
BGer 6B_935/2013 vom 14.02.2014
{T 0/2}
6B_935/2013
 
Arrêt du 14 février 2014
 
Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Mathys, Président, Schneider, Jacquemoud-Rossari, Denys et Oberholzer.
Greffière: Mme Livet.
Participants à la procédure
Ministère public de l'Etat de Fribourg, case postale 1638, 1701 Fribourg,
recourant,
contre
1. X.________, représentée par Me Jean-Christophe a Marca, avocat,
2. Y.________, représenté par Me Jean-Luc Maradan, avocat,
intimés.
Objet
Appel principal, appel joint, entrée en matière,
recours contre l'arrêt de la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 14 août 2013.
 
Faits:
A. Par ordonnance du 14 mai 2010, le Ministère public du canton de Fribourg a renvoyé Y.________ devant le Tribunal pénal d'arrondissement de la Sarine pour de nombreux chefs de prévention, répartis en une vingtaine de volets (comprenant des infractions au détriment de 520 artistes de cabaret, des infractions économiques et des infractions diverses).
Par jugement du 30 mars 2012, le Tribunal pénal a notamment acquitté Y.________, dans le volet X.________, de tentative de traite d'êtres humains, de tentative d'encouragement à la prostitution, de tentative de contrainte, d'appropriation illégitime et d'abus de confiance. Le tribunal l'a reconnu coupable d'encouragement à la prostitution (volet autres artistes), d'escroquerie par métier (volet escroquerie), de faux dans les titres et de délit contre la LAVS (volet décomptes salaires), d'infraction à la LIFD et à la LICD (volet détournement de l'impôt à la source), de délit contre la LAVS (volet détournement de cotisations sociales), de contravention à la LAVS (volet non-remise de comptabilité) et de délit contre la LEtr (volet emploi sans autorisation). Il l'a condamné à une peine privative de liberté de vingt-deux mois avec sursis durant deux ans et à 300 fr. d'amende. Le tribunal a prononcé une créance compensatrice de 30'000 francs.
B. La partie plaignante X.________ a formé appel contre ce jugement. Elle a conclu à sa réforme en ce sens que Y.________ soit reconnu coupable d'abus de confiance, subsidiairement d'appropriation illégitime, de tentative de contrainte, de tentative de traite d'êtres humains, subsidiairement de tentative d'encouragement à la prostitution. Elle a requis l'allocation d'une indemnité pour tort moral de 10'000 francs.
Le ministère public a déclaré former un appel joint. Dans le volet X.________, il a conclu à ce que Y.________ soit reconnu coupable de tentative de traite d'êtres humains, de tentative d'encouragement à la prostitution et d'abus de confiance. Le ministère public a également attaqué le jugement sur d'autres points  concernant en particulier les acquittements dans les volets A.________, B.________ et autres artistes. Pour l'ensemble des points querellés, il a requis une condamnation à une peine privative de liberté de trente-six mois, dont vingt-quatre avec sursis durant cinq ans, à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à 40 fr., avec sursis durant cinq ans et à une amende de 4'000 francs. Il a sollicité que la créance compensatrice soit portée à 200'000 francs.
C. Par arrêt du 14 août 2013, la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a décidé d'entrer en matière sur l'appel de X.________ et d'entrer partiellement en matière sur l'appel joint du ministère public. En bref, la cour a considéré qu'il y avait uniquement lieu d'entrer en matière sur l'appel joint en tant qu'il s'inscrivait dans le cadre du volet X.________, mais non sur les autres volets dès lors que ceux-ci n'auraient pas pu être attaqués par la partie plaignante dans son appel principal pour se rapporter à des faits étrangers à celle-ci.
D. Le Ministère public de l'Etat de Fribourg forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, concluant à son annulation.
X.________ conclut à l'admission du recours et sollicite l'assistance judiciaire. Y.________ conclut au rejet du recours et sollicite l'assistance judiciaire.
E. Le Tribunal fédéral a rendu son jugement en séance publique.
 
Considérant en droit:
1. En tant que l'arrêt attaqué entre en matière sur une partie de l'appel joint et refuse l'entrée en matière sur d'autres aspects (art. 403 CPP), il constitue une décision partielle au sens de l'art. 91 LTF et le recours en matière pénale est ainsi ouvert pour ce qui concerne le refus d'entrer en matière (cf. NIKLAUS SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 2 e éd. 2013, n° 10 ad art. 403 CPP).
2. Invoquant une violation de l'art. 401 CPP, le recourant est d'avis que l'appel joint peut porter sur tous les points du jugement de première instance, sans limitation.
2.1. L'art. 401 CPP prévoit que l'art. 399, al. 3 et 4, s'applique par analogie à l'appel joint (al. 1); l'appel joint n'est pas limité à l'appel principal, sauf si celui-ci porte exclusivement sur les conclusions civiles du jugement (al. 2); si l'appel principal est retiré ou fait l'objet d'une décision de non-entrée en matière, l'appel joint est caduc (al. 3).
Au regard de l'art. 401 al. 2 CPP, la doctrine mentionne que, sous réserve d'un appel principal limité aux conclusions civiles, la partie qui formule un appel joint peut s'en prendre à tous les points du jugement de première instance (cf. MOREILLON/PAREIN-REYMOND, Petit commentaire, Code de procédure pénale, 2013, n° 13 ad art. 401 CPP; LUZIUS EUGSTER, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung, 2011, n° 2 ad art. 401 CPP; SCHMID, op. cit., n° 8 ad art. 401 CPP). Ce dernier auteur précise que les autres parties qui n'ont pas formé l'appel principal peuvent interjeter un appel joint aussi sur les points qui ne font pas l'objet de l'appel principal.
2.2. Un courant de doctrine introduit cependant une nuance, en évoquant la situation où un jugement de première instance concerne plusieurs coprévenus. Si un seul prévenu forme appel, le ministère public ne saurait alors interjeter un appel joint pour s'en prendre aux autres coprévenus qui n'ont eux-mêmes pas entrepris d'appel, sous peine de méconnaître le caractère accessoire de l'appel joint et de contourner l'interdiction de la reformatio in pejus (cf. MARLÈNE KISTLER VIANIN, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n° 12 ad art. 401 CPP; PIQUEREZ/MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3
2.3. Cette dernière approche ne concerne certes pas une hypothèse identique au cas d'espèce. On peut néanmoins en déduire qu'une démarcation quant à la portée à donner à l'appel joint n'est pas exclue. Le caractère accessoire de l'appel joint implique qu'il n'a pas de portée indépendante par rapport à l'appel principal (cf. arrêt 6B_643/2010 du 7 février 2011 consid. 2.2). Par son objet, l'appel joint n'est certes pas lié à l'appel principal, conformément à ce que prévoit l'art. 401 al. 2 CPP. Son caractère accessoire impose toutefois de prendre en compte quelles parties sont aux prises et justifie une délimitation par rapport aux parties concernées. Lorsque, comme en l'espèce, l'appel principal émane d'une partie plaignante, le cadre dans lequel l'appel joint est possible sur le plan pénal se détermine en considération des infractions par lesquelles la partie plaignante est directement lésée (cf. art. 115 CPP). Les parties concernées par l'appel principal sont ainsi définies et l'appel joint doit se situer dans ce cadre. Le prévenu ne pourrait pas contester dans un appel joint à la suite d'un appel d'une partie plaignante une infraction qui concerne une autre partie plaignante. De même, si le ministère public forme un appel joint à la suite d'un appel d'une partie plaignante, l'appel joint ne peut porter que sur les infractions qui fondent la qualité de lésée de cette partie plaignante, le cas échéant aussi la peine infligée dès lors qu'elle repose notamment sur les infractions précitées. En revanche, par son appel joint, le ministère public n'est pas habilité à mettre en cause d'autres infractions touchant d'autres parties plaignantes ou sans lien avec la partie plaignante à l'origine de l'appel principal. Le caractère accessoire de l'appel joint serait sinon dépourvu de toute portée. Il ne faut pas perdre de vue que le ministère public est responsable de l'action publique (cf. art. 16 CPP) et qu'il lui incombe à ce titre de former un appel principal s'il n'est pas satisfait du jugement de première instance.
2.4. Il s'ensuit que l'arrêt attaqué ne viole pas le droit fédéral.
3. En conclusion, le recours doit être rejeté. L'intimé Y.________ peut prétendre à des dépens à la charge de l'Etat de Fribourg (art. 68 al. 1 LTF). Sa requête d'assistance judiciaire est ainsi sans objet (art. 64 al. 2 LTF). La requête d'assistance judiciaire de l'intimée X.________ est admise. Il convient de désigner Me Jean-Christophe a Marca comme avocat d'office et d'allouer à celui-ci une indemnité à titre d'honoraires, qui sera supportée par la caisse du Tribunal fédéral (art. 64 al. 2 LTF). Il est statué sans frais (art. 66 al. 4 LTF).
 
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:
1. Le recours est rejeté.
2. Il est statué sans frais.
3. L'Etat de Fribourg versera à Me Jean-Luc Maradan, conseil de l'intimé Y.________, une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4. La demande d'assistance judiciaire de l'intimé Y.________ est sans objet.
5. La demande d'assistance judiciaire de l'intimée X.________ est admise. Me Jean-Christophe a Marca est désigné comme son avocat d'office et une indemnité de 3'000 fr., supportée par la caisse du Tribunal fédéral, lui est allouée à titre d'honoraires.
6. Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg.
Lausanne, le 14 février 2014
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Mathys
La Greffière: Livet